Le rejet ou l’enracinement


Le rejet ou l’enracinement ? (1)

Les séminaires de jeunes ont un premier et énorme handicap, celui d’avoir formé la majorité des prêtres actuels. Ceux-ci n’en ont pas toujours gardé un excellent souvenir et, de toute façon, la pédagogie des séminaires d’autrefois est trop différente de ce que l’on souhaite aujourd’hui pour qu’on leur fasse crédit pour le présent et l’avenir. "Mais, direz-vous, le séminaire n’est plus du tout ce que vous avez connu". Voilà ce qu’il ne fallait surtout pas dire ! Votre affirmation vous déconsidère auprès des traditionalistes ("Il n’y a plus de formation sérieuse !"). Sans vous concilier tant soit peu ceux qui vous tiennent pour les vestiges plus ou moins fossilisés d’un monde de chrétienté bien périmé.

Dans ce contexte, comment les 85 maisons qui existent aujourd’hui peuvent-elles se situer ?

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I - LA PRESENCE DANS LE MONDE DES JEUNES

Ce point est névralgique. Aux yeux de nombre d’aumôniers de lycées, notre péché originel serait la ségrégation : à cause de nous, 0,5 % des jeunes vivent la scolarité dans une situation qui n’est ni l’internat ni l’externat, mais quelque chose en marge. Quelque chose de quantitativement négligeable mais de qualitativement dangereux. Dangereux, pourquoi ? Et bien, expliquent des aumôniers, parce que vos jeunes sont ainsi marginalisés.

"Marginalisés" est compris de deux façons, par rapport aux réalités du monde scolaire et par rapport au milieu social d’origine.

Ils ne vivent pas l’anonymat du lycée, la plongée dans l’incroyance.
Au plan de la vie communautaire, culturelle, du partage de foi, ce sont des riches... Le grief est repris et précisé par des aumôniers et des familles marqués par l’action catholique spécialisée. Ce qui est fondamental, c’est l’identité du jeune. Celle-ci n’est respectée que s’il grandit en solidarité avec le bande de son quartier et proche des problèmes de sa famille. Le foyer-séminaire coupe le jeune de ces deux racines : il va vivre dans un groupe de diverses origines avec seulement des échos assourdis des évènements familiaux.

Ces critiques nous posent d’abord une question : sommes-nous d’accord sur l’importance de l’enracinement ? (2) Comment comprenons-nous cette exigence ? La réponse théorique est plus facile que la découverte des réalités auxquelles il faudrait être attentif. Elles sont trop simples pour être évidentes.

- les enfants du monde ouvrier sont scolarisés à près de 80 % dans l’enseignement technique. Quelle proportion celui-ci tient-il parmi les jeunes de nos maisons ? Certains foyers (Chantepie, Châlons-sur-Marne) comptent une majorité de jeunes dans le technique. Ailleurs, ceux-ci sont l’exception. Pourquoi ?

- un garçon d’une famille d’industriel présente divers troubles en 6° dans un séminaire scolarisé. En particulier, il est sale. Le psychologue consulté estime qu’il s’agit d’un comportement destiné à le faire admettre dans un grnupe dont la "vulgarité" la déconcerte.

- les animateurs laïcs fréquentés, à l’occasion des catéchèses, sont presque tous de classes moyenne.

Nous avons entrepris depuis longtemps des efforts pour ne pas donner prise aux critiques de ce type. Dans plusieurs diocèses, le foyer-séminaire est une pépinière d’animateurs pour les divers mouvements de l’A.C.E. au M.R.J.C. Certains sont présents "dans la périphérie" de l’institution, mais de plus en plus dans leur lieu d’origine. Ils se retrouvent ainsi dans la situation commune des jeunes que leurs études amènent hors de la famille, du village et du quartier.

L’internat est commun pour les 15-18 ans du monde rural qui poursuivent des études. Le foyer ne les coupe pas plus de leurs camarades que tout autre internat. Espérons même qu’il éveille le désir de les retrouver...

Cependant, des efforts restent à faire dans ce domaine d’abord pour la vérité des insertions et pour qu’elles ne soient pas de type exclusivement ecclésial. Comment faire ? A Rodez, l’aumônier M.R.J.C. a accepté de réfléchir régulièrement avec les éducateurs. A partir de cas concrets, on peut progresser. Il n’est pas contestable par contre que les jeunes en foyer-séminaire sont des "riches" en ce sens qu’ils bénéficient d’une communauté, de possibilités de dialogue avec des adultes, d’une aide parfois pour le travail, etc. Mais de la même façon, ceux qui fréquentent une maison de jeunes, ceux qui ont des responsabilités dans un club, un mouvement, une aumônerie, tous ceux-là sont des "riches"... On peut seulement travailler pour que beaucoup bénéficient de pareilles richesses qui ne "séparent pas". Les questions radicales sur la foi, l’engagement socio-politique, en les connaît dans nos institutions.

A propos de l’incroyance, le foyer permet certes au jeune de rencontrer d’autres chrétiens de son âge. N’est-ce pas une situation bien normale pour la croissance de la foi ? De plus, outre les larges contacts au lycée, dans les loisirs avec d’autres jeunes et un monde auxquels Dieu est inconnu, ne faut-il pas bien percevoir que chacun de nous porte en lui-même une source de l’incroyance ? La foi n’est pas naturelle, spontanée ; elle suppose un choix, des options successives. C’est dans cette expérience que tout jeune vit l’épreuve la plus radicale. Elle ne lui sera pas épargnée par le foyer-séminaire, mais la communauté qu’il y trouve peut l’aider à avancer vers le Tout Autre.

Au total, pour ne pas mériter le rejet, il faut patiemment prendra les moyens de s’expliquer, d’ouvrir les yeux et d’avancer avec ténacité.
Toutes les critiques injustifiées sont pénibles, mais elles ne tiennent pas à la longue.

II - SOMMES-NOUS SERIEUX ?

Rien n’a l’air plus sérieux que certaines de nos grandes et vieilles maisons, carrées, trapues, mais on accuse de divers côtés les éducateurs et leurs principes. Ici la critique vient des professeurs des lycées et collèges catholiques : "vous pratiquez la démagogie à peu de frais avec votre poignée de garçons. L’autodiscipline, le dialogue, on voudrait vous y voir chez nous ! Et au fond, vous ne préparez pas vos jeunes pour les contraintes de la vie professionnelle". Les parents expriment parfois des craintes analogues, ils y ajoutent que les multiples activités dispersent leur fils "qui ne peut plus étudier".

Très virulente encore, certains prêtres qui déplorent d’être laissés pour compte : "on ne sait pas qui entre au séminaire", ou critiqués par ces gamins qui disent : "la messe au séminaire, c’est chouette, mais chez vous..." D’ailleurs pour finir, les "séminaristes" comme les autres jeunes désertent la messe et en semaine et le dimanche.

Devant ces mises en cause, il nous faut à la fois refuser des analyses trop rapides et accueillir de vraies questions. Il n’est pas exact que l’on prépare un jeune à son avenir professionnel dans l’irresponsabilité, en le tenant simplement en main. La meilleure préparation est naturellement celle qui construit un homme libre, capable d’initiative. C’est bien l’objectif de toute éducation. Si nous sommes en meilleure situation pour cela, tant mieux !

Ceci dit .............

On n’éduque pas sans exigences. Si elles ne sont pas les mêmes qu’au collège voisin, avons-nous des exigences mieux situées, celle d’un travail scolaire réel, par exemple ? On peut contester le système scolaire mais ou il faut tout de même jouer le jeu au bien en sortir. Tout le reste est malsain. On peut critiquer sa paroisse... dans la mesure où on peut proposer soi-même quelque chose.

Les reproches qui nous viennent des curés peuvent être maladroits, ils jugent trop en référence au passé. Bien sûr, mais ne cachent-ils pas deux vérités auxquelles nous devons la plus grande attention . Si nos efforts ont un but, c’est bien d’éveiller chez les jeunes la passion de Jésus-Christ. Celle-ci prendra des formes différentes, mais qu’elle soit notre premier souci ! De plus, on parle beaucoup du christianisme populaire, les curés, eux, le rencontrent. Et nous ? Rêvons-nous d’une élite, nos moyens sont-ils accessibles à ces pauvres que privilégie l’Evangile ? Même si notre rôle est de discerner des aptitudes, nous n’avons pas à juger à vues trop humaines.

Je suggère que toutes les critiques entendues soient notées et à l’occasion d’une journée bilan, d’une récollection, qu’elles fassent l’objet d’une réflexion "décrispée" entre éducateurs ou bien entre jeunes, avec un observateur neutre. L’aptitude à supporter la critique et à en tirer profit est un test de notre sérieux.

III - MECONNAISSANCES ET AMBIGUITES

Autour de nous, il n’y a pas seulement des critiques ; d’ailleurs, certains appuis sont ambigus. Tel évêque soutient notre institution, mais il lui donne une finalité qui n’est voulue ni par les éducateurs, ni par les parents, ni par les jeunes, c’est souvent autour de la spécificité de nos maisons que ces flottements sont possibles. Ici les familles sont admiratives "parce qu’on prend soin des enfants moins nombreux que dans les collèges" ou bien parce que "vous savez comprendre les jeunes" (ce qui peut causer bien des abandons...)

La méconnaissance est souvent d’un autre type. Derrière le rejet du séminaire-foyer de jeunes, il y a le refus des "vocations d’enfants" pour faire une véritable expérience de la foi et de la vocation, il faut être adulte, pense-t-on.

D’autres initiatives font jaser sans motif : pourquoi de jeunes femmes parmi les éducateurs de telle maison ? Le fait raconté, interprété, apparaît comme une obscure machination.

On pourrait multiplier les exemples. Je vous propose surtout de comprendre. Nous en sommes dans nos institutions aussi à "la dynamique du provisoire". Entre un passé qui n’a pas fini et un avenir confus, nous tâtonnons, les autres ne voient pas toujours notre orientation. C’est la Bible qu’il nous faut regarder, bien des"figures de proue de ces chercheurs de Dieu nous ressemblent... et à nos censeurs, répondons par le conseil de Gamaliel : "laissez les tranquilles... si c’est oeuvre humaine, elle se détruira d’elle-même".

IV - LES CHOIX DE QUELQUES-UNS

En conclusion, rappelons des lignes de force qui permettent ici ou là un meilleur enracinement. Dans la plupart de nos maisons, des jeunes participent à des mouvements, à des clubs, à l’extérieur. De plus, quand la maison est située dans la ville (Besançon, Nice) elle devient souvent un foyer pour l’animation du monde des jeunes : des veillées de prière, des carrefours de réflexion, des groupes de diaspora s’appuient sur cette communauté permanente. A Carcassonne, à Bourg-en-Bresse, des retraites de Vie chrétienne, les journées de divers mouvements, se déroulent souvent au foyer-séminaire. Ces contacts favorisent une osmose, elles témoignent que la maison est au service de l’ensemble du diocèse.

Appartenances multiples des éducateurs.

Bien des contacts sont facilités quand les prêtres du foyer-séminaire sont en même temps aumôniers d’Action catholique ou de lycée, professeurs de collèges voisins ou curés en paroisse. Cette situation n’est pas toujours confortable, elle est fructueuse. (Rodez, Bourg-en-Bresse)

Travail avec les familles.

Cette piste a été déjà bien exploitée. Elle permet une véritable sensibilisation des autres familles, un éveil de la communauté chrétienne à sa responsabilité dans le service des vocations, une certaine"catéchèse des adultes" à travers les divers thèmes de réflexion ( St-Sulpice-sur-Tarn, Bordeaux), une large prise en charge matérielle et aussi un lien avec divers mouvements d’adultes.

Ces pistes ne sont pas des panacées. Elles se sont avérées bénéfiques.
Elles sont toutes à poursuivre si nos maisons veulent surmonter le rejet qui les menace ici ou là. Elles le doivent aussi pour que le service qu’elles assurent soient un peu plus le fait de toute la communauté chrétienne. Tentés par l’isolement et menacés par le rejet, ne nous faut-il pas tout mettre patiemment en oeuvre pour un réel enracinement humain et ecclésial ?

Claude CUGNASSE

La plaquette "séminaire-Foyers de jeunes" a fait l’objet d’un nouveau tirage en polycopié. On peut la demander au C.N.V, au prix de 6 F l’unité.

 

 

NOTES :

(1) Cet article a été élaboré avec l’apport de toute l’équipe "Institutions permanentes". [ Retour au Texte ]

(2) Un peut lire sur ce point le document "Action catholique et Vocations" publié par le C.N.V. [ Retour au Texte ]