Les jeunes et la prière


I - DES MONOGRAPHIES

A - La prière des plus jeunes
à partir des réflexions de :

Séverin  : 12 ans   Jean-Bernard  : 14 ans
Georges  : 12 ans   Yves  : 14 ans
Eric  : 13 ans   Jean-Marc  : 15 ans
Bernard  : 13 ans   Dominique  : 15 ans
Thierry  : 13 ans   Williams  : 16 ans

Evolution de ma prière :

Ma façon de prier a évolué : "avant c’était superficiel" (Eric). "Autrefois, je priais parce qu’il fallait prier, vers 13, 14 ans j’aimais prier, je ne pouvais m’endormir sans dialoguer avec le Seigneur, maintenant la prière m’ennuie." (Williams).

"Quand j’étais petit je savais dire des prières, je n’essayais pas d’approfondir" (Georges).

"Je récitais par cœur des formules, sans rien comprendre, sans y penser. Pendant au moins un an, la prière, je m’en moquais, ce n’était rien pour moi, ça n’intéressait même pas... Ensuite, ce goût de prier m’a repris" (Dominique)

"Je me suis rendu compte que je récitais des formules machinalement et que c’était bête et insignifiant". (Yves)

Ce qu’il va de nouveau maintenant :

"Maintenant, je cherche pourquoi dire pardon ou merci" (Séverin). Maintenant, je m’adresse directement à Dieu, sans lecture, ni rien. Je sais quoi lui dire après une journée, qu’elle soit de travail ou de repos. Je me sens changé. Je le sens comme un ami, une personne qui me suit et m’aide à faire mieux." (Dominique).

"En ce moment, la prière m’ennuie, ça ne veut pas dire que j’oublie le Seigneur… Quand je prie, je fais des dialogues sur ce que j’ai fait dans la journée." (Williams).

"Depuis quelque temps, j’essaie de me dire que Jésus est dans tout ce que je fais, qu’il me fait faire ce qu’il veut, quand il veut. Je m’aperçois qu’il est vivant parmi nous, dans la classe, dans le quartier". (Georges)

"En ce moment, je crois vraiment parler au Seigneur" (Thierry)

Le besoin de prier, naturel ou suscité.

"Parfois je ressens le besoin spontané de prier. Pour susciter ce besoin, ça dépend si je suis triste ou content. Ce n’est pas moi qui le suscite, mais le Seigneur." (Eric)

"Oui je ressens un besoin spontané de prier, parce que par la prière on peut aider les gens souffrants. J’arrive parfois à le susciter" (Sevérin).

"La prière est un point principal de ma vie. C’est que j’ai été élevé dans un foyer chrétien et j’en suis fier. A la maison on ne peut rien faire sans prier. Je ne peux pas dire que je suscite ce besoin, il fait partie de moi. Je pense au Seigneur, au travail, en jouant, même si je n’en avais pas l’intention avant". (Dominique)

"J’en ressens le besoin certains soirs : quelquefois je le suscite, mais quand je n’en ai vraiment pas envie, je ne prie pas" (Williams).

"Bien sûr, j’en sens le besoin ; je ne pourrais pas ne pas parler avec lui. "Oui, j’en sens le besoin presque partout où je me trouve, quand je suis content, quand quelque chose peut décider de moi ou des autres. Par exemple, avant une épreuve sportive, je me suis retiré pour dire : fais que je sois 1er si c’est ta volonté, fais que je sois dernier si c’est ta volonté, mais toujours, que ce soit ce que tu veux. Je le provoque lorsque je m’émerveille ou que je suis étonné. J’ai besoin de prier quand il m’arrive des choses extraordinaires ou terribles." (Georges)

"Chez moi, maintenant, c’est presque naturel" (Jean-Marc)

"J’en sens le besoin quand je suis en difficulté" (Jean-Bernard)

"Si je ne prie pas, il me semble qu’il me manque quelque chose en moi-même. Je provoque ce besoin après une mauvaise action" (Bernard)

"Oui, j’en ai besoin surtout quand je suis seul. Il n’y a pas longtemps, je me suis promené seul en parlant avec le Seigneur, même à haute voix" (Thierry).

"Je ne ressens pas toujours un besoin spontané de prier, mais je prie dans les moments difficiles" (Yves)

Prière personnelle ou communautaire.

Tous les garçons donnent la préférence à la prière personnelle "parce que dans la prière personnelle on est seul avec Jésus et on peut lui dire tout ce qui nous ennuie" (Eric)

"parce que à la prière personnelle je dis tout ce que je fais, je prie pour toutes les personnes pour qui je désire prier" (Séverin)

"Les deux formes de la prière sont bonne, mais je préfère la prière personnelle. Quand je suis seul je peux parler au Christ plus librement" (Dominique)

"Je préfère prier personnellement parce que je ne suis pas distrait et que je pense tout à fait à la prière. Les prières communautaires me distraient et m’ennuient" (Williams).

"Ma prière est surtout personnelle mais j’aime bien la prière communautaire". "Je n’aime pas la prière communautaire, mon esprit est ailleurs" (Georges)

"Dans la prière personnelle, je me concentre mieux" (Yves).

B - Des Troisièmes qui fondent un club de prière

Grâce à ce club, notre évolution de prière a complètement changé car il n’est pas nécessaire de prier régulièrement comme nos parents nous l’ont souvent enseigné. Il vaut mieux réfléchir sur sa vie ou sur un sujet qu’en répétant tout le temps les mêmes prières.

En voyant et en écoutant dans le club nos camarades qui ont préparé la pièce .sur un sujet choisi, on suscite le besoin spontané de la prière. Parfois, en voyant une photo, si on la pioche bien, on arrive à prier facilement et directement car il nous vient aussitôt d’innombrables idées.

A notre avis pour une prière personnelle, il faut un endroit, tranquille, la solitude et, entre parenthèse, un sujet et, si on n’en a pas, des questions qui nous ont été préparées à l’avance.

C - Patrice : 14 ans

Ma façon de prier a sûrement évolué, car d’une part depuis deux ou trois ans, je prie plus souvent, je me confie sûrement plus au Seigneur, et j’arrive à obtenir une conversation. Je prie, oui ! mais trop pour moi, pas assez pour les autres, mes parents ou mes copains. Souvent, quand je le fais, j’obtiens une prière tout autre, coupée de rêvasseries et de toutes sortes d’images qui me viennent à l’esprit, rendant ma prière médiocre et non appliquée. Je ne trouve une bonne prière que seul dans une église ou une chapelle, mais c’est rare.

A vrai dire, je ne sens pas un besoin spontané de prier, mais quand il m’arrive d’oublier, le lendemain, j’ai une sorte de regret, de mal à l’aise, et au contraire après une prière, je me sens à l’aise, frais et dispos. Quand il m’arrive de me faire injurier ou rejeter par des camarades, je me retire instantanément dans un coin ou parfois à la chapelle pour réfléchir, à l’écart de ce qui m’arrive et pour prier parfois. Je ne vois pas que j’arrive à provoquer ce besoin, ou très rarement.

La prière personnelle, je la fais, oui ! Bonne, ce n’est pas sûr ; mais ce qui est vrai, c’est que je l’ai améliorée vis-à-vis de ce qu’elle était quand j’étais en 6ème ou en 5ème, et à plus forte raison quand j’étais dans le primaire où elle était inexistante. J’ai un peu mieux compris ce que c’était, bien que j’en ai encore à apprendre. Je l’oublie aussi quelquefois, peut-être parce que celle que je fais n’est pas assez appliquée, pas assez sérieuse. Il m’est dur de trouver le silence intérieur qui me permettrait chaque fois de trouver une excellente prière.

La prière communautaire, c’est celle qui est pour moi la plus vraie, celle où je prie vraiment, où je m’intéresse, mais seulement je ne la pratique pas souvent : en réunion J.T.C, (courte), en récollection, en classe parfois. Je pourrais dire à la messe, bien sûr, mais là, à vrai dire, je ne trouve pas une bonne prière, elle est moins approfondie que les autres. Cela peut paraître absurde, mais moi, à la messe, je me laisse distraire, je promène mon regard, sans vraiment penser où je suis. Sur ce point, il est essentiel pour moi que je m’améliore.

D - José : 18 ans

Depuis deux ou trois ans, ma façon de prier a évoluer. De la prière de formule à laquelle j’étais resté fidèle jusqu’à l’âge de quinze ou seize ans, j’ai essayé de passer à un mode de prière plus concret. Maintenant, je prie surtout à partir des faits, des problèmes que je rencontre autour de moi.

Je ressens un besoin spontané de prière lorsque je suis en difficulté, lorsque je crois avoir besoin de l’aide de Dieu ou encore lorsqu’un fait extérieur me frappe.

Ma prière est le plus souvent une prière personnelle, mais les quelques rencontres de prière communautaire, que j’ai eues, m’ont beaucoup apporté et ont souvent été d’une plus grande intensité. Je souhaiterais pour l’avenir, avoir de plus nombreuses expériences de prière communautaire.

II - REMARQUES POUR NOUS, POUR LES AUTRES, POUR NOTRE PEDAGOGIE

Car il semble qu’en devenant de bons éducateurs de prière, qu’en suivant les jeunes dans leur recherche de prière, et en priant avec eux et pour eux, de façon authentique, nous aurions avancé dans l’éducation tout court, dans notre tâche auprès d’eux, dans l’instauration d’efforts quotidiens et concrets.

Savent-ils prier ? Savons-nous nous-mêmes prier ? Répondre par l’affirmative à ces questions, c’est avoir été un "bon et fidèle serviteur".

A - "Maintenant la prière m’ennuie

Voilà une interpellation immense ... Que Williams le dise, laisse désemparé son éducateur. Il faut essayer de comprendre une fois encore. "Maintenant" ; il y avait donc un temps où cela n’était pas.

Se référer à un stade antérieur, par mode de comparaison, c’est ne pas avoir compris — mais le dit-on et le sait-on ? - que toute forme de prière, tout contenu de prière, sont provisoires, correspondent à un âge et à un état. Cela peut s’échelonner sur plusieurs années, en particulier les années de l’enfance, jusqu’à l’adolescence, ou sur quelques mois, ceux d’une année, ceux d’un été. On peut faire à ce moment une expérience apaisante et plénière, on peut goûter, comme dit St Ignace, et ignorer que cela ne durera pas tel quel, que la prière par essence je dirai, et je dirai pourquoi plus loin, varie. Elle adhère à la vie, et la vie se poursuit ; elle adhère à l’événement, et l’événement se profile.

Se référer à une expérience antérieure peut être un handicap à toute évolution. Même en priant avec les Psaumes, formules invariables, il y a évolution. ; même si on demeure dans un exercice au schéma préétabli, le contenu change. Pour bien prier, il faut d’une certaine manière refuser le passé. Et la requête des Apôtres "Seigneur, apprends-nous à prier", est incessante. On doit toujours apprendre à prier ; cela fait partie du contrat même avec Dieu et le passé ne donne aucune caution. Le saint, chaque fois qu’il prie, est en train de vivre un vrai commencement, une naissance.

Aider Williams, l’accompagner dans sa prière, dès le départ, dès l’enfance, impliquent que nous vivons cela avec lui, et lui avec nous.

B - "Je me sens plus, seul à seul, avec Dieu"

Dans ces témoignages, de maintes manières et maintes fois, les jeunes, comme les adultes d’ailleurs, jugent de la prière à partir d’eux-mêmes, à partir du retentissement psychologique qu’elle provoque.

"Je me sens plus ...
"J’en ressens le besoin lorsque je suis en difficulté, ou content".
Le démarrage de la prière s’explique par une envie, une sorte de désir, c’est-à-dire une percussion psychologique..

"Quand je n’en ai pas envie, je ne prie pas".
On attend de ressentir ce besoin ; on l’ignore lorsqu’il ne se manifeste pas par une pulsion affective.
Il faut des circonstances de temps et de lieu, qui sont déterminantes ; il faut des états d’âme. Prier revient à cultiver ses états d’âme, à s’adonner aux consolations et aux émerveillements. Le Paradis immédiatement (Paradise now), disent les drogués. A la limite, prier, c’est l’art de régler ses rêveries. Le problème de l’affectivité et de la prière est énorme. Jamais l’affectivité ne peut être la motivation et la finalité. Car il y aurait recherche subreptice de soi. Et il y a recherche de soi, recherche de la fête intérieure et de l’euphorie. On s’oublie rarement soi-même. Dans la prière, il s’agit souvent infiniement peu de Dieu, il s’agit de soi. Aucune constance, aucune fidélité ne peuvent se fonder sur l’affectivité.

Le sentiment lui-même qui est régulateur, ne dure qu’entre deux heures et deux ans. Ste Thérèse de Lisieux en a été bien dépourvue durant un laps de sa vie. "J’ai fait, disait-elle, durant les dernière mois, plus d’actes de foi que durant toute ma vie". Elle n’a pas cessé de prier.

L’enseignement des mystiques sur la nuit des sens reste un message majeur sur la prière, aux, jeunes eux-mêmes, sinon dans la forme, du moins dans le fond. Comment donc acquérir le sens de Dieu, et qu’est-ce que L’aimer ? Ces questions restent encore à l’état de questions, et elles sont le signe de notre pauvreté de la pauvreté de nos réponses et de nos attitudes.

Le sens de Dieu devrait transcender nos états d’âme, et éclore en même temps que la conscience, et habiter nos pensées. C’est là qu’il faut chercher toute une pédagogie, qui ne pourra éliminer le silence, l’activation interne, l’offrande et la pensée fréquente du Seigneur et les maturations dans le temps.

C - "Il vaut mieux réfléchir sur sa vie "

La prière doit évoluer au fil des jours, et elle ne peut surgir de l’affectivité seule. On doit la vivre ; elle est une dimension de la vie. L’accueil du Dieu absolu et tout autre, ne peut se faire que dans notre vie. Ou même, c’est Dieu lui-même qui vient, qui veut bien venir au creux de nos existences. Jésus ou le Dieu qui vient ...

L’Incarnation de Dieu parmi les hommes a radicalement transformé sa façon d’être présent, et notre façon de Le laisser s’approcher ou de nous approcher de Lui. Souvent, nous prions comme les frères juifs et musulmans, comme si nous étions encore de l’Ancien Testament.

- "Je serai avec vous jusqu’à la fin des temps ...

- "Mon Père et moi nous travaillons.

- "Mon Père et moi nous viendrons et nous ferons en vous notre demeure.

- "Je suis le Cep, vous êtes les sarments".

Jésus est Vivant, ressuscité, et les hommes ressuscitent avec Lui, comme dit St Paul. C’est en regardant les hommes que nous le rencontrons. Son lieu de résidence, c’est l’humanité.

Donc, première voie d’accès à la prière, l’attention à la vie, la relecture de la vie, pour déceler une présence. C’est la prière de Madeleine qui reconnaît Jésus sous les traits du jardinier, ou celle des deux, amis d’Emmaüs qui le reconnaissent sous les traits du voyageur. Mais, pour le reconnaître, il faut le connaître, d’où l’accueil de la Parole, l’écoute diligente et longue. Il est rare qu’on écoute dans la prière, tant on bavarde, même intérieurement.

L’utilisation de l’Evangile. On ne peut prier, depuis Jésus, sans l’Evangile. Si j’accède à la prière par l’attention à la vie, je ne trouverai la présence de Jésus que grâce au signalement qu’il a donné de Lui dans l’Evangile. Si j’accède à la prière par l’écoute de la Parole, je braquerai celle-ci sur la vie comme un faisceau lumineux.

De la vie à la Parole, de la Parole à la vie. C’est à partir de là que toute contemplation, toute louange, pourront s’instaurer. La révision de vie devra tourner à la reconnaissance, le partage d’Evangile devra susciter des faits. Voilà la méthode et la pédagogie. Nous avons raison d’insister sur la relecture dans tous les sens du terme : relecture de la vie, relecture de la Parole. Et ainsi nous sommes au-delà de l’affectivité, des distractions ; et ainsi, nous sommes forcés de ménager des étapes à cette attention, à cette écoute et à cette contemplation : les attitudes varient avec l’âge et les expériences. Cependant toute attention à la vie n’est pas prière. Toute révision de vie n’est pas prière On peut en rester à l’analyse des faits, de leurs antécédents ? de leur implication et de leur conséquence : on peut ne réaliser que de faibles diagnostics psychologiques et sociologiques. C’est une présence qu’il faut chercher, ou appeler, ou désirer ! "Le Royaume de Dieu est déjà sous vos yeux". Déjà là et à venir !

Cela est de nature à transformer toutes nos méthodes. Apprendre à prier, c’est apprendre à vivre, à cheminer, c’est se situer au centre de toute éducation de la foi.

D - "La prière communautaire, celle qui est, pour moi, la plus vraie".

Les témoignages qui servent de point d’appui à ces remarques nous laissent sous ce rapport perplexes. Il semble que pour un jeune, l’expérience de la prière communautaire soit plus acquise que spontanée.

Les deux formes, communautaire et personnelle, sont rarement entrevues comme complémentaires, et comme les deux temps d’une même respiration. D’aucune manière, on ne peut choisir l’une au dépens de l’autre, et cela à cause ne la présence et de la promesse de Jésus, présent parmi les hommes, en train de tisser avec eux les liens de la fraternité en vue du Royaume. La forme personnelle est indispensable, la forme communautaire l’est aussi. "Je n’aime pas la prière communautaire, mon esprit est ailleurs". Cela pose problème. Le Christ se rencontre dans un lien entre personnes ; les rameaux se reconnaissent au Cep qui les relie.

Il semble que la maturation ira vers une meilleure participation à la prière des autres, afin que la voix de chacun devienne voix commune, ce qui lui donne sa véritable ampleur : ("Notre Père") et ce qui implique pour la pédagogie de la prière, des liturgies de partage et de jubilation.

La maturation ira aussi dans le sens d’un approfondissement de l’attention et de l’écoute au niveau personnel, dans le sens d’un élargissement de l’espace intérieur par la méditation et l’oraison, dans un silence nourricier : moi seul devant Dieu, avec le Christ.

Cela implique de notre part de graves efforts et d’autres découvertes importantes sous l’égide de l’Esprit.

Daniel BUSATO