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En mission à l’autre bout du monde
Témoignage d’un jeune
Les missions "à l’extérieur" se justifient-elles encore aujourd’hui ?
Nous savons que la question s’est posée. Nous savons aussi que la réponse est positive. A quelles conditions ?
Un jeune basque nous propose sa recherche au sujet de cette "vocation missionnaire".
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Communiquer à d’autres ce qui est perçu comme une expérience personnelle n’est pas déjà une chose facile. La communiquer à des personnes qu’on ne voit pas et qu’on ne connaît pas, à l’autre bout du monde, peut paraître une tâche impossible. En me penchant sur moi-même puisqu’on me le demande, je parlerai donc à des visages que je connais, aux jeunes gens et jeunes filles qui, à un moment ou à un autre, ont partagé avec moi un peu de leur vie et de la mienne, en espérant que ce que je vais essayée de dire correspondra, sinon à l’expérience, du moins à la "musique intérieure" d’autres plus nombreux.
Il serait probablement fastidieux et beaucoup trop long de parler des événements qui ont fait que je me trouve aujourd’hui à Taiwan, étudiant le chinois, et appelé à travailler à Singapour. Je dirais simplement que je suis basque, fils d’ouvrier, et que j’ai 29 ans. Le moment décisif de ma vie, jusqu’à présent, a probablement été le retour de mes deux années de coopération en Afrique, moment où il a fallu prendre une décision et répondre à des questions que j’avais déjà pressenties sans doute, mais que je n’avais peut-être pas abordées franchement jusque-là. Cela je l’ai fait, aidé par mes camarades des missions étrangères et des professeurs, qui bien plus que des maîtres, ont été des amis tout au long de ces années.
D’abord, je ne comprenais plus très bien de quoi il s’agissait, pourquoi des missionnaires continuaient à aller à l’étranger ? L’Eglise était implantée partout, le clergé local existait partout et les missionnaires étrangers n’avaient plus qu’un rôle d’appoint à jouer ; de toute façon personne ne parlait plus de convertir qui que ce soit ...
Alors, assurer une présence ? Cela ne me paraissait pas définir une raison d’être bien enthousiasmante pour moi-même...
La seconde question, c’est que j’étais et je reste extrêmement attaché à mon pays et à mon peuple, que, depuis longtemps, j’étais très intéressé .par les efforts faits au pays basque, pour affirmer l’existence et la dignité de notre peuple, qu’on nous avait appris à ignorer ou bien à considérer sous son aspect folklorique ... Aller à l’étranger, servir l’Universel me paraissait en contradiction avec cette nécessité que je ressentais de servir mon frère, celui qui Était proche et dont je partageais la quête de justice et de reconnaissance.
Il y avait là deux contradictions qu’il fallait bien essayer d’éclaircir.
D’une part, avions-nous encore le droit, nous, chrétiens, d’aller témoigner de notre foi à d’autres peuples ? et ce témoignage pouvait-il être autre chose que l’imposition d’une culture qui n’a aucune raison d’être privilégiée.. ? N’était-il pas venu, pour nous chrétiens, le temps de se taire.. ? D’autre part comment pouvais-je, moi basque, fils de basque, fils d’ouvrier, enfoncé dans les particularités de ma condition, décidé à lutter pour que cette particularité soit reconnue, prétendre encore vouloir servir l’universel à l’étranger ? N’allais-je pas au contraire dans la direction opposée à celle de la communication entre hommes de divers peuples, de diverses langues ?
Prétendre que j’ai apporté la solution à ces questions serait évidemment extrêmement prétentieux et contraire à la vérité... Je dirai simplement qu’il m’a semblé y voir suffisamment clair pour prendre le risque... Cela ne veut pas dire que je sois sûr de l’avenir, moins encore que j’ai des idées bien précises sur ce que je dois faire concrètement à Singapour pour que mon existence ait un sens. Je crois simplement que l’aventure vaut d’être tentée.
Je me suis rendu compte d’abord que le véritable sens de l’Universel n’était pas la réduction des différences au plus petit dénominateur commun, banalité sans doute, mais je ne suis pas sûr que ceux qui en parlent, tirent toujours toutes les conséquences de cette banalité... La communication ne peut être communication que de ce qu’il y a de plus particulier et de plus original en l’autre et en moi, elle ne peut exister que dans la différence. Autant donc accepter avec bonne humeur ce qui fait que je suis tel que je suis. Etre conscient de sa propre particularité, c’est en même temps donner plus de prix à celle des autres... Il n’y a donc pas de contradiction entre l’amour d’un peuple bien précis, le sien, et le sens de l’Universel.
Mais positivement alors, quel est ce sens que je me donne ? Il me semble qu’il se trouve tout entier dans la rencontre de Pierre et de Corneille dans les Actes des Apôtres, rencontre qui est le choc de deux cultures. Pourtant, il n’y a pas de rapport de dominant à dominé, il y a réellement échange, communication rendue possible par l’humilité respective de Pierre et de Corneille, vis à vis d’une vérité, le Christ, qu’ils savent ne posséder ni l’un ni l’autre... C’est par la rencontre de l’étranger que Corneille avance à la connaissance du nom du Christ, c’est par la rencontre de l’étranger que Pierre avance dans la connaissance du Christ ; il découvre que ce qu’il connaît du Christ, ce qu’il en a vu, touché, entendu, expérimenté, n’est pas le tout du Christ, que le Christ est toujours plus grand que ce qu’il en imagine, et il dira, dans ce qui me semble la véritable attitude chrétienne vis a- vis des autres : "Relève-toi Corneille, je ne suis qu’un homme moi aussi". Pourquoi ne serions-nous pas nous aussi ces "étrangers" dont nos Eglises de France ont besoin pour avancer vers le Christ, dont nos Eglises d’Orient ont besoin pour les mêmes raisons, de ces "étrangers" qui apparaissent si souvent dans la Bible, chaque fois que le peuple de Dieu a besoin de se réveiller et de reprendre sa marche...
Mais, concrètement, à Singapour, que puis-je faire dans ce sens ? Eh bien je n’en sais rien, je verrais bien... Cependant, ce qui m’a le plus frappé en Asie, partout où je suis passé jusqu’à présent, et à Singapour en particulier, c’est cet énorme brassage de peuples, de cultures et de races différentes qu’on y trouve : dans la seule ville de Singapour on parle une vingtaine de langues... Ne pourrions-nous pas, nous, les "étrangers de métier", devenir les hommes du pluralisme, ceux qui rassemblent, ceux qui portent les nouvelles d’une communauté à l’autre, n’appartenant à aucune mais à toutes, un peu comme ces troubadours qui, au moyen-âge, allaient de château en château pousser leur chansonnette, et qui finirent par construire une communauté d’esprit englobant tous les châteaux ? Peut-être d’ailleurs cela n’implique-t-il aucune tâche spécifique autre que celle d’auxiliaire du clergé local, simplement une attention plus aiguë à cet aspect du pluralisme, de rassemblement dans le respect de chacun...
Tout ceci, c’est du rêve éveillé, me dira-t-on, un rêve qui ne tient pas compte des réalités... Mais n’est-il pas permis de rêver ? Et les plus grandes réalisations ne sont jamais que des rêves qui ont résisté à ce qu’on appelle "les réalités". Alors, puisse ce rêve être partagé par beaucoup de jeunes gens et de jeunes filles et il deviendra une réalité...
Guillaume AROTCARENA
TAIWAN -