Partir, pourquoi ?


Des jeunes femmes en formation dans des instituts missionnaires répondent à la question : pourquoi partir en mission ad extra aujourd’hui ? Ces trois témoignages ont été publiés dans la revue Spiritus, n° 176 de septembre 2004.

Elka
religieuse Spiritaine

Etre témoin du Christ

Le sens de quitter mon pays a deux points liés à mon appel missionnaire. A vingt-trois ans, j’ai quitté Fribourg, ma ville natale pour la première fois pour passer trois ans en Afrique comme laïque missionnaire. En Allemagne, on appelle ce projet « MAZ », « mission temporaire ». Pendant ma préparation, organisée par des Spiritains, Spiritaines et Sœurs du Précieux Sang, j’ai réfléchi sur ma motivation de vivre, prier et travailler avec une congrégation pour un temps. Mon but, à cette époque, était d’ouvrir mon horizon dans une direction inconnue. Quitter ma famille, des amis, des activités quotidiennes pour vivre autre chose, rendre service dans mon métier d’infirmière, enrichir ma vie en apprenant avec les autres qui vont m’accueillir. Construire une relation « qui porte des fruits » avec un peuple. Découvrir une autre culture, une autre façon de faire. Aujourd’hui, dans mon cheminement pour répondre à l’appel que je sens en moi, quitter a encore un sens. Quitter : laisser derrière plus nettement le monde où j’ai vécu, où j’ai mes racines pour partir en mission. Suivre l’appel de Dieu, recevoir une tâche ou un service à rendre. Rester ouverte à ce que Dieu me demande. Je ne pars plus parce que je voudrais faire quelque chose par ma propre volonté, mais plutôt parce que Dieu m’appelle à faire sa volonté.
Etre missionnaire aujourd’hui, c’est pour moi être témoin du Christ. Vivre avec des personnes d’une autre culture, partager ma vie avec des gens qui parlent une autre langue, prier et partager ma foi en ouverture, en étant attentive dans l’écoute, dans l’apprentissage, trouver Dieu dans les multiples visages que je rencontre. L’important dans ma formation est de vivre d’abord en paix avec moi-même. Découvrir qui je suis et savoir d’où je viens, ma façon de réagir et de parler. Une grande aide pour moi, c’est l’accueil chaleureux en Afrique pour construire ensemble un avenir heureux.

Mariette Gries
Soeur de Notre-Dame des Apôtres

La radicalité du don de soi

Saisie par une rencontre personnelle avec le Christ, vécue au sein de l’Eglise universelle et par des rencontres multiples avec des femmes, des hommes de différentes cultures, de divers pays, j’ai senti monter en moi le désir et la passion pour une mission hors des frontières de mon pays, le Luxembourg. Ces rencontres ont développé en moi la curiosité, le goût d’aller plus loin, favorisé l’ouverture face à l’inconnu.
L’expérience et la profondeur de ces rencontres m’ont poussée vers une réponse personnelle qui a pris corps dans un choix de vie marqué par la radicalité évangélique, la radicalité du don de soi dans une vie consacrée au sein d’un institut missionnaire. Ce choix trouve son expression dans le désir de quitter les sentiers battus, de risquer une vie pour le Royaume de Dieu, à la suite du Christ, tout en vivant une grande proximité avec les hommes et les femmes d’aujourd’hui.
Partir aujourd’hui comme missionnaire ad extra trouve sens dans la certitude que le Seigneur est à l’origine de cet appel. La radicalité du choix de vie implique, pour moi, un engagement à vie dans un institut missionnaire. Ce choix se nourrit de la rencontre quotidienne avec le Seigneur, source de tout engagement. C’est en lui que je puise la force d’aimer pour vivre toute rencontre humaine à un certain niveau de profondeur. La radicalité du choix de vie pour une mission hors frontière doit s’exprimer, avant tout, par le témoignage d’une vie vécue en cohérence avec ce que je suis et ce que je crois. C’est un témoignage habité par Celui pour qui je vis. Ce témoignage s’accompagne du service rendu auprès des gens vers qui je suis envoyée. Servir est une forme de l’amour qui oblige à sortir de soi-même pour s’ouvrir aux autres, elle est créatrice et libératrice, elle accepte la réalité, elle n’essaie pas de convaincre ou de convertir l’autre. Cette forme de l’amour permet de découvrir les richesses de chaque culture, de chaque religion, pour être ensemble « chercheurs de Dieu ».
Le fait de partir ad extra me lance sans cesse le défi de me laisser bousculer dans mes conceptions, m’oblige à vivre toutes les formes de différence comme un chemin de croissance humaine et spirituelle des deux partenaires. La capacité d’adaptation, la flexibilité dans la vie de tous les jours et la bonne curiosité sont indispensables pour connaître et aimer ce qui m’est si étrange au premier regard.
La connaissance, l’enracinement dans une autre culture, le respect de l’autre dans son altérité, tout cela se construit dans le dialogue. Un dialogue humble qui accepte d’abord de recevoir de l’autre qui m’accueille, avant de donner et de partager ce qui me fait vivre. La vérité de la rencontre est source de vie et d’équilibre. C’est un chemin qui demande du temps, de la patience, de la confiance. Ce temps de l’apprivoisement mutuel, vécu dans l’écoute, est très important : il permet, quand l’heure est venue, d’annoncer la nouveauté de l’Evangile dans le respect et la liberté de chaque être humain.
Pour vivre cette mission ad extra, je voudrais sans cesse me laisser imbiber par l’Esprit Saint, afin de rester en éveil, de garder une foi vivante en Celui qui n’est qu’amour. J’aimerais ne jamais m’arrêter de sortir de moi pour aller toujours à la rencontre des hommes et des femmes afin de tendre vers une relation de communion, sur notre route commune de « chercheurs de Dieu ». Cette quête de bonheur et de vie, car Dieu est bonheur et vie, me donne la joie et le courage de partir au large vers d’autres horizons. Je crois et je fais l’expérience que chaque être humain, quelle que soit sa race ou la couleur de sa peau, est une image de Dieu, qu’il révèle à toute l’humanité la beauté de Dieu. Je crois que cette vision, ouverte à l’universel, est une richesse particulière de la vie consacrée, vouée à la mission ad extra.

Arlette Parriel
Franciscaine Missionnaire de Marie

Réjouis-toi,
le Seigneur est avec toi

Partir en mission, c’est d’abord pour moi répondre à un appel, celui de Dieu à Abraham : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père pour le pays que je t’indiquerai, je ferai de toi un grand peuple… » (Gn 12, 1), ou celui du Christ à ses disciples : « Allez, voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. N’emportez pas… » (Lc 10, 3) ou encore l’invitation du Christ ressuscité à Pierre : « Suis-moi » (Jn 21, 19).
Au travers de ces trois citations, le départ en mission s’annonce pour moi comme une mise en route dont l’élan est donné par un Autre. Il s’agit de laisser agir sa Parole en moi : « Quitte », « Suis-moi » pour qu’elle donne ses fruits de libération. C’est en devenant progressivement libre de toutes attaches humaines et matérielles : « N’emportez pas… » (Lc 10, 3), que le Seigneur me fait entrer sur un chemin de pauvreté où ma volonté propre diminue pour que grandisse la sienne. C’est une initiation à entrer par la première porte des Béatitudes : « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, le Royaume des Cieux est à eux. » Oui, le Seigneur m’invite au bonheur, pas un bonheur à la manière du monde mais celui qui persiste jusque dans la persécution vécue à cause de lui.
De même dans l’Annonciation, l’ange Gabriel propose une mission à Marie qui débute par une invitation à la joie : « Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi. » Moi aussi, je suis appelée à découvrir l’essentiel : « Le Seigneur est avec moi » ici ou ailleurs et à m’en réjouir.
Mais la mission ne s’arrête pas là, elle est invitation à la rencontre. C’est aller vers Dieu, vers soi, vers les autres dans une attitude d’offrande dans la foi et l’humilité, « comme des agneaux au milieu des loups » pour annoncer au monde la vérité de la paix, de la joie et de la charité. Il s’agit de se laisser toujours davantage façonner et habiter par Dieu dans ma vie simple de tous les jours. C’est en devenant son œuvre que j’annoncerai alors Celui qui est le Chemin, la Vérité et la Vie. En le laissant prendre possession de tout mon être, il fera alors de moi un artisan de paix qui propose la douceur face à la violence et ainsi un prophète qui, par sa vie, transparente à sa présence, annoncera comme Jean-Baptiste : « Voici l’Agneau de Dieu » (Jn 1, 29). Partir en mission, c’est avec la force de l’Esprit et à la suite du Christ, devenir pour nos frères et sœurs en humanité, chemin vers le Père.