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Intervention finale de Mgr Maziers
Je tiens d’abord à remercier tous les congressistes d’avoir contribué par leur présence et leur travail à réveiller et enrichir la foi de l’Eglise qui est à Bordeaux.
Il ne m’appartient pas de conclure ce congrès, car c’est à chacun d’entre vous d’en tirer les conclusions pour le travail à faire dans vos diocèses respectifs en tenant compte de la diversité des situations et des moyens.
Il me paraît plus vrai de vous dire simplement de quelle manière j’ai été provoqué dans ma conscience d’évêque par ce que j’ai vécu avec vous dans ce congrès.
1) Il m’a provoqué une fois de plus à redire ma foi en Jésus-Christ. Le problème de l’identité chrétienne, indissociable de l’identité ecclésiale, est désormais au coeur de toutes les rencontres. Nous ne pouvons progresser dans la mission sans nous interroger en profondeur sur ce que nous sommes et ce que nous avons à partager avec le monde.
Dès lors nous sommes tenus de répondre, chacun pour notre part, à la question que nous pose Jésus-Christ comme aux premiers disciples : "Et vous, qui dites-vous que je suis ?"
Dans ce collège Grand-Lebrun, qui nous a si bien accueillis, comment ne pas évoquer la figure d’un ancien élève qui est une des gloires de Bordeaux, François Mauriac, et il me plaît de vous citer une partie d’un texte qui a souvent réchauffé mon coeur de jeune, intitulé : "Il faut que notre jeunesse ne passe pas". Il me paraît garder toute son actualité.
"Vous devez penser au Christ comme à quelqu’un de vivant - d’actuellement vivant - qui est dans le monde et qui, entre des millions d’autres, vous a choisi : car c’est déjà être choisi par lui que de le connaître.
Vous devez penser au Christ comme au seul ami dont le regard pénètre votre vie la plus secrète, et jusqu’à cette part, en vous, inaccessible à toute créature - et peut-être ignorée de vous-même.
Il a ses vues sur vous, tel que vous êtes : il connaît le saint, différent de tous les autres saints, dont vous portez le germe, et qu’il créerait, avec le meilleur et avec le pire de vous-même, si vous ne résistiez pas à son amour.
Le drame de votre vie tiendra dans cette résistance que vous opposerez au travail patient du Christ sur votre destinée. Nous détruisons sans cesse, en nous, cette oeuvre qu’il recommence éternellement.
Vous vivez dans un temps où ce n’est pas difficile de trouver le Christ : sa solitude le désigne à votre amour."
II est bien vrai que la solitude du Christ le désigne à notre attention.
II devient étonnant de croire en Lui, mais à cause de cela, notre acte de foi doit être plus vrai. II est toujours le fruit d’une invitation : "Viens, suis-moi", et comme l’apôtre Paul, il faut nous laisser saisir par le Christ.
Croire en Jésus-Christ, ce n’est pas le faire entrer dans nos projets, mais c’est entrer progressivement dans le projet de Dieu sur nous, sur le monde.
Nous ne pouvons qu’y gagner, et c’est le fruit d’un combat incessant dans lequel nous ne pouvons que souhaiter la victoire du Christ. II est impossible de penser vocation sans retrouver cette vérité de la démarche de foi.
2) Ce congrès m’a renvoyé à la nécessité d’approfondir le mystère de l’Eglise.
Je suis reconnaissant aux théologiens qui sont intervenus de nous avoir rappelé qu’il ne fallait pas lire le chapitre II de "Lumen Gentium" sur le peuple de Dieu sans avoir lu le premier chapitre par lequel l’Eglise s’est définie comme un mystère qui a son origine et sa source dans la Trinité.
J’ai retenu cette phrase de Moelher définissant l’Eglise comme le mystère d’une unique personne, l’Esprit Saint, en de multiples personnes, Jésus Christ d’abord, nous ensuite. Il faut d’abord penser l’Eglise comme mystère avant de la penser comme organisation. L’Eglise est le sacrement de l’union à Dieu par Jésus-Christ, et pour le dynamisme de la mission, il est de plus en plus important que nous nous pensions ensemble comme signe, comme sacrement.
II a été beaucoup question du partage des responsabilités en Eglise.
Ayons toutefois beaucoup moins le souci de partager le gâteau que de la qualité du gâteau à partager. Ayons à coeur d’être ensemble du bon pain qui soit source d’espérance et de force pour le monde dans lequel nous vivons. Et ce pain que nous devons être avec le Christ pour la vie du monde c’est l’Esprit Saint qui en est l’auteur.
3) Ce congrès m’a renvoyé à l’urgence de la mission. L’Eglise n’est pas une fin en soi, elle ne peut prendre conscience d’elle-même que comme envoyée.
"Comme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie".
Il est urgent de permettre aux hommes de rencontrer Jésus-Christ et de prendre avec Lui la route du Père. II ne faut pas que s’affadisse l’esprit missionnaire. Nous devons continuer de prendre en compte la présence de l’Eglise dans tous les milieux pour permettre aux hommes de rencontrer Jésus Christ et de le célébrer dans leur langue ; mais cette présence de l’Eglise doit aller de pair avec la différence, quelquefois la rupture avec la manière dont le monde pense et vit.
Il y a interférence entre l’Eglise et le monde. La manière dont le monde s’organise n’est pas sans influence sur la manière dont l’Eglise elle-même s’organise, mais ce qui est important, c’est que l’Eglise, dans sa manière de vivre et de s’organiser, conteste le monde et le provoque à la conversion. Il m’arrive d’expérimenter bien des situations où j’ai l’impression que le monde demande à l’Eglise d’être moins exigeante et d’en rabattre sur son idéal. Mais l’Eglise ne trahirait-elle pas l’homme si elle ne reste pas fidèle aux exigences de l’Evangile ? Ce n’est pas à l’Eglise de s’adapter aux moeurs de l’homme ; c’est à l’Eglise de convier l’homme à vivre selon la conduite de Dieu telle que Jésus-Christ nous l’a révélée.
4) Importance du ministère de discernement
Dire tout cela montre l’importance de l’Eglise comme lieu de discernement pour vivre selon l’Evangile. Certes, l’Esprit Saint est donné à toute l’Eglise et c’est Lui qui est à la source de ce sens de Dieu, ce sens de la foi qui se manifeste dans le peuple de Dieu. Mais conjointement avec cette action primordiale de l’Esprit, le Christ a confié la charge du discernement de la conduite du peuple de Dieu à des pasteurs qui reçoivent grâce et mission pour cela par l’ordination au service du peuple de Dieu, et dans la pratique pastorale quotidienne, j’expérimente de plus en plus cette importance du ministère épiscopal en lien avec le ministère des prêtres.
Plus le monde est sécularisé, plus aussi sont partagées les responsabilités dans l’Eglise, plus il importe de veiller à la conformité de l’Eglise avec l’Evangile et à la communion dans la même foi au Christ. Le monde et l’Eglise ont besoin de bergers, de guides qui soient en même temps des témoins s’efforçant d’expérimenter dans leur vie la joie de vivre selon le Christ.
Il sera toujours difficile de définir le ministère du prêtre, car son rôle est en effet de l’ordre du mystère. J’ai bien aimé que ce rôle ne soit pas limité à une tâche, mais qu’il soit situé dans tous les domaines de la vie ecclésiale pour veiller au lien avec Jésus-Christ de tous les aspects de la vie de l’Eglise. Ce rôle ne se limite pas d’ailleurs aux tâches de rénovation des communautés ecclésiales. Il doit s’entendre aussi de la fondation de communautés de croyants et je pense à ces deux prêtres-ouvriers d"un grand chantier de travaux publics de Gironde : le partage de vie qu’ils consentent avec 4.000 ouvriers les met eux aussi dans une attitude de veilleurs qui contemplent l’action de l’Esprit dans le coeur des hommes, mais également sont prêts à rendre compte de leur foi au Christ dans le langage des hommes dont ils partagent la vie.
Si nous pensons à toutes ces formes diversifiées du ministère du prêtre au service de l’Evangile, parmi tous ceux qui en portent la responsabilité et parmi tous ceux qui n’ont pas encore nommé le Christ, comment ne pas avoir conscience de l’ampleur du champ de la mission et ne pas prier, comme le Christ nous le demande, pour que Dieu envoie des ouvriers à la moisson ?
+ M. MAZIERS