Pourquoi es-tu venu ici parmi nous ?


Yann Vagneux est séminariste des Missions Etrangères de Paris. Après deux ans et demi de présence en Inde du Sud en milieu hindou et parmi les intouchables, il a vécu un an et demi dans un barrio d’Argentine à l’époque de la crise économique et politique. Revenu en France en 2002, il se prépare au séminaire des Carmes (Paris) à la mission à vie en Asie avec les MEP.

Yann Vagneux

S’il y a une question qui pour moi a été déterminante dans ma vie et dans mon choix de devenir missionnaire, c’est bien celle-ci : « Pourquoi es-tu venu ici parmi nous ? » Cette question m’a souvent été posée et presque à l’identique, ces dernières années et dans des lieux bien différents. Je l’entends encore sur la bouche de mes amis tamouls, intouchables des campagnes de l’Inde du sud. Je l’entends encore dans la bouche de Diego, détenu interné dans le pavillon psychiatrique de la prison de Coronda en Argentine… Je l’entends à nouveau dans la bouche de Mohamed avant qu’un avion ne me ramène de Libye en France…
Cette question m’a toujours rappelé le sens de ma présence… mais plus encore elle a ouvert dans ma vie des perspectives insoupçonnées. En effet, je ne suis pas allé en Inde ou en Argentine comme simple touriste pour m’enchanter de la beauté des déserts ou prendre le vertige dans les Himalayas. Si je suis venu dans le bidonville de Tondiarpet à Madras ou si j’ai pénétré dans cette prison argentine, c’est pour demeurer parmi ceux qui sont devenus mes amis et mes frères. C’est pour embrasser leur vie, c’est pour petit à petit me faire l’un d’eux, c’est pour me laisser habiter par leurs visages, c’est pour les aimer !
Mais cette question ne m’a pas seulement rappelé le sens de ma présence parmi eux… en fait, cette question n’était pas destinée d’abord à moi… Elle s’adresse à un autre, à un plus grand que moi. Cet autre, mystérieusement, mes amis ont senti sa venue au cœur de leur souffrance, de leur misère ou de leur honte… Cet autre, ils l’ont senti venir comme tendresse, comme présence, comme lumière dans leur vie… Eux comme moi, nous cherchons le visage de cet autre, nous sentons que lui seul peut donner sens à notre vie parce qu’il est l’Amour, parce qu’il est Jésus.
C’est bouleversant de se sentir envoyé par l’Eglise pour refléter le visage de Jésus… c’est plus bouleversant encore de sentir combien le visage de Jésus est lumière et consolation pour tant d’hommes qui ne connaissent pas son nom mais qui viennent à reconnaître son visage dans la fragilité de notre propre visage, qui viennent à reconnaître sa présence dans la faiblesse de notre propre présence. C’est bouleversant de penser que Jésus s’est tellement lié à nous qu’il a besoin de nous pour que nous reflétions son visage, pour que nous incarnions sa présence, pour que nous portions sa tendresse, pour que nous donnions sa joie…
Oui, découvrir cela a donné à ma vie un poids immense. Je ne me dis même plus que je suis incapable d’une telle mission – qui en serait capable ? – mais, repensant à tous les visages de ces amis rencontrés en Inde, en Argentine, en Afrique… et à tous les visages de ceux qui me seront donnés encore, je dis dans ma prière : « Me voici, Seigneur, envoie-moi ! »