A l’écoute de ces jeunes (analyse de 27 monographies)
A L’ECOUTE DES 18-22 ANS QUI « PENSENT AU SACERDOCE »
MAIS QUI DIFFERENT TOUTE ENTREE DANS UN TEMPS DE FORMATION
Remarque préliminaire : il ne faudrait pas majorer le poids de ces monographies et vouloir en tirer des conclusions décisives. Nécessairement la lecture que j’en ferai ne sera pas neutre (1). Leur petit nombre ne permet pas non plus une exploitation statistique. Et surtout, il n’est pas sûr que l’échantillon soit représentatif. C’était le sens de la question que nous nous sommes posée en carrefours : "pourquoi avoir choisi cette monographie ?"
En fait, il apparaît bien que nous avons opéré une certaine sélection. Nous avons choisi ceux que nous connaissions le mieux, i.e. souvent depuis plus longtemps, ou ceux qui nous paraissent significatifs d’une question, : d’une recherche. C’est pourquoi l’impression de très grande richesse humaine (personnalité, engagements, etc.) déjà soulignée hier par les carrefours ne doit peut-être pas être généralisée trop vite à tous ceux qui aujourd’hui pensent au sacerdoce. De même ils paraîtront souvent assez "classiques" ; mais précisément ce sont ceux qui sont venus nous trouver… et même parfois ceux dont nous avons pensé devoir parler ici...
Ceci dit, la convergence de ces monographies n’est certainement pas sans intérêt, non seulement pour prévoir un accompagnement et une formation, mais pour entrevoir la façon dont le ministère presbytéral sera vécu par une autre génération.
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I- QUI SONT-ILS ?
Commençons par un regard d’ensemble, pour situer (et donc relativiser) l’échantillonnage. Sur 27 monographies :
10
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concernent des jeunes de | 18 | ans |
8
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19 | ||
5
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20 | et 21 ans | |
4
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23 | et 24 ans |
D’autre part, il concernent des jeunes de la région parisienne (un peu sur-représentée).
Enfin
17
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concernent des jeunes | des milieux indépendants |
6
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de milieu rural | |
4
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du monde ouvrier |
Il est nécessaire de garder à l’esprit ce déséquilibre pour relativiser les remarques qui suivent.
LEURS FAMILLES
En schématisant un peu, deux points semblent les caractériser :
- le nombre d’enfants : en moyenne un peu plus de 4 ; 6 ou 7 n’est pas rare ; un seul est fils unique.
- Presque tous ont des parents pratiquants : on ne trouve pas trace de parents incroyants ; ils sont rarement indifférents, presque toujours pratiquants, et souvent militants (ACI, ACGF, paroisse, catéchèse...). ..Souvent cela correspond aussi à un engagement humain important (syndical, politique, associations de parents...)
La mère est souvent mentionnée dans l’itinéraire :
Luc (18 ans) : "ma mère serait contente que je sois prêtre, mais enfin si je ne le suis pas, elle n’en fera pas une catastrophe".
Michel (même âge, bourgeoisie parisienne) : "il n’y a que ma mère qui était au courant : heureuse, mais me laisse libre".
Impression donc, dans l’ensemble, d’un environnement familial assez classique, et que tous disent important pour eux. Nous verrons, à propos des projets de ministères, qu’ils remontent le plus souvent à l’enfance, souvent à l’époque de la Profession de Foi ; la cellule familiale semble y avoir joué un rôle important. Une confirmation : 13 sont passés par un petit séminaire ou un foyer, ce qui est le plus souvent un signe de l’approbation du projet par les parents.
Parmi bien d’autres, une expression significative de cette importance de la famille :
Paul a 21 ans, son père est médecin, sa mère au foyer. La famille est nombreuse : 10 enfants. "Pour moi, elle forme une communauté diversifiée, dont je suis l’aîné. Ma famille a une grande importance dans ma vie, spécialement à cause du témoignage de vie chrétienne de mes parents. Toute ma famille est profondément croyante et unie. J’y ai puisé le sens du service, du Tiers-Monde ...
Il y a un an, j’ai dû quitter ma famille pour être moi-même. Elle m’a beaucoup manqué. Mais je l’ai retrouvée depuis."
ETUDES ET PROFESSIONS
Deux passent le Bac.
Un seul- travaille professionnellement à temps plein : il a 20 ans, est du M.O. et travaille comme secrétaire dans une entreprise d’aliments pour bétail.
Presque tous les autres sont étudiants ; deux d’entre eux travaillant à mi—temps, comme surveillant, et comme animateur.
Les études entreprises sont peu caractéristiques, et leur "projet" ne semble pas en avoir déterminé le choix. Forte majorité d’études mathématiques et scientifiques (facultés et grandes écoles) ; 3 sont dans des écoles techniques ; 2 font du .droit ; un pense faire médecine (il a 18 ans) ; un seul a fait des études littéraires. (23 ans, maîtrise de lettres classiques). C’est sur ce dernier point que l’évolution est peut-être la plus marquante depuis une dizaine d’années.
ENGAGEMENTS
Parallèlement à ces études, ou plutôt en lien avec elles, ce sont le plus souvent ce qu’on peut appeler des "gens engagés", et même très engagés, tant au lycée ou en fac, que dans la commune, ou dans les diverses communautés auxquelles ils appartiennent. Ici je ne pense pas devoir séparer "engagements humains" et "engagements chrétiens" ou "ecclésiaux" ; ils ne le font pas habituellement.
Beaucoup sont ou ont été chefs de classe, délégués. Ils ont des responsabilités dans des animations de loisirs, dans des camps. 7 ou 8 sont ou ont été responsables ACE. Enfin un certain nombre, surtout parmi les plus jeunes, sont assez sensibilisés par des groupes ou des actions "Tiers Monde". Deux exemples caractéristiques de ce foisonnement, qui défie un peu nos classifications :
Christian (18 ans et demi . ; banlieue parisienne) : jusqu’en seconde il suit les activités du lycée sans s’y engager beaucoup. A la suite d’une série de camps, il s’engage davantage à l’aumônerie, et en même temps, au niveau du lycée, il s’engage à l’UNCAL, puis à la JEC...
L’an dernier, il fait de l’alphabétisation, et entre au PSU avec le désir d’acquérir une formation politique.Bernard, 18 ans, famille rurale de l’Ouest, responsable ACE et animateur paroissial : "il n’y avait plus personne, dit-il, pour l’harmonium ; messes mortes... Faisant un peu de piano, je me propose, et j’ai pris l’animation musicale". Et le même : "Le café, le seul de la commune, doit disparaître le 1er août de cette année ; la commune sera morte, et toute activité religieuse risque de disparaître" (sic). Il cherche alors a mettre en place, avec des conseillers municipaux, un foyer de jeunes, ou un café mutualiste..."
La plupart du temps, ce sont donc des garçons très pris ; un aumônier parle même d’activisme :
Cette année, Frédéric (23 ans) a joint à un travail de surveillance au Foyer de jeunes, diverses responsabilités : une troupe Rangers, des groupes JTC, croisade des aveugles. Cet été il participe à la direction de deux camps...
S’ils exprimaient, dans une sorte de tour de table, les responsabilités ou les mouvements d’Eglise dans lesquels ils sont ou ont été engagés, là encore nous serions peut-être surpris par la très grande diversité (plusieurs d’ailleurs cumulent) : aumôneries de lycée (5), communautés-étudiantes, JEC (3) ; JIC, JOC, MRJC, ou équipes d’acheminement (11 ou total) ; responsables ACE (souvent les mêmes, (7) ; MEJ (JTC, 4) ; chefs scouts (2) ; liens avec une paroisse (animation liturgique, catéchèse, participation a un conseil pastoral : 2 ou 3 seulement en parlent) ; pour que l’énumération soit complète, il faudrait ajouter 1 ou 2 groupes de jeunes, un peu informels, la Conférence St-Vincent de Paul (1), Taizé (1), et une "fraternité charismatique"... Sans vouloir tout mettre sur le même plan, il nous faut cependant prendre acte de cette diversité. Remarquons seulement que 13 sur 27 participent d’une façon ou d’une autre à l’ACS (JIC, JOC, MRJC, ACE).
Terminons ce paragraphe sur leurs engagements par une remarque sur l’Eglise : si à peu près tous sont engagés dans diverses cellules ou mouvements d’Eglise, peu parlent explicitement de l’Eglise ; le même silence, ou la même discrétion m’avait d’ailleurs frappé chez des gens entrant en 1er cycle, et même en 2° cycle de séminaire.
Christian (18 ans, aumônerie de lycée, JEC) dit : "j’ai peu d’attache avec l’Eglise" ; s’agit-il de la paroisse ? de la hiérarchie ? Quatre expriment des réticences (méfiance à l’égard de son "aspect doctrinaire") ; Francis (23 ans) précise que, s’il envisage d’être prêtre plus tard, "ce sera dans une Eglise différente". L’un d’entre eux (celui de la "fraternité charismatique") est même nettement agressif à l’égard de ce qu’il appelle "l’institution".
Mais tout se passe comme si la plupart n’identifiait pas spontanément l’Eglise avec les diverses communautés chrétiennes dans lesquelles ils sont engagés. Souvent à propos de la formation, ils parleront de "ce que me propose l’Eglise". Il serait intéressant d’étudier de plus près cette image de l’Eglise qu’ils portent en eux, et dont je serais tenté de penser, par hypothèse, qu’elle est plus proche de celle de leurs parents que de celle de "Tous responsables".
Une exception cependant, Jean—François, 24 ans, responsable ACE : pour lui, l’Eglise "c’est tout ce qui chemine" ; "quand dans une aumônerie des gars de quatrième se retrouvent, ils sont l’Eglise".
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II - CE QUI LES FAIT AVANCER
On pourrait regrouper sous ce titre tout ce qui leur a paru important dans leur itinéraire ; non seulement les engagements dont on vient de parler, mais aussi un certain nombre de liens, des rencontres, et des moments qui leur ont paru plus déterminants. A travers l’ensemble des monographies on pourrait distinguer ici des éléments constants et des événements marquants.
Parmi les éléments constants, dont tous reconnaissent l’importance, il y a d’abord des amis.
Didier (19 ans, m.i.) : "mes parents m’ont collé au séminaire à 9 ans. J’ai perdu tous mes copains ; j’en ai surtout souffert à partir de la seconde." Aujourd’hui, depuis 2 ans, il s’est fait des amis ; "si on m’enlève les copains, je crève".
Souvent, ce qu’ils cherchent d’abord dans des équipes "Diaspora" ou "Recherche", c’est des amis avec lesquels partager : besoin de dire aux autres leur projet, de construire ensemble. Remarquons aussi que la mixité tient souvent une certaine place dans leur vie, leurs engagements, leurs amitiés :
Ainsi Philippe.(17 ans, m.o.) : "J’ai fait la connaissance de Christine, une fille sérieuse et sympa. De physique, elle est bien. En classe de religion elle a de bonnes idées. Je lui ai fait savoir qu’elle est bien et réciproquement. On a discuté ensemble au café sur notre classe et sur nous en face de la classe. On a décidé d’agir ensemble, avec Jean-Luc, Jean-Marc, et Jean-Jacques."
Plusieurs (2 ou 3) vivent aussi en communautés, à 3 ou 4.
Autre élément constant, le prêtre accompagnateur, quels que soient le nom qu’ils donnent à sa fonction et la façon dont ils en usent. Inutile sans doute d’insister sur son importance : beaucoup de monographies témoignent d’un accompagnement d’au moins 4 ou 5 ans.
De même, troisième constante, une sorte de régularité, parfois impressionnante, dans la vie de prière et la pratique religieuse : une expérience spirituelle qui dure, qui s’inscrit dans une histoire.
Philippe (dont on vient de parler) : "tous les soirs je lis l’Evangile en fonction de la journée, même si je suis fatigué"
Cette expérience spirituelle paraît assez liée, la plupart du temps, aux divers engagements qu’on énumérait tout-à l’heure :
Christian (18 ans 1/2), aussitôt après avoir dit, à propos de l’alphabétisation, "ce qui me passionne c’est l’homme", continue : "mon expérience antérieure de pratique religieuse s’est ancrée en moi. Je ne peux supprimer Dieu dans ma vie, pas un Dieu qui incarne des valeurs, mais un Dieu personne que je découvre dans les autres."
Certains cependant vivent comme une tension leur vie spirituelle et leurs engagements. Ainsi Gérald (19 ans) se dit "tiraillé" entre la prière, découverte dans une retraite dans une abbaye, et l’engagement découvert à la même époque dans une grève au lycée ; derrière un tel "tiraillement", en plus des problèmes de temps disponible, il peut y avoir aussi une certaine conception de la prière.
Notons aussi (mais sans doute est-ce une évidence) la grande importance de l’Eucharistie, que beaucoup soulignent (par exemple, participation régulière à des messes d’aumônerie, tôt le matin, en semaine). De même pour certains le sacrement de la Réconciliation qui semble jalonner leur cheminement, ou bien célébré personnellement avec le prêtre accompagnateur, ou bien comme une réconciliation plus collective, au terme par exemple d’une réunion d’équipe. Plusieurs célébrations de ce genre sont mentionnées comme ayant représenté des étapes.
Venons-en aux "événements marquants" : ceux de la vie du monde : des grèves, le Chili, les élections présidentielles. Mais il y a surtout des événements . qui les ont marqués chacun personnellement. Ce sont tout d’abord des retraites, des "centres", des camps, des pélés ; cela revient dans presque tous les itinéraires. Retraite de profession de foi ; retraites dans des abbayes, le plus souvent en groupe ; ils y ont "découvert la prière", et d’autres, jeunes ou moins jeunes, cherchent comme eux.
"Au Frat 74, à Lourdes, écrit René (18 ans, Val de Marne), j’ai vécu quelque-chose de formidable... J’ai rencontré d’autres Terminales de la région, dans les carrefours, d’autres milieux... J’ai surtout découvert que j’ai quelque chose de formidable à faire partager. Nous sommes très nombreux à avoir été interpellés (comme le disait/le Cardinal Marty) par l’appel de Jésus-Christ".
Ce sont aussi des rencontres :
Pour l’un, c’est la rencontre d’une religieuse, au moment où il se posait des problèmes de foi.
Pour un autre, rencontre d’un prêtre fidei donum partant au Mexique. Pour plusieurs, de milieu indépendant, c’est la découverte du monde du travail, pendant les vacances.
"En juillet, dit René, 18 ans, j’ai travaillé à la chaîne dans une papeterie ; ça m’a drôlement marqué".
Pour un autre, c’est une discussion à Lourdes avec un séminariste, comme lui du monde ouvrier, et avec un fédéral J.O.C.
Pour plusieurs, c’est la rencontre d’une fille, qui a marqué, parfois bousculé leur recherche.
Enfin, ces "événements marquants" sont très souvent pour eux des choix qu’ils ont eu à faire ; importants ou mineurs, ils jalonnent leur existence, et ils les soulignent eux-mêmes chaque fois qu’ils "reprennent" leur vie. Pour certains, c’est le jour où ils ont commencé à s’engager de manière personnelle à la paroisse ou au lycée.
Pour un autre, dans une école d’ingénieurs, c’est le jour où il a choisi de faire avec un copain, devant une classe amorphe, un exposé sur le syndicalisme. Pour deux ou trois, c’est le jour où ils ont eu l’occasion pour la première fois d’exprimer leur projet sacerdotal devant des copains (par exemple dans un partage d’Evangile).
D’une manière générale, c’est chaque fois qu’ils ont eu à "se mouiller". Ce sont aussi des choix d’orientation, et certains y manifestent assez jeunes une certaine personnalité.
Ainsi Bernard, 18 ans, de l’Ouest : "vers 10 ans je voulais être prêtre ; le recteur voulait que j’aille ou petit séminaire diocésain ; un prédicateur voulait que j’aille dans une école apostolique ; un Montfortin voulait que j’aille à Pontchâteau, où j’avais deux cousins séminaristes ; ... je suis entré au C.E.G. du canton."
III - LEUR PROJET DE MINISTERE
Voyons d’abord comment ils l’expriment, et comment il évolue. En parlant de leur famille, on notait que souvent le projet de sacerdoce s’enracine dans l’enfance. Plusieurs parlent du catéchisme, ou de la profession de foi en particulier ceux qui sont passés par un petit séminaire ou un foyer.
De cette "origine", on peut souvent distinguer une "émergence", au terme de l’adolescence (Seconde, Première, Terminale ?) où le projet est exprimé, parfois à la famille ou aux amis les plus proches, souvent à un prêtre, et où il est marqué par plus de détermination.
Ainsi Hervé (18 ans), au retour d’une retraite avec des gars de sa classe, dans le train, questionne l’aumônier sur l’origine de sa vocation, et lui confie : "J’ai pensé être prêtre". C’est ce que j’appelle l’émergence.
A partir de ce moment-là peut commencer toute une réflexion, une maturation, et un accompagnement plus adapté. En particulier on assiste alors assez souvent à une sorte de ré-enracinement, de "repiquage" du projet. C’est particulièrement manifeste pour ceux qui sortent d’un petit séminaire ou d’un foyer quand on leur permet d’en prendre le temps et les moyens. Et ce ré-enracinement affecte souvent ce qu’on pourrait appeler "la composante Tiers-Monde" du projet. En effet beaucoup de projets ont dès l’enfance et jusqu’au moment où ils émergent une orientation "missionnaire" (au sens "extérieur") assez marquée
Paul (2l ans, Tours) : "au jardin d’enfants, j’ai pensé être missionnaire".
Pierre (18 ans, Indre) : "J’ai toujours rêvé d’aller dans un pays sous-développé pour apporter de l’aide ; j’ai toujours ce désir, mais il n’est pas du tout précis".
Et c’est là que paraît souvent s’opérer un repiquage :
Hervé (celui qui disait son projet dans le train) : "j’ai compris aussi que l’action pour le Tiers-Monde, c’est dans ma ville qu’il faut que je la vive".
De même, Luc, 18 ans, bourgeoisie parisienne : "est-ce que ça vaut le coup de partir dans les pays lointains, alors qu’autour de nous il y a pas mal de choses à faire ?"
D’une façon plus générale, ce "repiquage" les conduit à envisager un ministère plus explicitement en lien avec les multiples engagements qu’on décrivait tout à l’heure ; c’est là, au cœur de leur vie, de leurs relations, de leurs engagements, qu’ils découvrent plus clairement le ministère comme responsabilité à l’égard d’autres.
Ainsi Jean-François, 24 ans, exprime ce qu’est son projet aujourd’hui : "c’est dans ce milieu (une communauté de jeunes de son quartier) que je perçois un appel. C’est eux qui m’appellent à une fonction particulière parmi eux. Ça ne se dit pas comme ça (d’ailleurs ils ne savent pas que je pense à être prêtre) ; mais chacun, dans une communauté qui vit, doit trouver sa place, et chacun doit aider les autres à trouver leur place* Je ressens chez eux un appel à ce que je sois au milieu d’eux porteur de quelque chose ou de quelqu’un... Dès maintenant, il m’arrive de me ressentir vis-à-vis des autres dans cette situation."
Cependant il est très important de constater que ce repiquage, ce ré-enracinement d’un projet de ministère dans tout un environnement, tout un réseau de relations et de responsabilités, ne va pas nécessairement dans le sens d’une précision du projet, et souvent bien au contraire ; beaucoup avouent que leur projet est de plus en plus "flou" (avons-nous le droit de traduire de plus en plus "ouvert" ... ?
"Vocation ? Sans doute, dit Dominique (20 ans), mais à quoi ?"
De même André (19 ans, M.O.) : "je suis entré au foyer avec une vocation de prêtre ou missionnaire. Maintenant j’approfondis : je veux être chrétien... J’ai toujours envie d’être prêtre, mais d’abord d’être chrétien, responsable, et libre". Et lorsqu’il exprime ce qui est essentiel pour lui : "je voudrais être libre, être heureux avec d’autres".
Hervé (18 ans) : "je ne peux encore rien dire sur mon avenir. Ce que je peux dire c’est que la prière, c’est important pour moi, que j’ai le désir de partager ma foi, mais je n’ai toujours pas pris d’engagement."
Michel (18 ans) : "travailler d’abord, on verra après pour le projet, c’est encore flou".
D’où l’importance du temps, qu’on a souvent soulignée. Mais encore faudrait-il qu’à un moment donné une proposition soit susceptible de "séduire". Tous nous avons été conscients de la nécessité de leur présenter des exigences, mais de l’impossibilité de leur faire franchir des seuils en faisant pression : eux qui sont si prêts, nous l’avons vu, à s’engager dans toutes sortes de choses sont en même temps extrêmement sensibles à ne pas se faire "enschlusser", "entuber", "récupérer" etc. Remarquons à cette occasion qu’ils sont bien semblables aux autres jeunes de leur génération, qui manifestent parfois la même appréhension à l’égard de la famille, de la "grande école", de la profession, voire du mariage.
Parmi les facteurs qui poussent certains à remettre sans cesse à plus tard une précision de leur projet, il faut certainement noter une certaine dévaluation des "modèles" de prêtres qui leur sont actuellement présentés. Un certains nombre, là où ils en sont de leur évolution, non seulement ne perçoivent plus le sacerdoce que comme une forme parmi d’autres de service des autres et de l’Eglise (ce qui reflète bien l’évolution actuelle de l’Eglise), mais ils s’imaginent assez mal dans le sacerdoce tel qu’il leur paraît vécu aujourd’hui. L’expression "prêtre pour demain" revient assez souvent, sans que son contenu, naturellement, puisse être suffisamment précisé.
Bernard, 18 ans, environs de Rennes, déjà cité à propos de l’Eglise : "si la solution de prêtre est envisagée, elle sera différente, dans une Eglise différente".
Didier, 19 ans, Sud-Ouest, sortant aussi d’un petit séminaire : "je ne veux pas être curé" (i.e. comme vous). Les raisons pour lesquelles je voulais être curé (éduquer, vivre avec d’autres, je les retrouve dans ma vie professionnelle (il. est en IUT d’animation socioculturelle)... Etre curé pour se soucier des autres, cela ne me suffit plus".
Philippe (M.O.) écrivait quand il avait 17 ans : "qu’est-ce que je pense actuellement du prêtre ? Ils n’ont pas du tout les pieds sur terre... Si plus tard j’ai encore l’intention de devenir prêtre, ce ne sera pas prêtre 1974, mais prêtre de demain". Et il précisera : "quand je vois les prêtres qui m’entourent ici au collège, non".
D’une façon générale, .dans leurs réactions vis-à-vis du mode de vie des prêtres et de leur façon de vivre le ministère, on trouve beaucoup d’indétermination et pas mal de réticences (il serait intéressant de comparer avec ce que des élèves-ingénieurs disent des conditions de vie et de travail de leurs prédécesseurs...).
Il est sans doute significatif que les plus jeunes s’expriment très peu sur les conditions de vie du prêtre, l’exercice du ministère, les divers types de ministères. Rien sur ce sujet chez les 10 de 18 ans, quels que soient leur milieu et leur projet. Mais la question vient peu à peu : deux de 19 ans s’en expriment, avec quelques réticences sur ce qu’ils perçoivent de la vie du prêtre.
Ainsi Bruno, 19 ans, Ecole d’ingénieurs : "vu de mon Ecole, le prêtre ne produit pas. Le Père dominicain qui nous réunit semble planer, être en dehors du coup. S’il était prof de maths à l’Ecole, il serait plus près de nous."
Ce genre de réflexion devient beaucoup plus général, chez ceux qui ont 20 ans ou plus ; presque tous ceux qui parlent alors de la vie du prêtre, telle qu’ils la perçoivent, le font avec des réticences :
Vincent, 20 ans.. : "je crois profondément que le fait d’être prêtre suppose comme condition sine qua non le partage de la vie des gens... Je ne crois pas qu’on puisse annoncer Jésus-Christ en se marginalisant".
Francis, 23 ans : "il faut qu’ils travaillent, pour ne pas être une catégorie à part."
L’un ou l’autre cependant voit la nécessité de relativiser l’exercice de la profession :
Pascal, 20 ans, Sciences Po : "pour tous ceux avec qui on vit, l’essentiel c’est le boulot, pour avoir une profession. Si on veut être prêtre, cela devient second (pas forcément secondaire) !
Donc, sur le mode de vie des prêtres, ils s’expriment relativement peu, sinon, peu à peu, pour exprimer des réticences, et surtout le désir de rester bien insérés dans la vie des hommes. De ce point de vue, ils représentent sans doute une évolution par rapport aux générations précédentes : ce ne sont pas eux qui demanderont plus tard à "passer au travail" ou à "être partie prenante de la mise au monde de l’Eglise" ; pour la plupart ils en sont, et ils entendent bien y rester, d’une manière ou d’une autre.
Enfin un mot mérite ici d’être souligné, le mot "peur" ; il revient assez souvent, et est sous-jacent à bien des expressions, "après", "plus tard", "vivre d’abord". L’un d’eux l’explicite davantage :
François, 20 ans : "j’ai peur d’être malheureux en étant prêtre ; peur d’être seul, et donc pas heureux, peur du ministère qui est une charge (peur = appréhension, vertige).
Ceci nous amène à parler plus particulièrement de leurs réactions à l’égard du célibat. Là encore la plupart de ceux de 18 ans n’en disent rien, sauf ceux du monde rural (sont-ils plus mûrs ?) ; deux d’entre eux le voient assez positivement :
Pierre, de l’Indre, dit à propos du mariage d’un copain : "je pourrais faire beaucoup plus si je suis prêtre que si j’ai un foyer. Mariage et célibat, ça m’a posé beaucoup de problèmes, parce qu’à une époque je pensais uniquement célibat, et par contre-coup j’ai rencontré beaucoup de filles... Certaines m’ont posé beaucoup de problèmes... Je trouve ça extraordinaire et beau quand je trouve un foyer uni... J’ai vachement besoin de quelqu’un qui soit concret pour moi. Pour moi le célibat est dur, me semble dur, et pourtant si j’avais à prendre une décision tout de suite, ce serait basé sur le célibat."
Joël, 18 ans lui aussi, affirme que le célibat ne lui fait pas peur. : "j’ai déjà aimé une fille ; si ça m’arrive, je crois que je pourrai surmonter ça..."
Parmi les 8 de 19 ans, 3 seulement s’en expriment, pour dire leurs réticences :
Ainsi Didier, qui sort d’un petit séminaire : "la question du célibat m’embête. Je suis à une époque où j’ai envie de tout connaître, même la vie conjugale." Et, six mois plus tard : "tant que célibataire et curé seront confondus, non... Je me sens vachement capable d’aimer une nana et j’ai vachement envie de me consacrer entièrement à une tâche, pour le moment . mon boulot, d’animateur".
Parmi les 9 qui ont 20 ans et plus, 5 s’en expriment explicitement, 3 pour dire leurs réticences ; l’un d’eux est même nettement agressif :
Vincent (celui qui se disait assez hostile à "l’institution") : "Dans l’Evangile, il n’a jamais été question de célibat, il n’a jamais été question de ces conneries là". Et il commente : "c’est détruire la personne, c’est détruire sa capacité de choisir".
Un seul est assez nettement positif :
Paul (2l ans) : "un célibat est vécu en profondeur quand on est en ouverture avec beaucoup. Je me sens un appel plus profond que l’affection d’une fille ; l’appel de Dieu est plus fondamental que tout".
D’une façon générale, si on s’en tenait aux chiffres, on pourrait donc conclure, sur cette question du célibat, que, sur 27, 6 seulement sont assez nettement réticents ou opposés, 4 sont relativement favorables, et tous les autres, surtout les plus jeunes, n’en parlent pas.
Cependant, la question, sans être primordiale, me paraît significative. Car c’est là que pour beaucoup, pour la première fois, le projet sacerdotal apparaît dans une alternative avec une réalité humaine de poids ; et, de ce fait même, c’est là souvent que pour la première fois la projet sacerdotal apparaît lui-même comme ne faisant pas le poids. Cette question du célibat, non plus posée de façon abstraite, mais concrètement la rencontre d’une fille avec laquelle apparaît la possibilité de construire sa vie, est pour beaucoup une sorte de révélateur, une "minute de vérité". Notons d’ailleurs que certains ne parviennent pas à se poser la question en termes d’alternative, et ne perçoivent aucune discontinuité entre les projets qu’ils avaient élaborés jusque là et ce qu’ils voudraient construire dans une vie de couple. Mais de toutes façons, il est clair que lorsqu’à ce stade le projet de sacerdoce est encore assez imprécis (et nous remarquions qu’il l’est souvent), il est susceptible de disparaître en quelques jours.
Ceci m’amène à proposer une hypothèse d’interprétation, qui paraîtra hasardeuse à certains, une banalité pour d’autres, qui demanderait d’autres vérifications, mais qui n’est là que pour nous faire réagir et pour amorcer un débat.
Tout se passe comme si leur premier projet sacerdotal (celui de "l’origine", de l’enfance) était fondé sur un modèle plus ancien, peut-être plus sacral et sacramentel ; il paraissait devoir polariser toute la vie et toutes les virtualités de la personne. Et tout se passe comme si ce modèle, mobilisant au départ, devenait progressivement inopérant, à partir de l’"émergence", du "repiquage".
Semble apparaître alors (sous quelle influence ?) comme un nouveau modèle, qui prend le relais, de type plus "responsable", animateur, accompagnateur ; s’il est plus relationnel, il ne faudrait pas le dire plus "horizontal", il inclut fondamentalement la dimension spirituelle, apostolique : responsabilité de la foi, ministère de l’Evangile. Mais ce second modèle,.dans bien des cas, n’apparaît pas aussi totalisant que celui qu’il remplace ; on s’y intéresse, on a du mal à s’y consacrer. Il ne mobilise pas au point de justifier l’ancien mode de vie, y compris le célibat et la relativisation de la profession et des engagements. Pour certains même, il impliquerait un mode de vie et d’engagements qui jusqu’alors apparaissait comme devant être celui des laïcs. Remarquons au passage que la même mutation est vécue par un certain nombre de prêtres ; il en est alors qui ne parviennent pas à réinvestir dans les nouvelles figures du ministère tout ce qui les avait mobilisés jusque là.
Il est permis de penser que pour certains une réelle expérience spirituelle, une rencontre radicale de Jésus-Christ, peut permettre de s’accommoder d’un ministère humainement un peu dévalué (remarque de l’un d’entre nous hier en carrefour) ; mais bien souvent le ministère que perçoivent certains jeunes, i.e. les figures du ministère que nous leur proposons, ne leur paraissent précisément pas à la mesure de leur expérience spirituelle et de leur soif d’absolu. Il me semble que le ministère leur paraît parfois trop mince pour qu’ils puissent y investir tout leur dynamisme humain et apostolique, trop étroit pour qu’ils puissent y loger toutes leurs espérances. Peut-être alors faudrait-il inventer, ou réinventer, avec eux d’autres façons d’être "prêtre".
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IV - LA FORMATION
Dès lors, si la question essentielle est celle du ministère, et plus précisément des figures à venir du ministère presbytéral, il était sans doute logique de repousser en appendice la question de la formation. Les questions que se posent "ceux qui pensent au sacerdoce" ne pourront pas être résolues seulement en réformant les séminaires, ou même les autres cheminements.
De fait, dans l’ensemble, les monographies parlent peu de la formation ; et on y trouve beaucoup moins de réactions négatives ou d’allergies qu’on aurait pu l’imaginer (si ce n’est quelques petits séminaires encore mal digérés).
Ici encore, comme pour les modalités concrètes d’exercice du ministère, ou pour le célibat, les plus jeunes parlent peu de cette question de la formation ; ils ne se posent pas la question, du moins dans ces termes là. Au total, sur les 27, 5 envisagent l’entrée dans un grand séminaire à brève échéance ; un seul y semble opposé, comme d’ailleurs à toute "filière" :
Francis, 23 ans, maîtrise de lettres classiques, et professeur dans une école libre, souhaite une sorte de décantation pendant deux ou trois ans de vie professionnelle, et ajoute : "la formation en tout cas devra être assez naturelle, dans un petit groupe, à partir de la vie concrète. On se formera à partir des contacts et d’un embryon de ministère". Mais il ajoute : "mais, peut-être est-ce trop anti-intellectuel comme projet".
Plusieurs au contraire, au nom d’une exigence de sérieux, admettent un certain "détour" :
Par exemple Paul, 2l ans : "j’ai besoin d’aller plus loin, d’avoir un travail intellectuel vrai, aux Carmes ou au Séminaire Universitaire... En fait je ne souhaite pas être coupé des gens ; mais pour prêtre plus utile à long terme, il le faut. Je refuse une formation à laquelle je n’aurais pas le temps de me donner à fond."
Deux ou trois semblent s’orienter, dans un premier temps, vers les GFU ; un vers les GFO ; un participe à un groupe qui utilise les fiches de la JIC ; un est en contact avec des circuits moins reconnus, pour y trouver "une formation solide".
Mais une bonne moitié ne se pose pas la question, ou bien demande simplement une information. Il semble en tout cas que beaucoup, même parmi les plus âgés, diffèrent, mais, me semble-t-il, encore une fois, pour des raisons qui tiennent beaucoup plus au ministère lui-même qu’à la formation.
Il reste cependant que les deux questions, ministère et formation, ne sont absolument pas indépendantes ; et relativiser la question de la formation n’est pas la supprimer. Il est évident en effet que la mutation du ministère presbytéral, ou plus exactement des figures de ce ministère, qui paraît s’esquisser, entraîne - ou présuppose - une mutation de la formation.
C’est sans doute ce qui fait l’enjeu, et l’intérêt, des rencontres comme celle-ci.
Jean-Noël BEZANCON
NOTES -------------------------
(1) Il faut sans doute que j’avoue mes "solidarités" de fait, qui colorent nécessairement ces remarques : je suis professeur dans un second cycle et intervenant dans les G.F.U. Je participe à la recherche de la J.I.C. sur l’accompagnement de ceux qui ont un projet de sacerdoce ; et je fais actuellement partie de l’équipe de formation de la Mission de France. [ Retour au Texte ]