La pédagogie des sessions : essai de relecture
1 - Le Lieu d’où je parle
- Expérience personnelle et commune à travers le cheminement de quatre équipes de recherche 18-23 ans depuis 4 années,
- La responsabilité au plan régional, depuis bientôt 2 ans, d’être attentif à cette tranche d’âge de jeunes en recherche concernant un projet de vie religieuse ou de ministère presbytéral et de jouer le rôle d’aiguilleur dans la constitution des équipes.
- à partir de la participation à l’équipe d’animation de la session Saint-Benoît 75,
- enfin, à partir de l’écoute de ce qui a été dit et réfléchi hier.
Ce que je peux dire se situe donc au niveau de l’accompagnement dans la recherche, avant et jusqu’à toute décision de choix de vie (vie religieuse, formation vers le ministère... ou autre décision).
C’est donc une certaine lecture nettement marquée par les différents jeunes rencontrés et le type de démarche qu’ils font et qui est caractérisée par l’expression personnelle de leur projet de vocation : "j’ai pensé être prêtre... je souhaite être prêtre, religieux... je cherche du côté de la vie religieuse... quel service je peux assurer dans l’Eglise... Le Seigneur m’appelle...
Il s’agit de pédagogie des sessions, c’est-à-dire de la manière de faire, de procéder des animateurs et des accompagnateurs pour permettre une expression et une certaine vérification de la vocation.
Je reprends l’expression d’un carrefour : "la pédagogie, c’est un certain nombre de moyens mis on place pour aider une décision, quelle qu’elle soit... des moyens ni trop contraignants, mais assez fermes (respect de leur liberté, points de repère qui structurent)."
II - LES CONDITIONS D’UNE PEDAGOGIE
Ces moyens doivent tenir compte d’un certain nombre de conditions (les a priori qui sous-tendant l’action).
1) Psychologiques : de la sensibilité psychologique des jeunes actuellement très chatouilleux de leur liberté et de leur capacité de responsabilité de se prendre en charge, refusant a priori toute session-enseignement qui ne prendrait pas en compte d’abord leur expérience, leurs questions, leur requête ; qui prend en compte aussi le désir profond de communiquer, de s’exprimer, de vivre ensemble une certaine expérience de vérité.
2) Culturelles : de la sensibilité culturelle qui semble mettre en valeur la démarche inductive plus que déductive et qui souhaite un cheminement réflexif à partir de l’expérience vécue mais qui ne se contente pas pour autant de simplismes. Sont souhaitées rigueur et cohérence : là où c’est sérieux, intellectuellement, il se passe quelque chose.
3) Ecclésiales : de la pratique ecclésiale découlant de Vatican II et qui a revalorisé la place, la mission, la responsabilité apostolique de l’ensemble du Peuple de Dieu et qui situe les ministères ordonnés dans une perspective de responsabilité, de service et de communion, et non en termes de hiérarchie et d’autorité.
Perspective reprise par le document de Lourdes 1973 "Ministère presbytéral dans une Eglise toute entière ministérielle ?". Reprise aussi par "Tous différents, tous serviteurs".
4) Théologiques : enfin, à cause de la primauté de la vie de Foi sur le discours exprimant la Foi (primauté du théologal, qui est expérience de la Foi vécue sur le discours théologique), cette expérience qui est animée par l’Esprit source de Foi, d’Espérance et de Charité.
Le discours réflexif, rationnel et nécessaire partant de l’expérience du travail de l’Esprit au coeur du la vie des hommes et du monde : aujourd’hui, ce discours est second.
Il y a une antériorité de l’histoire vécue des personnes et des groupes dans la mouvance de l’Esprit en Eglise sur la discours qui rend compte de cette foi vécue. Il y a une histoire sainte à lire et à déchiffrer avec les mots de notre temps. Elle sera à confronter à quelque chose de normatif qui est la Vie, la Mort et la Résurrection de Jésus-Christ exprimé à travers une expérience ecclésiale des premiers temps apostoliques qui font l’expérience de leur foi au Christ ressuscité vécue en Eglise dans un monde social, culturel et politique précis.
Derrière cette proposition, il y a un enjeu pédagogique qui n’est pas opportunisme en fonction. des modes du jour, mais qui est la manière même de faire du Christ avec les hommes, de Dieu avec son peuple, se révélant non à partir de concepts et d’un savoir à communiquer (une initiation) mais d’une expérience historique et vitale d’alliance à reconnaître et à accepter (communion).
Je voudrais simplement épingler quelques situations vécues qui essaient de tenir compte de ces quatre propositions énoncées précédemment.
En session, l’expérience de partage est vécue dans une durée (persévérer), dans une histoire vécue ensemble permettant une certaine expression en vérité et une confrontation.
Un vécu ensemble est capital, même s’il est passager.
Il y a pour se faire un jeu entre le grand groupe (16) et les équipes constituées indispensables (5). L’équipe est suivie par un animateur qui est accompagnateur, témoin de ce qui s’y passe, mémoire de l’histoire commune (personnes et groupe) et qui, lui-même, est amené à s’impliquer dans ce qu’il est amené à dire.
Dans cette expérience de partage, il y a une expérience de désappropriation du projet, pour le confier et le situer dans un ensemble en acceptant de commencer à le vérifier au regard des autres (devenir vulnérable).
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III - QUELQUES LIEUX DE PASSAGE NECESSAIRES (vécus ou à vivre)
exprimés par un binôme de mots et d’expressions relevés à partir de nos échanges.
1. Se connaître et se reconnaître (entre eux et personnellement) dans l’équipe. Expression longue de l’histoire personnelle et des motivations de la dite vocation. Expérience de la diversité à vivre et à accueillir.
- pour une certaine contemplation : l’Esprit Saint EST agissant histoire sainte
- pour une certaine relativisation : d’autres histoires, d’autres cheminements, d’autres expressions. Le monde et l’action de Dieu sont pluriel.
Enjeu important quant à la maturité de l’intéressé (capacité d’affrontement) et pour l’Eglise en 1976 et de demain.
2. D’une expression subjective à une confrontation objective dans ce qui est vécu et dans les motivations de la vocation :
- par la rencontre des autres, de leur expérience, de leur parole (conflits)
- par la rencontre de la Parole d’un Autre accueillie pour elle-même à travers l’expérience d’une communauté qui la livre (méthode de lecture, approches plus rigoureuses.., exégèse).
- par la rencontre d’une Eglise (lieux ecclésiaux).
- par la rencontre d’un Autre, le Tout-Autre qui n’est pas la projection de moi-même qui est connu et accueilli dans une démarche de reconnaissance de lui-même (amour).
Accepter d’être vulnérable, et donc de vivre une certaine pauvreté.
En même temps que l’accueil d’une cohérence et d’une rigueur qui structurent au-delà de l’émotivité).
3. De l’idéalisme au réalisme
Permettre l’expression dans le partage et la confrontation, non pas en termes idéaux de ce qui devrait être, mais en termes de ce qui est vécu en réalité en positif comme en négatif ; non pas le point d’arrivée, mais le cheminement concret.
La rencontre des autres permet une certaine conversion au réel.
"Dis ce qui est et non ce que tu voudrais qui soit".
4. De la dimension personnelle de la vie et du projet à la dimension collective et ecclésiale de cette vie et de ce projet.
de la solitude à la solidarité... (des gens situés, question de maturité).
Reconnaître :
- les solidarités humaines : d’où viens-tu ? Qui t’a façonné : événements, personnes, avec qui es-tu en lien ? où et avec qui te compromets-tu ?
Percevoir le "là où je suis", le "avec qui je vis". Les liens vitaux ne sont-ils pas aussi porteurs d’appels ?
- l’expérience ecclésiale déjà vécue ou absente - lieux, expériences, engagements... vérifier ou promouvoir.
Responsable d’un quoi faire pour (exprimé de cette manière) vers un "comment être avec".
5. De la vocation sacerdotale à la vocation baptismale ce qui peut paraître paradoxal quand on sait le pourquoi de ces sessions.
Bien souvent, la vocation presbytérale est envisagée consciemment ou inconsciemment comme la pleine réalisation (idéalisée) de la vie chrétienne et évangélique. Il semble que la vocation baptismale et le sacerdoce des baptisés sont allègrement enjambés (poids de l’histoire, nouveauté de Vatican, pas encore entrée dans les moeurs...) Il y a une révolution copernicienne à faire, à remettre les hommes chrétiens débout... afin de passer dans les faits, les moeurs et donc dans les mentalités, d’une Eglise presbytérale à une Eglise peuple de Dieu responsable de la mission apostolique.
Derrière cela, on peut ressaisir une fragilité sur leur cohérence - foi et vie - et sur leur structuration interne de leur foi vécue.
Les témoignages, mais aussi la connaissance des textes du Concile sont nécessaires.
6. De l’incertitude à la décision.
- information sur les moyens et les lieux
- proposition de décisions à court et moyen terme
- l’accompagnateur presbytéral nécessaire.
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EN GUISE DE CONCLUSION
Aujourd’hui, ces sessions (ainsi que les équipes où se vit un même type de démarche mais plus hachuré dans le temps) sont nécessaires, indispensables pour l’accueil de ce type de démarche afin de permettre une opération clarté et décision.
Mais pour un certain nombre de participants, ces sessions et ces équipes ne sont-elles pas des lieux de suppléance, dans la mesure où, pour leur vie de chrétiens et leur responsabilité apostolique, ils ne trouvent pas - là où ils vivent et où ils agissent - équipes ou mouvements leur permettant révision de vie et approfondissement.
Inversement, un certain nombre de chrétiens baptisés ne pensant pas nécessairement à la vocation sacerdotale ou religieuse, souhaiterait ce type de session.
Double question qui interroge, avant la pastorale des vocations, notre pastorale habituelle.
Bernard BIERI
S.D.V. de Créteil