- accueil
- > Archives
- > 1978
- > n°009
- > EXPERIENCES
- > Chez les moniales de l’Est - Trois jours de session -
Chez les moniales de l’Est - Trois jours de session -
En décembre dernier, le Cénacle de Laxou (Nancy) fut le lieu d’une rencontre des moniales de la région apostolique de l’Est avec les responsables des services des vocations de ces diocèses.
Cette rencontre répondait à un désir de meilleure connaissance mutuelle, de confrontation des expériences, de réflexion et de prière. L’assemblée comptait une quarantaine de participants auxquels s’adjoignirent quelques témoins (1).
Trois journées bien remplies, selon les axes suivants :
1. Exploration du monde des jeunes, 2. Jeunes en recherche et communautés monastiques, 3. Pastorale des vocations et moniales.
o o o o
I - LA PREMIERE JOURNEE
Centrée sur l’exploration du monde des jeunes, fut abordée à travers trois témoignages :
a) Un prêtre accueille des marginaux et fait part de ses expériences originales
- En paroisse tout d’abord pendant 7 ans, il se voit chargé officiellement d’une mission de prévention contre la délinquance. Il crée alors une communauté d’accueil pour les jeunes marginaux de la ville. Quand des jeunes disparaissent, d’autres reviennent, surtout des jeunes sortis de prison ou venant de la drogue. "La maison" peut loger 15 jeunes (de 18 à 32 ans) peut offrir 180 repas par semaine. Ce qui est important, c’est l’accueil inconditionnel qu’on y trouve, accueil occasionnel ou pouvant varier de 3 mois à un an et demi.
- Une autre expérience, ce sont les groupes du vendredi soir, qui se réunissent dans une grande "baraque" indémolissable. Expérience de décloisonnement des milieux, possibilités de rencontres entre bandes "sauvages", lycéennes, filles et garçons d’école libre, entre des jeunesses qui, habituellement s’affrontent, semblent incompatibles, et se découvrent solidaires. Expérience passionnante et inquiétante de mise en présence... Création permanente. On ne sait jamais ce qui va se passer... Ces jeunes ont fait cette année 5 camps tout seuls, sans aucun accroc, mais ils sont difficilement contrôlables. Leur nombre varie de 40 à 200. Actuellement, ils préparent un festival de chanson, de musique, avec tous les lycéens. L’expression artistique est pour eux très importante (chansons, musique, peinture primitive, théâtre, poèmes illustrés, journaux personnels). Cela permet au jeune d’être reconnu enfin pour quelqu’un, C’est le retour aux premiers cris, où l’on retrouve comme une sève biblique. C’est une nécessité culturelle d’exprimer ce qu’on vit, une forme de pré-célébration qui prend la vie, la dit, et où des centaines, des milliers de jeunes se retrouvent. On célèbre aussi bien la joie que l’ennui ou le désespoir... et parfois l’Eucharistie !
Actuellement aumônier d’un lycée technique - milieu intéressant mais difficilement pénétrable - ce prêtre s’est fait marchand de frites sur le trottoir. Les jeunes se rassemblent autour de lui à leurs moments de liberté et quelque chose se crée peu à peu.
- Le prêtre est parfois affolé ou rassuré au contact de ces jeunes, un peu perdu dans son identité de prêtre. Mais s’il donne vraiment le témoignage de l’ami, à ras de terre, il se passe quelque chose ; on se raconte sa vie, comme Jésus avec ses disciples, on rend compte de l’espérance qui nous habite.
Ce travail de relation, sans spécialisation, est important. Les jeunes, souvent, ont un passé très lourd. La tendresse dont ils ont manqué, est pour eux capitale. L’adulte doit oser prendre des risques, tout en connaissant ses limites, vivre le partage attendu tout en faisant pressentir la dimension d’inaccessibilité qui demeure toujours ; accepter le besoin présent, mais ne pas s’y fixer, et entraîner toujours plus loin, d’étape en étape, jusqu’à ce que la maturation affective soit réalisée dans le dépassement.
b) Un prêtre découvre les jeunes à l’intérieur du Renouveau charismatique.
Il nous dit en quelques mots combien, à travers une expérience différente, il retrouve en ce qui a été dit, les mêmes jeunes, les mêmes résonances :
goût du risque, plongée dans le mystère, importance des signes prophétiques, tendresse, expression de la créativité, conduite de l’Esprit et Tradition ecclésiale, qualité des ferments à libérer.
A la suite de ces témoignages, on a fait quelques remarques :
- celui qui a la confiance des jeunes à une grande responsabilité. Il doit toujours être attentif à rester un serviteur inutile. Une formation solide doit compléter l’accompagnement, dans un climat de conversion, pour aboutir à une décision communautaire d’engagement
- dans une paroisse renouvelée par l’Esprit, il faut beaucoup d’humour, une sorte de conversion permanente : jouer le jeu, vivre une forme de relation fraternelle très vraie, rester ce que je suis, mais accepter les observations même des plus petits, des enfants
- dans les monastères se pose souvent la question des jeunes très fragiles psychologiquement. Que faire ? Avoir un grand-respect de la personne et de son histoire. Il faut que quelqu’un l’accompagne et l’adapte progressivement à ses limites, plutôt que de la faire entrer à tout prix dans un cadre. Le type actuel d’homme ou de femme est très différent du type rural que nous avons connu autrefois.
Pour aider les jeunes à "durer", il faut développer en elles, en référence à leur communauté, un élan missionnaire qui aide à se donner soi-même : utiliser toutes les possibilités de témoignage, de service, d’évangélisation (caritative, liturgique).
c) Un responsable des vocations parle des réactions des jeunes par rapport à l’Eglise et au langage de la foi. A ce sujet, des questions se posent :
- ce qu’est le jeune aujourd’hui, dans son milieu de vie, son environnement, son enracinement, sa foi vécue en Eglise, sa façon d’envisager un ministère dans l’Eglise ;
- comment accueillir et accompagner un jeune portant un projet de vie chrétienne, de vie consacrée, de service d’Eglise, de ministère ordonné ?
II - DEUXIEME JOURNEE : les jeunes en recherche et notre manière de les accueillir en communautés monastiques.
Dans le monde des jeunes exploré ensemble, le Seigneur continue à appeler. Trois témoignages encore permettent de mieux voir cette réalité des appels aujourd’hui.
a) Pour aider les jeunes à percevoir ces appels, pour les accompagner, les SDV se veulent des lieux de recherche et d’avancée ensemble.
Une soeur du Jura décrit l’histoire et le sens de son équipe diocésaine de Vocations, dans sa grande diversité.
b) Une jeune d’un groupe de recherche parle de son cheminement
c) Un membre d’institut séculier relit sa vie, son appel et tout le cheminement de sa réponse.
A partir de six témoignages : trois remarques et trois questions.
a) Trois remarques : faite par un participant, religieux :
1) Invitation nous est faite de nous départir des jugements tout faits sur la jeunesse. Il nous faut éliminer toute méfiance, toute peur, car se cache souvent en nous le souci de ne pas être dérangés ; remis en cause. Il faut être plutôt attentifs à leurs valeurs d’authenticité, de créativité, de vie de groupe, comme aussi à leurs limites : fragilité, subjectivité, contradiction..
à l’importance de la relation interpersonnelle (qui est souvent pour le jeune une planche de salut), du partage ; les jeunes ont soif de découvrir Jésus Christ, ils ont faim de la Parole de Dieu. Ils sont l’avenir.
Le rôle de l’accompagnateur semble capital. Quelles qualités ne doitil pas avoir !
l’humilité : savoir s’effacer pour découvrir avec le jeune la Volonté de Dieu sur lui ;
la patience, pour ne pas brûler les étapes ;
l’écoute ;
le respect de la personne, de son cheminement (il lui faut apprendre à connaître le jeune, son milieu, son histoire) ;
la lucidité et la franchise (pour dire en face ce qu’il faut) ;
la tendresse, à exprimer, en même temps qu’une exigence à susciter, pour aider le jeune à s’assumer ;
l’aide pour se connaître, s’accepter, purifier sa foi et s’approfondir, devenir responsable des autres.
Importance du "groupe" : communauté familiale, paroissiale, mouvement, monastère, pauvres qui n’ont pas la foi mais sont aussi, à leur manière, porteurs de Dieu.
2) Ce qui est important pour les jeunes déjà entrés dans la vie religieuse :
. vivre avec le Christ, le rencontrer dans nos vies,
. servir l’Eglise et le monde,
. vivre l’amour fraternel dans le partage et le service mutuel,
. vivre l’Evangile et risquer sa vie pour le Christ (à travers les contradictions, les épreuves, la souffrance),
. prier en lien avec la vie,
. témoigner de l’absolu de Dieu.,
. vivre pauvre parmi les pauvres
Ce qu’ils rejettent, c’est l’hypocrisie, le style bourgeois, installé, la sclérose, les habitudes, la routine, l’esclavage de la loi, qui tue la spontanéité et la créativité.
3) Tout ceci nous interpelle :
. il faut savoir accueillir avec bienveillance les jeunes, sans renier ce qui fait l’essentiel de notre vie religieuse,
. il faut accepter de se laisser bousculer, accepter humblement les remises en cause ; savoir discuter sans dire "amen" à tout.
Les jeunes peuvent nous aider à redécouvrir la fraîcheur des débuts de notre Ordre, mais il faut être assez simples pour témoigner devant eux de ce qu’on vit, arriver à partager sans peur, nous accepter différents, sinon, ce serait la faillite de l’Evangile. Il nous faut donc à tous une forte dose d’humilité et d’humour pour envisager l’avenir.
b) Trois questions posées par les moniales.
1. Sur quels points et de quelle manière la découverte de ces deux journées nous interpelle-t-elle, ainsi que nos communautés ?
Il apparut assez vite aux soeurs et frères présents que la première étape de libération nécessaire à franchir était d’abord la reconnaissance de ce qu’étaient les jeunes, avec leur besoin de tendresse et leur désespérance leur diversité et leurs manques, leur besoin de partage et leur différence de langage, leur authenticité.
Ensuite, la reconnaissance de nos peurs, de nos questions ; jusqu’où aller dans la créativité ? Comment allier spontanéité et profondeur ? Pourquoi chez les jeunes une telle liberté dans l’expression de la sensibilité et chez nous une telle réserve ? La durée leur est-elle possible ? La communauté peut-elle être un lieu de partage et de relation à la manière des jeunes ? Paraissons-nous figées ?
Enfin, des chemins furent pressentis pour engager l’avenir : avoir un regard neuf sur les jeunes, entrer dans ce qu’elles vivent, se laisser déranger par elles, leur laisser prendre le risque de leur vie ; elles doivent nous sentir libres et confiantes, pour mieux les accompagner.
2. Comment aider nos communautés à accueillir les jeunes ?
- en provoquant une ouverture sur le monde des jeunes par une meilleure information, le respect du projet du jeune sans nous l’approprier, la prise de conscience du choc que représente l’entrée au monastère.
- en adoptant pour la communauté un certain style de vie qui tienne compte des valeurs des jeunes.
Promouvoir un changement de mentalité où l’on se sente tous responsables, un pluralisme en communauté, une vraie franchise, l’unité, la charité, la compréhension mutuelle.
Soutenir l’effort de partage, Accepter certaines modifications non essentielles, Maintenir la communauté en état de remise en question, de formation permanente, de retour aux sources.
- en préparant l’avenir : un membre ou une équipe peut davantage sensibiliser la communauté à la question. Porter attention à l’Eglise locale aussi.
Il faut se rendre compte que tout cela n’est pas facile, mais qu’on demande parfois davantage aux jeunes qui entrent, et sont porteuses d’un monde, qu’aux anciennes.
3. Comment présenter nos communautés aux jeunes qui cherchent ?
Chaque Ordre répond brièvement à cette question.
Bénédictines : présenter la Règle de St-Benoît. Donner le sens de la vie fraternelle, de la prière, du silence.
Cisterciennes : témoigner de l’expérience du Dieu vivant en Jésus-Christ.
Faire connaître les interprétations actuelles de la Règle. Faire découvrir les valeurs de prière, lectio divina, travail. Accueillir et initier par la vie.
Carmélites : donner le sens d’une vie de foi, souvent vécue dans l’aridité, mais aussi dans un climat de louange, de gratuité, en solitude du coeur, mais aussi en communauté fraternelle - mystère de mort et de résurrection réalisme du quotidien.
Clarisses : faire découvrir une vie chrétienne toute simple, à la suite du Christ vivant. Une vie de relation personnelle, intime, avec Dieu, au sein d’une vie fraternelle silencieuse mais chaude et joyeuse, évangélique, alliant à la fois sens de la personne et souci de communion.
Dominicaines : montrer la fécondité de la Parole de Dieu grâce à l’écoute, au travail biblique, à la prière silencieuse. Montrer l’enracinement d’une vie monastique dans la tradition des Pères du désert. Faire l’apprentissage d’une vie fraternelle, de la complémentarité entre frères et soeurs.
Rédemptoristes : engager à la suite du Christ dans une vie de foi centrée sur le mystère pascal. Apprendre à durer dans la prière. Ouvrir à la vie fraternelle, aux horizons missionnaires.
Visitandines : faire faire l’expérience de l’accueil, de Dieu, de soi, des autres et du partage de la vie fraternelle, quotidienne, avec ceux qui nous approchent, dans l’Esprit (amour et joie).
Frères mineurs : présenter un visage heureux, de ressuscité, un comportement fraternel à la suite de Jésus pauvre, obéissant et chaste. Etre pour les jeunes, témoins de la personne de Jésus-Christ.
III - TBOISIEME JOURNEE : La Pastorale des Vocations et les moniales.
Aux carrefours, organisés par diocèses, on s’est interrogés sur les points suivants :
quels jeunes rencontrons-nous dans nos monastères ?
à quels signes pouvons-nous dire que notre monastère est ouvert au souci de toutes les vocations ?
comment travailler ensemble, SDV et moniales ?
Ce que la synthèse des carrefours a mis en valeur :
1. Nécessité de se connaître davantage, plus en profondeur, entre monastères et SDV.
La situation est assez inégale selon les diocèses.
a) des rencontres de l’équipe SDV peuvent se faire dans un monastère, dans un but de ressourcement et d’échanges. Une ou plusieurs soeurs peuvent alors y être invitées.
b) Une ou plusieurs contemplatives peuvent participer régulièrement à une équipe de religieuses et membres du SDV qui réfléchissent au sujet de la pastorale des vocations.
c) Il peut y avoir une invitation réciproque entre monastères et SDV à dire ce que nous sommes, ou même la possibilité pour un membre du SDV de venir vivre au monastère un court laps de temps, pour mieux sentir notre vie de l’intérieur.
d) L’information mutuelle peut encore se faire de diverses façons, par exemple, s’informer mutuellement des rencontres de jeunes qui peuvent avoir lieu, soumettre aux suggestions des contemplatives des programmes de session, envoyer dans les monastères des comptes rendus des travaux du SDV.
2. Des questions se font jour :
- la présence des moniales est-elle désirée, désirable, au sein du SDV ?
les SDV envoient-ils des jeunes rencontrer des monastères ? Leur font-ils connaître les divers lieux d’implantation des monastères ? Ont-ils le souci d’offrir aux aînées qui désirent une vie contemplative une possibilité de vie d’équipe, de fraternité, très nécessaire comme étape préalable ?
Inversement, les monastères sont-ils des lieux qui éveillent à toutes les vocations, à des responsabilités d’Eglise (même pour les garçons) ? Y a-t-il une pastorale des vocations au sein des monastères ? Est-elle une pastorale d’Eglise ?
3. Formes possibles de participation, de collaboration :
. Meilleur contact entre tous les monastères d’un diocèse, et travail plus commun entre religieuses apostoliques et contemplatives,
. participation à des équipes de réflexion (par exemple recherche sur vocations et ministères dans l’Eglise),
. participation éventuelle à l’équipe animatrice SDV tout en sachant les limites que nous impose notre forme de vie quant à la co-responsabilité active,
. accueil dans les monastères de groupes de recherche de jeunes,
. participation éventuelle des moniales à un accompagnement de jeunes, personnel ou collectif (session hors monastère par exemple),
. formation permanente : suivre d’éventuelles sessions pour accompagnateurs de jeunes, au plan régional ou national. Les moniales y sont encore très peu présentes.
Il faut, certes, sélectionner les urgences, mais aussi poursuivre le dialogue, oeuvrer ensemble en Eglise, dans la variété des situations locales.
D’après un compte rendu fait par les moniales.
Soeur Françoise GRANGIER, C.N.V.
N.B. - Les trois premiers témoignages peuvent être demandés dans leur intégralité au monastère de Ste Claire, 24, rue Ste Colette, 54500 VANDOEUVRE LES NANCY.
--------------------
(1) Il s’agit d’une "expérience" chez les moniales. Mais nous aurions pu, à en considérer le contenu, placer ce compte rendu sous la rubrique "recherches et orientations". [ Retour au Texte ]