Réflexion théologique


QUELQUES REFLEXIONS D’ORDRE THEOLOGIQUE
APRES LE PARTAGE DES CARREFOURS.

Partons d’une image, celle de la Vierge Marie qui n’a pas compris tout de suite la réflexion de Jésus lors de son escapade au Temple, mais qui "gardait fidèlement toutes ces choses en son cœur". (Luc 2, 51). Le Père Congar y découvre l’attitude de l’Eglise qui ne comprend pas tout de suite, mais qui, au cours des siècles repasse inlassablement dans son cœur ce qu’elle sait de l’Ecriture et de la Tradition en confrontant cette connaissance aux leçons que les événements lui imposent.

Notre méthode de travail sera fidèle à cette démarche. Surpris, nous le sommes constamment, contemplatifs au cœur de cette surprise, nous avons à le devenir toujours plus. Nous essaierons d’accueillir les principales prises de conscience qui sont apparues hier soir et nous nous souviendrons en même temps de ce que l’Ecriture nous dit des appels de Dieu. Nous devinerons alors un peu mieux ce que nous avons à devenir ensemble.

Les compte-rendus de ces carrefours ont souvent noté le mot "Signe".

"Faire des foyers un signe"
"De quoi sommes-nous signe ?"

L’insistance avec laquelle les présentateurs ont repris ce même mot nous encourage à nous y attarder, d’autant plus que nous y sommes préparés par des expressions qui reviennent très souvent dans les textes officiels signés par les Evêques : "Eglise sacrement du salut".. "Eglise sacrement des appels de Dieu".

I - SAVOIR LIRE LES APPELS DE DIEU.

Il s’agit de permettre aux signes de devenir efficaces. Que le fait humain passe à une plénitude de signification.

Quelques expressions relevées dans les compte-rendus et dans notre partage : Carrefour 8 : "Une écoute des appels de Dieu".
Olivier parlait "d’accueil, d’écoute, de respect".
Christophe souhaitait que les éducateurs "soient plus attentifs aux jeunes, même à ceux qui apparemment ne participent pas beaucoup".
Jean Kita constatait : "Les enfants ont besoin de partager, de se confier, de confronter leur expérience à la nôtre".
Daniel Busato nous recommandait de savoir déchiffrer, de saisir le sens.

Qu’est-ce que cela suppose ?

1° - Etre présent.

Non pas seulement être là, mais communier à ceux dont nous partageons la vie, au monde des jeunes, au monde tout court. Trois mots importants peuvent résumer une bonne part des recommandations de Paul VI dans son "Exhortation" : "Présents, participants, solidaires". Ces trois mots, nous pouvons très concrètement essayer de les vivre au cœur de tous nos dialogues et dans toutes nos relations, dans l’humble complexité de nos échangée quotidiens. Notons en particulier le monde des jeunes, bien sûr, mais aussi celui des parents et celui de l’enseignement. Nous serons sensibles, en particulier à toutes les aspirations où l’homme manifeste son désir d’être plus pleinement lui-même. "Croissez", nous dit le Seigneur, dans le livre de la Genèse, il ne s’agit pas seulement d’être féconds, mais de croître en humanité, de devenir davantage homme. Ainsi les revendications à la participation, à la communion, cette quête d’un nouvel art de vivre, tout ce par quoi l’homme tend à grandir à travers les échanges, retiendront davantage notre attention.

De même que le corps de Jésus a tiré toute sa substance du corps de Marie, ainsi les appels de Dieu tireront substance de toute cette attente de l’humanité en chacun de ceux que nous rencontrerons. A cet égard, l’image du réacteur que Monsieur Havard (Rennes) avait prise est très significative. Le Foyer, : tel un réacteur, ne pourra exercer sa poussée que s’il accueille largement l’air ambiant.

2° - Libérer une parole.

Gardons à la mémoire tout ce que nous avons dit de l’écoute et tentons de comprendre les attitudes de Jésus dans ses-relations ordinaires avec les autres.

Jésus est moins l’homme qui parle que l’homme qui aide à entendre ce qui est déjà dit dans les choses, dans les gestes et dans les personnes.

Prenons quelques exemples : Les paraboles... Ce sont les réalités toutes simples qui parlent. Une graine qui pousse, une pâte qui monte, une brebis que l’on retrouve... Le Verbe se tait, mais il nous éduque à percevoir le message secret, la signification profonde.

La pauvre vieille qui met deux piécettes dans le trésor du temple (Luc 21, 1-5), la pécheresse (Luc 7, 36) : Jésus fait parler des gestes qui n’avaient même pas été remarqués.

De même, il fait exister les mots des petits, leurs trouvailles, (Hymne de jubilation, Luc 10, 21), il questionne la Samaritaine, Nicodème et même ses apôtres ; les réponses, ce sont eux qui les donnent. L’attitude de Jésus ne se comprendrait pas sans un "déjà là" du Royaume, sans la réalité d’une parole enchaînée (Verbum alligatum dont parle saint Paul) mais déjà présente au cœur de tout homme.

Ainsi, écouter quelqu’un, selon tout ce que nous nous sommes dits hier, revient peut-être à lui permettre d’exprimer ce qui est en lui et qu’il ignore. Cette parole lui aura permis de se révéler à lui-même. Ce n’est pas nous qui lui aurons dit qui il était, ni à quoi il était appelé.

Il est des personnes auprès de qui nous nous sentons exister davantage, elles ont ce don d’accueil et d’écoute qui nous guérit de nos démons muets. Mais nous faisons aussi l’expérience d’entretiens où nous reconnaissons qu’il y a "plus grand que nous". Dieu se dit dans toutes ces rencontres, mais d’une manière voilée et jamais tout entier. Cette Parole, nous avons à la reconnaître peu à peu et en Eglise.

3° - Reconnaître cette Parole.

Rappelons-nous au moins deux expressions entendues hier soir, elles valent la peine que nous nous y attardions.

"Tout appel est important"
"Pas un appel unique, mais beaucoup d’appels. (Jean Kita).

Pour avoir des chances de donner à ces mots le contenu qu’ils méritent, il faut nous reporter à l’Ecriture.

Nous avons beaucoup de textes à notre disposition, par exemple le mot de saint Paul : "Nul, s’il n’est habité par l’Esprit-Saint, ne peut dire : "Jésus-Christ est Seigneur" ; permettez que nous retenions surtout le chapitre 3 de saint Jean, l’entretien avec Nicodème.
"Nul, s’il n’est ensemencé d’en haut ne peut voir le Royaume"...

La traduction est trop précise ; au début de l’entretien, Jésus n’est pas aussi explicite. Naître, c’est aussi bien sortir d’une femme qu’être ensemencé par un homme et l’adverbe grec "anoten" peut aussi bien se traduire par "de nouveau" que par "d’en haut", mais à la fin de l’entretien, une seule traduction s’impose, c’est pourquoi je vous l’ai proposée tout de suite. Faisons confiance aux exégètes et retenons ce qui nous intéresse. Dans ce passage, nous trouvons une très belle évocation du mystère de Noël.

- Celui de Marie qui n’a pu donner Dieu au monde qu’après avoir été ensemencée d’en haut,

- Celui de l’Eglise qui vit le même mystère. (Nous noterons la question de Nicodème qui ressemble étrangement à celle de Marie : "comment cela se fera-t-il ?)

- Notre Noël personnel aussi, celui de notre baptême et celui de notre passage continuel à une autre manière de vivre et de voir dont le principe est reçu d’en haut.

Aussi bien pour vivre le Royaume que pour le voir, il faut avoir été ensemencé d’en haut. Nous ne pourrons être les témoins des appels de Dieu sans entrer dans ce mystère où nous sommes tout entiers compromis, sans accepter de renaître chaque jour à un regard nouveau qui transfigure et ressuscite les personnes et les situations.

Le critère, que nous ne rêvons pas, sera notre vie en Eglise, c’est-à-dire en communauté de chrétiens et en ouverture à l’universel. Ensemble nous avons reçu le Seigneur, ensemble nous en témoignons.

Le critère sera aussi que nous ne décollons pas de la vie des adultes et des jeunes, ni non plus des réalités quotidiennes auxquelles nous sommes sans cesse confrontés.

4° - Savoir, au nom de cette Parole, entrer en procès avec un certain nombre de choses.

Nous avons aussi beaucoup parlé des exigences que nous devrions avoir entre nous et avec les jeunes.

Il est sûr que les appels du Seigneur ne vont pas forcément dans le droit fil de nos aspirations. Un exemple tiré de la Bible pourra sans doute mieux nous éclairer que toute autre forme d’explication.

Moïse, dans un premier temps et très spontanément, voulait libérer son peuple ou du moins engager des actions qui allaient dans ce sens. (Exode 2, 11). Il tue même un égyptien qui maltraitait ses frères. Mais désavoué par ceux-là mêmes qu’il voulait aider, il s’enfuit au désert de Madian.

Plus tard, alors qu’il gardait les troupeaux de son beau-père Jethro, il s’entend dire devant le buisson ardent °. "J’ai vu la misère de mon peuple... va, je t’envoie auprès de Pharaon pour faire sortir mon peuple d’Egypte". (Exode 3, 7 et s.) Et Moïse, cette fois, ne veut plus se mettre à l’œuvre. Pourtant la mission reçue rejoint l’aspiration première, mais il n’y a pas tout de suite reconnaissance de cette continuité. Entre les deux, l’homme doit faire une culbute.

La parole de Dieu, reçue par Moïse, entre en procès avec un certain nombre d’éléments, représentations, souhaits, projets immédiats et Moïse discute. Mais cette rencontre fait aussi que, désormais, la mission est "accrochée" à quelqu’un d’autre et qu’elle sera vécue au nom d’un autre. Tout ce qu’il y a de plus profond en ce meneur de peuple est respecté et pourtant tout est transformé. Les exigences "libératrices" ne font que commencer.

Tout ceci est rendu bien plus manifeste encore en Jésus-Christ nouvel Adam et nouveau Moïse et dans l’Eglise, nouveau peuple rassemblé, signe du salut acquis de droit pour tous les hommes.

Ce qui est écrit en Majuscules dans l’histoire du salut, évoquée ici à gros traits, est écrit en lettres ordinaires dans nos communautés éducatives. L’histoire de toute vocation, c’est l’histoire d’un désir et d’un "accrochage" avec un autre désir venu de Dieu, qui transfigure le premier en le faisant mourir. Vivre en ressuscites, c’est mourir au vieil homme et se conformer à l’homme nouveau. La silhouette de l’homme ressuscité en Jésus-Christ, ce n’est pas n’importe quoi et comme notre vie est quotidienne, nous avons besoin de points de repère. Il y a des manières de faire qui sont conformes à cette nouvelle vie et à notre vocation et il en est d’autres qui seraient trahison. Ici apparaissent les exigences, mais il dépendra de notre liberté intérieure de les rendre sans cesse transparentes, jamais au service de notre pouvoir, toujours référées à l’œuvre de Dieu commencée en nous.

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II - ETRE SIGNE EFFICACE DES APPELS DE DIEU.

L’œuvre de Dieu, commencée en nous, va se trouver explicitée par la recherche que nous entreprenons maintenant. Cette recherche est commandée par une sorte de revendication générale de la session qui trouve son expression dans les déclarations comme celles-ci :
"Souci de créer une communauté totale, parents, éducateurs, jeunes". (un carrefour).
"Ils vivent (les jeunes) une forme de vie en Eglise, mais il faudra inventer un certain nombre de relations pour se sentir tous d’Eglise". (Marc de Bordeaux).

Accueillons cette revendication et donnons-lui tout son poids.

* Elle correspond à une exigence fondamentale de l’humanité déclarée dans l’Ecriture et reprise sous maintes formes actuellement.

- "Parle-nous, toi !" disaient les hébreux à Moïse au pied du mont Sinaï (Exode 20, 19).
Il semble que Dieu ait entendu cette demande, car il n’a cessé d’envoyer des prophètes qui ont parlé. L’auteur de l’épître aux Hébreux atteste l’importance que Dieu accorde à cette revendication. Il déclare aussi que Dieu y a fait droit en Jésus-Christ : "Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils... " (Heb. 1, 1).

- "J’ai parlé ouvertement... interrogez-les !" déclare Jésus à son procès. (Jean 18, 20).
Désormais, c’est à l’Eglise de parler, d’être signe visible où l’homme reconnaîtra le visage de son Dieu. "Maître, où habites-tu ? - Venez et voyez". (Jean 1, 38).

C’est peut-être sous cette forme que la question est maintenant posée à l’Eglise.

* Elle est reprise par une exigence fondamentale adressée à l’Eglise.
"On est isolé, anonyme... on cherche un style de relations vrai, où on puisse vivre en frères". (Olivier).
"Où est-ce que ça se vit ça ?" (un groupe de jeunes interrompant un prédicateur) .

L’Eglise parlera en étant elle-même, c’est-à-dire en reproduisant entre ses membres le type de relations que le Seigneur lui a demandé de vivre. Si nos communautés éducatives vivent ce type de relation, elles parlent, elles deviennent signes efficaces des appels de Dieu.

Le Seigneur ne nous a pas laissés démunis. Retenons trois textes et essayons "de les comprendre pour en vivre.

- Qu’ils soient Un comme nous sommes Un. (Jean 17).

- Je vous ai placés
pour que vous alliez
et que vous portiez du fruit. (Jean 15, 16).

- Vous êtes un sacerdoce royal
un peuple qui annonce
un peuple qui a acquis miséricorde et qui fait miséricorde. (1° Pierre 2, 9).

Il s’agit donc d’être entre nous comme les trois Personnes divines sont entre elles, selon les indications données par saint Jean ou par saint Pierre. Nous allons essayer de détailler cela.

1) Un sacerdoce royal.

L’Eglise est un peuple de rois qui ont reçu leur diadème d’un Autre. L’onction du saint Chrême au baptême signifie cela. Il s’agit bien d’une onction comparable à celle qui faisait les rois ; chacun de nous est roi, mais dans la mesure exacte où il se reçoit sans cesse du Seigneur.

. C’est un autre qui nous donne notre nom. Le nom, dans la Bible, c’est ce qui fait exister et c’est ce qui donne sens. "Il appelle les étoiles...et elles brillent joyeuses pour leur Auteur". (Baruch 3, 34). Adam a reçu son nom de Dieu. Ce n’est pas un nom tout fait, qui nous prédétermine absolument. C’est un nom que Dieu prononce avec nous, syllabe par syllabe, dans un dialogue d’amour et de liberté, tout au long de notre vie. Ainsi, pour être fidèle à la réalité vécue par Jacob qui lui résistait, Dieu lui propose un nom nouveau : Israël, c’est-à-dire : "tu as été fort contre Dieu". (Gn 32. la lutte avec l’ange). L’apocalypse (2, 17)nous dit bien qu’à la fin du combat de la vie, il sera donné au vainqueur un caillou blanc sur lequel sera gravé un nom seulement connu de Dieu et de celui qui le reçoit.

. Ce nom que nous recevons, c’est le nôtre, mais aussi le nom de Dieu. Autrement dit, Dieu engage quelque chose de lui-même, son honneur, sa vie, quand il nous propose de répondre à la vocation qu’il nous donne. Cf. Jérémie 14, 19 : "Nous sommes appelés de ton Nom" et Baruch 2, 15. : "puisque Israël et sa race portent ton Nom". Quand nous disons, dans le Notre Père, "que ton nom soit sanctifié !" nous n’exprimons pas seulement le souhait que Dieu soit honoré des hommes, mais nous demandons au Père de rendre explicite à travers notre vie le visage qu’il veut prendre pour nous et pour les hommes.

L’Eglise est une institution qui se reçoit d’un Autre. "Je vous ai placés",déclare Jésus (Jean 15, 16). Le prêtre est signe de cela. Signe du Christ-Tête, signe que les chrétiens sont réunis par un Autre, il a fonction de présidence. Mais il signifie aussi que l’Eglise, comme institution, tire son origine et sa vitalité de Jésus, Tête invisible.

En cela, nous reconnaissons que le premier aspect du péché originel est cassé. Si le premier Adam a voulu être l’artisan de son propre destin, c’est en se faisant obéissant jusqu’à la mort que le nouvel Adam devient le salut de tous les hommes et ouvre la voie nouvelle.

Ceci est d’une actualité brûlante. Aussi bien au plan personnel qu’au plan collectif, le langage spontané des hommes d’aujourd’hui déclare : "Je me suis libéré" ou "nous nous sommes libérés". Nous nous exprimons plus facilement en termes de conquête qu’en termes d’accueil et d’obéissance. Or tout le langage de la Bible répète inlassablement "Tu nous as libérés !". Et ce n’est pas seulement querelle de vocabulaire.

Si, du Concile Vatican I, nous retenons facilement l’idée que tout salut vient d’en haut, si l’image de l’Eglise que nous suggère le même Concile exprime facilement cette réalité, nous serions tentés, par contre, de durcir l’insistance de Vatican II et d’oublier cet aspect fondamental du mystère. Dans notre manière de nous organiser, dans notre vie de tous les jours et dans notre pédagogie, il faut qu’existe le signe vivant que nous nous recevons d’un autre.

Dans le relevé de ce que nous avons dit hier, je n’ai rien remarqué qui exprime cet aspect fondamental du mystère que nous avons à vivre. Il faut sans doute renouveler en nous ce point d’attention.-

2) Un peuple qui annonce, un peuple qui parle.

- C’est d’abord un peuple où on se parle.

Sur ce point, l’insistance des carrefours et des témoignages est très forte. Le mot Partage est revenu très souvent, de même les mots : Accueil, Disponibilité, Respect, Interpellation. Relevons aussi des expressions telles que : "Possibilité de s’exprimer au Christ Roi" (Christophe). "Nécessité que les tensions puissent se manifester pour que tous les groupes soient en relation" (Marc).

Nous reconnaissons là certaines aspirations fondamentales du monde d’aujourd’hui, telles que Vérité, Liberté d’expression, Participation.

Nous devinons aussi les pièges auxquels nous voudrions échapper :

. Dangers d’une Eglise où chaque courant se développerait indépendamment des autres, dangers d’une communauté où chaque membre se mettrait sous papier cellophane et se rendrait imperméable aux autres membres : "J’ai mon projet, que chacun suive le sien !". Si, dans l’Eglise, on ne se parle plus, ce n’est plus l’Eglise. Chaque membre va suivre son chemin, il deviendra sourd aux autres et à Dieu. Insensiblement, il se fera un NOM et obéira à son idéologie en croyant servir le Seigneur.

. Dangers d’une Eglise ou d’une communauté où l’unité est construite artificiellement par l’uniformité. Face au système libéral qui l’emportait dans la description précédente, on impose le système autoritaire. Il n’y a plus qu’un seul type de vocation qui est présenté aux jeunes, il n’y a plus qu’une manière de faire.. C’est le programme ou le règlement qui nous réunit, ce n’est plus Jésus-Christ.

Par contre, nous pressentons que si nous somme membres différents d’un même corps, vitalement réunis par le Seigneur, l’unité devra se construire et se manifester dans la reconnaissance de nos différences et dans l’accueil réciproque de nos richesses. Des vocations différentes, dans un même foyer, pourront être déclarées et reconnues, des rythmes différents pourront se manifester et être respectés.

A cela nous reconnaissons que Babel, le deuxième aspect du péché originel, est cassé. La Genèse (Ch 11) nous dit que les hommes ont voulu récapituler toutes leurs énergies autour d’un projet, qu’ils ont voulu se faire un nom et entrer, comme par effraction, dans le divin. La conséquence est qu’on ne se comprend plus. A la Pentecôte, par contre, chacun comprenait dans sa propre langue. Le signe que nous sommes conduits par l’Esprit du Seigneur est que nous ne nous désolidarisons pas les uns des autres.

- C’est aussi un peuple qui parle.

"Ne pas s’installer, ne pas vivre dans un cocon", disait Christophe. "Je vous ai placés pour que vous alliez", annonçait Jésus.

La parole est la pellicule de mots qui enveloppe la réalité qui est déjà signifiante par elle-même. Toute réflexion théologique sur les sacrements en vient à reconnaître une réalité qui déjà signifie (l’eau qui renouvelle, l’huile qui fortifie... ) et une parole qui explicite et prolonge cette signification. Si nous sommes sacrements du Salut, sacrements des appels de Dieu, ce que nous vivons concrètement doit déjà être une parole, un appel. Il ne faut pas parler si on ne vit pas. Il y a eu une inflation de mots qui rend maintenant l’Eglise peu crédible, et qui rend notre parole plus timide à présent. Trop timide, peut-être. Si nous adhérons à ce que nous avons dit plus haut et si nous essayons de le vivre, il faut parler. Le démon muet est aussi un démon. Nous avons perdu peut-être le langage du Kérygme et de la proposition. En essayant humblement de le dire à nouveau, nous nous mettons aussi sous la mouvance de l’Esprit.

3) Un peuple qui a acquis miséricorde et qui fait miséricorde.

Arrêtons-nous un moment à contempler la manière dont Dieu fait miséricorde. C’est Jésus qui nous révèle l’attitude de Dieu. Qu’il s’agisse d’exemples révélés, comme le Père du fils prodigue, ou de conduites directes suivies par le Christ, nous retrouvons toujours les mêmes traits : accueil, mise en vérité, pardon, réconciliation, résurrection et mission. Prenons l’exemple des fils de Zébédée qui briguaient des places honorables dans le royaume. (Marc 10, 35 et s.). Ils ne sont pas méprisés, ils sont accueillis et ouverts à un avenir inattendu (boire le calice). Ils sont aussi réintroduits dans la fraternité par la leçon que le Seigneur tire de l’événement : les maîtres doivent servir.

Ainsi nous comprenons mieux la mesure exacte de la miséricorde. S’aimer dans la miséricorde, c’est devenir responsables les uns des autres.

Le troisième aspect du péché originel est, lui aussi, démenti. Caïn, ne se reconnaissant pas responsable de son frère (Gn 4, 9), est contredit par le Fils qui s’est montré un frère pour que nous redevenions "fils".

C’est la vraie dimension du "Tous responsables". Faire miséricorde, c’est s’approcher, porter avec, faire exister, recréer la communion, donner et recevoir à nouveau. Etre responsable de la vocation des autres prend ainsi de multiples aspects. Hier, quand les jeunes nous parlaient de "trou noir", de désespérance, quand les adultes déclaraient être relancés dans leur propre recherche, quand nous nous reconnaissions attentifs à toutes les vocations, nous faisions bien le constat que nous existions les uns par les autres, animés d’un dynamisme que nous recevions tous du Seigneur, les uns par les autres. Saint Paul, au chapitre 4 des Ephésiens ou au chapitre 12 de la première aux Corinthiens, ne dit pas autre chose, sinon qu’il situe cette réalité dans l’ensemble du mystère. "Vivant selon la vérité et dans la charité, nous grandirons de toutes manières vers celui qui est la tête, le Christ, dont le corps tout entier reçoit concorde et cohésion par toutes sortes de jointure ... " (Ep 4, 15).

L’actualité de ce que nous essayons de vivre saute aux yeux, au moment où toutes les formes de dualisme font le constat de leur échec. Chaque fois que l’humanité s’est laissée enfermer dans des relations d’opposition antithétique, elle y a perdu en richesse de vie, elle s’est condamnée à exister moins. Prenons quelques exemples. Avec le Tiers-Monde, nous reconnaissons que la relation assistants-assistés est mortelle à toute véritable promotion de l’homme. Tous y perdent, les assistants et les assistés.

Nous commençons aussi à mesurer le déficit qu’il y aurait à laisser nos relations s’exprimer uniquement en termes de luttes de classes.

Toutes les autres formes de relations binaires : dévorants - dévorés ou, plus proches de nous, enseignants - enseignés sont préjudiciables à ce que nous devinons être la véritable condition humaine. La dialectique n’est pas une bonne clef pour expliquer les rapports humains.

Si humbles soient nos efforts, si modestes soient nos réalisations, s’ils reproduisent quelque chose des relations Trinitaires, ils disent une bonne nouvelle et sont appelants.

CONCLUSION

Nous disions en commençant que nous voulions être signe. En essayant de reprendre tout ce que vous avez dit, j’ai essayé de montrer combien il était important de référer ce que nous pressentions, non seulement à l’exemplarité de Jésus, mais au mystère Trinitaire. Nos foyers seront signe de cette vie Trinitaire et alors ils seront éveilleurs et médiateurs de vocations.

En déclarant cette perspective générale, je déçois peut-être ceux qui attendaient des directives plus concrètes, mais j’espère servir l’espérance qui est en chacun et libérer une inventivité plus riche que la mienne, selon des orientations qui ne pourront pas nous décevoir.

J. DUBREUCQ.