Traits majeurs de la vie spirituelle et aspirations des jeunes filles des groupes de recherche


1 / Qui SONT-ELLES ?

- Il faut d’abord dire qu’elles ne sont pas uniformes.
Qu’y a-t-il de commun entre une jeune travailleuse O.S.
dans une biscuiterie, militante jociste, travaillant 9 heures par jour à la chaîne et une étudiante en 5 ème année de médecine ayant fréquenté des aumôneries de lycée et de faculté ; qu’y a-t-il de commun entre une jeune de 18 ans vivant dans une famille très protégée et d’une religion traditionnelle, et une de ses camarades récemment convertie vivant en plein milieu athée.

Nous pouvons affirmer que les jeunes que nous connaissons sont profondément influencées dans toute leur vie - y compris donc leur vie spirituelle - par l’environnement des mondes très précis dans lesquels elles sont nées, elles vivent et auxquels elles se confrontent sans cesse. Ces milieux les façonnent beaucoup plus qu’il ne paraît dans un premier regard, et leur vie avec le Seigneur en est toute influencée.

L’expérience d’Eglise vécue par les jeunes est aussi fort différente :
certaines sont marquées par la participation aux activités paroissiales, d’autres par des mouvements d’action catholique, d’autres par des grands rassemblements, du style TAIZE, où la prière personnelle de chacun est comme prolongée par la prière des autres, et s’y enracine en même temps, d’autres sont marquées par les groupes charismatiques, d’autres enfin cheminent relativement seules, se contentant seulement de la participation aux assemblées dominicales.

- Le point de leur recherche se situe à des niveaux très différents.
Quelques unes ne sont pas du tout encore décidées à s’engager dans une vie consacrée : mariage, vie religieuse ? on ne sait pas .....

D’autres pensent avoir déjà opté pour une vie consacrée, mais elles ignorent totalement quelles voies envisager = institut séculier, vie monastique, communauté apostolique ?

D’autres semblent l’avoir décidé, mais où ? Et pourquoi là plutôt qu’ailleurs ?

D’autres enfin attendent un accompagnement lorsque déjà elles sont postulantes d’une congrégation qui leur demande de continuer cette expérience.

De toute façon, le premier travail qu’il faudra accomplir avec elles, sera un débroussaillage, un discernement, une explicitation de leurs motivations, une vérification de ce qu’elles pensent, en lien d’ailleurs avec toute leur vie antécédente, et éclairés au besoin par tous ceux qui les connaissent ; signalons donc tout de suite qu’il faudra du temps, et que nombreuses sont celles qui pour voir clair, acceptent de cheminer plusieurs années dans les groupes de recherche.

2 / LEURS MOTIVATIONS

- Discerner un appel à une vie consacrée suppose toujours une très grande attention aux motifs qu’elles ont pour s’y engager. Notons tout de suite que cela non plus ne se fait pas rapidement. Notons aussi que ces motifs sont souvent très mélangés, l’un chevauchant sur l’autre, et qu’ils peuvent d’ailleurs se préciser, se purifier, au cours des mois ou des années ; ce sera là tout notre travail.

Si chez les unes on pourrait trouver un certain besoin de compensation de tout ce qu’elles n’ont pas eu dans leur jeunesse, il y a chez les mêmes cependant un désir de lien réel avec le Seigneur.

Si pour d’autres, elles voient d’abord dans la vie religieuse la possibilité de se dévouer, chez les mêmes, nous trouverons aussi le désir de vivre une vie évangélique plus radicale.

Si pour d’autres enfin, on s’étonne d’un blocage qui les paralyse, et qui ne les libère pas, voulant avant tout "être religieuse" il y a chez les mêmes un Amour réel de Jésus-Christ.

Rares sont celles qui dès le départ se présentent avec un désir authentique d’une vie totalement livrée à Dieu, accompagné d’un souci réel de l’annonce du Royaume, le tout basé sur une véritable expérience humaine, spirituelle, apostolique. Ces dernières nous les trouvons le plus souvent parmi celles qui ont participé, ou participent encore, aux groupes d’Action catholique.

Nous avons donc beaucoup à construire, à purifier, à faire croître, avant qu’elles puissent elles-mêmes se déterminer, éclairées par l’équipe pour telle ou telle congrégation. L’affaire serait simple s’il ne s’agissait que de cela, mais notre travail demandera là encore beaucoup de temps et de patience .., mais combien utile pour éviter des catastrophes futures.

3 / LES GRANDES LIGNES DE LEUR VIE SPIRITUELLE

- Nous parlons ici de celles qui sont les plus construites, et qui en général ont cheminé plusieurs années dans les groupes, étant bien entendu que quelques unes dès le départ présentent une richesse incontestable....

Nous sommes souvent frappés par la consistance humaine de bien des jeunes d’aujourd’hui. Relativement assez tôt, parfois même déjà à 18-19 ans, elles sont parvenues à une maturité que peut-être leurs aînées mettaient plus longtemps à acquérir. On sent que les événements, la vie vécue au travail ou en faculté, la mixité qu’elles rencontrent partout, les ont marquées. Elles ont souvent à faire face à des circonstances où elles doivent prendre des responsabilités et s’engager personnellement. Pour beaucoup MAI 68 a été une étape importante, sans dire pour autant qu’elle ait été déterminante. Le plus souvent nous avons à faire à des femmes à part entière désirant avant toute autre démarche, vivre leur vie, une vie de femme pleinement assumée. Nombreuses sont celles qui ont pris leur indépendance par rapport à leur famille et font face personnellement à tous les aspects de leur vie. Souvent elles ont de nombreuses relations, des amitiés vraies. Si la vie leur a été facile jusqu’à présent ou au contraire si elles ont été assez "mal menées" elles sont aujourd’hui "très participantes" ; peu subissent et laissent aller. Beaucoup d’entre elles - celles qui ont pu choisir leur métier, mais aussi celles qui n’ont pu le faire - s’engagent avec passion dans les différents groupes qui les sollicitent. Pour ce qui nous concerne, nous sommes devant une génération qui aime la vie.

Nous constatons souvent chez elles une solidarité réelle avec leur milieu de vie, peut-être encore plus marquée par celles qui connaissent la vie ouvrière, mais nous pourrions aussi parler dans les mêmes termes, de jeunes des différents milieux indépendants.

Elles veulent être vraies avec elles-mêmes, et avec les autres. Elles ne veulent pas biaiser, et aller jusqu’au bout, cela les entraîne parfois à des prises de position tranchées, allant à l’encontre de ce que la tradition chrétienne leur avait enseignée (mixité, vie sexuelle).

Elles attendent, non des modèles, mais des témoins. Souvent chez elles il y a une rencontre exclusive de Dieu et de Jésus-Christ.
Beaucoup savent prier et y consacrent beaucoup de temps. Souvent elles cherchent dans la vie = la leur, et celle des autres, les signes du Christ et de l’Esprit qui ne cesse d’agir et les appelle à vivre d’Amour. Elles savent contempler Dieu dans la vie des hommes, ce qui est souvent pour beaucoup d’entre elles une source de vie apostolique authentique. Nous constatons aussi que plus elles recherchent Dieu, plus elles participent à la vie sacramentelle, et nous avons constaté enfin un réel sens de l’Eglise.

Ecoutons le court témoignage d’une religieuse :

" Il y a chez elles un grand désir de vérité, de liberté, de continuité avec la vie : un désir d’absolu.

    • un désir de vérité, une exigence d’authenticité et de cohérence de vie.
    • désir de liberté, perçu dans une disponibilité à l’Esprit comme une recherche entreprise dans un climat de vérité :
      "la vérité vous rendra libre". Pour elles les deux sont liées.
    • désir de continuité avec la vie : non seulement coller à la vie, mais vivre la construction du monde, prendre sa vie en main, "de manière concrète, adulte et responsable."
      Elles veulent répondre à l’appel de Dieu, cela les renvoie forcément aux autres.
    • Elles ont un désir d’absolu, elles veulent se consacrer à Dieu, en lui livrant toutes leurs forces vives."

4 / CE QU’ELLES CHERCHENT DANS LA VIE CONSACREE

Il y a bien sûr au départ d’une recherche de vie consacrée des confusions entre désir d’exercer une profession faisant appel à leur générosité, désir de remplir un "ministère" dans l’Eglise, désir de trouver une communauté pour soutenir la vie de prière etc. Mais, quand la recherche se précise, ce qui paraît rapidement l’essentiel, c’est le choix du célibat volontaire par Amour du Seigneur.

"Je ne lie pas forcément célibat et mission d’Eglise. Tous les chrétiens ont même et unique mission, je ne reçois pas ma mission de mon célibat, mais je mon baptême."

" Il y a parfois dans l’Eglise une confusion : on pense que vouloir consacrer sa vie à Jésus doit se traduire par un service d’Eglise, comme la catéchèse, la pastorale, un métier à caractère social. N’est-il pas urgent de différencier l’appel à la vie consacrée de certains ministères auxquels les femmes peuvent se sentir légitimement appelées."

" Le célibat ne peut être compris que par Jésus-Christ et ne peut être vécu que pour Lui. L’essentiel de la consécration que je veux, c’est ce coeur à coeur avec le Christ, qui m’appelle à me livrer à Lui dans mon corps, dans mon coeur, dans mon intelligence, pour être toute entière au service de ce qu’Il voudra."

Ce que les jeunes expriment de la vie religieuse nous semble très authentique. Souvent, leurs expressions rejoignent celles des religieuses qui recherchent des formes de vie consacrée plus vraies.

" Pour nous, devenir religieuses, nécessite un choix plus pur, uniquement enraciné dans la Foi en Jésus-Christ, sans sécurité. Répondre à l’Amour du Seigneur dans ce qu’Il a de radical, tout quitter pour le suivre, signifier Jésus Christ, par la vie communautaire avec ce que cela comporte de ruptures, de renoncements, comme le laïc, à cause de Jésus-Christ ; mettre en priorité la participation à la construction du monde, participer intensément à la vie de Dieu, pour participer intensément à la vie des hommes, fidèlement resituer dans le mystère de Dieu sa vie et celle de ceux qui nous entourent."

"Une vie au milieu du monde, une vie de prière, en gagnant sa vie comme les autres, en étant femme à part entière dans une obéissance qui ne soit pas négation de la personnalité, en vivant peut-être en petites communautés de cinq ou six. Etre signe du Dieu, mais un signe qui soit parlant et qui ne fasse pas rejeter ce qu’il signifie."

Les formes que les jeunes recherchent restent cependant très diverses : vie monastique, laïcat consacré, communautés apostoliques...
Nous ne pouvons pas dire qu’elles donnent priorité aujourd’hui, à telle ou telle de ces formes. Il semble qu’une constante se dégage actuellement : pour beaucoup d’entre elles le sens de l’Eglise grandit au cours de leur recherche et elles découvrent avec vigueur que toute vie consacrée se resitue dans la vie de l’Eglise.

"C’est dans l’Eglise que ma vocation a pris source ... Je n’avais pas auparavant conscience d’être d’Eglise. Mais il y a deux ans, ayant découvert une communauté Paroissiale qui me convenait, j’ai commencé timidement à y venir. C’est en Eglise, avec religieuses, laïcs et prêtres, que j’ai approfondi mon choix. Ma vocation aujourd’hui n’est qu’une vocation parmi tant d’autres, elle n’est qu’une des façons d’être témoin dans l’Eglise de l’Amour du Père à travers le Christ."

Elles ressentent de mieux en mieux comment "vie consacrée" et "vie dans le mariage" sont deux façons complémentaires de répondre à l’Amour de Dieu.

" Vie consacrée, mariage chrétien ; ce sont deux manières différentes de répondre au Christ, et l’une n’est pas supérieure à l’autre.
Chaque homme essaie de se réaliser à travers la possession, l’amour, la liberté.
Tout être est appelé par l’Evangile à la dépossession continuelle, à l’amour comme accueil de l’autre, au réajustement sans cesse renouvelé à la volonté de Dieu. L’état religieux met à la source même de l’Evangile ceux qui sont mariés et veulent vivre l’Evangile ont besoin de ceux qui sont à la source même : inversement la vie religieuse est interpellée par la vie des foyers."

Pour conclure nous pourrions dire que la plupart des jeunes dont nous avons voulu être ici l’écho, ont une idée assez nette de la vie consacrée qu’elles souhaitent sans pour autant pouvoir au départ de leur recherche dire sous quelle forme précise elle se réalisera. Cette "idée" s’enracine profondément dans ce qu’elles vivent aujourd’hui et si elles acceptent les "ruptures" auxquelles il faudra consentir, leur projet est en continuité avec leur "expérience" spirituelle et humaine d’aujourd’hui. Beaucoup veulent garder leur profession, y être compétentes et attentives aux valeurs qui y sont vécues. Elles veulent avoir la possibilité de prendre en leur nom des engagements politiques, sociaux, syndicaux, apostoliques. Elles désirent appartenir à une équipe pour lire les signes du Christ présent au coeur du monde, lieu de partage, de confrontation et de prière. Elles sont décidées à prendre les moyens de prier personnellement et en lien avec toute l’Eglise. Beaucoup croient à la nécessité de signifier concrètement l’aspect de communion dans l’Eglise par une vie de charité fraternelle, qui peut aller jusqu’à la vie ensemble.

5 / DES QUESTIONS POUR NOUS

Si de nombreuses jeunes se méfient des structures d’Eglise, et que souvent cette méfiance les conduit à retarder, voire à exclure l’entrée dans une congrégation ou une institution, nous pourrions nous demander quel visage nos communautés donnent-elles aux jeunes d’aujourd’hui ?

Si aujourd’hui, quelques jeunes assez nombreuses se posent la question d’une vie monastique, alors qu’elles cherchent des communautés où l’on peut prier et contempler le Seigneur agissant dans la vie des jeunes, nous pourrions nous poser la question de notre prière communautaire, et de la qualité de notre propre prière ?

Si de nombreuses jeunes veulent garder une présence au monde, dans une liberté d’un engagement au service des hommes et de l’Evangile, et à cause du cela refusent la vie en congrégation, nous pourrions nous poser la question de l’image que nous donnons de femmes totalement libres, consacrées à Dieu présent aux grandes questions et au grand combat du monde d’aujourd’hui ?

En conclusion, une fois encore le regard sur les jeunes nous renvoie à nous-mêmes, non pas pour nous changer en fonction de ce qu’elles désirent (peut-être dans une subtile intention de leur ouvrir nos portes...) mais pour vivre une authentique vie consacrée, signifiante pour le monde de ce temps.

Jean-Marie REVILLON.
S.D.V. de Paris.