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L’accueil dans l’Ordre dominicain
dominicain
Après avoir présenté brièvement la situation de la province dominicaine de France, je parlerai de la procédure que nous appliquons pour l’entrée dans l’Ordre dominicain dans cette province de France dont je fais partie. En effet, il n’y a pas de pratique d’interpellation qui soit organisée, à titre global ou personnel. En revanche, c’est l’accueil qui est très formalisé, même s’il y a le souci de gérer au cas par cas ce qui demande à l’être. Je donnerai ensuite quelques réflexions personnelles sur la manière dont je comprends que nous n’ayons pas de pratique d’interpellation.
Pour me présenter, je dirai que je suis un frère dominicain du couvent du Saint-Nom-de-Jésus, à Lyon. A la demande du chapitre provincial, j’assure le service d’accueil des candidats à la vie dominicaine qui viennent frapper à la porte du couvent.
Situer la province
La province dominicaine de France comprend les couvents dominicains situés sur les deux tiers nord de la France (c’est-à-dire environ au-dessus d’une ligne Gap-Angoulême). Elle compte aussi des vicariats en Scandinavie, en Afrique et dans le monde arabe.
Démographiquement, la province dominicaine de France, c’est environ cent soixante-dix frères de plus de soixante-dix ans et cent soixante-dix frères de moins de cinquante ans.
Le noviciat est à Strasbourg et le premier cycle d’études (quatre ans) est à Lille. Le deuxième cycle (deux ans) est à Lyon, Strasbourg ou, dans certains cas, à l’étranger. Au premier janvier 2004, la province représente quatre cent cinquante frères. En 2003-2004, nous avions cinq novices à Strasbourg et deux à Cotonou, vingt-quatre frères étudiants en France et vingt-neuf dans les vicariats.
Cette année, nous avons sept novices. Dans les années précédentes, le nombre de novices qui ont fait profession simple était de
• en 2001 : 5 en France, 7 en Afrique,
• en 2002 : 5 en France, 5 en Afrique,
• en 2003 : 8 en France, 4 en Afrique.
Procédure d’entrée dans l’Ordre
En ce qui concerne le temps préalable à l’entrée dans l’Ordre, les Constitutions dominicaines écrivent : « Tous les frères, en particulier ceux qui exercent un apostolat auprès des adolescents ou des jeunes gens, doivent considérer comme une tâche de leur vocation dominicaine de travailler activement et prudemment à susciter des vocations pour l’Ordre. Tous cependant se souviendront que la vie et l’apostolat de chaque frère et de la communauté sont la première incitation à entrer dans la vie dominicaine [ordination]. » (LCO 165).
Cette ordination qui fait partie de nos constitutions rappelle que les frères ne doivent pas perdre l’idée que les jeunes sont appelés à la vie dominicaine. De fait, dans des périodes plus critiques pour la vie de l’Ordre ou pour la vie religieuse en général, une morosité a pu s’installer chez certains frères ou certaines communautés, les conduisant à être découragés, voire décourageants. Mais cette ordination situe assez clairement la dynamique essentielle de l’incitation aux vocations : c’est en voyant la vie et l’apostolat des frères et des communautés que peut surgir chez certains une certaine lucidité quant à un appel de Dieu à la vie dominicaine.
C’est, je crois, partant de là que je peux dire que dans la province dominicaine de France, il n’y a pas une stratégie des vocations ni de politique d’appel ou d’interpellation. Rien n’est organisé pour dire : « L’Ordre a besoin de vous... »
En fait, il y a des jeunes qui viennent, qui ont fréquenté nos couvents pour la prière ou les conférences et groupes de travail proposés, ou qui ont rencontré ou travaillé avec des frères (dans le cadre d’aumôneries par exemple), ou qui se présentent sans avoir directement connu l’Ordre ni même un frère (sur conseil d’une instance ecclésiale, ou par connaissance plus théorique de l’Ordre).
Chaque frère de la province est invité à avoir le souci de l’accueil de ceux qui se posent des questions sur la vie dominicaine, ou qui leur posent des questions sur la vie dominicaine. De fait, chaque frère peut être conduit à accueillir ou accompagner quelqu’un qui s’intéresse à l’Ordre, parce qu’il le connaît ou l’a rencontré. Il n’y a pas de politique de l’appel et pas de privilège de l’accueil.
En revanche, dès lors qu’il y a une demande qui se précise quant à la perspective d’une entrée dans l’Ordre, les candidats sont orientés vers le frère du couvent chargé de cet accueil. En effet, le chapitre provincial constitue un groupe d’accueil des candidats à la vie dominicaine. Les statuts de la province dominicaine de France présentent ainsi cette institution : « Il revient à l’équipe d’accueil des candidats à la vie dominicaine de procéder à l’examen des candidats au noviciat et aux votes préalables à leur admission par le prieur provincial. Cette équipe est composée sous la présidence du père-maître des novices, de frères de la province nommés par le chapitre ou par le prieur provincial et son conseil. »
Dans la mesure du possible, les frères qui constituent ce groupe sont pris un par couvent ou, à défaut, par région. Cette procédure concerne les couvents du territoire français. L’accueil des candidats est traité de manière autonome dans les vicariats de la province de France, même si le noviciat est le plus souvent effectué au couvent de Strasbourg.
Il y a actuellement neuf frères dans le groupe chargé de l’accueil des candidats à la vie dominicaine, père maître des novices compris. Les candidats sont suivis par l’un de ces frères mais, dans leur découverte de l’Ordre, ils sont envoyés passer un week-end ou quelques jours dans un ou deux autres couvents. La diversité de style des couvents de l’Ordre doit être une donnée prise en considération dès le début.
Les candidats ne sont pas appelés postulants mais regardants. Ils ne deviennent postulants que lorsque le père maître des novices les a déclarés ainsi, moment qui peut être tout proche de l’entrée au noviciat d’ailleurs. Le père maître rencontre bien évidemment tous les regardants lorsque le discernement a déjà bien progressé. Il n’y a pas de postulat effectué à l’intérieur des couvents (excepté pour les frères issus des vicariats qui ont besoin d’apprendre le français).
Avant le mois de mai, les candidats à la vie dominicaine qui ont décidé de faire la demande d’entrer au noviciat l’expriment formellement par écrit. Le groupe d’accueil à la vie dominicaine se réunit alors et vote sur chaque candidat présenté. Les résultats du vote sont présentés par le père maître des novices au prieur provincial, et celui-ci décide finalement de l’entrée au noviciat de chacun des candidats.
Le noviciat dure un an, suivi de six ans d’études avec l’accompagnement d’un père maître des étudiants.
Quelques critères
La lisibilité d’un parcours fait partie du discernement ainsi que les motivations exprimées quant au désir de vivre la vie dominicaine. Après une conversion ou un baptême, il est d’usage d’attendre quelques années avant d’envisager l’entrée au noviciat. De même pour l’entrée d’une personne trop jeune, avec peu d’expérience de la vie étudiante ou professionnelle.
Quelques réflexions
Il n’y a donc pas de pratique d’interpellation dans la province dominicaine de France. Pas d’interpellation, ou de stratégie d’appel organisée, mais bel et bien des candidats et des entrées régulières depuis le début des années 80.
Il n’y a pas eu de volonté de mettre en place une politique d’interpellation. Cela ne signifie pas que l’idée n’a pas été exprimée à telle ou telle occasion au niveau d’un couvent ou au niveau de la Province, mais l’expérience montre que, puisque rien ne s’est organisé, il est clair que mettre en œuvre une politique d’interpellation n’était pas dans la culture de l’Ordre, dans son mode de gouvernement (donc son rapport à la liberté) ou dans son sens de la valorisation des charismes personnels.
Au-delà de la culture de l’Ordre dominicain, il me semble que c’est aussi dans l’esprit même de la vie religieuse que de ne pas interpeller. L’interpellation est le fait même de l’Église pour ceux qui auront une fonction en son sein ; il n’est pas étonnant que l’Église représentée par l’évêque appelle des ministres ordonnés pour l’exercice des sacrements, ou des hommes et des femmes chargés d’un certain service à l’égard du peuple de Dieu.
Il n’appartient pas à l’Ordre dominicain, en tant qu’institut de vie religieuse, d’appeler pour lui-même. La raison qui conduirait l’Ordre à faire cela, c’est d’assurer sa survie, de renforcer la vie des couvents... C’est la crainte de ne pas faire face aux besoins de l’institution qui est en premier lieu capable de provoquer le réflexe d’inciter des jeunes gens à nous rejoindre.
Si l’Ordre interpellait, ce ne serait pas le souci de la mission à accomplir qui serait premier. La vie religieuse n’est pas là d’abord pour faire quelque chose. La vie religieuse est témoignage parce que des hommes et des femmes manifestent que Dieu appelle ses enfants . à « être ». Le religieux emprunte un chemin de conversion, de retournement pour signifier que Dieu nous appelle à sortir de nous-mêmes pour aller vers lui ; pour signifier que lui est au centre de tout. L’Ordre dominicain se retrouve assez bien dans ce verset de l’Évangile selon saint Marc : « Jésus en institua douze qu’il nomma apôtres pour qu’ils soient avec lui et pour les envoyer prêcher » (Mc 3,14). Quand l’Ordre dominicain parle de vie apostolique, ce n’est pas en tant qu’il est actif, mais en tant qu’il essaie d’être dans le monde à la manière des apôtres.
Dire que la vie religieuse n’est pas là d’abord pour faire quelque chose, mais pour apprendre à être, ce n’est pourtant pas dire qu’elle ne fait rien. Mais cela, nous en faisons l’expérience : la mission ne manque pas. Simplement, « être » relève d’un appel intérieur : celui de répondre à sa vocation, et à ce niveau, il n’appartient pas à l’Ordre dominicain en tant qu’institut religieux d’interpeller. En revanche, « faire » relève d’un appel de l’Église, et c’est une interpellation de l’Église qui peut conduire des hommes et des femmes à s’engager dans telle ou telle mission ou service, dans la vie d’un diocèse ou à l’intérieur d’un institut religieux, l’un et l’autre pour le bien de l’humanité et par souci du peuple de Dieu.
Parfois, des candidats à la vie dominicaine motivent leur démarche par le goût de l’étude et le désir de la prédication. Ce sont des éléments essentiels dans le discernement de la vocation, mais pas exploitables en tant que tels, parce que dans leur propos il n’est jamais question des vœux et de l’expérience de Dieu, par lesquels s’entend l’appel à être qu’est la vie religieuse. Cet appel à être est bien un acte de Dieu en chacun de nous, chacun selon sa vocation. Mais c’est un appel qui ne me semble pas pouvoir faire l’objet d’une interpellation extérieure de quelque institution au nom des besoins de sa mission.