Evaluation et Questionnement


Evaluation et questionnement (1)

Nous allons réfléchir à partir du matériau qui vient d’être apporté ce matin, en rappelant quelques aspects de ce que nous avons fait hier.

J’ai cinq mots en tête : pratiques, personnel, relationnel, histoire, vocation, et j’ai envie de les faire jouer sur ce matériau.

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l - LES "PRATIQUES"

Nous avons échangé sur nos "pratiques", c’est-à-dire sur ce que nous faisons, et comment ces pratiques sont en prise sur des situations bien concrètes qui sont celles que nous vivons dans le contexte dans lequel nous sommes avec les enfants ou les jeunes que nous rencontrons... Notons bien qu’en même temps que nous avons rapporté nos "pratiques", nous avons parlé de nous-mêmes ; c’est bien évident, parce que la personne est toujours en cause dans ses pratiques.

Je pense qu’il y aurait une méthode "courte" qui consisterait, ayant mis ensemble ces pratiques, et ayant dit en les rapportant, ce que nous sommes, nos représentations, ce que nous pensons, à tirer les convergences. On penserait alors, parce que des éléments se retrouvent à plusieurs endroits différents, qu’ils ont plus d’importance. C’est vrai, mais il faut se garder du piège des convergences trop rapidement affirmées et valorisées. Il y a des comptes rendus de carrefours qui se rapprochent très fort ; mais n’est-ce pas en raison des deux expériences particulièrement signaficatives d’hier matin ? (2)

Il faut introduire de la distance par rapport aux convergences ; il y a aussi un certain nombre de questions qui ont été posées, un certain nombre de différences qui ont été signalées : il est important de faire attention aux, différences autant qu’aux convergences. En particulier, quant au contexte des deux expériences d’hier matin ; pour l’une, on a beaucoup parlé du nombre de ces enfants qui participent à l’enseignement catholique, des institutions d’Eglise, cela a été dit d’entrée de jeu, qui ont encore une foce certaine... pour l’autre expérience, le contexte était beaucoup plus urbanisé, les institutions chrétiennes allaient beaucoup moins de soi, encore que l’aumônerie de lycée soit une institution chrétienne. Mais c’est une institution d’un autre type.

Voilà ce que je voulais dire à propos des pratiques. Je voudrais encore qualifier ces pratiques du terme joint de "catéchétiques". C’est vrai qu’on a évoqué d’autres activités pastorales, les mouvements, les célébrations liturgiques, les liens avec la paroisse, l’enseignement catholique, etc. Mais il s’agissait des enfants pour lesquels le catéchisme est important et le thème de notre travail était "catéchése et vocation". Il aurait été "liturgie et vocation", les expériences auraient été les mêmes mais relatées davantage sous le biais liturgique, etc. On n’aurait pas dit ds choses forcément différentes mais ce qu’on aurait apporté aurait été coloré par le thème de travail. Cette remarque était destinée à situer ce que nous avons fait.

Je signalerai à ce sujet deux ou trois questions qui couraient sous la réflexion : par exemple, le fait de ne pas rester à l’enfance pour l’enfance. Ce serait un des pièges de notre thème "catéchése et vocation" que de se cantonner à la période de l’enfance car finalement, la catéchése devient le catéchisme ; or le catéchisme n’est qu’une forme particulière de catéchèse et il pose pas mal de questions ; la vocation à ce moment là devient, puisqu’il s’agit d’enfants, projet de vie : qu’est-ce que je ferai plus tard, est-ce que dans l’éventail des possibilités, je serai ceci ou cela ? Si nous parlons de vocation pour des gens de 40 et 50 ans, il est s0r que les choses sont différentes. Derrière notre thème par contre, catéchése et vocation, saisi à l’âge de l’enfant, nous touchons le rapport entre un monde adulte et le monde de l’enfance et nous savons combien ce rap- port évolue. Cela se manifeste entre autres, par la crise des systèmes éducatifs...

Par rapport à la catéchése, on a bien ssnti aussi toutes les questions qu’il peut y avoir : la catéchèse, est-ce que c’est un message à transmettre ? Est-ce que c’est une recherche commune de foi ? Et comment se joue "la cohérence" pour reprendre le mot d’hier soir, entre le vécu et le message chrétien, la parole de Dieu ?

Enfin, une troisième question qui traverse aussi notre réflexion : le contexte actuel de l’Eglipe en relation avec le monde actuel. D’un côté, nous avons la défection de prêtres, qui a été fortement appuyée, nous avons le fait que la foi ne va plus de soi (des enfants de 6° disent qu’ils n’y croient pas) ; nous avons la désintégration de l’institution. D’un autre côté, nous avons tous les dynamismes du monde actuel à propos de le justice, de la libération, et la présence de chrétiens dans ces dynamismes. Là encore, il ne faut pas faire l’économie de ces réalités.

Dans nos pratiques, il faut donc voir les convergences mais aussi les différences ; d’où le nécessité d’une analyse un peu plus fouillée de ces "pratiques" en les regardant de plus près : les relations éducatives par exemple, les finalités de la catéchèse puisqu’il s’agit de pratiques catéchétiques, le contexte de l’Eglise et du monde...

Il - "PERSONNEL"

Je vais proposer pour essayer d’y voir un peu plus clair, deux séries de mots : autour du mot "personnel" et autour du mot "relationnel".

Autour du mot "personnel", je mettrai tout ce qui concerne la vocation au sens personnel. D’abord des données psychologiques : par exemple, d’après les données de la psychologie génétique (on s’est situé à 10-11 ans), est-ce que l’enfant a un projet de vie à l’âge considéré ? Et puis, on a cherché à voir comment l’enfant s’identifiait ou se projetait, comment jouent ses désirs, etc. Plus profondément, il y a une psychologie des profondeurs. Ce qu’on a dit par la suite à propos d’une catéchése-appel-réponse, est très personnel : est-ce que tu t’es senti appelé ? a-t-on demandé à l’enfant. Et l’enfant a dit des expériences d’appel. Certains ont répondu, d’autres non ; eux-mêmes en quelque sorte ont pris une option de répondre ou de ne pas répondre. On a évoqué aussi l’expérience spirituelle qui relève du domaine très personnel. Encore un mot que nous avons employé : le mot "être".
On l’a opposé au mot "faire". Enfin le mot "identité" en particulier, à propos du prêtre. Je pousse encore d’un cran ; on a évoqué la gratuité ; je voudrais citer la vie consacrée. C’est évidemment personnel, la prononciation de voeux, la décision de vivre pour Dieu suivant une certaine façon.

Il y a là une série de termes : psychologie, appel-réponse, identitéêtre, vie consacrée. Elle a traverse ce que nous avons dit hier. Il est sûr que pour passer d’un mot à l’autre dans cette série, du mot "psychologie" à "appel-réponse", "identité" à "vie consacrée", il y a énormément de questions qu’il faudrait creuser. Plus qu’une série, c’est une sorte de ligne de réflexion qui va en progressant.

III - "LE RELATIONNEL"

Deuxième ligne : c’est le 3éme mot : "relationnel", que j’oppose à personnel. L’homme est fait pour vivre en groupe, il a des relations interpemonnelles ; on a beaucoup parlé de la famille ; mais au-delà de la famille, il y a toute la réalité sociale, pas simplement l’interpersonnel, mais aussi le collectif. Et dans le collectif, le socioculturel, par exemple que j’évoquais à propos du rapport des générations. Il y a aussi le socio-économique et le politique. Toute cette réalité de l’homme comme humanité, en relation avec les autres. Dans cette réalité là s’inscrit la vocation pensée de manière communautaire, dans un peuple, pour un peuple, et j’insisterai sur ce qu’on a dit hier à propos de le communauté, du peuple, de l’Eglise.

Ici il faudrait employer les motsde "responsabilité" et de"’tâches", et derrière "à quoi ça sert", l’efficacité, "comment est-ce qu’on est reconnu dans sa responsabilité" ? etc. Est-ce que le responsable surgit dans le groupe (comme ces jeunes de l’aumonerie d’hier), ou bien est-ce qu’il est nommé par une institution ? (comme le prêtre, la religieuse, etc.). Il y a beaucoup de questions à propos de l’exercice des responsabilités.

En poussant encore la réflexion, j’emploierai le mot "ministère" et dans le ministère, j’intégrerai tout ce qu’on a dit sur la diversification. A ce propos nous trouvons les questions de l’ecclésiologie. Donc, une ligne beaucoup plus collective et relationnelle ; et là encore, en passant d’un maillon à l’autre, beaucoup de questions apparaissent.

IV- L’HISTOIRE

Il faut remarquer que chaque ligne s’inscrit dans un processus, dans une histoire, que ce soit la ligne personnelle, ou la ligne relationnelle. L’histoire, ce n’est pas simplement un aspect qui se rajoute à la ligne personnelle (on est enfant, puis jeune, etc.) ou qui se rajoute à la ligne relationnelle (on est dans un peuple qui a une histoire, etc.), mais c’est l’histoire qui permet de voir comment s’articulent la ligne personnelle et la ligne relationnelle. Car chaque homme vit son devenir personnel dans l’histoire d’un peuple. Là on trouve une articulation des deux lignes, car chacun de nous est à la fois personne et communauté.

Quand on dit "histoire", on dit passé, présent et avenir. Que ce soit dans la ligne personnelle ou dans la ligne relationnelle. Passé, c’est l’héritage voire l’hérédité au plan biologique. On parlera d’héritage culturel, de conditions de vie dans lesquelles on se trouve, de ce que nous ont légué ceux qui sont venus avant nous, c’est le passé. Il y a toujours aussi un avenir, c’est-à-dire un projet, une finalité (on a cité hier un certain nombre de finalités, de projets). A certains moments, ce sont même des utopies. C’est très important parce que cela permet de se projeter dans l’avenir et d’imaginer ce qu’on peut faire. Donc un passé, un avenir et entre les deux, il y a un présent. C’est là que se jouent l’action, l’engagement de la personne. C’est là qu’on peut jouer un rôle. Pour ce qui concerne le vocation en particulier, l’articulation entre le personnel et le relationnel se joue dans l’histoire de chacun de nous, jour après jour. Ainsi, la vocetion est une tâche, antant qu’un appel : la réponse se vit au jour le jour, c’est quelque chose à bâtir, c’est un combat, c’est une lutte, il y a des infidélités, etc. Jusqu’au moment où on y "laisse se peau".

Dans ce présent que nous faisons au jour le jour, et qui constitue cette histoire personnelle et relationnelle d’un homme ou d’une génération, il y a des choses qui dépendentde nous mais il y en a qui pèsent sur nous : hérédité, ou conditions de vie, etc. C’est pour cela aussi que la réponse à une vocation est un combat, une tâche à faire ; aussi bien pour nous que pour les enfants, chacun à son niveau.

Voilà donc le "personnel", le "relationnel" qui s’articulent dans une histoire, un devenir en train de se faire, où nous avons une responsabilité personnelle et communautaire. La vocation ainsi considérée prend une densité d’existence extraordinaire, c’est cela qui constitue le témoignage ; c’est là que s’exprime l’identité de quelqu’un, non plus par des mots seulement, ou par des sentiments, mais dans les faits, dans la vie personnelle et commune.

V - "VOCATION"

L’homme est à la fois être personnel et être social, et il se situe dans une histoire ; on peut tenir ce langage sans être chrétien ; un marxiste par exemple a un projet de société et il est capable d’engager sa vie sur son projet. On a donc là une réalité humaine. Par contre celui qui ne vit pas de telles réalités est exactement déshumanisé.
On peut parler ainsi de vocation sans lui accoler le qualificatif "chrétien" : mais cette réalité de l’existence humaine peut aussi se vivre du point de vue chrétien, c’est-à-dire que la personne s’accomplit comme personne en Jésus-Christ qui est l’homme accompli en plénitude, et dans l’Eglise, qui est la manière chrétienne de vivre le relationnel humain. Alors la vocation, à l’intérieur de l’Eglise, est une réponse à Dieu qui appelle.

Nous avons parlé de la vocation des enfants, c’est-à-dire comment des enfants de tel âge, peuvent, dans la mesure où ils apprennent à bâtir leur vie, intégrer non seulement une dimension chrétienne par la catéchése, mais encore la possibilité du service de Dieu et des autres, en réponse à un appel éventuel de Dieu.

Mais qui est-ce qui a parlé des enfants ? C’est nous, les éducateurs. Nous avons dans notre travail, écouté les enfants à travers les éducateurs ; et tous les éducateurs qui sont ici sont des gens qui vivent leur vocation à eux, vocation d’éducateurs religieux ou laïcs, etc. Chacun essaie de vivre une vocation, c’est-à-dire d’articuler un peu ce qu’il pense profondément avec le contexte dans lequel il est, dans la fonction qui est la sienne, avec une histoire et des finalités que l’on poursuit. Nous parlons de vocation pour les enfants mais le "nous" c’est les éducateurs. Cela est normal, mais il faut en être bien conscients. Educateurs qui conduisons les enfants (cf. la définition étymologique du mot "éducateur") nous avons un rôle qui peut être contraignent (on évoquait les mots de recrutement, etc.) ou libérant, appelant et invitant...

C’est dans l’articulation entre ce que les enfants vivent et notre action éducative que se joue la vocation ; la vocation éventuelle des enfants et la nôtre effective. La ligne personnelle et la ligne relationnelle se combinent pour nous et pour les enfants, dans la vitalité d’un peuple où il y a des enfants et des adultes : nous touchons là au caractère ecclésial des vocations et de leur exercice. Nos pratiques sont à vérifier de très prés en fonction de ces données. Ensuite, je crois qu’il faut vérifier aussi nos objectifs, pour les enfants, mais sans oublier que ce sont nos objectifs. Cela veut dire qu’il faut aussi les vérifier pour nous-mêmes.

Quelques points m’ont paru plus particuliers dans les débats d’hier. D’abord le fait que ça change, que nos pratiques ont changé, les enfants ne sont plus ce qu’ils étaient, ça ne se passe plus comme cela s’est passé, aussi bien dans le domaine de la catéchèse que dans le domaine de la vocation. Cela change et on a des groupes qui sont pluralistes. Dans les aumôneries par exemple, on a signalé des incroyants, des Israëlites, etc.

Là il y a des aspects à ressaisir : comment joue la vocation à une période où ça change (l’humanité, l’Eglise, la manière de vivre sa foi...) et où il n’y a plus d’unanimité massive. Un deuxième point qui me semble à réfléchir concerne les défections du clergé et des religieuses. "A quoi ça sert d’être prêtre ?" S’il y en a qui s’en vont, la réponse n’est pas évidente. A quoi ça sert aujourd’hui, à quoi ça servira dans dix ans ?

Un troisième point, c’est la question de l’appel. On a beaucoup parlé d’appel intérieur. L’appel intérieur existe, mais comment se médiatise-t-il ?
Comment la ligne personnelle rejoint-elle la ligne sociale et ecclésiale ?
On a parlé de l’appel des copains, des parents... les transpositions sont parfois rapides et forcées. A mon avis, il ne faut pas oublier que Eglise veut dire convocation, et que la médiatisation de l’appel intérieur devrait se vivre dans des convocations ecclésiales. Il y a là justement un rôle ministériel. Comment la convocation aujourd’hui se vit-elle ?

Un autre problème concerne la spécification des vocations. Je pense que la spécification vient de la personne qui bâtit son histoire en référence bien sûr aux appels profonds du Seigneur ; elle vient aussi du contexte dans lequel elle est. Il y a des besoins et on ne va pas choisir n’importe quoi selon sa vocation particulière mais on choisit aussi en fonction des besoins.

Enfin, dernière question : la pédagogie. Je mets sous le mot "pédagogie" beaucoup de choses qui ont été dites sur les moyens qu’on emploie. Est-ce que ces moyens employés sont homogènes, cohérents, avec notre réflexion sur la vocation humaine, chrétienne, et diversifiée ? Qu’est-ce que ces moyens laissent transparaître, comme conception de notre part à ce sujet ?
Avec l’expression des enfants, on retrouve le lien édücateur-éduqué, on a parlé du rôle du témoin, etc. Il y en a encore bien d’autres.

Voilà quelques éléments de réflexion. Je souhaite qu’ils permettent d’aller plus loin dans le débat qui va suivre et plus encore dans nos pratiques.

Louis DUFAUX
responsable du Centre National de l’Enseignement Religieux

Notes :

(1) Nous gardons à cette communication son caractère oral [ Retour au Texte ]

(2) Expériences de Nantes et du lycée de Toulouse. [ Retour au Texte ]