Le cheminement en G.F.O. - Témoignages et réflexions


L’originalité des pages qui suivent réside dans le fait qu’elles présentent - de façon sommaire mais relativement complète - quelques étapes essentielles d’un cheminement en "groupe de formation presbytérale en monde ouvrier". Nous nous sommes surtout attachés à tracer l’ensemble d’un itinéraire, de l’éveil d’un projet à l’ordination, en nous appuyant sur le témoignage d’un jeune en G.F.O. (que nous appellerons Bernard) et sur l’expérience de ces groupes de formation. Quelques points d’attention, en conclusion, feront apparaître les convergences ou insistances de la formation en monde ouvrier.

Charles PERRON, responsable national des G.F.O.
Jean RJGAL, centre national des vocations.

I - QUI EST BERNARD ?

Un permanent de la J.O.C., originaire d’une ville de province. Il a. 24 ans, est l’aîné de 3 frères ou soeurs. Son père est horticulteur. Bernard s’est posé la question du sacerdoce étant enfant. (Il est notable que la quasi-totalité des jeunes actuellement en G.F.O. ont pensé pour la première fois au sacerdoce à l’âge de la pré adolescence, comme beaucoup de séminaristes..., même si ce premier projet est tombé dans l’oubli par la suite pendant de nombreuses années... pour retrouver une nouvelle formulation, de nouvelles motivations).

II - L’ITINERAIRE DE BERNARD

Ce garçon a fréquenté le C.E.G. jusqu’en 4ème. Il est ensuite entré dans un séminaire de jeunes, mais l’a quitté en fin de 3ème, ayant des difficultés dans les études. Il prépare ensuite le métier de serrurier, avec la formation professionnelle accélérée. Il est alors dans un foyer de jeunes travailleurs où il vit avec des gars "paumés", des sortis de prisons...

La rencontre de ces jeunes le fait réagir et lui pose question, Des copains l’invitent à une journée d’étude J.O.C.... Peu après, il entre dans une équipe "jeunes" du Mouvement. Nous sommes en novembre 68.
Ayant réussi à son C.A.P. , il trouve du travail dans une petite entreprise de 7 ouvriers. Dans le même temps, il entreprend une action dans le foyer des jeunes travailleurs. Il devient responsable d’équipe et membre de l’équipe fédérale.

C’est en octobre 69 qu’il amorce la première étape du cheminement G.F.O., à la suite de la session nationale de Morsang, pour les militants J.O.C. en recherche.
Il est toujours au travail dans la même entreprise. Mais il prend conscience, de l’intérieur, des difficultés de la condition ouvrière (les menaces de licenciement par exemple). Il découvre le combat ouvrier, la législation, et s’engage dans le syndicat C.F.D.T. Le service national vient interrompre sa vie professionnelle : il y côtoie l’ennui, l’écrasement, l’alcoolisme... Il participe à une grève pour protester contre un ordre qui lui paraît injuste.

Il garde le contact avec l’équipe fédérale, et dans le cadre d’une réflexion apostolique avec cette équipe au retour de l’armée, il décide de s’expatrier pour aller fonder la J.O.C. dans une ville voisine.

En 1972, nous le retrouvons dans cette ville, et au travail dans une usine de 45O ouvriers. On y fabrique des fenêtres à châssis en aluminium. Les salaires sont très bas. On n’y admet que des "délégués bidons", présentés par le patron. Bernard loge dans un foyer de jeunes travailleurs. Il suscite des discussions autour du journal "J.O." et lance une équipe d’adolescents.

Son projet sacerdotal s’affirme et s’inscrit au coeur de cette action ouvrière et apostolique. Il parle de son projet avec les copains militants.

En février 74, on lui demande de quitter sa profession, la ville où il habite, et d’être permanent du Mouvement. Il accepte, après en avoir discuté avec sa famille, son aumônier, les copains, l’équipe fédérale. Ce nouvel engagement lui inspire les réflexions suivantes :

- "Ce service va dans le sens des choix que j’ai posés auparavant".

- "C’est pour que la mission du Mouvement s’accomplisse..."

- "J’ai de plus en plus la conviction que c’est le Christ qui m’appelle et appelle toute la fédé à un dépassement".

Bernard se demande quelle communauté va désormais soutenir son cheminement en G.F.O. Trois groupes rempliront ce rôle :

- l’équipe de plusieurs permanents déjà en G.F.O.,

- l’équipe des responsables du Mouvement,

- la fédé qu’il va quitter mais qu’il retrouvera et aidera - 2 journées durant - tous les mois et demi.

3 - LE CHEMINEMENT EN G.F.O. ( 1 )

Avant de poursuivre la lecture de cette monographie, rappelons rapidement l’axe fondamental de la formation et les étapes qui jalonnent le cheminement actuel en G.F.O., avant le temps plein d’études et de formation pastorale (encore appelé 2ème cycle).

Le principe de base est : une formation dans et par la responsabilité dans la vie, l’action ouvrière et les ; organisations qu’elle se donne ; et indissociablement responsabilité apostolique, dans cette même vie et les organisations que se donne l’Eglise qui est en classe ouvrière pour remplir sa mission, i.e. les mouvements J.O.C. - A.C.O. C’est dans l’exercice de cette double responsabilité, en Eglise, que se précise, mûrit, se discerne peu à peu le projet de sacerdoce et que se vit une première formation intellectuelle et spirituelle.

Les différentes "étapes". du cheminement G.F.O., avant le temps plein d’études et de formation pastorale, accompagnent, : fixent, prolongent le mûrissement progressif de ces responsabilités qui marquent peu à peu tous les aspects de la vie d’un jeune, d’un aîné, d’un homme.

Chacune de ces étapes, que nous allons décrire rapidement, est scandée par six week-ends dans l’année, plus 8 jours de session intensive l’été ; un travail personnel régulier, accompagné par un aumônier qui "suit" personnellement le militant dans tous les aspects de sa vie.

a) Mise en place et enracinement d’une responsabilité ouvrière-apostolique de type "jeune".

On s’efforce de veiller progressivement :

- d’une part à ce que la vie militante ouvrière et apostolique de chacun se mette bien en place. C’est au ras de l’expérience et dans son prolongement que se fait la première formation intellectuelle et spirituelle, comme pour tout travailleur dans son organisation syndicale et le mouvement apostolique.

- d’autre part à ce que chacun trouve l’équilibre de vie nécessaire à la mise en place d’une recherche et d’une formation spécifique.

Travaux écrits de reprise et réflexion de leur vie militante, rencontres personnelles régulières avec leur aumônier, première approche de l’Evangile, réflexion collective sur les différentes questions de l’actualité de leur vie ... : tels sont les principaux moyens plus spécifiques de formation de cette première "étape".

b) Mise en place et enracinement d’une vie militante de type "aîné ou adulte".

En voici les principaux axes :

- l’action militante, toujours, ouvrière et apostolique, reprise et appelant des approfondissements progressifs.

- l’accompagnement de la lecture suivie d’un Evangile, avec une première initiation à l’exégèse (ce qui est nécessaire à la compréhension nourrissante pour leur vie).

- le partage et l’approfondissement des questions d’actualité de leur vie : équilibre de vie, vie affective et célibat, projet sacerdotal, etc.

- la découverte progressive du mouvement ouvrier et de son histoire, qui leur permette de "situer" leur vie militante actuelle.

Les rencontres personnelles et régulières avec l’aumônier sont toujours le moyen privilégié de reprise et d’unification personnelle, jusqu’au plan sacramentel. Les six week-ends et les huit jours de session d’été scandent chaque année ce travail.

c) Approfondissement

Cette"étape" dure deux années, avant l’arrêt du travail et des responsabilités. Elle se déroule, toujours avec les mêmes moyens, dans le sens d’une formation plus systématique :

- piste biblique : les grandes étapes de l’histoire du salut ?

- piste "philosophique de la vie et de l’action ouvrières dans le mouvement ouvrier" : c’est une initiation philosophique, centrée principalement sur l’Homme, à partir des différents courants qui marquent le mouvement ouvrier et son histoire.

- piste théologique : libérations et salut, la vie de foi, le Royaume, l’Eglise.

- piste actualité : partage, réflexion des problèmes de l’actualité de leur vie d’aînés et adultes, de leur vie de foi et sacramentelle, de leurs projets de sacerdoce, de leur préparation de l’arrêt du travail et des responsabilité... jusqu’à la préparation immédiate de leur "assemblée de consultation" et de la célébration du premier engagement.

Remarques :

- Les trois étapes totalisent un temps de formation de 3 à 5 ans précédant le temps plein d’étude et de formation pastorale qui dure actuellement 4 années.

- Les animateurs de week-ends et les aumôniers personnels travaillent régulièrement ensemble au service des gars et de leur discernement.

Bernard a terminé sa première année de l’étape "approfondissement" au moment où il a été appelé à l’équipe de permanents J.O.C. Durant son temps de permanence, il continue sa recherche et sa formation dans une équipe spéciale G.F.O. composée de permanents.

4 - LE DISCERNEMENT DE LA VOCATION PRESBYTERALE

- Le projet sacerdotal est inséparable du projet global et dynamisant d’une Eglise en monde ouvrier. On s’efforce de ne pas urger l’émergence d’un projet spécifique.

- Le projet sacerdotal est d’abord partagé et porté en J.O.C. et ensuite en G.F.O. en même temps qu’à la J.O.C.

- Trois points d’attention apparaissent prioritaires pour le premier discernement d’un appel au presbytérat :
. le gars qui cherche à aller plus loin dans la révision de vie, l’approfondissement personnel et collectif ;
. le gars qui a le souci du lien au-delà des conflits assumés, qui rappelle l’importance et la place des autres dans la réflexion et l’action ;
. le gars qui a une certaine vie sacramentelle et de prière.

5 - COMMENT BERNARD FORMULE SON PROJET SACERDOTAL ?

Nous lui donnons la parole :

a) En juin 71, à l’occasion d’un week-end, à la fin de la première étape G.F.O. (Il a 2O ans).

- "Etre prêtre, c’est repartir de tout cet élargissement et de tout cet approfondissement que permet la J.O.C. Le Christ, le premier, a vécu ces deux dimensions.

- Le Christ veut être présent dans toute cette vie de jeunes travailleurs. Le rôle du prêtre, c’est de soutenir et de provoquer ces communautés, ces comités d’action pour arriver à révéler et à partager Jésus-Christ.

- Exigence pour les prêtres de "vivre en équipes".

b) en octobre 71,

1) Qu’est-ce qui m’a aidé à préciser mon projet de sacerdoce ?

- Je crois que c’est d’abord de ne pas décoller des réalités de la vie, et d’être attentif à la vie et à l’action des personnes, (copains, responsables, journaux, mouvement ouvrier).

- Le Mouvement m’a aidé à préciser le pourquoi de cette action, à l’approfondir.

- Il m’a aidé à noter la vie et à retrouver le lien au Christ, à prier à partir de la vie et de l’évangile.

- La session sur les sacrements m’a aidé à faire davantage l’unité de ce que je vis.

- L’attention à mes choix. Vont-ils déjà un peu dans le sens du sacerdoce ?

- Pendant les vacances, j’ai fini de lire "Un peuple se dresse " (Mai 68). A plusieurs pages, on voit des militants apporter l’action et les transformations de leurs copains à la messe, mais ils n’y parviennent pas, parce que les célébrations ne sont pas en lien avec ces événements qui ont pourtant mis en marche tout un peuple. Il me semble que c’est un appel pour que ma vie soit au service de ce peuple et lui permette d’aller jusqu’aux sacrements".

2) Aujourd’hui, quel est le contenu de mon projet ?

- Le prêtre, c’est d’abord quelqu’un en lien avec des personnes, pas pour les rassembler autour de lui et en devenir le chef, mais pour les mettre en mouvement. Ce n’est pas pour lui mais pour les mettre en lien les uns avec les autres et pour servir leur avancée.

- c’est celui qui connaît, partage la vie, l’action du Mouvement, qui croit aux moyens que se donne le Mouvement,

- Il est témoin de ce qui est Signe de Jésus-Christ, dans la vie et l’action, la réflexion qui se fait en lien avec le Mouvement. Le prêtre fait découvrir le lien avec Jésus-Christ. Il vérifie que le cheminement aille jusqu’au Christ.
Il veille à ce que tout ce qui se vit aille dans le sens de la construction de l’Eglise, et il en est responsable.

- Ce qui est important pour le prêtre, c’est la mission de l’Eglise. Il y concentre toute son attention, il s’y donne totalement jusqu’au célibat.

- C’est celui qui porte tout cela dans la prière. Il doit prendre du temps pour être en intimité avec Jésus-Christ.

- Son mode de vie est toujours à adapter. Il est dicté par la mission qui lui est confiée dans un milieu précis.

- Il partage tout cela avec d’autres prêtres et l’évêque, pour provoquer et être provoqué. C’est ensemble qu’ils portent cet effort d’évangélisation.

3) Comment cela enrichit ma vie ?
Ça me provoque et ça m’engage :

- à être militant à fond, à être vrai dans ce que je fais ;

- a un élargissement ; dépasser les liens que j’ai déjà ;

- à un approfondissement : prendre du recul, aller toujours plus loin ? .

- à prendre du temps pour m’arrêter et prier.

6 - LE CHEMINEMENT VERS LE MINISTERE ET LA COMMUNAUTE

Le projet est partagé fréquemment en équipe de Mouvement, mais non comme une réalité à part, comme une dimension et dans la logique d’un engagement apostolique aujourd’hui.

a) Bernard partage son projet avec deux militants jociste :

- "J’ai voulu, dit-il, qu’ils découvrent d’abord en moi le militant jociste,

- le sacerdoce que j’envisage sera complètement différent des curés traditionnels,

- mon projet doit être discuté avec les copains pour être vraiment au service de l’Eglise en classe ouvrière. La décision sera prise avec eux." (Janvier 74).

b) Huit G.F.O. avant leur entrée en plein temps d’étude et de formation pastorale à Lyon.

"Cet arrêt de travail a été réfléchi sur plus d’une année avec nos camarades de travail, de bureau, de syndicat, et avec la J.O.C. et l’A.C.O., ainsi que les, aumôneries concernées. Comment ?

- par des contacts individuels,

- par des assemblées de consultation regroupant 3O à 15O personnes de l’A.C.O., la J.O.C., l’A.C.E. (branche ouvrière). C’est notre premier engagement. Il a été célébré dans ces assemblées.

Donc, la communication de ce projet s’est faite :
- dans l’action ouvrière : auprès de nos camarades de travail, de bureau, au bureau syndical, lors du renouvellement de responsabilités syndicales (ce n’était pas une affaire entre chacun et le Bon Dieu) ;
- dans la vie apostolique : l’équipe fédérale connaissait mon projet. De temps en temps, on le reprenait. Et cela depuis 3 ans".

C’est là, dit un autre, dans l’Eglise du Christ en classe ouvrière, que nous avons le mieux vu la responsabilité collective de ce service. C’est là qu’est né, qu’a mûri notre projet. C’est là qu’il a pris son contenu". (Août 74) ( 2 )

7 - QUE SONT DEVENUS LES SIX G.F.O. DEVENUS PRETRES ?

- 2 sont au travail à temps plein, vivant dans une équipe pastorale et participant à l’aumônerie locale des Mouvements J.O.C. - A.C.O.

- 4 sont rattachés à (ou en lien avec) une équipe paroissiale, plus spécialement chargea du monde ouvrier jeunes ou adultes en lien avec les Mouvements.

La décision de la modalité pratique du ministère a été prise, pour chacun d’eux, après réflexion avec le secteur (prêtres et laïcs) où ils étaient nommés.

8 - QUELQUES POINTS D’ATTENTION

Au terme de ce parcours, dégageons quelques convergences ou insistances du cheminement G.F.O.

- Souvent les jeunes en G.F.O. reprennent et reformulent un projet d’enfant, à partir d’une vie apostolique en monde ouvrier, dans le cadre de la J.O.C., ou de l’A.C.O. Toutefois, la moyenne d’âge des entrants en formation a tendance à être de plus en plus élevée.

- Ce projet est de plus en plus partagé, et de plus en plus tôt, en équipe fédérale, et avant l’arrêt de travail avec les militants du secteur (jeunes et adultes).

- Ce qui mobilise les jeunes, c’est moins un modèle de prêtre (n’y a-t-il pas cependant le modèle de l’aumônier de Mouvement ?) qu’un type d’Eglise à susciter : ça vaut le coup d’y consacrer sa vie. La question des modalités de ministère est donc peu posée : ni par les jeunes, ni par les responsables G.F.O., au niveau du 1er cycle.

- Le projet sacerdotal s’inscrit au coeur d’une visée apostolique collective. Cet enracinement est non seulement mobilisateur mais exprime une cohérence, une unité de recherche et d’action, vraiment exceptionnelles. Cet élément communautaire et structurant, très conforme au projet collectif, demande toutefois à être personnalisé pour être capable de s’affronter aux difficultés qui ne manqueront pas de surgir. La formation doit y veiller.

- Enfin, trois requêtes s’expriment fréquemment au sujet de l’exercice même du ministère :
. que le prêtre soit en communion étroite avec la classe ouvrière et en comprenne le combat (on redoute la marginalisation qui pourrait résulter d’un certain type de formation ou de l’arrêt du travail).
. qu’il soit l’homme de la Parole, d’une Parole qui vient d’un Autre mais éclaire la vie,
. qu’il soit, par les sacrements, le célébrant de Jésus-Christ présent et agissant dans la vie personnelle et collective des personnes.

NOTES --------------------------------------

(1) Les G.F.O. sont actuellement :
73 en premier cycle, dont 10 entrés à l’âge adulte (+ de 28 ans) ;
14 en deuxième cycle (i.e. après l’arrêt du travail) ;
6 sont aujourd’hui ordonnés. [ Retour au Texte ]

(2) Actuellement le 2ème cycle est de 4 ans, en lien avec un séminaire jusqu’ici à Lille, Lyon et Paris). Un dialogue loyal-bien que souvent difficile- est ouvert pour que soit respectée davantage l’originalité de leur démarche qui est celle du monde ouvrier et de l’Eglise en monde ouvrier... [ Retour au Texte ]