Regards sur nos pratiques en catéchèse


I. — BEAUCOUP DE POSITIF

Un groupe comme les autres

Quelques enfants, sept ou huit assis par terre ou autour d’une table, des crayons feutres, des chutes de papier peint qu’on déchire pour composer un tableau, de la colle, des ciseaux, un joyeux brouhaha...

Une catéchiste qui écoute, aide à préciser une question, a le souci que tous s’expriment, s’écoutent et se répondent. Au bon moment elle dit ce qui est important pour elle dans sa vie d’adulte. Elle sait que Jacques parle volontiers et qu’il faut parfois le freiner un peu, que Dominique, timide et un peu lente relance parfois tout le groupe par une réflexion étonnante ; mais pour cela il faut prendre le temps de l’écouter et de la mettre à l’aise. Frédéric, lui, très bricoleur, propose toujours beaucoup d’idées pour les activités et Sophie chante juste. Daniel est « difficile ». Il est toujours un peu agité et son attention se lasse très vite : mais grâce à lui, elle sait qu’elle doit peu parler et aller à l’essentiel...

C’est un groupe de catéchisme, comme il y en a des milliers, image désormais banale et bien classique, mais dans cette vie de groupe se jouent et se nouent des éléments irremplaçables d’une découverte de soi-même et des autres, signe et chemin de la découverte de Jésus-Christ.

Un groupe « Eglise »

A travers la relation qui s’établit, on se reconnaît peu à peu différents et complémentaires, chacun apportant ce qu’il est. A travers cela, c’est toute une expérience et un apprentissage de la vie en Eglise qui s’opère, même si la référence à Jésus-Christ et à l’Eglise ne peut pas toujours être explicite au départ. Ce groupe n’est pas un club sympathique, une équipe sportive ou un atelier d’expression artistique. C’est au nom de Jésus-Christ qu’il se réunit, et c’est déjà un lieu d’Eglise. « Partout ou deux ou trois... » (Mt 18, 20). Peu à peu la foi va se dire et se vivre à l’intérieur de ce groupe, grâce à Dominique, à Jacques, à Sophie et à Daniel. Cela suppose que la catéchiste sache attendre, écouter, ne pas affirmer trop vite sa propre foi, ou sa façon personnelle de vivre cette foi ; qu’elle permette ainsi à chaque enfant de dire la sienne, en fonction de son propre univers culturel, social, familial. Et c’est la somme de ces diverses expressions de foi qui avec celle de la communauté chrétienne révélera progressivement la foi de l’Eglise. Une catéchiste disait un jour : « Ce n’est pas le Dieu de mes impressions que je dois leur faire découvrir... ».

Ils ne sont pas trop jeunes

Mais pour que chacun puisse apporter ce qui lui est propre il faut savoir faire confiance et permettre une prise de responsabilité réelle des enfants et des adolescents. Ils sont capables de beaucoup plus qu’on ne le croit.

Quelques exemples : une catéchiste peut hésiter à lancer un groupe d’enfants dans une activité où elle-même ne se sent pas très à l’aise, un mime par exemple ; mais si elle laisse faire les enfants, cela se passe très bien. A une messe télévisée, on a vu une enfant de dix ans diriger efficacement les chants de l’assemblée. Marie-Rosé, catéchiste à Tours, raconte également : « Pendant l’homélie du dimanche, les enfants se retrouvent avec moi à la sacristie pour un partage sur un texte du jour... J’ai demandé à Anne-Sophie (14 ans) qui vient chaque dimanche, si elle accepterait de me remplacer pour une fois... Elle a dit oui., et est venue préparer avec moi. Anne-Sophie anime maintenant cette rencontre, seule, ou avec un autre camarade lorsque je ne suis pas là. Et elle ajoute : « pour moi, catéchèse, liturgie, vocation, tout est lié, c’est un tout, il n’y a pas de compartiment ».

Vers une Eglise de jeunes et d’adultes

Ce n’est pas tout, d’autres rencontres s’avèrent indispensables : des parents réfléchissent entre eux et avec des animateurs à l’éveil de la foi de leur enfant... Ensemble, adultes et enfants se retrouvent de temps en temps à l’Eglise pour célébrer leurs découvertes et prier d’une façon renouvelée...

C’est aussi maintenant une situation habituelle en catéchèse qui révèle que les enfants non seulement s’appellent entre eux à connaître Jésus-Christ, mais appellent aussi leurs parents et leurs animateurs. Cela a toujours été vrai : une « bonne » catéchiste sait bien qu’elle reçoit beaucoup plus qu’elle ne donne, mais ces situations nouvelles rendent plus évident encore cet appel qui nous vient des enfants et des jeunes à un « décapage », une remise en cause de nous-mêmes, de notre foi et de notre façon de l’exprimer et de la vivre. En ce sens une catéchiste révèle peut-être beaucoup plus par ce qu’elle vit que par ce qu’elle dit. Il est important qu’elle ne soit pas réduite à sa seule fonction de catéchiste, et perçue par les enfants et les jeunes comme une sorte de « vicaire » au rabais. Par exemple, une participation active à la vie collective locale, à des associations diverses, une vie professionnelle ou familiale, des engagements syndicaux ou politiques, des activités culturelles, sportives ou de loisir la rendront crédible, même, et c’est un autre problème, si cela lui complique la vie !

Les enfants et les jeunes ont besoin de rencontrer, voire de s’affronter à des adultes équilibrés. S’en tenir à un seul type d’engagement n’assure pas cet équilibre.

II. — QUELQUES POINTS D’ATTENTION

A côté de bien des pratiques positives, il en est d’autres qui posent question, ou appellent un certain nombre de réserves.

Quelle est notre échelle de valeurs ?

Pensons-nous suffisamment que ceux que nous appelons « les pauvres », les handicapés, les personnes âgées, les exclus de notre société, ont la vocation de nous aider à porter un autre regard sur notre monde, en changeant notre échelle de valeurs ? Ils sont pour eux-mêmes et pour les autres, les signes de la bonne nouvelle de Jésus-Christ et un appel à construire dès aujourd’hui le royaume de Dieu.

Trop souvent quand nous parlons « avenir » avec les jeunes, nous avons tendance à penser d’abord aux professions considérées comme nobles : médecins, avocats, ingénieurs. En faisant cela, inconsciemment ou pas, nous cultivons un certain élitisme, celui d’une classe sociale et celui du quotient intellectuel.

Par ailleurs, aucune personne adulte ou jeune n’existe indépendamment d’un contexte social, culturel, professionnel. Il y a un poids de ces réalités qu’on ne peut évacuer et il serait dérisoire et malhonnête de parler de vocation comme si tout le monde avait les mêmes chances pour épanouir ses possibilités. Ce n’est pas le cas. Savons-nous, entre autres, qu’à peine 5% d’enfants de la classe ouvrière accèdent aux études supérieures ?

Cette dimension collective existe aussi à l’intérieur de l’Eglise : par exemple, un jeune qui est appelé au ministère presbytéral appartient à telle paroisse, à tel mouvement, il vit avec une culture donnée et avec des solidarités qu’on ne peut ignorer.

Une vocation d’abord pour aujourd’hui

Les jeunes, en étant pleinement eux-mêmes à l’âge qui est le leur, ont leur vocation que nous devons respecter, alors que nous pensons trop souvent : « ils ne peuvent pas, ils ne sont pas capables ». L’expérience prouve que beaucoup de vocations humaines (agriculteur ou médecin) ou ecclésiales, s’esquissent dès l’enfance. Mais il n’y a aucun sens à cultiver une vocation pour plus tard, sans cultiver la vocation d’aujourd’hui et vivre au mieux le moment présent. C’est le piège qui guette tout éducateur, qu’il soit parent, catéchiste ou animateur : projeter sur l’enfant ou le jeune ses propres désirs ou rêves pour l’avenir. Le faisant on risque de passer à côté de ce qui est important aujourd’hui et de compromettre ainsi un avenir qu’on voulait justement assurer.

Des exemples ? ils abondent... depuis les parents qui veulent donner tellement de possibilités à leur enfant pour plus tard que ses mercredis sont plus chargés d’activités qu’une journée de P.D.G., ne lui laissant pas une minute pour souffler (club artistique, judo, piano, leçons particulières, etc.). Jusqu’à la catéchiste qui veut tellement qu’ils « aient bien tout » qu’elle noie son groupe dans un déluge de paroles dont il ne reste rien.

Quels sont nos silences ?

Mais si nous parlons trop, il nous arrive aussi de nous taire dangereusement sur des choses essentielles : nous abordons assez facilement le thème « réussir sa vie » par exemple, mais ne restons-nous pas trop souvent au niveau d’une réussite matérielle ? Nous n’osons pas toujours aller jusqu’à dire nos réussites avec Dieu. Quels sont les hommes et les femmes, dans la Bible, et dans l’histoire de l’Eglise, qui sont des « réussites » et par quels chemins y sont-ils parvenus ?

Autre silence : évoquer un seul type de vocation dans l’Eglise, en privilégier un par rapport aux autres. Les uns considèrent seulement la vocation sacerdotale ou religieuse, d’autres la vocation de laïcs. C’est un nouveau danger d’élitisme. Il y a des formes de vie différentes, à la spécificité desquelles il nous faut peut-être réfléchir encore, mais qui sont complémentaires au service de tous.

Pas facile d’être catéchiste, dira-t-on en lisant ces lignes. Personne n’en est plus conscient que l’auteur qui n’a bien sûr jamais réalisé vraiment ce qu’elle préconise, ni évité les pièges qu’elle dénonce ! Mais se rencontrer avec d’autres catéchistes et des responsables d’Eglise, pour partager prière, joies et difficultés, participer à une formation pour acquérir une réelle compétence peut permettre de résoudre en grande partie bien des problèmes.

Et puis, il y a encore une qualité, et non la moindre, à ajouter à la longue liste de celles de la « parfaite » catéchiste, une qualité très évangélique qui s’appelle l’humour : savoir se regarder avec un certain détachement, sans se prendre trop au sérieux, en sachant que ce n’est pas nous qui sommes importants, mais Dieu qui agit en nous, et que ce sont parfois autant nos bévues que nos réussites qui nous font progresser.