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Angers 1980 - "Le jeu institutionnel"
Session nationale
On se souvient des objectifs de la session d’Angers :
Comment accueillir, pour mieux les comprendre, les jeunes dont les conceptions de vie et les choix sont différents des nôtres et semblent évoluer rapidement ?
Que penser du désir caractérisé de vie communautaire et de vie spirituelle manifesté par eux ? Comment en accueillir la demande dans ce qu’elle a de légitime ? Comment la questionner avec vigueur pour plus d’authenticité ?
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Avec ces questions et quelques autres concernant la répartition des responsabilités pour le discernement et la formation des candidats au ministère presbytéral, 90 sessionistes se sont retrouvés pour le week-end de Pentecôte, Evêque, prêtres, religieux, religieuses et laïcs.
Les fonctions étaient différentes : membres des Services de Vocations, animateurs de Foyers-séminaires, Délégués diocésains auprès des séminaristes, Formateurs de 1er cycle. Ce fut une richesse. La confrontation des responsabilités respectives a finalement pris une place importante dans la session, dont la dynamique devait permettre aux vraies questions de s’exprimer.
Les pages qui suivent, avec leur pointe d’humour, ne sont pas un résumé de l’ensemble de la session. Elles présentent plutôt quelques points d’attention qui peuvent éclairer notre travail au cours de cette nouvelle année pastorale afin de mieux accompagner les candidats au ministère presbytéral.
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Si nous voulons poursuivre ensuite notre réflexion, reportons-nous quelques pages plus loin : la présentation du numéro de Janvier de la revue VOCATION nous laissera deviner qu’il s’inscrit, exactement dans la suite de cette session d’Angers.
Soit dit en passant, ce sera un excellent numéro !
LE JEU INSTITUTIONNEL
LA REGLE DU JEU
Soit un jeune qui se présente et qui dit vouloir être prêtre : on l’appelle "candidat au ministère presbytéral". Aussitôt, une bonne dizaine de personnes baptisées "accompagnateurs" se dirigent vers lui, ensemble ou à des moments différents. Parmi tous les accompagnements qui lui sont proposés, le candidat devra, finalement obtenir "la clef du discernement". Sinon, il sera éliminé. Le but du jeu est de faire parvenir ce jeune au choix de vie qui lui convient le mieux, là où il donnera le maximum de lui-même, dans la plus grande liberté et la plus paisible vérité. Les gagnants sont les accompagnateurs et le candidat qui arrivent au but sans s’entredéchirer ! A ce jeu, on ne gagne jamais seul.
EN FRANCE, UN TYPE DE FORMATION ORIGINAL
Il est vrai qu’en France nous avons une manière bien à nous, peut-être unique au monde, de former des prêtres. Pour uni jeune qui se présente en vue du ministère presbytéral, nous avons un nombre considérable d’accompagnateurs : le service des vocations, le délégué diocésain aux vocations, les formateurs du Centre de formation, le père spirituel, les prêtres, religieux, religieuses et laïcs de l’insertion pastorale : il faudrait ajouter l’évêque qui, sans être accompagnateur lui-même, délègue ses pouvoirs et assume la responsabilité de l’ensemble. Bref, une bonne dizaine de personnes, et parfois plus, pour un malheureux candidat... Certains pensent : "moins il y en a, plus on est nombreux..." La montagne accoucherait-elle d’une souris ?
Y aurait-il des gaspillages d’énergie ? Essayons d’y voir plus clair, d’aller plus profond.
Si nous dépensons, en France, autant d’énergie pour former un prêtre, en mettant en oeuvre autant de personnes, avec des fonctions d’accompagnement multiples et nuancées, c’est que nous tenons essentiellement à une chose : que le futur prêtre se forme dans un rapport étroit et vital avec l’Eglise locale et avec le monde à évangéliser. Nous ne voulons pas d’une formation qui le séparerait en le protégeant. Le futur prêtre apprend à être prêtre en se nourrissant de la vie même de son Eglise dans laquelle il vit. Il y connaîtra donc les courants et les tensions qui la traversent, comme dans une famille.
Mais l’Eglise est pour le inonde : pour le salut du monde. Et dans cette perspective, ce monde à évangéliser est aussi un monde qui interpelle et éprouve notre propre foi de chrétien. Nous pensons qu’il n’y a pas à épargner les futurs apôtres de cette double confrontation. C’est un risque. Mais un risque vital, porté par le dynamisme de l’Evangile.
Ceci explique l’importance de l’insertion pastorale où les membres de l’Eglise locale sont acteurs de la formation. Ce qui entraîne des centres de formation "ouverts", bien reliés à la vie de cette Eglise. Et ceci nécessite des structures et des relais qui permettent une articulation harmonieuse entre les différents moments de la formation. Tout le monde d’ailleurs n’intervient pas en même temps, et l’accompagnement de certains est souvent pour un temps limité. Mais le but est toujours le même : prendre le risque d’un rapport étroit et vital avec l’Eglise et le monde à évangéliser.
UN APPEL A LA LIBERTE
Prendre ce risque, c’est en effet faire appel à la liberté. A la liberté du candidat. A la liberté des accompagnateurs. C’est une plus grande liberté pour une plus grande vérité de chacun.
Former ainsi un prêtre, dans un rapport étroit et vital avec l’Eglise locale, cela signifie que nous ne voulons pas "fabriquer" un prêtre selon un modèle préétabli, mais que nous désirons accompagner le candidat en faisant confiance à ses ressources intérieures, spirituelles, en étant attentifs à l’ensemble de sa vie et de ses demandes. L’accompagnement est au service de la liberté du candidat : au service du travail de l’Esprit en lui. C’est une confiance dans ce que l’Esprit construit et suscite en chacun. C’est vouloir répondre aux appels multiples et divers que Dieu lance, sans avoir de projet tout fait sur les chemins qu’il peut emprunter. On ne petit programmer l’initiative de Dieu. L’accompagnement d’un jeune, c’est une marche-avec ; c’est une marche fraternelle avec lui où nous ne sommes ni père, ni mère. Et le sens de cette marche se dessine, pour luî comme pour nous, petit à petit, au fil de la marche. L’accompagnement est une aventure pour le candidat comme pour l’accompagnateur.
Car nous ne sommes pas neutres dans notre accompagnement : nous sommes impliqués par notre milieu, notre expérience, notre psychologie, notre conception du ministère, de la foi, de l’Eglise... L’accompagnateur a déjà tout un acquis. Cet acquis n’est pas à nier ; mais il ne pourra accueillir le jeune tel qu’il est que s’il est lui-même libre par rapport à sa propre expérience. C’est toute une disponibilité qui conduit l’accompagnateur à sans cesse se modifier sans cesser d’être lui-même. Ceci suppose que l’accompagnateur soit clair avec lui-même ; qu’il n’ait pas peur de se regarder en face avec ses possibilités et ses limites ; qu’il entreprenne une critique de soi-même rigoureuse, qui le construise sans cesse.
Car, dans la mesure où l’accompagnateur intervient moins, il doit exister plus. Le rôle de l’accompagnateur n’est alors pas tant de savoir discerner lui-même ce qui se passe dans la vie du jeune, que d’aider le jeune à discerner lui-même ce que Dieu appelle en lui. C’est une pédagogie qui respecte le sujet et cherche l’authenticité des choix. Il est vrai que c’est aussi une pédagogie qui connaît, par le fait même, des tâtonnements et des impasses.
Mais il n’y a pas de recherche de vérité sur soi, et devant Dieu sans tâtonnements et sans impasses. Tout est grâce. C’est notre disponibilité commune à l’Esprit qui peut nous guider dans cette quête d’une réponse authentique à l’appel de Dieu.
UNE INSTITUTION FORTE
Mais la liberté ne veut pas dire laisser-faire, passivité, ou aveuglement. Ne pensons pas que nos centres de formation, nos services de vocation, l’ensemble de nos structures d’accompagnement sont faits pour satisfaire la demande du jeune telle qu’il la formule, sous prétexte de liberté. Notre accompagnement doit bien sûr prendre en compte cette demande. Mais la demande du jeune n’est pas pour autant normative. Il s’agit, non pas seulement de prendre en compte la demande, mais surtout de prendre en compte la personne :
qui es-tu, toi qui fais cette demande ? Toutes les fois que nous voulons prendre comme norme une demande, nous satisfaisons, mais en même temps, nous emprisonnons. Or, il n’y a liberté que dans un effacement et un dépassement : c’est ainsi que l’homme devient vrai par rapport à lui-même et devant Dieu.
L’Institution est au service de cette liberté et de cette vérité, parce que ce sont des dons de Dieu. Or, l’Institution doit être forte pour servir la liberté du candidat. Faire appel à la liberté, ce n’est pas engendrer une formation floue, incertaine, laxiste. Tout au contraire. L’aventure de l’accompagnement ne va pas sans une certaine sécurité. Elle ne se dispense pas de rigueur. Il est des moments où l’accompagnateur est amené à informer, à donner des arêtes, des points de repère fixes et solides, à dire les vrais besoins qui se dégagent des attentes exprimées spontanément. Et il sera peut-être amené à intervenir dans un face à face difficile, où les heurts et l’incompréhension ne sont pas exclus.
L’institution doit être forte dans ce qu’elle dit, mais aussi dans son fonctionnement même : il est nécessaire qu’il y ait une cohérence entre les divers accompagnateurs, qu’il y ait un jeu institutionnel où chacun puisse jouer son rôle en vérité. Pour cela, il est nécessaire :
- que les rôles de chacun soient clairement définis : l’évêque, le SDV, le DDV ; les formateurs, les prêtres, religieux, religieuses, et laïcs de l’insertion pastorale.
Quelles sont les responsabilités de chacun, les limites de leurs fonctions ? - que ces rôles soient connus de tous et réciproquement acceptés pour pouvoir s’articuler. Ces rôles peuvent varier d’une région à l’autre et peuvent être redéfinis en fonction de l’expérience : l’important est que ce soit clair pour tous afin que l’Institution soit bien au service de la liberté et de la vérité du candidat.
En effet, il n’y a pas de croissance de la liberté sans rencontre de l’objectivité. Pas de liberté sans loi, et sans intériorisation de la loi.
Mais pas de liberté non plus sans relation interpersonnelle et sans accueil.
C’est pourquoi il est nécessaire que nos structures d’accompagnement soient, dans leur jeu institutionnel, signes d’une Eglise fraternelle et accueillante.
Non pas une institution rigide ou totalitaire, mais une institution solide où puisse s’exprimer et se découvrir Ia liberté de l’Esprit.
Pour réaliser concrètement un tel jeu institutionnel, il n’y a pas de recettes. Seul, un partage entre les divers accompagnateurs, où chacun s’implique dans sa propre responsabilité, peut construire une pédagogie d’accompagnement au service de l’Eglise et du jeune. Cela demande du temps pour que chacun et l’ensemble puissent se mettre à l’écoute de l’Esprit.
Mais le jeu en vaut la chandelle...
Daniel DUCASSE