L’accompagnement des jeunes... comment le vivons-nous ?
Les réflexions qui vont suivre sont le résultat d’une recherche commune qui a eu son point d’aboutissement au stage de Bièvres 1974, mais qui avait été préparée depuis de longs mois ...par un travail de monographies et de premières interrogations. Dire cela en commençant, c’est souligner peut-être l’intérêt de ces quelques pages mais c’est sûrement aussi en déclarer les limites... Tout ne sera pas dit, ni même rappelé, quelques points seulement, surgis de l’actualité que nous avons vécue à Bièvres, seront repris et, si possible, éclairés.
La mise en commun de nos expériences à Bièvres avait fait apparaître une "forêt" de questions où nous aurions pu nous perdre si quelques thèmes majeurs, souvent répétés, n’étaient apparus, nous invitant à la réflexion. Ce sont ces pistes principales que nous allons reprendre ici en essayant de les éclairer.
I – L’IMPORTANCE DU CONTEXTE
Citons quelques prises de conscience plusieurs fois exprimées : "il faut placer ce que nous disons dans un contexte évolutif" ... ou bien : "Ça fait partie d’une mutation plus profonde qui nous dépasse ..." Nous comprenons que notre accompagnement doit tenir compte non seulement d’une toile de fond plus générale que Georges Carpentier a essayé d’évoquer dans sa présentation du monde des jeunes, mais aussi d’une évolution, d’une histoire où nous sommes embarqués et au sein de laquelle nous sommes partie prenante.
A/ L’évolution du rapport Eglise - Monde
1) L’exclusivisme mutuel. Si nous nous reportons au début de ce siècle, nous assistons à une suspicion réciproque, voire même à une condamnation réciproque de l’Eglise et du monde. Le positivisme et le scientisme ont accusé l’Eglise d’obscurantisme et celle-ci s’est défendue en condamnant ou en mettant à 1’index.
En France, le monde politique a même été jusqu’à mettre les religieux et en particulier ceux qui enseignaient, dans une situation d’exil.
2) Le privatisme. La réponse de l’Eglise a été de se retrancher dans le privatisme : oeuvres charitables mais aussi écoles, syndicats, partis politiques, clubs de loisirs etc. Etre chrétien signifiait, pour beaucoup, appartenir à tel ou tel groupe, relever de telle ou telle organisation.
3) Présence mutuelle. L’intuition de l’action catholique, la réflexion dogmatique et les déclarations du concile de Vatican II nous conduisent peu à peu à vivre les rapports Eglise-Monde d’une tout autre façon. L’Eglise qui grandit au cœur des réalités humaines, l’Eglise définie d’abord comme peuple de Dieu .n’apparaît plus comme un contenant dans lequel on entre et d’où on sort, mais comme un ferment, comme le sel de la terre, comme le signe visible et efficace du salut en Jésus-Christ. L’ambition de l’Eglise sera d’être présente partout où se vit quelque chose d’humain. C’est dans cette situation que nous nous trouvons.
Ce bref rappel, beaucoup trop sommaire, nous permet toutefois de mieux comprendre ce que nous avons vécu à l’intérieur de nos maisons religieuses et de nos séminaires.
B/ Evolution de la manière de concevoir la formation au presbytérat et à la vie religieuse.
Il est toujours dangereux d’enfermer dans quelques formules une manière de vivre faite de mille nuances, et pourtant il peut être utile de dégager quelques accents majeurs, quelques lignes de force qui ont tour à tour orienté une pédagogie.
1) Isolement et renoncement. Au temps où l’Eglise vivait, par rapport au monde, exclusivisme et privatisme, il paraît normal qu’elle ait demandé aux candidats au sacerdoce ou à la vie religieuse de vivre un peu à l’écart du monde et d’apprendre à se renoncer. C’est l’époque où on choisissait d’implanter un séminaire de jeunes à la campagne, où on privilégiait nettement l’internat comme moyen de formation, où on insistait beaucoup sur les valeurs d’ascèse et de renoncement. La façon do vivre dans les séminaires s’inspirait beaucoup des richesses qui fleurissaient dans la vie religieuse et les cheminements avaient beaucoup de points communs.
2) Ouverture et épanouissement. A partir des années 50, avec le "développement du mouvement "Jeunes séminaristes" et après les premières années des "camps missions" (1956, "séminaire en état de mission"), les séminaires pensent davantage à s’ouvrir au monde, à devenir missionnaires et les éducateurs insistent sur le positif de la réponse au Seigneur, sur les valeurs épanouissantes de la vocation (cf. la thèse de M. Gérard Artaud reprise dans le numéro de Vocation de janvier 69).
Il est plus difficile à un non spécialiste de dire ce que vit à ce moment la vie religieuse. On peut cependant penser que ni les ordres actifs, ni les ordres contemplatifs n’ont été insensibles à ces nouvelles orientations ; les recherches actuelles témoignent encore de cette double préoccupation.
3) Présence au monde et communauté de vie. Naguère, le mouvement était centrifuge ; de ma communauté vers le monde, vers les autres... actuellement il est en train de changer de sens. Les jeunes qui pensent au sacerdoce et ceux qui s’orientent vers la vie religieuse sont souvent très attachés aux valeurs qu’ils vivent dans leur milieu de vie, à leur insertion professionnelle, à leurs multiples engagements ; par contre, ils recherchent des communautés de partage, de prière et de vérification. Le mouvement deviendrait plutôt centripète, avec cette différence toutefois que les communautés recherchées ne sont pas toujours celles des séminaires ni celles des noviciats. Il ne s’agit pas ici de porter un jugement de valeur, - d’autant plus que l’analyse est fort imprécise - mais de constater l’existence d’un courant auquel notre accompagnement ne peut pas être indifférent. Que de religieux et religieuses ne disent-ils pas vivre un ressourcement très actif de leur vie à l’extérieur de leur communauté et trouver difficilement, à l’intérieur de leur maison, le lieu de partage dont ils auraient besoin. Une recherche est engagée, un mouvement a pris forme, il faut en tenir compte.
C/ Evolution de la manière de vivre sa foi.
1) Générosité. Longtemps, - et cela est encore vrai aujourd’hui - l’Eglise a été perçue et vécue comme un peuple gardien et garant des valeurs morales : honnêteté, vérité, pureté ... La foi était vécue à travers la fidélité courageuse et parfois héroïque à ces valeurs ; être chrétien, c’était être honnête, vrai, pur ... De ce fait, l’insistance essentielle de la pédagogie portait sur l’éducation à la générosité. Nous avons vécu cela en famille, à l’école et dans nos différentes maisons de formation.
2) L’attachement à l’absolu de Dieu. L’Eglise, peuple de croyants, est un immense corps qui vit de Dieu et qui vit pour Dieu. Le chrétien c’est quelqu’un qui dédie à Dieu le meilleur de ce qu’il ressent, de ce qu’il pense et de ce qu’il fait. Des gestes, des habitudes, des traditions l’ont aidé à vivre cela, et en particulier la fidélité au culte organisé d’une certaine manière. Dans les séminaires ou les noviciats, le règlement ou la règle étaient devenus les éléments interprétatifs de la volonté de Dieu et, au nom de l’absolu de Dieu, la fidélité aux règlements et aux rituels était garantie. Cette manière de vivre a fait des saints et des saintes.
3) La recherche du sens. La sensibilité aux signes des temps, l’attention à être signe du salut pour le monde, tout cela a conduit l’Eglise à rejoindre les aspirations profondes du monde, à être, pour maintenant plus transparente aux appels du Seigneur. Elle a cherché à traduire en langage d’aujourd’hui et en gestes d’aujourd’hui ce dynamisme qui lui vient d’ailleurs et qui est à la fois ancien et nouveau.
De la même façon, le croyant, le jeune surtout, cherche quel lien peut avoir son comportement de chrétien avec la vie qu’il mène, ou bien, plus profondément encore, il s’interroge sur le sens que sa foi peut donner à tout ce qu’il vit. Quand il a un projet de don de lui-même plus total à Dieu et aux hommes, il se demande aussi quel sens son engagement va prendre dans l’Eglise et dans le monde d’aujourd’hui. La recherche du sens devient, dans notre manière d’accompagner, la tâche prépondérante. Comment nous en acquitter sans tenir compte à la fois des trois aspects essentiels de toute vocation : événement spirituel, événement psychologique, événement ecclésial ?
II - LA VOCATION EST UN EVENEMENT SPIRITUEL
Nous le savons, toute l’Ecriture et toute la tradition l’attestent ; la vocation est le résultat d’une initiative de Dieu. Les monographies qui reprennent les expressions des jeunes traduisent cela autrement : "il s’est passé quelque chose qui a changé mon comportement ..." Comment accompagner cela ?
- L’exemple de Jésus
1) Comment il appelle. Cf. Marc 3, 13. Jésus est sur la montagne, il parle donc en ayant autorité de Dieu et il propose un nom à ses disciples. Appeler c’est proposer un nom nouveau qui donne un sens nouveau à une vie. Un nom qui n’est pas défini tout de suite tout entier mais que le Seigneur continuera de détailler syllabe par syllabe dans l’humble réalité d’une existence quotidienne. Ce n’est qu’à la fin de la vie que sur le caillou blanc qui lui sera remis, le "vainqueur" prendra connaissance du nom gravé dans sa totalité et qu’il sera seul à connaître avec son Seigneur. (Apocalypse 2, 17). Dialogue de liberté tout au long d’une vie, réponse de liberté tout au long d’une vie.
Jésus appelle, mais aussi il fait marcher ... "ils vinrent". On répond avec ses jambes. La réponse n’est pas de type intellectuel mais existentielle. L’homme de Dieu, c’est quelqu’un qui marche selon la volonté du Seigneur, le pervers c’est quelqu’un dont les jambes font autre chose que ce qui a été déclaré par la tête. Cf. la parabole des deux fils : celui qui dit non et fait oui est justifié mais pas l’autre qui dit oui et fait non.
Jésus appelle, fait marcher, pour être avec lui et pour envoyer en avant de lui parler en son nom. Deux mots résument la double invitation qui court à travers tout l’Evangile et même à travers toute l’Ecriture : VIENS ET VA. Ces deux mots sont apparemment contradictoires et pourtant ils sont inséparables ; si l’invité partage l’intimité du Christ, il sera missionnaire, s’il est missionnaire, il partagera l’intimité du Christ. S’il néglige un des aspects, il perd tout.
2) Comment il aide ses disciples à discerner et à vivre ce qui leur arrive.
- Il fait parler ... lui le Verbe, il commence par libérer la parole, le sens qui est inscrit au cœur des réalités les plus humbles ; les choses, les plantes, les bêtes, et parmi les humains, les plus pauvres : la pécheresse, les enfants, la vieille qui met une piécette au trésor. Il détaille les attitudes au les gestes, il dégage une signification...
Quand il rentre en dialogue avec quelqu’un, il lui donne la parole : Nicodème, la Samaritaine ... et même quand il s’agit pour lui de se déclarer, il le fait dire par un autre : "Qui dit-on que je suis ?" (Mt 16, 13 et ss.). Lorsque Pierre a donné la réponse, Jésus alors en dégage toute la signification et toute la portée.
- Il envoie en mission ou en commission ... C’est par le même mot qu’il envoie les 72 ou propose aux 12 de préparer un campement.
- Il se retire avec ses disciples, à l’écart et il relit avec eux tout ce qui s’est passé ...
Un appel, une action qui se fait, une parole qui se libère ... nous avons peut-Être une clef qui va nous aider à préciser quelle pourra être notre attitude.
- Notre manière de faire
Comment nous situer par rapport à cet événement spirituel qui a changé tout un comportement . Pas de concordisme, nous ne sommes pas Jésus, mais volonté d’évangéliser nos attitudes : dans le dialogue nous pouvons être signe de sa présence invitante.
1) Accueillir : un livre du Père Godin "La relation humaine dans le dialogue pastoral" (Désolée) détaille assez bien les différentes manières d’accueillir qui ne soient pas enfermantes mais libératrices. Ce n’est pas si facile en effet d’accueillir comme Dieu accueille. Ananie a dû se laisser transformer avant d’accueillir Saul de Tarse.
- Un regard qui libère. Sous certains regards nous savons que nous pouvons tout dire ... par contre il est des attitudes qui bloquent : le préjugé qui enferme, le jugement moral qui intervient tout de suite, la généralisation qui nivelle l’originalité d’une confidence, l’accaparement affectif qui rend prisonnier etc.
- Une parole qui se dit ... C’est moins notre parole que la Parole d’un Autre au cœur d’une personne qui a de l’importance. Il y a selon St Paul une Parole enchaînée au cœur de toute vie .et qui attend de se désentraver. Nous pouvons, par notre qualité d’écoute, permettre à cette Parole de prendre peu à peu sa dimension. Certaines personnes ont le don de nous faire exister davantage, ainsi nous pouvons vivre avec les autres une qualité de relation qui permettra à la Parole de Dieu de se dire en plénitude.
2) Refléter. Il s’agit, non seulement d’être un miroir et de renvoyer l’autre à ses expressions, mais aussi d’aider à une prise de conscience de ce qui se passe, de permettre à ce qui est dit de prendre toute sa signification. Ceci peut se faire aussi bien en dialogue personnel qu’en dialogue de groupe. Derrière les mots prononcés, il y a des enjeux qui n’apparaissent pas tout de suite et qu’il faut cependant évoluer... L’autre a besoin de se réentendre dire à travers les méandres de son histoire et le jeu compliqué de ses relations.
3) Confronter. Nous ne sommes pas sans référence, le visage de Dieu et sa manière de faire nous ont été révélés une fois pour toutes en Jésus-Christ et ils continuent de nous être manifestés dans son Eglise. Sans cesse, le discernement doit s’opérer et la confrontation au corps vivant du Christ est toujours à reprendre. "Viens ... Va … Marche ..." les mêmes mots sont redits mais ils prennent corps dans des situations toujours nouvelles qui sont celles de la personne qui les vit et du corps ecclésial qui leur permet de se nouer.
III - LA VOCATION EST UN EVENEMENT PSYCHOLOGIQUE
Nos réactions aux différentes monographies faisaient ressortir l’importance du "soubassement humain" dans le développement d’une réponse à une vocation. Ici aussi nous ne ferons que noter quelques points d’attention.
- C’est toujours "Quelqu’un" qui est appelé ...
Dieu qui appelle ne peut contredire Dieu qui crée, au contraire Dieu appelle en créant. Autrement dit, la vocation est intimement inscrite dans tout le dynamisme psychique de la personne appelée. Pour que cette conviction puisse passer dans notre pratique éducative, exprimons-la sous la forme de trois questions que nous aurons toujours présentes à l’’esprit.
1) Qui es-tu ? Sexe, santé, tempérament, caractère, âge. Ce sont là des éléments fondamentaux auxquels nous avons appris à être attentifs, mais nous savons bien qu’ils ne prennent leur véritable signification que si .nous essayons de répondre à une autre question ; avec qui vis-tu ? Famille, milieu, études ou travail, loisirs. C’est dans cet enracinement humain que la personne révèle son visage et ses possibilités d’exister. De même, la dimension chrétienne de cette personne ne pourra apparaître que si nous lui demandons de révéler les lieux où elle partage sa foi, et les formes d’engagement qu’elle a choisies : mouvements d’A.C. et les autres formes de présence au monde.
2) Que peux-tu ? La vocation de chaque personne est aussi exprimée à travers ses aptitudes, les charismes que Dieu nous demande de développer dans son corps ne sont pas des dons qui se surajoutent artificiellement à notre nature, ils manifestent au contraire la richesse originale de cette nature ... Quelles sont tes aptitudes intellectuelles, affectives, relationnelles, manuelles, artistiques, contemplatives ? ... Quelle est ta résistance nerveuse, ton impressionnabilité, ta forme d’équilibre ? Tout cela est inscrit dans l’expression présente mais aussi dans le témoignage des autres et dans le déroulement d’une histoire. .
3) Que veux-tu ? L’origine du projet est importante... Souvent, dans l’écriture, ceux qui ont été appelés par le Seigneur se réfèrent à cette première rencontre. L’origine de l’appel c’est une certaine expérience de Dieu difficilement traduisible tout de suite, elle nourrit au contraire une expression progressive que nous n’aurons jamais fini de chercher et de manifester. Ainsi les motivations du projet sont peut-être plus importantes que sa définition à échéance lointaine. Quand un jeune de 12 ans dit qu’il veut être prêtre pour dire la messe, qu’est-ce qu’il veut exprimer ? Par contre, quand un autre de 20 ans dit qu’il veut être religieux parce qu’il a horreur de cette chambrée de soldats où il se trouve, nous voilà réticents. Avec le premier, nous savons que le cheminement sera long et qu’il ne faut pas engager le dialogue au niveau de la formulation, avec le second nous savons que le dialogue va prendre une autre tournure... nous allons contester cette formulation ou du moins pousser plus loin nos investigations... qu’y a-t-il derrière cela ? Quels blocages ? Ou quelles valeurs pas encore révélées ? Au fur et à mesure que le projet s’exprime nous allons le confronter à la vie de celui qui le parle et à la manière dont il pourra être réalisé dans les différentes familles de charismes que compte l’Eglise.
- Celui qui est appelé, c’est quelqu’un qui grandit.
Accompagner quelqu’un, c’est marcher avec lui tout au long d’une histoire ... Ici aussi il y aurait beaucoup à dire mois comme notre propos est plutôt de rappeler ce qui a été dit pour le garder à la pensée, nous ne ferons qu’énoncer les principaux points d’attention.
1) Tenir en mémoire ce qui nous a été dit. Le projet a été déclaré, les aptitudes repérées, nous avons à être témoin de ce qui est vécu en vivant bien notre tache de "veilleur".
- Patience … "il ne faut pas tirer sur les carottes pour les faire pousser" disait quelqu’un. "Il faut respecter le silence de celui qui se tait après s’être confié" remarquait un autre. Les stagiaires de Bièvres étaient d’accord pour que notre attitude n’ait rien de capta-tif et ne cède pas à la précipitation.
- Vigilance ... "Regarder ce que font les jambes". Quelqu’un peut, de bonne foi, professer une opinion ou un projet et agir insensiblement en opposition avec ce qu’il déclare. C’est ce que font les jambes qui nous renvoie notre véritable image.
"Etre attentif aux temps forts" ... Il y a des "seuils" disions-nous, l’accompagnement est une "série d’éveils successifs" ... A l’occasion de ces seuils ou de ces éveils, il y a des nouvelles prises de conscience, il y a formulation neuve du projet, résurgence ou abandon des premières déterminations. Il est important que nous permettions cette créativité et que nous ayons une conception dynamique de la fidélité.
- Courage de parler ... Cf. Jérémie 1, 11. "Que vois-tu" "Nous avons été constitués sentinelles" "Je ferai de vous mes témoins" ... C’est par grâce et par ministère que nous devons "voir" et "parler". Si la sentinelle ne voit rien et ne dit rien, elle trahit. Parler pour témoigner de ce visage du Christ que nous avons reconnu dans l’autre, "Il y a quelqu’un en toi que tu ne connais pas ..."
2) Témoigner des besoins du peuple de Dieu …
Il s’agit d’abord pour nous de bien connaître notre théologie de l’Eglise, de la vie religieuse et des ministères ...
Il faut aussi inventer, avec l’Eglise locale, les nouvelles formes de vie et les nouveaux modes d’appel qui vont permettre aux jeunes de se reconnaître et de ne pas rêver leur avenir tout en le construisant selon leur grâce. Autrement, il semble difficile de respecter les aspirations neuves que nous repérons chez les jeunes et de les confronter en même temps à un réalisme quotidien auquel ils vont, devoir se mesurer ... Ceci nous permettra peut-être, devant des hésitants, d’urger certaines décisions qui seront libératrices.
IV - LA VOCATION EST UN EVENEMENT ECCLESIAL
Même quand on ne prétend pas tout dire ou tout rappeler, on ne peut pas, lorsqu’il s’agit de vocation, taire ce point de référence essentiel qu’est la vie de l’Eglise. Ce serait aussi être infidèle aux interventions du stage de Bièvres que de passer sous silence une préoccupation maintes fois répétée : "Prêtre, pour quelle Eglise ?", "nous avons besoin de vivre cela en Eglise..." "besoin de communautés porteuses et médiatrices", "l’Eglise sacrement de la présence du Christ devrait être médiation de ses appels, pourquoi n’est-elle pas plus appelante ? En quoi est-elle appelante ? ..." Beaucoup d’autres citations pourraient être rapportées, celles-là suffisent à évoquer le climat de nos interrogations et leur sens.
Disons tout de suite que ce besoin de signes qui-nous parlent est une revendication fondamentale de l’homme, vieille comme celle que les hébreux exprimaient à Moïse : "Parle-nous, toi !" (Exode 20, 19). Jésus-Christ y a fait réponse en devenant pour nous Parole du Père. L’Eglise dans le monde prolonge cette mission.
Elle sera signe de Dieu si elle est, à l’image de la Trinité, peuple Royal, Prophétique et Communionnel. Cette formulation est du Père Santaner mais nous y reconnaissons toute l’Ecriture et toute la tradition.
- Peuple Royal (1 P 2, 7-10) L’Eglise est à l’image du Père si elle vit parfaitement la soumission au Père ... Elle est transparente si elle est obéissante. Cette relation a été cassée par Adam ("vous serez comme des dieux", Genèse 3, 5)..et refaite par Jésus-Christ, obéissant. C’est dans la mesure même où il se faisait obéissant au Père (cf. Passion selon St Jean) qu’il pouvait se dire Dieu et être glorifié (cf. le même récit de la Passion... …anabainein veut dire aussi bien monter sur la croix que monter en gloire ...). Le signe de cette obéissance est donné dans l’organisation hiérarchique de l’Eglise, que le Concile Vatican I a bien rappelée.
- Peuple Prophétique (début de l’épître aux Hébreux). Dieu a parlé dans son peuple à maintes reprises et il nous a parlé dans son Fils. L’Eglise est signe de cette parole en Jésus-Christ si elle est un peuple où on se parle et qui parle. "Qu’ils soient Un comme nous sommes Un".
A Babel (Genèse 11) l’homme a refusé d’être parole au nom d’un autre et il n’a plus trouvé de parole commune. L’Eglise casse Babel. Elle est le signe qu’elle réentend la parole si elle est le lieu de la parole commune (le concile oecuménique). Une Eglise où on ne se parle pas n’est plus l’Eglise ... Le Concile Vatican II a retrouvé cette dimension. Les petites communautés, les équipes de partage, le renouveau de la vie religieuse suit la même veine. Par contre l’éclatement, les divisions dont on aurait pris son parti refont Babel.
C’est dans la mesure où l’Eglise redécouvre une parole commune tout en respectant les tensions, qu’elle redevient parole pour le monde et médiation des appels que Dieu adresse aux hommes... Il y aurait pour nous beaucoup d’applications pratiques à tirer.
- Peuple Communionnel. (Cf. Ac 2, 42)
Un .seul cœur, une même âme, communauté de biens et communauté de destin, la première communauté, en faisant le partage des biens, se donne ainsi le signe qu’elle partage bien autre chose. La communauté d’être est venue avant la communauté des biens.
Cette communion, Caïn l’avait détruite (Genèse 9) "suis-je responsable de mon frère ? Jésus-Christ l’a refaite en nous désignant chacun de nos frères comme absolu, en s’identifiant à lui. L’Esprit continue son œuvre. Les courants actuels autour des communautés de base redécouvrent cet aspect capital de l’Eglise. L’idée de coresponsabilité mise en valeur par Vatican II et reprise tout récemment par les évêques français va aussi dans ce sens. Enfin, on peut dire que toutes les congrégations religieuses, dans leur mise à jour des constitutions sont particulièrement sensibles au chapitre de la vie fraternelle...
C’est que l’homme d’aujourd’hui attend ce signe ... "dans ce monde de marchands où vais-je reconnaître qu’un amour désintéressé est possible ... ? ou bien : "où est-ce que ça se vit, ça ?".
Evidemment, à l’heure actuelle, on insiste moins sur le caractère royal du mystère de l’Eglise ... mais c’est notre rôle à nous éducateurs, d’avoir constamment sous les yeux tout le mystère et de vivre tout le mystère. C’est la seule façon d’affronter les autres non à notre idéologie mais à la Vie de Celui qui est le seul vrai Vivant.
Jean DUBREUCQ