Sécurités ou Espérance ? Homélie du Père St-Gaudens


Le Père Saint-Gaudens, évêque d’Agen, au cours d’une célébration eucharistique, nous a introduits aux vraies questions sous-jacentes à toutes les autres.

Bien des obstacles nous déconcertent... Mais si nous savions y reconnaître une invitation à mieux saisir le sens de la Parole de Dieu pour aujourd’hui ?
... bien des choses pourraient changer.

"Le Seigneur désigna encore soixante douze autres disciples et les envoya deux par deux en avant de lui dans toutes les villes et localités où il devait lui-même se rendre.

Il leur dit : "La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux ; priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson. Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des Ioups. N’emportez pas de bourse, pas de besace, pas de chaussures ...

. . . Le Royaume des cieux est tout proche . . . "
( Luc 10, 1-11)

Dans le mystère de la liturgie, ces paroles du Seigneur aux premiers disciples nous sont vraiment adressées aujourd’hui. Certes les circonstances de la mission des soixante douze disciples sont très particulières ; elles ne sont pas du tout les mêmes aujourd’hui. Mais l’appel du Christ - comme nos tentations - demeurent fondamentalement les mêmes.

Le Christ nous envoie en mission et nous voudrions bien avoir des sécurités, des assurances. Nous voudrions bien y voir clair sur ce qui nous attend. Et c’est parce qu’il nous arrive de succomber à ces tentations que nous sommes timides ou hésitants, parfois même paralysés ou découragés. Et nos vies ne sont pas appelantes pour d’autres apôtres.

Pour prendre conscience des conversions auxquelles nous sommes provoqués, j’ai retenu cinq tentations de sécurité qui se présentent à nous :

- Nous voudrions savoir de façon précise à quoi nous engage l’appel du Christ.

Or l’avenir de la société et de l’Eglise parait très incertain.
Qu’en sera-t-il concrètement demain de la vie religieuse, de la vie du diacre et du prêtre ?

Dans pareilles conditions, comment nous engager plus résolument nous-mêmes ? Comment oser appeler des jeunes ?

Mais l’aventure, le risque ne font-ils pas partie intégrante de l’Evangile ? "Viens, suis-moi..." Les Apôtres auraient pu refuser de suivre le Christ parce que ce n’était pas clair à leurs yeux. Ils sont allés d’étonnements en étonnements et d’événements imprévus à d’autres événements imprévus.

Mais ils faisaient confiance au Seigneur : "Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle."
De ce point de vue, les temps actuels ne sont-ils pas plus favorables que des temps plus calmes pour vivre l’aventure de l’Evangile ?

- Nous aimerions bien une tâche à notre mesure.

Or la tâche est immense et nous dépasse. On parle constamment des défis du monde moderne à l’Evangile et à l’Eglise.
Est-ce une raison pour ne rien faire ?
Ou est-ce plutôt une raison de plus pour nous engager sans perdre de temps, en donnant aujourd’hui au service de l’Evangile ce qui est en notre pouvoir ?
Ne rien faire parce qu’on est débordés : c’était la tentation des apôtres le jour de la multiplication des pains. Et le Seigneur leur demande d’apporter ce qu’ils ont. Ces petits pains et ces poissons sont bien dérisoires pour nourrir la foule. Mais le Seigneur fera le reste.
Croyons-nous fermement que nous sommes appelés nous-mêmes à vivre chaque jour pour le service de l’Evangile, l’émerveillement de la multiplication des pains ?

- Nous voudrions le témoignage d’une Eglise dont les membres soient fidèles à l’Evangile.

Or les hommes ont le spectacle des défaillances graves des chrétiens, des déficiences des institutions de l’Eglise. Si bien que certains croient pouvoir réaliser la fidélité au Christ en dehors ou en marge de l’Eglise qui leur paraît un obstacle à la rencontre avec le Christ.
Certes, on comprend cette tentation.
Mais y succomber, c’est méconnaître le Christ lui-même et le mystère de son amour qui va jusque là ; jusqu’à confier sa mission aux hommes pécheurs que nous sommes.
L’amour du Christ éclate mieux au moment des faiblesses de Pierre.
Nous ne rougissons pas des abaissements du Christ à Bethléem, à Nazareth, au Calvaire. Pourquoi rougirions-nous du Christ qui pousse plus loin la manifestation de son amour en acceptant de se compromettre avec nous dans l’Eglise ?
Paul crie en même temps sa détresse de pécheur et son action de grâces.
Au lieu d’être découragés ou scandalisés devant le péché, nous sommes appelés, comme Pierre et comme Paul, à mieux découvrir les dimensions illimitées de l’amour du Christ et à en être les témoins.
Et cette foi en l’amour du Christ nous rendra persévérants, tant pour notre propre conversion que pour la réforme de l’Eglise.

- Nous voudrions une Eglise qui soit unie.

Or voilà que l’Eglise apparaît divisée, éclatée. Et, pour cette raison, certains attendent la fin de la crise, pendant que d’autres se disputent ou se condamnent en se rejetant la responsabilité de ces divisions.
Et d’autres prennent leurs distances en partant sur la pointe des pieds, ou en se réfugiant dans des groupes plus ou moins séparés de la communion ecclésiale.
Au lieu de tomber dans ces diverses tentations, n’est-ce pas plutôt le moment de nous engager plus courageusement dans la vie et la mission de l’Eglise ?
Le Christ n’attend pas, en boudant, la fin de la crise. Il agit sans cesse. Le Christ ne prend pas ses distances, il demeure au coeur de l’Eglise, le Christ ne se réfugie pas dans des groupes isolés, car les diverses communautés ecclésiales sont membres solidaires de son corps mystique. Le Christ ne rêve pas d’une unité facile ou acquise, il offre sa vie pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés.
Au lieu d’attendre ou de fuir, saurons-nous accepter de le suivre sur le chemin de la croix pour rendre possible l’unité de l’Eglise ?

- Nous voudrions que le célibat soit reconnu et apprécié.

Or, on dit que le célibat consacré n’a pas de sens pour nos contemporains. Vaut-il donc la peine de l’accepter ?
Certes, nous devons participer aux recherches pour une meilleure intelligence du célibat qui tienne compte des progrès des sciences humaines.
Nous devons chercher de meilleures conditions pour vivre le célibat aujourd’hui. Mais nous ne devons pas oublier que la croix, comme l’ensemble de l’Evangile, demeureront toujours aux yeux des hommes "scandale" ou "folie".
Sans développer davantage ce point faute de temps, regardons simplement un témoin récent de l’Evangile : le Père de Foucauld a-t-il perdu son temps à vivre en plein coeur du monde musulman - pourtant si éloigné de ces réalités évangéliques - la dévotion eucharistique et le célibat consacré ? Loin d’y perdre du temps, il a manifestement répondu à l’inspiration de l’Esprit.
Nous allons maintenant célébrer l’Eucharistie.
Nous demandons à Dieu notre Père par le Christ Jésus d’être personnellement et communautairement, des témoins rayonnants de vie donnée au service de l’Evangile.
Comment être ces témoins ? En acceptant résolument de vivre l’aujourd’hui de Dieu et l’aujourd’hui de l’Eglise, sans perdre notre temps à rêver à hier ou à demain. Non, nous ne sommes pas, comme certains le disent, une génération sacrifiée. Nous sommes une génération de disciples du Christ appelés à vivre avec Lui, dans l’espérance, le moment présent.
Comment, par nos vies et la vie de nos communautés, avoir le courage et l’audace de relancer l’appel à la mission ? En ayant le courage et l’audace de renouveler chaque jour notre réponse à l’appel, dans la joie et dans l’amour de Dieu qui nous inondent à la mesure même des temps difficiles que nous vivons.