Des jeunes de 18-25 ans davant la vie, l’Eglise, l’engagement, Commission "Institutions permanentes"


Il s’agit ici de garçons situés de façon précise. Ils ont vécu en Foyer-Séminaire de Jeunes jusqu’à la fin de leurs études secondaires. Ils sont donc ce qu’on a appelé, dans le jargon des services de vocations, "des après-terminales".

Durant leur enfance ou leur adolescence, ces jeunes ont exprimé de façon diverse une disponibilité ou un projet qui pouvait aboutir à un engagement d’Eglise. Depuis lors, après leur sortie du Foyer-Séminaire, ils ont pris des orientations diverses. On leur a demandé d’exprimer leur pensée.

Les pages qui suivent sont le fruit d’un travail collectif à partir de 26 monographies. Les citations qui jalonnent ces pages en sont extraites. L’équipe (1) qui les a travaillées a essayé de tenir compte de sa connaissance d’autres jeunes du même type. Sur beaucoup de points, les jeunes décrits ici doivent ressembler à beaucoup d’autres garçons et filles... Nous soulignerons parfois telle similitude ou telle particularité .

Nous proposons un parcours sous quatre têtes de chapitre :
1. Face à l’Eglise à la fin de Terminale ...
2. Le choc de la vie
3. Difficultés face à un engagement d’Eglise
4. Ce qui les appelle à engager leur vie.

Après chaque constat seront proposés quelques questions.

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I - FACE A L’EGLISE A LA FIN DE TERMINALE ...

Ce n’est pas ici le lieu d’une étude d’ensemble de la situation des jeunes à cette étape de leur vie. Voyons cependant ce qu’ils expriment face à l’Eglise. Quelques citations vont le suggérer :

- "Le Foyer est derrière nous. Où est l’Eglise ? On en avait peut-être une image trop idéale".

- "La communauté chrétienne est un lieu, une réserve inépuisable de vie dans laquelle on peut piocher pour s’affirmer dans un monde d’indifférence."

- "Dans un monde hostile, où l’individu ne compte pas, l’Eglise donne l’impression d’être seule à avoir su garder le respect de l’homme. Pour elle, chaque être est une identité particulière. Tout cela est intéressant pour les jeunes qui désirent être reconnus pour ce qu’ils sont, une personne particulière.

- "Oui, j’ai eu l’impression de faire partie de l’Eglise et cela m’arrive à chaque fois que je fais quelque chose pour les autres et non pour moi, à chaque fois que je donne mon temps pour les autres."

- "J’ai fait l’expérience du rassemblement de Nantes (M.E.J.). On y sentait une certaine unité, un certain goût de vivre, une certaine joie d’être ensemble. J’apprécie les rassemblements pour les messes de fête, Pâques, Noël, pèlerinages, etc."

L’Eglise-oasis

Ces quelques phrases suggèrent ce qu’est l’Eglise "idéale" dont ils parlent malgré l’expérience "d’une passivité de la masse des chrétiens, des fidèles qui se contentent de consommer en passant par le prêtre". Le plus suggestif est de relever les mots ("impression", deux fois), de préciser les approches (le respect, le soutien mutuel, le service). On n’est pas dans une perspective de construction de l’Eglise, mais devant une attente en recherche d’une qualité de vie. On voit l’Eglise comme un réseau de trop rares "oasis", on ne s’intéresse apparemment pas au désert et à ses gisements secrets. Ne faut-il pas rapprocher ces lieux-Eglises des "niches" dont parle M. Duvignaud pour décrire les recherches de beaucoup de jeunes ? Ceci semble d’autant plus vrai que Jésus-Christ apparaît somme toute assez peu, malgré quelques formules comme celle-ci qui traduit d’ailleurs une attitude défensive (des niches ?) : "La principale fidélité que l’Eglise doit garder est son attachement à Jésus-Christ. On se perd souvent dans force palabres et discussions qui ne mènent à rien. On veut trop créer dans l’immédiat, "des actions auprès de, avec", et on laisse de côté la relation personnelle avec Jésus-Christ".

Cette situation semble correspondre à ce que l’on sait par ailleurs du plus grand nombre des 18-2O ans.
De plus, ces anciens des Foyers-Séminaires n’ont que des éloges pour ces communautés de jeunes où ils ont grandi. Bien.
Educateurs, avons-nous pourtant assez deux préoccupations :

  • celle des relations des jeunes hors du Foyer (ou d’une communauté d’aumônerie, par exemple). Que faisons-nous pour qu’ils découvrent que Jésus-Christ nous précède dans "le désert" ?
  • celle d’un contact vrai avec l’Evangile. C’est plus que "faire quelque chose pour les autres."

II.- LE CHOC DE LA VIE

Après le Foyer et le baccalauréat, les jeunes "plongent" dans le malstrom universitaire ou bien ils entreprennent une activité professionnelle. Rude expérience !

- "Je ne croyais pas la vie si cruelle et qu’il fallait tant se battre !"

- "On sort du Foyer avec un certain courage, de l’enthousiasme, de l’espérance, mais on est vite déçu par l’Eglise actuelle qui n’a rien prévu pour nous" (il s’agit, d’après le contexte, de possibles ministères de laïcs)

- "Je n’ai pas de copains... je n’ai personne avec qui partager..."

L’indifférence ou l’hostilité du-milieu pèsent d’un grand poids :

- "Mon projet (presbytéral) était incompris par la majorité des gens. Ce n’est pas un élément qui a été déterminant. Mais disons que pour que mon projet éclose, il me fallait ramer à contre-courant de l’entourage avec qui je vis quotidiennement".

Inutile de multiplier les citations qui sont nombreuses et concordantes sur ce point. Ajoutons seulement l’expérience d’une jeune fille venue d’une école catholique, responsable fédérale A.C.E. en Monde Ouvrier, qui écrit après quelques mois de faculté :

- "Depuis Noël, je priais de moins en moins, maintenant, depuis deux mois, je ne prie plus. Nous avons tenté de multiples essais - elle vit en groupes avec cinq autres étudiants - pour accueillir, créer des liens dans l’immeuble. Le concierge nous dit que les gens ne supportent plus la série des allées et venues. En cours un groupe trotskiste est contre tout, avec des idées chouettes et en même temps intolérant. Depuis 6.mois ce que j’étais s’effrite maintenant je suis vidée."

L’arrivée en université ou dans le monde du travail est donc une expérience décapante et pour tous les jeunes. Cependant, passé la première année, même s’ils reviennent au Foyer avec quelque nostalgie, plusieurs se font de nouvelles relations.

- "C’est mieux que je ne croyais. Il y a des gars à qui on peut dire ce qu’on pense, par exemple j’ai parlé de mon projet de sacerdoce à un copain incroyant".

- Depuis que je suis au travail (manutentionnaire dans une imprimerie), je découvre les qualités des manuels (simples, francs). Ces gars viennent me chercher chez moi et on discute !

Sur cinq ans par exemple, on voit une maturation, la construction d’un adulte capable d’engagements, surtout si les jeunes rencontrent un mouvement, une équipe de réflexion. Le nouveau tissu de relations devient alors chemin vers la foi et le discernement de sa vocation.

Cette situation bien connue comporte des interpellations :
- le choc de la vie ne peut devenir positif qu’avec un accompagnement. Malgré les progrès récents, faisons-nous assez pour une "aide-vocation" après 18 ans ?
- L’Eglise de France n’a-t-elle pas à proposer une formation et des ministères laïcs à ceux qui le désirent ? Trop de jeunes ont l’impression de n’intéresser personne s’ils ne s’orientent pas vers les séminaires. L’expérience du C.E.R.C. à Orléans nous semble exemplaire.
- Comment, dans la pédagogie des Foyers-Séminaires, des aumôneries scolaires, mieux préparer les jeunes à ce "choc de la vie" ?

III - DIFFICULTE FACE A UN ENGAGEMENT

Ici encore, on pourrait élargir le propos aux difficultés rencontrées face à tout engagement. On se limitera à ce qui gêne une décision d’entrée en formation pour le ministère presbytéral ou la vie religieuse. Dans la plupart des monographies, on perçoit un grand désir d’assumer un "service d’Eglise", mais deux séries de faits sont évoqués par les jeunes : ils concernent l’image de l’Eglise et du prêtre, le célibat.

o Les images de l’Eglise et du prêtre

A travers le "choc de la vie", l’image idéale de l’Eglise a souvent éclaté et le projet de sacerdoce ou de vie religieuse s’est peu à peu délité :

- "Quant au projet de sacerdoce, écrit un étudiant après 4 années en université, j’ai vécu avec pendant plusieurs années. Mais il s’est effrité. Plus j’allais, plus j’avais une attitude volontariste. Ce cheminement s’est interrompu sans doute parce que je n’ai pas eu d’engagement dans l’Eglise qui m’ait vraiment satisfait, qui m’ait donné l’envie de passer toute une vie à son service. De plus, l’attitude d’une bonne partie de l’Eglise (la hiérarchie...), que ce soit à travers les interventions publiques ou à travers sa vie en milieu rural par exemple, m’a découragé ..."

- "Je n’ai pas eu d’engagement dans l’Eglise qui m’ait vraiment satisfait, qui m’ait donné envie de passer toute une vie à son service.

Certains dénoncent ainsi le poids de l’institution, voire des structures oppressives et en tout cas sclérosées. C’est ce qui ternit souvent l’image du prêtre : "Il s’occupe uniquement des pratiquants, il n’a pas de prise sur la réalité quotidienne de la vie des gens".

Plus souvent encore le ministère demeure flou, c’est "une possibilité parmi d’autres, je puis m’engager vis-à-vis des autres sans être prêtre".

o Le célibat

Or ce ministère presbytéral qui apparaît vague et assez marginal se paie au prix du célibat ... Parmi les 26 monographies, aucune ne parle du célibat de façon positive, et 6 jeunes indiquent que le célibat a été un obstacle important, parfois décisif, dans leur marche vers le ministère presbytéral :

- "J’ai abandonné le cheminement G.F.U. parce que je ne me voyais pas vivre le célibat toute une vie".

- "L’idée de devenir prêtre était devenue floue dans mon esprit. Elle ne représentait plus quelque chose d’assez concret, de constructif. Une jeune fille avait engendré le début de cette déroute. J’avais aussi, de plus en plus, le désir de faire une Carrière scientifique."

La question du célibat apparaît donc importante, elle cristallise des difficultés qui semblent beaucoup plus larges car c’est le célibat qui marque la différence avec les autres ministères.

  • Tel Foyer-Séminaire a appelé des femmes dans l’équipe d’animation pour une meilleure éducation affective. Comment portons-nous le souci de cet aspect fondamental de toute vie, en particulier au moment de l’adolescence ?
  • Aucune monographie ne parle du célibat de façon positive. Savons-nous en montrer le sens et la fécondité ?
  • Les images de l’Eglise, du ministère presbytéral sont floues et souvent négatives. Pouvons-nous évaluer, tester nos propres réactions à cet égard ?

IV - CE QUI APPELLE ...

Le bilan ci-dessus serait fort négatif et pessimiste sans les compléments que voici. Rappelons d’abord le jugement des anciens sur les Foyers-Séminaires. Aucune critique n’apparaît et ils voudraient une société, une Eglise un peu à l’image de celle dont, adolescents, ils ont fait l’expérience.

o Jésus et l’Evangile

Bien sûr, parmi les dynamismes, il faut faire une place à l’expérience personnelle de Jésus-Christ.

- "Jamais je ne suis aussi heureux que lorsque je vis dans l’esprit de l’Evangile".

- "Pour Jésus et avec Lui".

Il convient pourtant de reconnaître une certaine discrétion des propos sur ce point. Elle semble le fait d’un milieu encore chrétien où - comme dans beaucoup de familles - on vit plus qu’on n’exprime. Les jeunes venus des lycées seraient peut-être plus explicites sur ce point.

o Les perspectives de Taizé

C’est peut-être avec la devise proposée à Taizé : "Lutte, contemplation, communion" qu’on approche le mieux ce qu’expriment ces jeunes. Deux lignes d’engagement fort différentes apparaissent à travers les deux citations que voici, mais c’est bien dans la "lutte" qu’on mesure le sérieux de la foi :

- "je me suis radicalisé dans mon refus de la société, je veux arriver à une pratique individuelle cohérente avec ce refus et à un travail collectif à entreprendre ..."

- "se construire dans les relations ... vivre au jour le jour sans projet autre que vivre autrement ... la non-violence, le quart-monde, les handicapés ..." Ces deux formes de lutte correspondent partiellement à deux générations successives, la seconde serait plus récente.

La contemplation apparaît d’abord comme "prendre du recul pour regarder sa vie et celle des autres afin de mieux vivre l’humilité et le respect". Mais cela va jusqu’à une recherche concrète du Christ "pour découvrir l’Evangile ailleurs que dans les livres".

La communion est un projet commun à tous les jeunes qui se sont exprimés. Ils semblent allergiques à l’intolérance. Celui qui se dit "radicalisé" veut en même temps le respect et l’humilité. Un autre avec de forts engagements sociaux-politiques affirme "la nécessité du dialogue et de l’ouverture aux autres".

o Prêtre, religieux ?

Cette troisième perspective n’est dynamisante qu’à certaines conditions, et en particulier si le prêtre ou le religieux n’apparaissent pas installés dans la société établie. C’est le prêtre-animateur qui intéresse : "le prêtre pour moi c’est quelqu’un qui anime ... dans une paroisse, une école, une usine, une personne qui réveille les gens".

Cette citation reprise par bien d’autres atténue quelque peu une lacune : ces jeunes ne voient pas le prêtre comme fondateur de communauté. Ils insistent plus sur la vie en symbiose avec une communauté déjà rassemblée. "A l’intérieur d’une communauté c’est nous - les laïcs - qui sommes responsables de leur vocation". "Pour un jeune, prêtres et religieux sont avant tout pour le peuple chrétien, témoins de l’Absolu."

Ce tableau comporte des interpellations pour nous tous.

  • Montrons-nous assez l’urgence d’un "monde à sauver" ? Sans dramatiser des situations que les jeunes savent dures, nous pouvons appeler à lutter par le regard sur des situations concrètes.
  • Une remarque à rebours maintenant : les jeunes semblent plus sensibles à la dynamique du "désir" qu’à celle du "besoin". Savons-nous aussi leur faire prendre conscience des vrais appels qu’ils portent en eux ?
  • Les jeunes sont très désireux de "se construire". Savons-nous leur révéler l’importance de l’Evangile dans la construction de soi ? Quand une vie est tissée avec Jésus-Christ, l’engagement et la mission deviennent possibles.

Ces quelques pages s’inscrivent dans la recherche poursuivie depuis des années au sujet des après-terminales. On ne s’étonnera pas qu’y convergent bien des problèmes de société en même temps que les questions de l’Eglise actuelle. L’engagement chrétien consiste à ne fuir ni les uns ni les autres.

Claude CUGNASSE

NOTES ---------------------------------

(1) Il s’agit de la commission Institutions Permanente qui réunit au C.N.V. des prêtres engagés dans les Foyers-Séminaires : J.M. Beckel (Metz), E. Braud (Luçon), B. Coudrais (Rennes), C. Cugnasse (C.N.V.), J.C. Marfaing (Clermont), A. Mestre (Avignon), N. Petot (Besançon), P. Pouplin (Luçon). Le travail du groupe est plus riche que ne le suggèrent ces pages où nous avons dû nous limiter ... [ Retour au Texte ]