Courrier des lecteurs


A propos de l’article "Pour une éducation de la foi"
(revoir cet article)

"En recevant le n° 1 de l’année 1974 de "Jeunes et vocations", je me suis tout de suite arrêté à la note de Georges Carpentier car je la crois très importante malgré sa brièveté. Pourquoi ?

Le point de départ de la réflexion n’est pas la situation de l’Eglise ou le rappel de discours conciliaires, mais la situation des jeunes eux-mêmes. Il y a ainsi un renversement de la démarche qui me semble capital. Dans la démarche habituelle on constate, avec un peu d’amertume parfois, l’évolution du monde et on parlera de l’Eglise, de ses structures, de ses ministères et des vocations, de la foi, en termes d’adaptation à cette évolution. On a l’impression de courir derrière l’évolution du monde en se posant la question : qu’est-ce qu’on peut lâcher, qu’est-ce qu’il faut "sauvegarder" ? (On a lâché le latin, les petits séminaires ... on a sauvegardé le célibat, la présidence de l’Eucharistie ....).. La démarche de Georges Carpentier est au contraire de nous inviter à saisir l’évolution de la situation des jeunes comme une promesse : à partir de cette situation, le problème de la foi et des communautés a des chances de se poser en termes neufs.

Deuxième satisfaction : je retiens dans les mots de Georges Carpentier, des intuitions proches de celles des aumôniers de lycées, et notamment de ceux qui se sont regroupés autour de "l’Aumônerie catéchuménale" : le respect des autonomies, le "laisser du temps au temps" (c’est la transcription lyonnaise chère à Guignol), la reconnaissance des désirs ...

Troisième satisfaction : la question posée à l’Eglise est plus radicale qu’on ne le dit habituellement. Nous participons à un éclatement culturel, si bien que pour beaucoup de jeunes et déjà beaucoup d’adultes le langage de l’Eglise est incompréhensible. Il ne suffit pas de changer quelques mots, de faire quelques accommodements. C’est tout un mode de penser, de concevoir et de transformer le monde qui est en train de naître."

Christian BIOT
(secrétariat national de l’aumônerie de l’enseignement public).


"Je ne voudrais pas entamer une polémique au sujet de l’article de Georges Carpentier, à propos de l’éducation de la foi des Jeunes. Je suis parfois agacé lorsqu’on oppose les différents chemins ou approches. Il me semble que ces dernières années, on se bat et on s’affronte sur des pédagogies alors que l’on risque d’oublier l’essentiel : Le prix de la Vie. Si on réduit l’éducation de la foi des Jeunes à partir de leur vie à une simple démarche pédagogique, je suis tout à fait d’accord avec Georges Carpentier pour dire qu’il y a d’autres approches de la foi et d’autres chemins. Mais si cela veut dire que la Vie n’est qu’un moyen, qu’une occasion, qu’une image ou un cadre à partir desquels on éduque la foi, je ne suis plus du tout d’accord.

Pendant des siècles on a trop déprécié les réalités de la vie dite profane, faussant dès lors le sens et l’unité de tout l’homme et de tout l’humain. Il a fallu se battre ces dernières années pour accréditer la valeur et l’autonomie de la Vie. Il a fallu un Teilhard de Chardin qui écrit : "Je conjure les chrétiens de ne jamais craindre ce qui peut renouveler et agrandir nos idées sur l’Homme et sur l’Univers ... Le monde ne sera jamais assez vaste, ni l’humanité assez forte, pour être dignes de celui qui les a créés et s’y est incarné ..." (cité par le P. DE LUBAC dans "la Pensée Religieuse du Père Teilhard de Chardin", p. 335). Il a fallu toute la volonté et la foi d’un Père Guérin, fondateur de la J.O.C. en France, pour faire comprendre que la masse des jeunes travailleurs, qui étaient en dehors de l’Eglise visible, étaient en réalité tout proches de l’Eglise de Jésus-Christ par l’Esprit qui les animait.

C’est tout le travail de l’exégèse moderne qui rappelle que l’on ne peut pas saisir la Parole de Dieu dans son authenticité si on l’isole du contexte humain, historique et culturel dans lequel elle s’est exprimée. C’est toute la toile de fond de Vatican II qui rappelle que l’Eglise n’est pas à côté du monde, que la foi n’est pas à côté de la Vie ... C’est l’homme tout entier qui est appelé à devenir fils de Dieu ... C’est le monde tout entier qui est appelé à former le Peuple de Dieu.

L’attention à la Vie n’est pas une simple attitude pédagogique, mais fidélité au dessein de Dieu qui a pris corps dans la nature humaine, qui s’est inséré dans l’histoire des hommes. - Jésus-Christ critique radicalement l’esprit de l’homme, il le retourne, le convertit, lui donne sens ... mais ne le détruit pas ..."Je suis venu pour que mes brebis aient la Vie et une vie débordante" (Jn 10, 10). - Dans la conjoncture actuelle, il me semble que le risque n’est pas d’attacher trop de prix à la Vie, mais au contraire de ne pas faire assez attention à tout ce que vivent des enfants et des jeunes, et d’attendre qu’ils soient adultes pour les prendre au sérieux.

Autant je suis à l’aise dans la démarche de "l’Aumônerie catéchuménale", autant je suis en désaccord profond dans sa finalité. De quel droit peut-on réduire la foi à la seule transmission d’un héritage, comme si l’Esprit du Christ était au bout d’une démarche éducative et non pas à l’origine, comme si le don de Dieu était lié à une éducation ...

Voilà quelques réflexions incomplètes et imparfaites qui ne veulent convaincre personne, mais seulement faire entendre l’écho de quelqu’un qui essaie de prendre au sérieux toute la vie des jeunes et des enfants, et pas seulement quelques secteurs privilégiés.

Jean DEVIN
(S.D.V. de St Etienne, ancien aumônier national de l’A.C.E.)