Pour une éducation de la Foi


Cet article de Georges CARPENTIER, directeur-adjoint du Centre National de l’Enseignement Religieux, constitue la 2ème partie de son intervention à la session de Bièvres de mai 73.

C’est pourquoi il forme "un tout" avec les pages du même auteur parues dans le précédent JEUNES ET VOCATIONS sous le titre "l’Education aujourd’hui". On aura intérêt à s’y reporter.

Il se présente sous la forme de réponses à deux questions posées à partir de l’expérience personnelle des participants. D’où le style oral de ces pages.

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1ère QUESTION : ON PARLE BEAUCOUP D’UNE EDUCATION DE LA FOI A PARTIR DE LA VIE, ON EN SENT L’IMPORTANCE ET LES LIMITES. CES LIMITES PROVIENNENT-ELLES DE LA METHODE OU DE NOUS ? COMMENT CETTE EDUCATION DE LA FOI PEUT-ELLE ETRE VECUE AVEC DES JEUNES ?

On parle beaucoup de l’éducation de la foi à partir de la vie. Voilà des années que noua sommes affrontés à cette question. J’oserais dire que j’en ai beaucoup souffert, car j’en sens toute l’importance et les limites. Heureusement, maintenant on nuance beaucoup plus ce que l’on dit, ce que l’on pressent sur cette question par rapport à ce que l’on affirmait il y a trois ans. On la situe mieux.

Six points

1) La manière dont nous avons perçu il y a quelques années "le lien catéchèse et vie" était un peu piégé, actuellement, nous sentons qu’il faut être moins simpliste, qu’il faut aller plus loin.

Pourquoi cette manière de parler était-elle un peu piégée ? Je me mets dans le cas de l’Enseignement catholique comme des aumôneries de lycées à horaires organisés. Pratiquement, on avait senti que souvent les jeunes ne s’intéressaient plus à une catéchèse doctrinale qui partait de la Révélation. On a été acculés, dans un premier temps, à partir des questions qu’ils nous posaient. Comme leur univers était de plus en plus terrestre, pratiquement on se mit à partir de la vie. Ce fut une découverte intéressante.

Mais dans le contexte où l’on travaillait, c’était quand même pour arriver à Jésus-Christ. On partait de la vie, mais l’on voulait quand même arriver à Jésus-Christ. Or, ceci, les jeunes le tolèrent de moins en moins. Non pas qu’ils refusent que l’on parle de Jésus-Christ quand c’est opportun, mais il semble qu’ils acceptent de moins en moins que les dés soient pipés, que l’on fasse semblant de s’intéresser à la vie, et que, nécessairement, sur une heure, deux heures de temps, ou même sur un plus long cheminement, on doive arriver nécessairement à Jésus-Christ. C’est vrai qu’il y a des questions humaines qui les intéressent très en profondeur, aujourd’hui. Mais ils exigent de plus en plus, et de plus en plus chez les petits - chez les 6e déjà - que les animateurs ne mélangent pas tous les plans.

En quelque sorte, la question est mieux située, et cela est très important. Dans un monde qui s’est quand même sécularisé, - monde affronté à des questions humaines énormes (avenir du monde, surpopulation, problème du travail) - ces questions là sont des questions premières, et ce serait un non-sens que nous, croyants, nous ne soyons pas passionnés par la manière dont les réponses seront apportées. Notre parole, notre témoignage ne seront pas audibles si nous ne partageons pas le souci de ces questions et si nous n’y sommes pas engagés.

a) Exigence du respect des autonomies beaucoup plus forte que jadis où nous fonctionnions dans un certain système. Le respect des plans est exigé. Si nous sommes au plan profane (exemple : un problème scientifique), écoutons les savants

Mais il s’est manifesté, en même temps, une demande plus importante de parler de la foi en tant que telle, de partir directement de questions religieuses. "La Résurrection : on a du mal à le croire, qu’est-ce que vous en pensez ? L’Eucharistie : on s’embête terriblement à la paroisse, on a été à Taizé : c’était formidable... on voudrait réfléchir là-dessus." Il ne s’agit pas de jouer à cache-cache à ce moment-là.

Il y a deux ans, nous ne percevions pas les choses de cette manière-là. Cela me semble très intéressant, car nous entrons dans une problématique qui a fait une reconversion. Des problèmes humains se posent : on y réfléchit. Il y a des croyants qui vivent leur foi, on les interroge, on s’interpelle, on essaie de comprendre. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas un lien entre les deux, mais cela commencera par un respect du niveau des plans.

b) Qualité de la rencontre quand, elle se fait. Il ne s’agit pas de mettre Jésus-Christ n’importe quand. Avec les petits, bien faire attention de ne pas mettre Jésus-Christ et Dieu n’importe où ! L’homme moderne oblige pratiquement à respecter le plan de Dieu.

Jadis, on arrivait toujours à Jésus-Christ. On pouvait même prendre les religions païennes et on arrivait à montrer qu’il y avait des points où l’on était supérieurs ! Cela est fini. Cela ne veut pas dire que la foi est évacuée, mais la qualité de la rencontre est exigée.

2) Dans cette économie là, une valeur primordiale : le respect du temps de l’autre. De même qu’on ne tire pas sur les cheveux d’un petit enfant pour le faire grandir, de même il nous faut respecter sa croissance au niveau de son idéologie, de sa réflexion, de son ouverture à Jésus-Christ (cf. mort de la famille de David Cooper). Dieu respecte le temps de l’autre et son heure. Avec notre organisation programmée, nous maltraitons le temps des autres et la croissance des autres. Il est sûr que les structures devront changer, seront souples. Politiquement, il faut chercher comment des structures pourraient nous permettre de mieux respecter ce temps des autres.

Un autre trait du respect du temps de l’autre : la gratuité dans la réflexion. Celui qui est inquiet pour annoncer Jésus-Christ n’a qu’à aller à la pèche à la ligne, danser, faire n’importe quoi, mais ne pas se mêler d’annoncer Jésus-Christ. Je suis certain que Jésus-Christ devait avoir une gratuité, un respect total des autres. Celui qui est tendu, qui fait porter sa foi sur les plus jeunes n’est pas dans l’optique du christianisme. Gratuité de l’échange.

3) La reconnaissance des questions, des désirs. Il faut avoir le désir que Jésus-Christ soit connu et même annoncé dans le respect des temps de l’autre, mais le processus très important est la reconnaissance des questions, des désirs, de ce qui est perçu et vécu déjà dans la foi.

Les gens acceptent de moins, en moins de naître institutionnellement à la foi. Jadis, on naissait à la foi dans une famille, c’était un don, puis se dessinait un mouvement de personnalisation au cours de l’existence. Il me semble que la démarche actuelle devient de plus en plus un mouvement de reconnaissance du Christ au fil de l’existence et au cœur de celle-ci.

"Telle question qui touche à la foi m’intéresse. Telle question de Jésus-Christ m’intéresse. Ou même, on a vécu cela avec un groupe à Taizé, etc." Ce mouvement de reconnaissance, inscrit dans l’histoire même des gens, au fil de l’expérience, fait naître un désir de connaissance ; on veut aller plus loin.

La connaissance se fait alors par touches successives. Les gens qui agissent arrivent à une ouverture de questions parfois extraordinaire, sur l’homme, sur la foi etc. Mouvement plus compliqué que jadis, autre programmation que les programmes d’antan. L’homme d’aujourd’hui rencontre des problèmes nouveaux, la foi est affrontée au monde nouveau, d’où une nouvelle crédibilité. Enfantement d’une nouvelle synthèse de la foi mois qui sera toujours dépassée ; nouvelle manière de dire la foi : c’est inscrit au cœur de l’Histoire comme dans le Nouveau et dans l’Ancien Testament. Les sources de notre foi sont loin d’être évacuées. Bien au contraire. Mais s’instaure, un peu à la fois, un autre rapport à celles-ci.

Comment avancer à partir de là ?,Quelque chose d’essentiel se joue actuellement. Nous devrons investir beaucoup, parce qu’il y a un travail de l’intelligence a faire, dans une logique historique (ce n’est plus une logique scolaire de programme... la cohérence est intérieure à l’histoire des gens, des groupes, des événements du monde). Ce processus appelle, de temps en temps, une évaluation : où en sont-ils ? Où en sommes-nous ? Et par là, la connaissance s’organise et se structure de manière dynamique.

4) Il y a d’autres approches que celle-ci qui consiste à partir de La vie. Des catéchèses ou d’autres expressions de la foi (liturgie, partage évangélique ;), qui partent directement de la Révélation et de la vie en Eglise, restent possibles et nécessaires. Il y a même une dialectique entre ces deux chemins.

Dans cette seconde voie, il importe aussi de savoir évaluer. Importance de ce qui est dit. Il faut souhaiter que la qualité de ce qui est dit dans ce type de regroupement soit à la hauteur des questions posées dans l’autre cheminement, que l’anthropologie sous-jacente soit acceptable par l’autre. Il y va de la crédibilité de la foi. De même pour la pédagogie. Qu’il n’y ait pas un divorce culturel entre la pédagogie utilisée dans ce second cheminement et les mentalités modernes. Qu’elle ne soit pas le refuge du conservatisme.

5) L’importance de l’expression parlée, audio-visuelle ou autres. Nous avons à enfanter un nouveau langage de foi. Pour cela, soyons sensibles à la diversité des modes et aux conditions d’une créativité rigoureuse. Sachons produire quelque chose. Comment arriver par exemple à une expression de la Résurrection, à une communication qui soit entendue ? Ne nous évadons pas dans l’affectif seul.

6) Dans quelle anthropologie codons-nous le Message ? Il y a des images qui ne parlent plus à l’homme moderne. Sur quelle anthropologie repose notre discours . Les jeunes vivent une certaine anthropologie au niveau de leurs relations humaines, de contacts avec le monde... Savons-nous décoder comme ils codent ?

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2ème QUESTION : N’Y A T-IL PAS LE RISQUE, POUR LES JEUNES, DE PRENDRE JESUS-CHRIST POUR LES ELANS DE LEUR AGE ET DE LEUR TEMPS ? QUELLE AUTHENTICITE VECUE, QUELLE ILLUSION POSSIBLE, NOTRE MALAISE PAR RAPPORT A CELA.

Je pense qu’on peut dire que l’approche de Jésus chez un grand nombre de jeunes - phénomène Jésus, mouvement collectif - est colorée d’une manière très particulière, très originale (Godspell). Coloration hippie. Evangélisme franciscain des origines. Les désirs des jeunes sont en affinité avec le parfum qui ressort de l’Evangile. Ils ne prennent peut-être pas tout : la Croix, la Résurrection ! Mais existe une espèce de lien avec : fraternité, justice, relations humaines, ne pas juger les autres. Expression joyeuse de la foi etc. Leur approche de la foi est très subjective et cette subjectivité est très colorée affectivement. Ce n’est pas une subjectivité au niveau du raisonnement. Ils risquent même de s’enfermer dans un système affectif : "je crois parce que j’ai confiance... je ressens". Dans ces groupes, le Christ de l’Histoire est absent, comme la dimension Eglise est absente.

D’autres lectures me font dire que cela mériterait de voir le lien qu’il y a entre leur attachement actuel à Jésus (Etats-Unis, France) et une faiblesse du surmoi que dénoncent certains. Ce monde du désir colore très fort leur approche qu’ils font de la personne de Jésus.

Un adolescent doit couper la cordon ombilical avec sa famille, doit accepter d’être créateur de lui-même. La plupart des adolescents crient qu’ils veulent être libres mais ont peur de se trouver créateurs d’eux-mêmes. Ils ont tendance à trouver des substituts, à inventer un Dieu à leur image... leur confident... Ils rejettent l’altérité qui les ferait exister. Ils risquent de s’enfermer dans le monde du désir. "La religion fonctionne comme une instance conservatrice, alors qu’ils ont envie d’entrer dans une instance créatrice" dit Lobrot. Comment peut-on les aider à percevoir l’altérité de Jésus-Christ ? Dans un monde sécularisé, il n’y a pas de place pour « l’Autre Surnaturel » ; donc on invente un Dieu au niveau du Moi, mais ce n’est pas l’Autre qui fait une ouverture dans ce monde sécularisé.

Dans un monde sécularisé, on invente un Dieu à l’intérieur d’un monde enfermant, parce que l’on refuse la possibilité d’un Dieu extérieur à l’horizon terrestre.

Quelle est notre approche de Jésus ?

Avons-nous conscience des limites de toute approche de Dieu, et même de Jésus-Christ ? Et si la nôtre était moins riche que la leur ? Et si celle de Saint-Thomas n’était pas plus riche que la leur ? Pourquoi pas ! (le petit Jésus, l’Epoux des vierges, le Chemin de croix au Moyen-Age, le Christ en croix glorieux, ou le Christ sanguinolent ???).

Ne pourrait-on accepter d’abord l’originalité de toutes rencontres avec Dieu et ensuite travailler à la vérité de celles-ci.

Sur quoi repose notre malaise ?

Est-ce que cela tient à une incapacité chez nous de participer à un certain mode de communication ? Ou parce que nous ne pouvons pas les ramener à notre conception du Christ ?

Quelle connaissance avons-nous de Jésus ? En quoi notre approche a-t-elle un caractère original ? Et en quoi au cours de notre existence chrétienne notre connaissance de Jésus-Christ se purifie-t-elle, s’enrichit-elle ? Quelle attitude aurons-nous avec les jeunes ? Destructeurs - nous n’aurons aucun esprit critique.

(I.C.I. du 15.10,72 - Interview d’un hippie polonais). "En Occident, des hippies auraient découvert la personne de Jésus, des troupes théâtrales expriment un peu partout cet intérêt. Y a-t-il quelque chose de semblable en Pologne ?" - Réponse du hippie : "chez-nous, les circonstances sont différentes, donc l’expression aussi doit être différente ; mais au fond, il s’agit de la même chose. Peut-être est-ce justement par la personne de Jésus que nous pouvons arriver aux valeurs que nous cherchons. S’il existe quelqu’un qui puisse être notre guide, c’est sans doute Lui. Déjà, la plupart d’entre nous le reconnaissent comme l’homme qui a ouvert la voie à tout ce que nous cherchons" : désir de justice, de fraternité, etc.

Georges CARPENTIER