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Des enfants... des projets
I - LES ENFANTS ?
a) Ce sont des explorateurs et des vagabonds
- des explorateurs insatiables, téméraires, curieux. Ils se servent de leur intelligence comme des scientifiques. Toutes leurs énergies sont tendues vers la connaissance. Ils essaient, ils s’essaient, essaient à nouveau, échouent et recommencent avec une patience infinie. Ils sont toujours exposés au "danger", parce qu’ils se risquent dans un monde d’adultes, fait pour les adultes, qui les regardent eux, les enfants, d’abord et avant tout comme des "pas encore adultes". Ils sont donc toujours aux prises avec des personnes, des objets, des situations souvent difficiles, parfois écrasantes, voire effrayantes.
- des vagabonds, ils le sont de par leur curiosité permanente pour toute chose et par le désir de vivre toute expérience dans l’instant même. Ils sont toujours fortement attirés par leurs semblables, garçons et filles du leur âge. Pour passer du temps avec eux, ils sont prêts à affronter tous les risques, tous les rejets violents - trop petit, trop noir, trop pauvre, trop handicapé -. Leur vie ensemble est toujours précaire, jamais définitive ; ils n’y prêtent pas attention et sont toujours prêts à recommencer.
De tels êtres - explorateurs et vagabonds - qui sont aussi quotidiennement intrépides, méritent d’être accompagnés inconditionnellement.
C’est-à-dire pas d’abord parce qu’ils sont "mes" élèves, "mes" catéchisés, "mes" fils et filles d’aujourd’hui que j’ai surtout un souci de préparer pour être les hommes, les citoyens, les chrétiens de demain. Mais parce que dès aujourd’hui, pour aujourd’hui, on doit leur donner les "moyens" et le "matériel" nécessaire à leurs explorations et - comme pour des chercheurs - en respectant leurs zones d’autonomie et de responsabilités.
Les expériences qu’ils font sont fragmentaires, parfois inexpliquées et mal situées par rapport aux acquisitions dirigées. Elles s’appuient surtout sur deux types de processus psychologiques complémentaires : l’imitation et l’identification.
b) Les enfants apprennent beaucoup par imitation, en procédant d’ailleurs à de multiples essais et de fréquentes erreurs.
- Courir et fermer une porte s’apprend par des expériences successives,dont les erreurs - souvent douloureuses - ont besoin d’être corrigées.
Le langage s’apprend par imitation. Il nous démontre bien quel niveau d’attention et de perfection l’enfant peut atteindre dans l’imitation.
Il est en mesure d’imiter les nuances les plus subtiles du langage qu’il entend parler et de reproduire les sons et les accents avec une exactitude stupéfiante. Il introduit des variations personnelles dans la langue et dans l’accent qu’il entend parler. Par sa manière d’utiliser les mots, de construire les phrases, il crée un jargon bien à lui.
L’imitation de tout autre comportement procède, chez les enfants, du même mécanisme ; ils imitent avant tout les personnes qui sont proches d’eux, et ensuite d’autres modèles, sans pour autant cesser d’imiter les premiers. Ils introduisent dans ce processus des variations personnelles dues à leur singularité psychologique, à leur appartenance sociologique et à la culture dans laquelle ils baignent. Cette faculté d’imitation, croissante aux premières années de la vie, va décroître progressivement avec l’âge, faisant place à un phénomène plus profond : l’identification.
L’imitation reproduit après l’avoir observé, un comportement, une attitude, pour le répéter jusqu’à atteindre une perfection imitative.
L’identification est un processus psychologique par lequel l’enfant assimile un aspect, une propriété, un attribut, un mode d’être, de penser et de vivre. Totalement ou partiellement, intérieurement et/ ou extérieurement l’enfant se transforme sur ce modèle.
Lorsqu’on y regarde de près, nos personnalités ne sont-elles pas constituées et différenciées pour une bonne part par une série d’identifications personnalisées : camarade d’enfance, parent, professeur, voisin, héros réel ou imaginaire... ? L’identification a un soubassement affectif très fort qui me fait attacher à celui que je prends, que j’adopte pour modèle, qui me fait vouloir être comme lui...
Arrêtons-nous sur deux "véhicules" des modèles que sont, dans la vie des enfants, le jeu et la lecture.
c) Chez les enfants, la tendance à jouer est innée, mais les modes d’expression du jeu, ses règles ses objets sont des produits culturels qui constituent uu patrimoine, et qui se transmettent de génération en génération par les adultes à l’enfant et par "les plus grands" aux "plus jeunes".
Jean CHATEAU écrit très justement : "les jeux inventés sont rares et éphémères. La plupart du temps, l’invention se limite à des modifications involontaires chez les petits, et à des modifications progressives et très limitées chez les grands de 12 ans et plus. C’est le groupe qui fournit les rites qui concernent le geste et la voix.
Or, ces rites proviennent, pour la plupart, des adultes. On retrouve fréquemment dans notre passé et dans les tribus primitives la source des jeux pratiqués par les enfants."
Comment des milliers d’enfants ont-ils aujourd’hui la possibilité de reconstituer l’univers, le nôtre, de le rendre malléable en imagination ? Regardons une vitrine de jouets et la multitude d’objets miniaturisés qui y trônent : moyens de transport par terre, par air, par mer ; armes de toutes sortes et de tous calibres ; panoplies du "parfait" petit chimiste, charpentier, infirmière ; minis-appartements pour poupées, mini-appareils ménagers, mini-landaux pour et avec poupées qui pleurent, qui marchent et qui chantent... etc., etc.
Si l’on regarde les livres ou les textes écrits pour enfants, on retrouve des personnages idéalisés incarnant, comme pour les jouets, les conceptions des adultes, les "valeurs" propres auxquelles ainsi les enfants vont "s’initier." La plupart sont créés en fonction de nos propres centres d’intérêt, de nos propres représentations des enfants s’appuyant sur le fait que les enfants sont d’abord et avant tout en situation transitoire, instable, temporaire, et que l’on peut à volonté les mobiliser en vue de demain, de leur devenir, d’un devenir dont nous voulons, nous, définir préalablement et le plus précisément possible les voies et les contours. Comme si notre propre vie aujourd’hui d’adultes n’était pas elle-même "un passage", une"situation évolutive permanente", fonction de nos divers réseaux de relation et de mise en communication.
d) Dispersion et pauvreté des modèles de vie.
Les enfants sont écrasés sous l’abondance des personnes et des personnages qui évoluent autour d’eux. Mais personne n’émerge vraiment.
Cette multiplicité des "modèles potentiels" ne semble pas simplifier les difficultés d’identification. Si nous évoquons tous les facteurs de non-stabilité de l’image-adulte aujourd’hui, cela n’a rien pour nous étonner : mobilité professionnelle, mobilité du logement, mobilité des systèmes de valeurs, de références mis en question à des titres divers, mobilité ou plutôt multiplicité de l’information, mobilité ou transfert des normes d’autorité traditionnelle, vulgarisation de la psychologie qui engendre des doutes de tous ordres sans toujours offrir des voies de réflexion positive. En bref, divergence radicale entre les modèles d’enfance auxquels les parents étaient attachés et de nouveaux modèles, un voie d’élaboration, et donc flous, imprécis et jamais définitifs.
Ces déficiences créent en nous et pour nous des crises d’identité personnelle, qui se nouent de plus en plus tôt et qui fait dire à certains éducateurs ou cliniciens : les jeunes sont sans projet. Le mot "projet" ayant ici ou là pour substitut le terme "idéal".
Je crois qu’il y a toujours latent, parfois étouffé ou habilement canalisé, un ou des projets, des motivations sur ce qui est essentiel, ce qui est important pour les enfants, sur ce qu’ils veulent pour eux-mêmes et pour le monde. Mais trouvons-nous toujours les moyens d’en faciliter l’émergence, l’explicitation et la recherche créative des réponses pour aujourd’hui et des voies pour demain.
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II - DES PROJETS POUR AUJOURD’HUI
De récents travaux menés au service pédagogique de Fleurus signalent et prouvent que des enfants, des pré-adolescents - qui, quoique lecteurs de Fripounet ou de Formule 1, ne sont pas différents des autres garçons et filles de leur âge - manifestent ce qui est pour eux vital et essentiel dans la vie.
En particulier, une étude sur "les enfants de 8 à 11 ans et leur vie familiale actuelle et future", qui a donné lieu à un livre intitulé "les 10 ans", publié sous la plume de Claude ULLIN aux Editions Fleurus. Cette étude montre comment les enfants, à une société fondée sur l’avoir, veulent substituer un monde bâti sur l’être ; à une société très et trop individualisée, ils veulent construire un monde basé sur la communication vraie, le dialogue et l’échange ; à une société au rythme de vie effrénée, cadencée, robotisé, ils veulent édifier un monde où l’on prend le temps de vivre ; à une société qui engendre par son progrès des marginaux de plus en plus nombreux, ils veulent opposer un monde solidaire, plus juste et plus égalitaire.
Aspirations générales significatives de la générosité de l’enfance ? C’est plus fondamental que cela, d’autant plus quand d’une façon plus ou moins implicite, cela engendre des projets de vie. Ces aspirations d’aujourd’hui sont le soubassement aussi de ce qu’ils bâtiront demain.
De telles perspectives sont porteuses d’aspects affectifs, sociaux, éthiques évidents. Elles s’appuient, pour ceux et celles qui les formulent, non sur des abstractions mais sur le monde ambiant qu’ils appréhendent comme un vaste champ d’expériences, d’investigations et au sein duquel un projet de vie peut prendre corps et signification.
Un projet dont il faut localiser les motivations en les reliant à tout ce qui fait la vie et l’appartenance sociologique et donc culturelle de celui ou de celle qui l’exprime.
Un projet qu’il faut informer. Las choix de l’enfance sont souvent entrevus comme une tâche à remplir, une activité à exercer à l’âge adulte. Ces choix se fondent sur l’imagination ; ils sont très liés aux identifications et s’effectuent dans le dépendance du cadre familial. Informer ces choix, c’est au fur et à mesure de l’évolution psychologique nécessaire, aider à ce que se décryptent les centres d’intérêt, les capacités ; aider à passer du subjectif au réel, mais en préservant et en éduquant les motivations de départ.
Si nous ne pouvons savoir avec certitude pourquoi tel enfant, tel pré-adolescent formule tel projet de vie, et de telle manière, nous pouvons l’aider à trouver, à expliciter les motivations qu’il a en lui et leur donner les chances de se former harmonieusement, d’acquérir l’ampleur nécessaire... Cela et cela seul peut permettre, me semble-t-il, une certaine continuité dans le,"projet", compte tenu des circonstances changeantes dans lesquelles le projet s’établit, se dit et évolue : le temps, l’espace, l’histoire personnelle et collective...
Ce que l’enfant ou le pré-adolescent éprouve, fait, observe, ce qu’il apprend, ce qui l’intéresse, donne à son projet un autre visage, une autre dimension. Eduquer cette clairvoyance quotidienne, c’est - quel que soit "le métier" qui, à terme, en assurera la cohérence - aider à la construction pour aujourd’hui et pour demain d’une personnalité active, efficace et responsable.
Le groupe de "pairs" est certainement le lieu permanent de cette évolution et de ces successives évaluations du projet, pris sous l’angle de ses motivations. C’est là que le pré-adolescent ou le jeune fait le plus grand effort de clarté et où il peut le mieux redouter de solliciter l’avis et le concours des autres.
C’est l’enjeu d’une telle communauté qui a été souligné dans la plaquette "Sur les chemins de la vie...", publiée par l’A.C.E, en collaboration avec la Centre National des Vocations en 1973.
C’est une telle attitude et de tels lieux qui, en ce qui concerne plus précisément les projets de vie sacerdotale ou religieuse, favorisent la découverte des appels de Dieu dans l’histoire individuelle de chacun. En respectant l’histoire collective à laquelle un enfant ou un pré-adolescent participe, en respectant la lenteur et les imprécisions des cheminements humains. C’est une telle attitude qui évite de marquer d’un "sceau" une quelconque pré-destinée pour tel enfant ou tel pré-adolescent.
C’est une telle attitude qui peut assurer une certaine continuité dans la recherche et la détermination d’un projet de vie, non pas en en rejetant au fur et à mesure des circonstances las éléments, mais en les recomposant en une synthèse nouvelle chaque fois que c’est nécessaire.
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III - DES "ACCOMPAGNATEURS"
Qui que nous soyons - parents ou prêtres ou religieux(ses) - les enfants et les jeunes, bien plus que nous le pensons, nous imitent et s’inspirent de nos attitudes. Nos intonations, nos tics, nos gestes, nos façons de réagir, ils les observent quasiment "à la loupe". Les instances directives de leurs personnalités se forgent en même temps qu’ils nous voient vivre devant et avec eux.
La considération pour les autres, le sens du bien commun, le respect de la parole donnée et des engagements pris, les points de repère auxquels il vaut la peine du se référer, la joie de vivre et l’humour au coeur de l’existence, si notre propre vie - de laïc, de prêtre, de religieuse - ne les manifeste pas, ils ne seront pas crédibles.
C’est à ce prix - nos actes plus que nos "discours" - que des enfants et des pré-adolescents peuvent découvrir, apprendre, voire retenir ce que tel style de vie professionnel, familial, religieuse implique d’efforts, de luttes, de joies et d’espoirs.
Laissons-les, les enfants, nous voir "fonctionner", ne les trompons pas en feignant la perfection, nos imperfections peuvent être pour eux des appels dynamisants pour aller plus loin, pour faire mieux peut-être.
Quand nous ne sommes pas à la hauteur, ne nous voilons pas du masque de nos certitudes et cherchons avec eux. Ne pourraient-ils pas être en bien des domaines sinon des "maîtres", du moins des "modèles". Dans le numéro 8 de sa revue "Perspectives", le Centre Etudes et Perspectives écrit à propos de "l’enfant et de l’avenir" : "il faudra dans l’avenir, de plus en plus d’hommes capables de modeler le présent, d’infléchir les événements sans éluder les difficultés. Cela suppose que jeunes, ils auront appris à désirer fortement et seront exercés à terminer les tâches entreprises. De même, le monde futur s’annonce comme celui des groupes nombreux, du travail en équipe, des échanges incessants. Il faudra pour coopérer, partager et convaincre, avoir triomphé de la mollesse ou de l’avidité naturelle, avoir acquis une sociabilité et une générosité réelle."
Oui ! Dans le respect du patrimoine culturel propre à chaque enfant et à chaque pré-adolescent, compte tenu du "collectif social" auquel il appartient, nous sommes appelés à accompagner des "chercheurs" qui, pour bâtir leur avenir et en être responsables dès aujourd’hui, n’ont plus seulement à apprendre ce que d’autres ont fait mais à apprendre à faire ce que d’autres n’ont pas encore fait.
Ne plus éduquer pour assurer la pérennité des sociétés et des rôles sociaux ou religieux mais pour solliciter l’éclosion de "l’adulte" chez l’enfant, pour de nouvelles réalités sociétaires et ecclésiales, c’est la vaste tâche pour laquelle je me sens et me suis engagé. C’est le sens d’une action, peut-être d’une vie. Puisse-t-il être aussi le vôtre ?
Gérard QUITTARD