Table Ronde


Le nombre des congressistes ne permettait pas d’engager un débat en Assemblée Générale. Il ne fallait pas cependant que l’expression des participants en petits groupes demeure sans échos. La table ronde a permis de reprendre leurs questions.
Pas toutes cependant.
o En effet, un survol rapide de ces questions permettait de discerner onze thèmes énoncés au début de la table ronde :

  1. Relations Eglise-Monde
  2. Exercice et articulation des pouvoirs dans l’Eglise
  3. Identité de la communauté chrétienne
  4. Vie personnelle des prêtres. Leur équilibre humain
  5. Place et rôle de la femme dans l’Eglise
  6. Identité du ministère presbytéral, son originalité, sa spécificité
  7. L’appel au ministère presbytéral. Rôle de la communauté. Le discernement.
  8. L’ "agir pastoral"
  9. Les Religieux
  10. Les ministères institués
  11. Le Diaconat

Seuls trois de ces thèmes ont été retenus pour le débat, les intervenants s’attachant plus spécialement à l’une ou l’autre de ces questions :

1) Relations Eglise-monde et mission de l’Eglise

- Gaby BONNAND, Président national de la JOC

- Bernard LEMETTRE : père de famille, travailleur parmi les immigrés, diacre, membre du CNV.

- Mgr BARDONNE : évêque de Châlons-sur-Marne, Délégué de l’Episcopat auprès du CNV.

2) Pouvoirs dans l’Eglise

- Marie-Emmanuel CRAHAY, religieuse, membre du Service Régional des vocations féminines de l’Ile de France.

- Gaston PIETRI, Directeur du Centre National de l’Enseignement Religieux, théologien.

- Mgr FRETELLIERE, Président de la Commission épiscopale du Clergé et des Séminaires

3) L’Appel

- Nicole MENUT, mère de famille, membre du SDV de Nancy, catéchiste.

- Jean-Noël BEZANCON, Responsable du SDV de Paris, théologien.
L’animation de la "Table ronde" était assurée par Jean-Pierre SAMORIDE, Responsable du SDV de La Rochelle, Délégué régional aux Vocations pour le Sud-Ouest.

I - RELATIONS EGLISE-MONDE et MISSION DE L’EGLISE

Gaby BONNAND

Pour cette première intervention, je suis parti d’une question :
"comment, prêtres, religieuses et laïcs, vous essayez de vivre ensemble le "Pour la vie du monde" et en conséquence, qu’est-ce que cela suppose ?

Dans un premier temps, je vais essayer de dire comment en JOC on comprend ce "pour la vie du monde". Dans un 2ème temps, j’essaierai de dire comment prêtres, religieuses, laïcs du mouvement sont engagés dans cette responsabilité.

Ce qui est important à dire au départ, c’est que tout ce qui se joue dans le monde et particulièrement dans la classe ouvrière, nous touche.
C’est d’ailleurs la conviction du mouvement : il n’y a pas coupure entre la libération que Dieu veut pour toute l’humanité et cette lutte que mènent les hommes chaque jour.

Pour la JOC, cela implique une présence totale, solidaire, à la jeunesse ouvrière afin de lui permettre d’exprimer ses besoins, ses aspirations et de réaliser qu’elle doit prendre sa vie en main pour changer la situation et lutter contre ce qui l’écrase.

La JOC renvoie aussi cette jeunesse ouvrière à son peuple, à la classe ouvrière pour y être ferment de libération, au sein de laquelle nous sommes invités à reconnaître et à vivre de Jésus-Christ. Cela ne veut pas dire que le monde nouveau de Dieu se confonde avec telle ou telle réalisation humaine, mais cela veut dire que la JOC prend en compte la dynamique de libération des hommes pour les appeler à une plus grande libération en Jésus Christ.

C’est un peu cette expérience que nous avons vécue au 50ème anniversaire de la JOC. Bien entendu, cela suppose que nous aimions la jeunesse ouvrière, si nous voulons lui faire découvrir son dynamisme et cet amour de Jésus-Christ qui la rejoint dans ce qu’elle fait. Mais ce que nous vivons dans le mouvement est aussi un appel pour toute l’Eglise à repérer les dynamismes de libération qui traversent le monde. Si elle ne les connaît pas, comment sa Parole pourra-t-elle rejoindre les hommes dans leur situation de vie ? C’est donc par l’Eglise que Jésus nous appelle au passage de la mort à la vie. Elle est le passage nécessaire ; comme disait justement Jean-Noël Bezançon : "l’Eglise est bien sacrement, temps de Dieu".

Pour ce qui est de la coresponsabilité des prêtres, religieuses et laïcs, je m’attacherai surtout à préciser ce que représente pour nous le prêtre et comment, pour reprendre l’expression d’une question, "la saveur du gâteau" change par sa présence. La responsabilité de chacun vient de notre mission commune. Par exemple dans le mouvement, tous sont engagés dans la même mission mais à des degrés divers, jeunes, adultes, éducateurs, prêtres, etc.

Pour nous le prêtre est signe que le projet de la JOC nous dépasse, qu’il vient de Dieu. Sa responsabilité sacramentelle rappelle la présence de Dieu dans le coeur des hommes. Le prêtre vit cela parfaitement enraciné dans la vie du mouvement. Il est signe parce qu’il est engagé.

Et puis je crois important de dire que le prêtre nous rappelle à une dimension plus vaste. Nous ne sommes pas l’Eglise à nous seuls. Enfin je voudrais signaler qu’actuellement et sans prétendre que le mouvement puisse dire à lui seul ce qu’est le prêtre, nous réfléchissons, prêtres et jeunes, sur le ministère presbytéral.

J.P.S.

Bernard, vous êtes diacre permanent, et vous avez plusieurs engagements avec, sans doute, diverses sensibilités à nous faire connaître. Parmi les questions, vous en avez sélectionné quelques-unes.

Bernard LEMETTRE

Oui, je suis parti de deux questions : celle du carrefour 42 où on parlait des plus démunis et une autre du carrefour 33 sur la dépendance les uns des autres, un rapport nouveau à vivre pour rendre l’Evangile plus crédible au monde.

Mon intervention prendra une coloration diaconale, bien que, faute de temps, on ait dû écarter îa question du diaconat pour elle-même ; oui, si les chrétiens veulent être outillés pour servir le monde, il est important d’accueillir le don de Dieu qui se manifeste dans ce ministère nouveau, un véritable cadeau du Seigneur.

La question des plus démunis est fondamentale parce qu’elle conditionne la mission. C’est avec le plus démuni, le plus pauvre, le plus caché, que la Bonne Nouvelle doit être annoncée, qu’elle est réellement annoncée.

Les événements que je vivais il y a un an à Lille, je les ai retrouvés à propos de ce que Charles disait sur cette Portugaise qui s’était mise au service des autres après la mort de son mari. C’est l’exemple de toute la communauté qui vit la dépendance du petit et cela fait partie de la diaconie de Jésus, autrement dit quelque chose d’important que Jésus donne à son Eglise pour qu’elle soit vraiment servante du monde et qu’elle puisse annoncer la Bonne Nouvelle.

Mgr BARDONNE

Je voudrais revenir un instant sur ce que disaient certains : "on n’a pas assez parlé de la vie du monde, on s’est trop centré sur l’Eglise institution". C’est peut-être vrai - moi ça n’a pas été mon impression. Je crois que Colette par son témoignage en A.C.I. comme Bernard dans son flash nous ont montré combien toute la vie sous-tendait leur expérience.

Maintenant, une autre question : "est-ce que le ministère ne s’éclairerait pas davantage si nos communautés chrétiennes étaient plus missionnaires, moins centrées sur elles-mêmes" ?

Alors là, je ne suis pas d’accord, parce que partout où des laïcs se mettent en place pour préparer des baptêmes, des mariages ou participer à la catéchèse des jeunes et des adolescents, ce ne sont pas forcément pour des gens qui sont "à l’intérieur". Ces familles, ces jeunes viennent demander quelque chose à l’Eglise. Cela fait partie de l’Evangélisation.

Le prêtre lui-même se situe dans la communauté pour la rendre plus missionnaire et pas simplement pour "faire tourner la boutique". Cela rejoint bien la vie du monde, dans la mesure où ce que les gens demandent fait bien partie de leur vie aussi.

J’ai encore une petite chose à dire à propos de la vie du monde :
quand il s’agit d’appel ou de vocations, il ne faudrait pas oublier "le monde" dont parle St Jean, c’est-à-dire ne pas oublier les ruptures que cela implique par rapport à certains aspects de cette vie du monde qui sont loin souvent d’être dans la ligne de l’Evangile ; je pense au sens de la "réussite" dans le monde, à la manière dont l’argent domine notre monde, à tout ce qui touche l’injustice. Tout cela nécessite d’inévitables ruptures pour des vocations à un service, à une consécration particulière.

Bernard LEMETTRE

Ce que vous venez de dire en quelques mots, résonne pour moi de cette manière là : je prends la question de la rupture ; dans un événement comme celui que j’évoquais, quelles sont vraiment les libérations : le problème du pardon, de la réconciliation, ce sont des véritables ruptures, et quand tout à l’heure, je parlais du cadeau du Seigneur, ou ce qui convient mieux, charisme du Seigneur, pour mieux vivre cette mission il faut recevoir le charisme du Seigneur pour, à travers une situation de bagarre, avoir ce pardon au fond du coeur mais avoir aussi toute son énergie et toute sa force pour que ce pardon ne devienne pas démission ou trahison ; et puis, je pense aussi à toutes les ruptures qui sont l’apprentissage de la mort.

Gaston PIETRI

Je note très particulièrement que la manière d’exercer le service de la foi comporte de la part du prêtre une présence à des groupes humains. Quand il n’y a pas de communauté chrétienne bien visible, cette présence permet d’authentifier les premiers balbutiements de l’évangélisation, c’est-à-dire la manière dont l’Evangile va être annoncé dans le langage d’un groupe humain particulier. Ceci ne justifie pas seulement l’insertion professionnelle de certains prêtres mais de nouvelles manières pour le prêtre d’habiter activement le monde.

Par rapport à la vie du monde, je crois important de dire que Jésus Christ y est déjà présent. L’Eglise , comme on l’a dit, ne vient pas y mettre Jésus-Christ. Elle vient pour le révéler, pour signifier qu’il est là avant nous. Elle veut par le fait même appeler à la foi et par le fait même à une conversion. Car il n’y a pas une re-connaissance de Jésus-Christ qui n’implique un retournement du regard et de l’existence toute entière.

II - POUVOIRS DANS L’EGLISE

J.P.S.

Passons maintenant à une seconde série de questions, celles qui tournent autour des pouvoirs dans l’Eglise, leur articulation, leur fonctionnement. Et aussi ce que l’on nomme dans l’Eglise : le Magistère.

Marie-Emmanuel CRAHAY

Quelques petites remarques qui n’engagent que moi.

- Les jeunes que je rencontre au Service des Vocations ne me posent guère, du moins en ces termes, de questions sur le pouvoir dans l’Eglise. Ce me semble plus des questions d’adultes engagés. Les jeunes, eux, sont plus sensibles à tout ce qui concerne la Foi, la prière, la communauté, l’engagement au service des hommes.

- N’oublions pas que c’est la fidélité à la vie et à la mission qui détermine nos problèmes d’articulation. C’est la mission qui commande. Gaby BONNAND le disait : "ce n’est pas une fonction qui détermine la mission, mais la mission qui atteste de telle fonction".

La mission de l’Eglise est d’exercer un pouvoir à la manière de Dieu, du Dieu qui donne vie, du Dieu de Jésus-Christ. "J’ai le pouvoir de donner ma vie et de la reprendre". Ceux qui exercent un pouvoir dans l’Eglise ne sont pas ceux qui occupent des places de responsabilité, mais ceux dont l’action est de donner vie. Ceci nous est rappelé dans la vie religieuse, au moins en théorie, par le fait qu’on ne reste pas plus de 3 ou 6 ans dans un poste de responsabilité.

- Une question est posée : "comment se fait-il que l’état de permanente dans un secteur, salariée moitié par le secteur, moitié par le diocèse, ne permette pas d’entrer dans les instances normales de décision ?" Tant de femmes ont travaillé dans l’Eglise depuis des siècles, au service de la foi, des enfants, des pauvres, sans ministère ni reconnaissance officielle. Leur récompense sera grande dans le Royaume des Cieux ! Ceci dit : les femmes ont quelque chose à dire ; elles le disent souvent avec moins de facilité que les hommes. Là où elles ne sont pas présentes, c’est un manque pour la mission même. Ecoutons les et, nous les femmes, osons parler !

Gaston PIETRI

A propos d’une question sur la relation entre l’Eglise et l’organisation démocratique de la société, j’ai quelques remarques à faire.

On pourrait dire beaucoup de choses sur le pouvoir. On pourrait aussi distinguer pouvoir et autorité. Mais je ne vais pas m’engager sur cette voie ; je veux simplement rappeler que "ministère" ne veut pas dire autre chose que "service" ; c’est la nature même du ministère que d’être un service.

La grande question reste de savoir si notre ministère est vécu comme un service. Mais ceci n’élimine pas toute forme de pouvoir. Car le ministère comporte aussi des responsabilités. Or qui dit responsabilité dit pouvoir correspondant. Le terme de pouvoir est souvent considéré comme tabou. On n’ose pas le prononcer. On lui attribue une coloration diabolique.
Tout dépend de la manière dont on l’exerce et de sa véritable finalité.
Est-ce une finalité de service ?

Ma deuxième remarque sera pour dire que l’Eglise ne vit pas entre ciel et terre. La séparation entre ce qu’elle fait en son propre sein et ce qu’elle fait pour le monde, est artificielle. Ce que vit l’Eglise en sa vie propre retentit encore beaucoup sur la société même si celle-ci est moins chrétienne que naguère et inversement la manière dont la société s’organise rejaillit sur la vie interne de l’Eglise.

Un autre point : à trop vouloir chasser l’exercice du pouvoir par la porte, il revient par l’a fenêtre. Ne nous leurrons donc pas. Un exemple est celui des Eglises de la Réforme : après avoir réagi vigoureusement contre une Eglise de clercs, elles ont fini en pratique par se restaurer une certaine caste cléricale fondée sur ceux qui avaient un savoir suffisant pour enseigner l’Ecriture aux autres.

Je reviens à ma deuxième remarque : l’Eglise, nécessairement, emprunte à un modèle de société une certaine organisation de ses rapports internes. Pendant longtemps, elle l’a empruntée à la société monarchique et peut-être encore aujourd’hui l’Eglise en est-elle tributaire dans ses rapports entre la hiérarchie et les autres membres du peuple de Dieu. Aujourd’hui cependant, elle emprunte à un autre modèle de société. Mais dans la manière de le faire, elle peut aussi bien emprunter ce qu’il y a de moins bon que saisir ce qu’il y a de meilleur. Il y a une certaine manière de vivre les rapports et même de les organiser qui peut être en consonance avec l’Evangile. L’Eglise a mis du temps à saisir certaines intuitions positives de la société démocratique. Mais elle risque aussi de n’emprunter maintenant à ce modèle que ce que nous connaissons le mieux, c’est-à-dire le schéma de la représentation parlementaire. On élit des gens et puis ces gens "se débrouillent". C’est ce qui arrive dans nos conseils presbytéraux ou pastoraux. On se décharge sur d’autres, investis d’en haut ou d’en bas. Et c’est cela que contestent les tenants de l’utopie auto-gestionnaire, l’utopie ayant ici tout son sens positif.

Cependant, quoiqu’elle emprunte à un modèle, l’Eglise ne colle jamais à lui entièrement. Ni le modèle monarchique, ni le modèle démocratique ne suffit à traduire le mystère de l’Eglise. Et à propos du ministère presbytéral, une question demeure : comment honorer le fait que le ministère n’est pas la pure émanation de la communauté ? S’il l’était, il se contenterait d’en être le reflet et d’enregistrer îe consensus. Mais alors la communauté particulière serait-elle présence de l’Eglise universelle ? Ne baptiserait-elle pas trop vite évangéliques de simples projets humains, ceux d’un groupe donné ?

Je pense à un texte oecuménique sur les ministères (groupe des Dombes) que certains protestants récuseraient peut-être : le ministère s’exerce dans la communauté où consultation, délibération et discernement ont leur place. Mais il vient un moment où il faut attester que "la Parole du Christ est distincte des désirs de la communauté et libre de toute pression humaine". Cet arbitrage n’est pas pur enregistrement du consensus de l’ensemble. Voilà qui ne se fait pas sans risques... Ce sont les risques inhérents au ministère des évêques et des prêtres.

Mgr FRETELLIERE

D’abord une série de questions sur l’articulation des ministères. Comment faire pour que l’articulation se fasse bien ? Je voudrais me référer à un texte rédigé à la suite d’un travail de l’assemblée évêques-prêtres du Sud-Ouest, corrigé après sa présentation au Pape et adressé à l’ensemble des chrétiens.

Dans ce texte, il y a entre autres un paragraphe intitulé : "permettre aux chrétiens de prendre leurs responsabilités". Nous essayons là d’exprimer en cinq points ce qui nous semble devoir être respecté pour qu’une responsabilité ou un ministère dans l’Eglise soit bien situé.

Je vous cite ces cinq points tout simplement.
1) Une responsabilité ne peut s’exercer que dans une certaine continuité, de même que dans un temps limité. Etre responsable en Eglise, ce n’est pas dispenser Ies autres de prendre eux aussi des responsabilités. C’est, si possible, provoquer d’autres responsables. Après un temps, dans des délais prévus, il faut donc savoir s’effacer.
2) La participation à une équipe qui permet confrontation et réflexion avec d’autres qui partagent la même responsabilité.
3) Une exigence : l’engagement à se former de façon continue.
4) La disposition à travailler en relation avec ceux qui ont des engagements différents et complémentaires dans l’Eglise.
5) La volonté de coopérer avec l’évêque directement ou par l’intermédiaire de ceux qui sont qualifiés pour le représenter.
Ceci est valable pour tous, y compris les prêtres.

2ème type de questions : concernant l’intervention du magistère.

"Le magistère n’est-il pas reçu, quand il intervient, comme quelque chose d’extérieur qui vient troubler le dynamisme de la vie" ? Derrière cette question je comprends : "comment préparez-vous vos propres interventions ?"

En règle générale, lorsqu’il s’agit d’interventions qui engagent l’Eglise, nous prenons le soin d’une longue élaboration avec des gens compétents. Par exemple dans le diocèse de Bordeaux, lorsqu’il s’est agi de la construction de l’usine atomique de Braud-St-Louis, nous avons, à diverses reprises, entendu des représentants de l’administration, des écologistes, l’E.D.F. et d’autres encore... Même chose pour l’affaire des vins du Médoc, ou quand Mgr MAZIERS a fait son intervention sur le chômage. Il y aurait d’autres exemples : la loi programme pour les séminaires n’a vu le jour qu’après un an et demi d’échanges et d’améliorations avec les intéressés.

Bien entendu, on ne peut consulter tout le monde et le choix de ceux que l’on consulte est parfois délicat, mais je peux témoigner de notre souci de préparer nos interventions en Eglise chaque fois que nous le pouvons.

Autre question : "Est-il possible de créer et d’inventer dans l’Eglise ?
Comment l’autorité se situe-t-elle face à la création ou à l’invention ?" C’est un problème difficile. Si je me réfère à mes propres expériences, j’ai toujours senti dans ce genre de questions un fort climat affectif. L’intervention doit toujours tenir compte de ce climat. Dès lors, nous nous posons des questions comme celle-ci : "comment mon propos va-t-il être compris et reçu ?" Ordinairement notre parole ne sera entendue que si elle est bien située - autant que possible - à l’intérieur de la démarche du groupe. Il faut donc si possible cheminer avec ce groupe, tout en évitant une autre difficulté, celle de donner à croire que l’on veut le récupérer.

Mais attention, il y a toujours le risque d’être en position d’otage, dès lors qu’on travaille avec un groupe. Or, je n’ai pas envie d’être un otage ; je veux garder ma liberté, parce qu’elle fait partie de mon ministère qui est à la fois d’être présent et de garder une distance. Tout ceci ne se passe pas forcément très bien et reste extrêmement difficile pour qui doit exercer une autorité.

Enfin, on m’a posé hier cette question : qu’est-ce que ça a changé dans votre vie chrétienne d’avoir été nommé évêque ?

Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet. Pour ne retenir qu’un point, celui que nous venons d’aborder, l’exercice du pouvoir, je dois dire qu’exercer le pouvoir aujourd’hui dans l’esprit de l’Evangile, c’est une conversion continuelle, un appel au dépouillement, une école d’humilité.

III - L’APPEL

J.P.S.

Qu’est-ce qu’une communauté appelante ? Qu’est-ce qui va déterminer aujourd’hui un jeune à s’engager ? Quelle est la responsabilité de l’appelé ?

Nicole MENUT

Comment peut-on être appelant ?... Au travers de mon témoignage de catéchiste et du travail de notre équipe : catéchistes, religieuses et parents, je dirai que nous sommes tous des appelants mais que c’est Dieu qui appelle le premier. Les communautés, les groupes ne seront appelants que dans la mesure où chacun est heureux dans ce qu’il vit, et les jeunes que l’on rencontre sont très attentifs à cette joie, joie que Dieu nous a donnée et que nous avons à donner.

Cela nous interpelle tous. Nous sommes appelés à être heureux et à vivre en nous interrogeant sur ce que nous vivons.

Convertissez-vous d’abord dit le Seigneur, et puis ensuite, annoncez !
C’est ce que les jeunes attendent de nous.

Mais il faut avoir l’audace de l’appel plus explicite et articulé.
Qui le fera ? N’est-il pas nécessaire dans ce monde d’agitation de faire silence, de connaître l’autre et de se dire que nous sommes tous des intermédiaires par qui Dieu parle avec tout ce que nous sommes et toute notre vie ?

J.N. BEZANCON

A propos de l’appel, je voudrais faire deux remarques, l’une sur l’expression "communauté appelante" qui revient dans plusieurs carrefours, l’autre sur les candidats qui se présentent.

Je fais ces remarques à partir de ce dont je suis témoin au Service Diocésain des Vocations, accueillant chaque semaine des jeunes (et des moins jeunes) qui cherchent à y voir plus clair sur un projet de service d’Eglise.

On parle de "communauté appelante", certains pour s’en réjouir, d’autres en évoquant le risque que le futur ministre reste prisonnier de la communauté dont il serait en quelque sorte l’émanation. Il faut relativiser cette expression, d’abord en la mettant au pluriel : c’est dans plusieurs communautés simultanées ou successives que s’enracine un itinéraire de vocation. Ainsi un garçon de 22 ans, reçu récemment : il parle successivement de l’aumônerie de lycée, de scoutisme, de l’A.C.E. qu’il a contribué à lancer dans son coin. C’est à travers tout cela que son projet a pris corps et en même temps je ne vois pas le risque qu’il en soit prisonnier. Plutôt que de communautés, il parlerait d’ailleurs d’un enracinement dans un peuple. Ce peuple a pu être appelant pour lui sans le savoir. Il faut aussi remarquer que les "communautés" - appellation contrôlée - sont plutôt rares. Ce qui me paraît plus important, c’est que ceux qui se présentent aient fait l’expérience d’être chrétiens avec d’autres.

Ceci m’amène à dire un mot des candidats qui se présentent comme disponibles pour le ministère presbytéral. Ils sont évidemment très divers.
On repère pourtant des constantes.

Il faut d’abord redire, même si c’est une banalité, que ce projet s’enracine toujours dans une expérience spirituelle qui est tout à la fois ("ne coupez pas I"), la séduction du Seigneur et la volonté missionnaire. La plupart du temps ils n’arrivent pas à séparer l’une de l’autre.

D’où notre impression parfois, en les accueillant, de "nébuleuse primitive" : on ne voit pas très bien ce qu’il en sortira, engagement chrétien, vocation religieuse ou monastique, service d’Eglise ordonné ou non, pour un temps ou pour la vie. Le discernement ne viendra qu’ensuite. Mais cette sorte de dénominateur commun originel me paraît très important.

Ainsi un jeune qui, à 12 ans, pensait à être missionnaire dans le Tiers Monde, découvre à 18 ans que l’Evangélisation le mobilise là où il est.
Tel autre, lancé très jeune dans des responsabilités apostoliques, choisira la vie contemplative. Je n’ai jamais vu quelqu’un entrer dans un ordre contemplatif sans que sa vocation soit profondément missionnaire.

Comme deuxième élément, mais bien sûr très lié à cette expérience spirituelle, il y a toujours chez ces jeunes qui se présentent (je parle évidemment de ceux dont le projet est plausible) une expérience de service des autres. "Service" au sens très large, pas forcément dans l’Eglise : jeunes délégués de classe, service d’handicapés, engagements dans leur profession, animation de groupes d’enfants, de Maisons de Jeunes, action auprès de personnes âgées. Il y a toujours, sous bien des formes, une générosité inventive dans le service de l’autre, et des plus défavorisés.

J’ai souvent remarqué que beaucoup d’entre eux ont fait l’expérience de la souffrance, physique ou morale, dans leur propre vie ou dans leur entourage proche (maladies graves, ruptures, deuils...). Je retrouve cela chez des séminaristes, chez des jeunes prêtres. Souvent marqués par la souffrance, ils y ont lu une interpellation, parfois un appel.

C’est parfois à cette occasion que dans un monde qui aspire à la facilité, ou seules, la vitalité, la beauté physique, la santé, ont le droit de se montrer, ils ont eu l’intuition de quelque chose de plus profond. Enfin, j’ai senti chez eux ce désir de fonder l’Eglise, de la construire concrètement aujourd’hui, de devenir l’Eglise, Chrétiens avec d’autres. Cela rejoint ma première remarque.

Car la "Communauté appelante", ce n’est pas seulement tous ces groupes où ils ont été chrétiens avec d’autres, c’est plus encore celle qu’ils se sentent appelés à faire advenir. Pour eux, c’est l’avenir qui est appelant.

Gaby BONNAND

Je voudrais préciser deux points ; le premier, c’est que parler de l’appel rejoint aussi la mission et ses exigences ; l’exigence de la mission nous impose de repérer les dynamismes qui traversent la vie des hommes, la société. L’Eglise doit être en meilleure connaissance du monde ; afin que sa parole soit crédible et ne soit pas donnée en dehors de ce que vivent les gens. Et cette Eglise, dans la mesure où elle est alimentée par la vie du monde, suscite elle-même des appels. Ainsi, en me référant à l’expérience du 50ème anniversaire de la fondation, de la JOC, je m’aperçois que ça a été une occasion de réfléchir sur le ministère presbytéral et, sur ses évolutions actuelles.

Un 2ème point que je veux ajouter, c’est que dans l’appel d’aujourd’hui, il y a des références précises à des ministères proposés ; je pense à l’état de vie, la façon de vivre le ministère, je pense au célibat, ce sont des éléments qui déterminent et qui sont des références pour des copains qui s’engagent ou qui veulent s’engager aujourd’hui.

Bernard LEMETTRE

J’ai bien aimé ce qu’a dit J.N. Bezançon quand il a parlé de "mise en oeuvre". Un exemple : celui de quelque chose de nouveau pour le monde, celui de la mise en oeuvre dans l’Eglise, par l’ordination, de diacres, d’une nouvelle manière de servir et pas n’importe laquelle. Je voudrais qu’on s’en souvienne cet après-midi à l’Eucharistie quand il s’agira de la paix.

C’est au diacre que l’on confie le soin de renvoyer pour annoncer la paix ; cette paix est liée à la manière même du service et je pense que dans les années qui viendront, ce sera décisif pour le monde si les chrétiens sont serviteurs en même temps qu’ils sont dans la paix et la joie.

Mgr FRETELLIERE

A propos de l’appel et de la mission, il y aurait lieu de creuser un peu la"responsabilité ecclésiale" dont nous n’avons pas parlé ces jours-ci. Il en est une qui est enracinée dans un sacrement. Je pense à la mission et à la responsabilité confiées par sacrement aux époux. Je pense à la communion entre eux, avec leurs enfants et dans leur réseau de relations. Si l’Eglise est d’abord communion, comme l’a bien souligné le P. Pietri, il y a là quelque chose d’essentiel pour construire l’Eglise. Pour l’appel au ministère, on retrouve aussi l’importance du sens de la responsabilité par rapport à la vie sacramentelle. On retrouve encore le souci d’une qualité d’amour qui assume équilibre, affectivité, sexualité, un souci de vie fraternelle. Il y aurait à reprendre, à la lumière de "Lumen Gentium" et de "tous responsables", la réflexion sur le lien entre famille et appel. Le moment me paraît assez bien choisi puisque ce sera un peu le thème du prochain synode.

Gaston PIETRI

Je voudrais ajouter que ce que j’ai entendu de J.N. Bezançon concernant la relation personnelle au Christ et le ministère dans sa dimension missionnaire, me paraît illustré de façon saisissante par la manière dont l’Evangile de Marc présente l’appel des apôtres : "Jésus les appela, il les établit pour être avec lui et les envoyer prêcher" (Marc 3, 13). Il n’y a pas dans l’Eglise, de fonctions possibles, presbytérales ou non presbytérales, sans un compagnonnage avec le Christ, parce que le Christ lui-même est celui en qui la fonction-Christ et la personne de Jésus ne font qu’un.

2ème chose : il faut que nous ayons dans l’esprit ce fait qu’il y a des similitudes et des différences entre l’appel à la vie religieuse et l’appel à un ministère comme le ministère presbytéral ; Similitude, car si quelqu’un vit un compagnonnage avec le Christ, il est vrai qu’il y a une séduction par le Seigneur. Il y a le volontariat de quelqu’un. Mais s’il est vrai qu’il y a une fonction, il y a un appel par la communauté avec toutes les modulations introduites tout à l’heure par J.N. Bezançon ; or pour la vie religieuse, le dosage est différent. C’est d’abord et avant tout non pas un appel par l’Eglise mais une inclination personnelle à vivre un type d’existence, une façon d’être avec le Christ, de prendre au sérieux le "viens suis moi". Cela se vit dans une communauté fraternelle et reconnue par l’Eglise. Sous prétexte que dans le temps, ce qui se passe pour le ministère presbytéral, c’est d’abord une candidature personnelle, nous arrivons à confondre un peu les deux plans. Il faut lesdistinguer, car la démarche, dans le cas de la vie religieuse et dans le cas de la fonction presbytérale, n’est pas la même.