L’Eglise d’oł vous partez


Cette intervention du Père Jean-Louis Souletie a été donnée dans le cadre de la session de préparation des jeunes volontaires de la Délégation Catholique pour la Coopération à Nantes en juillet dernier. Ces jeunes s’apprêtent à donner deux ans de leur vie au service d’un pays en voie de développement. Le Père Souletie invite ces jeunes marqués par les différentes sensibilités de l’Eglise d’aujourd’hui à réfléchir sur leur propre catholicisme.

Jean-Louis Souletie
théologien

Dans le cadre de la DCC, vous allez arriver dans d’autres pays, d’autres cultures, d’autres contextes et vous serez peut-être surpris des formes du catholicisme que vous rencontrerez. Pour que la surprise ne soit pas une incompréhension, ou même une agression, réfléchissons ensemble à ce qu’est notre catholicisme français. Il est souhaitable de mieux nous comprendre nous-mêmes pour mieux comprendre l’autre.

Un catholicisme marqué par la culture d’aujourd’hui

Vous n’êtes pas différents des jeunes français. Vous participez à la culture de ce temps. Cette culture est marquée par différentes valeurs.

  • La valeur de l’individualité (et non de l’individualisme) : vous êtes attachés à l’importance de l’individu, à la singularité de votre vie, à la nécessité de construire votre personnalité. En France, la naissance de l’individu remonte à la Renaissance, elle s’est enrichie au Siècle des Lumières. Le christianisme lui-même a contribué à ce phénomène en insistant sur l’importance du sujet. Dans d’autres cultures, ce sera tout à fait différent : c’est le groupe qui prime au détriment de l’individu.
  • Un vrai et sain pluralisme des valeurs, des religions, des cultures : vous savez que votre frère, votre sœur, votre voisin n’a pas les mêmes choix que vous. Pour prendre un exemple, le vote catholique n’est pas univoque. Vous êtes habitués à ce que votre voisin ne pense pas comme vous.
    Dans d’autres pays, vous rencontrerez des cultures très homogènes, marquées par exemple par l’animisme en Afrique, par le confucianisme, le bouddhisme en Asie.
  • Le relativisme des choses : on parle souvent aujourd’hui de la « bof génération ». A un sondage demandant s’il y a une religion plus vraie que d’autres, 80 % des jeunes répondent non. Vous êtes habitués à relativiser les choses. Dans d’autres cultures, il y a des valeurs absolues : une uniformité de comportement par rapport aux anciens, par rapport aux plus jeunes, par rapport à la famille.
    Chez nous, toutes les institutions sont fragiles : les familles sont éclatées, recomposées… A l’école, on connaît des phénomènes de violence, de racket… L’armée, les Eglises elles-mêmes sont fragilisées. Dans certains pays, vous rencontrerez des institutions encore très fortes : un orphelinat en Inde par exemple, des écoles avec des lois scolaires qui vous apparaîtront peut-être rigides. Dans d’autres pays, vous verrez aussi ce même phénomène de « désinstitutionalisation ». Certains pays subissent ces mêmes grands ébranlements culturels : les jeunes Africains qui se retrouvent dans les villes découvrent la difficulté d’avoir des repères, les enfants au Viêt-Nam qui ne veulent plus se marier comme leurs parents. En raison de la mondialisation, ces ébranlements touchent les autres sociétés et continents.
  • Les valeurs de la démocratie : dans notre pays, berceau de la démocratie, ces valeurs sont très anciennes. Vous découvrirez des régimes politiques différents.

Vie chrétienne, vie de l’Eglise

Vous êtes tous marqués par des expériences d’Eglise différentes : la liturgie, les mouvements, l’aumônerie de l’enseignement public… ce qui fait la vie de l’Eglise en France et qui structure votre foi. Ailleurs, vous découvrirez des Eglises différentes, structurées différemment. Voici quelques exemples.

  • En Afrique, les chorales représentent l’essentiel de la vie paroissiale. Le chant est très important ; la liturgie de la messe dure plusieurs heures ; les mariages, les enterrements, les ordinations durent plusieurs jours. La façon dont une société vit le rapport au temps se répercute dans la façon d’exprimer sa foi.
  • En Asie, vous verrez parfois des liturgies très « romaines », très classiques (beaucoup plus qu’en France) au milieu desquelles aura lieu un rite local : par exemple la présentation des bâtonnets d’encens. Mais une femme ne peut pas faire une lecture, donner la communion. Il n’y a pas d’enfants de chœur filles.
  • Au Brésil, la messe peut durer quarante-cinq minutes, mais elle peut être suivie d’une procession de quarante-cinq minutes au cours de laquelle on se fait appliquer des cierges sur la gorge. Vous découvrirez des formes de religion populaire, de piété qui vous surprendront.

Pour comprendre comment les autres vivent leur foi chrétienne, n’hésite pas à les interroger, leur faire raconter.

Nous avons été structurés par une autre histoire. Nous venons d’une rationalité occidentale dans laquelle nous pensons que nous pourrons tout comprendre. L’expérience spirituelle de ce type de coopération, c’est d’accepter de ne pas comprendre l’autre. Il faut accepter de se laisser conduire par l’autre, d’entrer en dialogue avec lui, de se laisser toucher par son mystère. C’est seulement une expérience spirituelle qui peut nous ouvrir au mystère de l’autre.
En Asie, les gens ne peuvent pas vous dire non. Si vous exigez des choses durement, ils vous diront « oui » mais ne le feront pas ; Vous penserez peut-être que ce sont des menteurs, mais dans leur culture, ils ne peuvent pas vous dire non.
Un prêtre africain ramasse de l’argent en France pour payer son billet de retour. Vous êtes tentés de lui dire : « Mais demande l’argent à ton évêque. » Il ne peut pas de demander, car il ferait perdre la face à son évêque.
Une jeune fille africaine vit de façon très précaire en France. Vous lui dites : « Tu ne serais pas mieux dans ton pays ? » Et elle de répondre : « Vous ne vous rendez pas compte que la précarité en France est bien préférable à la vie dans mon pays. »
Cette aventure que vous allez vivre pendant deux ans est une chance pour vous ; elle va vous permettre de découvrir des choses sur vous (un petit peu) et des choses sur les autres.
Apprendre la langue, c’est entrer dans le monde de l’autre. Manger la nourriture du pays qui vous accueille, c’est ingérer la culture de l’autre, la manière dont il se nourrit, ce qui le nourrit vraiment. Cela a à voir avec l’Eucharistie. L’Eucharistie, c’est manger ce qui nourrit. Accepter de changer nos modes alimentaires, nos modes de convivialité, c’est accepter que de nouvelles choses nous nourrissent. On fait l’expérience de vivre et de vivre heureux en étant nourris par des choses qui sont différentes de celles de chez nous : les relations sociales, les relations professionnelles…

Votre catholicisme

Beaucoup de vos questions tournent autour de la vie de l’Eglise, du discours romain, de la hiérarchie, du rapport de l’Eglise et de la société. Pour comprendre tout cela, il faut faire un petit retour en arrière.
En France, le catholicisme a beaucoup changé. Jusqu’aux années 70, le catholicisme pouvait être la matrice dans laquelle vous aviez baigné tout votre enfance et votre jeunesse : si vous étiez dans un patronage parisien par exemple, vous aviez le catéchisme le matin puis les activités du Feu Nouveau ; l’après-midi vous regardiez un film sur Abraham (suivi éventuellement d’un Tintin), ce qui vous faisait découvrir l’histoire sainte, car on ne lisait pas la Bible. L’après-midi se terminait par le Salut du Saint-Sacrement. Le samedi après-midi vous reveniez et, pour quelques sous, vous empruntiez des vies de saints et, en grandissant, vous deveniez éducateurs des plus jeunes. Le dimanche matin, vous participiez à la messe en gravissant tous les grades d’enfant de chœur et l’après-midi, vous alliez faire un grand jeu dans les bois de Viroflay. Si, en plus, vous étiez sportif, vous reveniez le lundi soir pour l’entraînement. Entre temps, vous alliez à l’école publique où la morale était faite par l’instituteur. C’était le même morale qu’au patronage mais sans référence à la transcendance. Les valeurs étaeint communes.
Aujourd’hui, tout cela a volé en éclats. Au mieux, vous avez une heure de catéchisme par semaine pendant quatre ans et vous allez à la messe de temps en temps. Les valeurs ne sont pas les mêmes en famille, au travail, avec les amis, en politique. Parfois, certaines valeurs sont contradictoires. Il y a une pluralité d’identités dans chaque individu. Le rapport de l’Eglise à la société est beaucoup plus complexe.
L’affiche de la campagne de Mitterrand pour les élections de 1981 représentait le candidat avec, en arrière-plan, une église dans une village sur fond de coucher de soleil. Aujourd’hui, cette image ne serait plus recevable. On a assisté en vingt ans à la fin de la civilisation paroissiale ; on est passé à un christianisme très urbanisé.
Et les villes du monde ressemblent de plus en plus à nos villes et aux villes américaines, que ce soit Saïgon, Rio ou Sao Paulo. Le christianisme prend une forme beaucoup plus urbaine.
Vous-mêmes, vous êtes tous diplômés. Vous avez des compétences professionnelles pointues, chacun dans votre domaine, mais en ce qui concerne la connaissance de votre propre religion, vous en êtes souvent restés à celle d’un enfant de CP ou CE1. Vous connaissez aussi la religion par vos lectures, par ce que vous en avez vu au cinéma. Vous êtes dans une société qui ne sait plus correctement appréhender le fait religieux (regardez les affaires de voile, l’enseignement du fait religieux à l’école…). Pendant un siècle, on a refusé que la religion fasse partie de l’espace public, or le phénomène religieux explose partout.
Il est nécessaire de se former, d’être intelligent dans sa foi. Vous devez avoir une intelligence adulte de votre foi adulte. Il y a une crise de l’initiation chrétienne aujourd’hui, mais les évêques l’ont rappelé dans leur Lettre aux catholiques de France : il est indispensable de proposer la foi aujourd’hui. Dans vos diocèses, il y a des services de formation permanente, des services qui s’adressent aux jeunes. Nous devons redécouvrir le sens de l’Eucharistie : à la messe, on n’est pas là parce qu’il faut y être, mais parce que cela nous fait du bien, nous nourrit. Vous dites : « Quand j’écoute Goldman, cela me fait du bien. » La messe, cela doit être pareil.

Vous allez rencontrer des réalités très dures : quand, dans un orphelinat en Indonésie on voit mourir un enfant chaque mois, cela éprouve durement. Quelles ressources spirituelles a-t-on en soi et chez ceux avec lesquels on vit ? Il ne faut pas se laisser prendre par le « romantisme » de la misère. Ceux chez qui vous allez ont besoin que vous apportiez vos compétences, votre humanité. L’autre, c’est quelqu’un qui nous aide à voir et à croire ce que je n’aurais peut-être jamais aperçu, découvert dans son aide, à voir et à croire qui je suis et en quoi je crois.