Institutions permanentes : des témoignages qui peuvent nous aider


Après le document de Chantepie : "Une communauté de foyer qui prend le temps de réfléchir", une dizaine de maisons ont réagi en des pages très intéressantes où s’exprimaient l’accord sur le document, le désaccord à propos de telle ou telle formule, et surtout les nouvelles questions qui se posaient ...

Les interrogations se groupent autour de deux thèmes : la place du foyer dans la pastorale du diocèse et l’accompagnement des jeunes tout au long de leur adolescence, à travers les éclipses et les reprises. C’est ce dernier thème que nous voudrions développer. Il nous a semblé que la meilleure façon de rendre service à la réflexion serait de publier trois témoignages de jeunes, bien de chez nous, et de proposer ensuite des pistes de travail.

Les prénoms sont changés, les noms de ville ne sont pas donnés, mais le mot à mot est respecté.

- Paul : Terminale, milieu rural

- Jean-Luc : de l’enfance à la Terminale

- François : cheminement de la sixième à la première.

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Ces témoignages peuvent nous être utiles, non pas tellement comme normes mais plutôt comme réactifs. Auprès des jeunes, ils peuvent aider à dédramatiser certaines situations, ils peuvent permettre l’expression ou relancer la recherche. "Les exemples vivants sont d’un autre pouvoir"... évidemment, l’exemplarité ne peut pas jouer tout à fait ici, mais il n’y a rien de tel que des démarches vivantes pour aider d’autres démarches vivantes... quand on voit combien de jeunes ont été aidés par le "Journal de Dany" de Michel Quoist, on peut regretter que d’autres itinéraires plus précis, en langage de jeunes d’aujourd’hui, ne nous soient plus proposés.

Auprès des éducateurs, ces témoignages peuvent aussi avoir leur utilité. L’expérience a montré qu’il .était plus facile de prendre des exemples extérieurs à notre maison pour parler des jeunes dont nous avions la responsabilité : les appréciations se font plus librement et les comparaisons avec les situations vécues viennent très facilement. Or. il y a ici matière a de nombreuses recherches. Qu’il me soit permis d’en citer quelques-unes parmi beaucoup d’autres.

- L’histoire du projet, ses premières manifestations, ses crises, ses résurgences. Il y a bien sûr des constantes, à travers tous les âges, dans les récits de vocation, mais il y a aussi des accents qui sont particuliers à chaque génération de jeunes. Notre accompagnement consiste surtout à permettre aux jeunes d’être sensibles à une série d’appels et de les reconnaître avec eux. Cela veut dire aussi que les termes mêmes dans lesquels le projet va se dire seront sujets à évolution. On ne pourra ni condamner a priori ni survaloriser les expressions d’un enfant, le découragement d’un jeune adolescent et les nouvelles formulations d’un grand adolescent. L’attitude sera plutôt de reconnaître le positif qui peut être vécu à chaque étape, et cela n’est pas découvert une fois pour toutes, il est sans cesse à chercher.

- L’importance de certaines étapes qui souvent nous échappent totalement... les grandes vacances, le changement de milieu etc. Il faut des espaces de liberté ou des temps de liberté où les choses peuvent se vivre sans nous et parfois en réaction contre nous. Quelles sont nos attitudes ? Quelles chances donnons-nous encore aux jeunes qui sont dans cette situation ?

- Le nouveau langage de la prière, la nouvelle expression de la foi. Dieu perçu à travers les habitudes religieuses d’une famille ou d’une paroisse cesse soudain de se manifester à travers ce langage... C’est une période de déstructuration de la vie religieuse que nous connaissons bien. Nous savons aussi qu’il y aura d’autres étapes.., quelles sont-elles ? Comment les préparons-nous ? Comment sommes—nous éducateurs et critiques par rapport à ces nouvelles étapes ?

L’important est que nous restions en alerte, vigilants et attentifs aux signes du Seigneur dans ce monde nouveau des jeunes.

Jean DUEREUCQ

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I - PAUL : TERMINALE : MILIEU RURAL

Enfance : j’étais heureux, heureux entre mes parents. Parents ouverts : ils m’envoyaient en colonie de vacances "pour m’ouvrir". Mais je n’avais pas de camarades : nous habitions une ferme isolée.

Dieu ? C’était une "grosse idole", c’est-à-dire quelque chose de très important, sans que j’y comprenne quoi que ce soit : je dois cela à ma mère et à mon grand père, très religieux. J’ai alors voulu être prêtre... d’où mon entrée au petit séminaire.

A X ... , une maison très sévère... mais je n’ai pas eu de difficultés à m’y adapter. C’est seulement en 5° et surtout en 4° que j’ai commencé à voir des injustices et à réagir violemment contre. Je ne pouvais les admettre.

Aujourd’hui, je suis plus tolérant, mais je suis sûr qu’il y avait des injustices. De plus, la messe était obligatoire, etc. en 4° on a manifesté pour faire changer ça. Et on a réussi... Alors dans la foulée de cette maison qu’on avait fait bouger, je suis rentré au Christ-Roi avec Gérard et Christian....

Ces deux gars, Gérard surtout, m’ont beaucoup marqué. J’essayais de me calquer sur lui parce que je l’estimais.

A ce moment, dès la 4ème, je n’ai plus supporté d’être seul, j’ai commencé par faire le mur pour aller au bal... mes parents ont dû céder. Rien ne pouvait m’arrêter. Les copains, l’orchestre, les filles, tout cela m’attirait. Et puis c’était défendu, cela comptait aussi !

De X... ce qui me reste ?

- Ça m’a rendu timide (on était trop coupé).

- Ça m’a donné un "genre", le genre de gars bien aux yeux des adultes alors qu’en y réfléchissant bien ...

- Je crois aussi que les prières répétées sans fin m’ont donné une certaine habitude de Dieu, une habitude de réflexion. Tout cela n’est pas mauvais au total. Je n’ai pas été endoctriné, je pouvais remettre en cause et ne m’en privais pas !

A-Y ...

Classes de 2"-1ère : marqué par des amitiés déçues. Je m’étais beaucoup attaché -à Yves, il m’a laissé tomber.

Gérard et Christian ont été renvoyés à la fin de la classe de 1ère... J’étais seul. Amitié avec Jacques... On est sorti ensemble, souvent. Ça a beaucoup compté pour moi.

Beaucoup de filles aussi mais pour une soirée. Je ne me suis attaché à une fille qu’une fois, elle m’a laissé" tomber. Alors... depuis !

Je n’ai pas beaucoup travaillé, ni fait effort pour m’intégrer à la classe. Les équipes de révision de vie ne m’ont pas apporté grand chose. On ne s’engage pas vraiment... Par moment, j’ai "agi" dans le S.M.J. Un peu par besoin d’avoir des responsabilités...

Terminale : Maintenant, beaucoup de choses ont changé. A travers la crise des grandes vacances (fatigue, .plusieurs expériences de la drogue, fête de l’Humanité, etc..). Ça m’a posé beaucoup de questions... On a réfléchi ensemble.

J’ai tenté de vivre pour quelque chose : je suis allé chez les jeunes aveugles, j’ai découvert le bonheur de faire quelque chose pour les autres. Maintenant, je travaille dur pour avoir mon bac, et travailler ensuite auprès des aveugles. Ma vocation ? Je crois que c’est mettre au service des hommes les qualités que j’ai...

Mon adolescence est finie : je veux me libérer-de mes parents, je vais brûler mes cahiers, me stabiliser.

Bien sûr, il y a la moto, mais ça, ce n’est qu’un moyen au service de l’amitié... Là aussi, j’ai un rôle à jouer auprès d’eux. Ils m’apportent leurs qualités et moi les miennes.

Engagement ? Qui, je compte bien m’engager au plan politique, syndical, religieux. Tout ça pour ne pas être un parasite, pour mettre en valeur ce que je suis... parce que je l’ai reçu.

Et Dieu ? Je crois en lui, mais je ne prie jamais. Là, je crois que je ne sais pas. Il doit y avoir quelque chose à découvrir. J’ai quelquefois envie de remercier. Par exemple, c’est moi qui ai amené douze motards à la messe de minuit. J’étais tellement content que je voulais réussir cette messe.

Mais après, je reste trop marqué par une idée d’enfance selon laquelle il faudrait gagner le ciel à force d’efforts. Alors je sens qu’il y a beaucoup de choses devant moi...

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II - JEAN LUC : DE L’ENFANCE A LA TERMINALE

J’ai 18 ans. Je suis en terminale. Je suis le second d’une famille de six enfants. Mes parents sont agriculteurs et tous deux engagés dans différentes organisations sociales et professionnelles. Mes parents surent instaurer dans la famille un climat de confiance et de dialogue et je fus assez tôt au courant des problèmes, soucis, joies, de mes parents : qu’ils fussent familiaux, professionnels ou provenant de leur vie de militants. Je crois fortement que ce sont mes parents qui ont éveillé en moi ce besoin d’aimer et d’en porter témoignage qui maintenant me fait choisir le sacerdoce.

De la 5ème à la 3ème, j’ai participé à des récollections trimestrielles dites de Diaspora. C’était pour moi l’occasion de partager, d’approfondir ma foi, de découvrir Jésus-Christ. En 4ème, je songeai au sacerdoce, je m’en ouvrai à mes parents et à un prêtre. Je rentrai donc au foyer en seconde avec un projet de sacerdoce. J’y ai découvert une communauté dont le but est d’aider chaque gars à trouver sa vraie place dans la vie.

L’entrée au foyer qui auparavant représentait pour moi l’approbation de la part des adultes responsables de mon projet, fut au contraire le début d’une permanente remise en question. Je m’aperçus bien vite que si le sacerdoce m’attirait, c’était parce que, à mes yeux, le prêtre jouissait d’une certaine estime et d’un certain prestige dans la société, par sa fonction. Ceci mêlé à une foi personnelle et à certains sentiments altruistes satisfaisaient mon orgueil et mon égocentrisme propres à mon âge. Grâce à l’interpellation des autres, j’apercevais la fragilité d’un projet marqué par l’absence du Seigneur et des autres. J’oubliai le sacerdoce.

Ce fut alors une période marqués par la découverte de l’Autre, et la vie avec l’Autre". C’est-à-dire une vie avec le Seigneur, la communauté du foyer, les gars et les filles du lycée, de ma ville, ma famille. J’essayai de sortir de mon univers, de mon moi. Je commençais à découvrir le sens profond de l’engagement, du partage avec les autres et par là même, certains aspects fondamentaux (richesses ou limites) de mon caractère. Le foyer me poussait à une qualité de présence à l’autre,, à une disponibilité qui petit à petit m’aidaient à ma mûrir, à me réaliser. Cette qualité de présence, de relation, je la vivais aussi avec certaines filles et j’ai eu en trois ans plusieurs "flirts". Cela me permit de voir l’enrichissement qui naît du partage de deux personnes différentes, la complémentarité des sexes et certains aspects très attirants de la personnalité féminine. Cependant, je découvrais aussi les limites d’une liaison avec une fille. Il m’était, une fois attaché, très difficile d’avoir la même présence et la même disponibilité au Seigneur et aux autres, la même liberté d’engagement et curieusement, je repensais à nouveau au sacerdoce.

Je me rendais compte que le sacerdoce supposait une forme de pauvreté en amour. Un prêtre ne pouvait connaître les joies, les valeurs d’un amour conjugal. Mais simultanément, j’étais conscient que si je choisissais l’amour d’une femme, cela supposait une autre forme de pauvreté en amour, un amour plus exclusif et moins universel. Aucune de ces deux formes d’amour n’est plus riche ou plus pauvre que l’autre. J’arrivais donc à un choix assez tranchant, qui une fois fait, je m’en rendis compte, me laisserait insatisfait pour un temps plus ou moins long.

J’avais l’impression, en entrant en foyer, de m’être fait avoir, de m’être fait duper. Je découvrais par là la nécessité d’une vie spirituelle et personnelle riche pour mieux me connaître, mieux comprendre ce que le Seigneur attendait de moi, mieux percevoir ses appels et ceux des autres dans ma vie de tous les jours. J’ai choisi le sacerdoce. Ce choix, je l’ai vécu comme un combat, car ce que le Seigneur me demandait, c’était un oui sans conditions et ce n’est qu’acculé que j’ai cédé, que je me suis libéré. Ce choix n’est pas, comme je l’aurais voulu, fait définitivement, car dès maintenant, je :dois le vivre et c’est pour moi cause de nouvelles exigences. En effet, si pour moi, le sacerdoce me paraît le point primordial de mon avenir, j’éprouve le besoin d’une qualification professionnelle qui, elle aussi, réponde à mes aspirations, j’aimerais, à cause d’une expérience au cours de mes vacances où j’étais moniteur dans un camp de vacances où il y avait des cas sociaux et des débiles légers, recevoir la formation d’éducateur spécialisé.

Cependant, si ce métier me permet de répondre à certaines de mes aspirations, à un appel de ces enfants, à donner un nouveau sens à mon choix, elle m’amène à une nouvelle question : connaissant un peu le côté emballant et passionnant de cette profession, mon caractère enthousiaste, j’ai peur de me passionner pour le métier d’éducateur, et d’oublier mon projet premier, le sacerdoce.

Le choix que j’ai fait est donc constamment remis en cause, toujours incomplet et chaque jour à refaire. Certes, c’est une situation qui est insécurisante, mais combien plus intéressante qu’une situation établie, toute définie une fois pour toutes. Le Seigneur nous a voulu libres, nous devons jouer le jeu jusqu’au bout, même si cette liberté nous paraît parfois amère.

Tout ce cheminement peut paraître très personnel. Mais tout ceci n’a été acquis que grâce au partage vécu au foyer en équipe de vie, au dialogue avec un prêtre du foyer, mes parents, durant ces 4 ans, et avec mon évêque depuis cette année.

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III - FRANÇOIS : CHEMINEMENT DE LA 6ème à la 1ère

a) de la 6ème à la 3ème : mes capacités intellectuelles me permettent d’obtenir de très bons résultats. D’autre part, mon caractère calme ne m’attire aucun ennui pour la discipline. Tout ceci fait que je suis très bien vu par mon entourage et petit à petit, je prends un caractère de "satisfait".. Je n’éprouve d’autre part aucun besoin d’aller vers les autres gars, du moment où je vis dans une famille où je suis très bien.

b) l’entrée à X ... : la classe de 3ème : j’arrive à X ... avec un caractère de gosse. Je viens parce qu’on l’a conseillé à mes parents. La classe dans laquelle j’entre est assez chahuteuse, d’autre part, je n’ai jusqu’ici eu aucun contact avec des gars de la ville et avec leurs problèmes. Tout ceci me déroute. Pendant cette année, je me pose énormément de questions mais au lieu de chercher à discuter pour y répondre, je me renferme sur moi et ne pense qu’à une chose : revenir chez moi pendant le week-end. La religion est un des sujets qui me préoccupent le plus ; chez moi, tout le monde va à la messe (beaucoup n’y comprennent rien, d’accord, mais ils accomplissent leur devoir). Ici, - dans un séminaire - je rencontre plusieurs gars qui n’y vont plus : non vraiment, je n’y comprends rien !
Puis viennent les vacances. Je commence à devenir un homme (sur le plan physique en particulier) et ceci contribue à me renfermer encore plus sur moi.

c) La classe de Seconde : cette année va être une étape assez importante pour moi. C’est cette année là que je vais faire des tas de découvertes. L’une des plus importantes est à l’échelle religieuse. Je vais découvrir "des gars qui en veulent". Ils ont deux ou trois ans de plus que moi, je les admire mais je ne me sens pas la courage de les imiter. Je vais à quelques récollections facultatives, mais c’est plutôt pour parler (avec le Père qui nous les prêche) de questions touchant directement ma vie que de questions religieuses. La religion est encore entièrement faite des doctrines que l’on m’a apprises. Je n’ai pas encore - et loin de là - une foi adulte à cause surtout du fait que je ne ressens rien de personnel dans mes relations avec Dieu. La religion est pour moi quelque chose que pratiquent des gens que je connais et que j’approuve pour plaire à ces gens (parents, éducateurs).

Cette année ne va d’ailleurs me permettre de m’épanouir sur aucun plan à cause d’une réserve, de certains "complexes". Je n’ai encore pas de réelle joie de vivre car j’ai découvert les limites de mon ancien environnement (vie de famille…)

A la fin de l’année, on a une récollection de trois jours à Z ... J’y arrive avec une volonté de changement ; et en effet, il va y avoir du changement. Je vais enfin aborder de façon très sérieuse un problème qui me hante depuis plusieurs années et qui bloque ma vie religieuse : il m’a semblé dès mon jeune âge (7 ou 8 ans) que j’avais été appelé par Dieu pour devenir prêtre.

J’ai toujours dit en moi-même un non formel à cette éventualité et cela m’a donné une impression de non sincérité qui m’a énormément gêné. Pendant ces quelques jours, j’arrive donc à me libérer de ce problème. De même, je commence à avoir une vision plus adulte sur la vie chrétienne, je commence à rencontrer un peu Dieu dans ma prière, je commence à "piger" de moi-même le message du Christ. Tout cela me permet de dire que ces quelques jours vont être le début de ma vie chrétienne (ou d’un "essai" du moins).

Viennent ensuite les vacances ; je vais rester chez moi, à la ferme, pendant ces deux mois et demi. Je me rends compte que cela devient ennuyeux pour moi. Je m’ennuie d’ailleurs tant et si bien que je me jure de trouver des activités dès la rentrée.

d) Classe de 1ère : "Grâce à ces vacances" j’arrive à X ... avec un désir de faire quelque chose (qui ait rapport avec la religion, si possible). Je dirige avec un terminale une équipe d’A.C.E., je monte un groupe de rencontre du monde rural, je participe aux catéchèses. D’autre part, cette transformation est aussi totale de mon tempérament, une "refonte".

J’accepte volontiers de diriger une équipe de foot, d’organiser des matches de rugby... et puis aussi j’éprouve un besoin énorme de chercher des copains (les vacances prochaines, je dois aller chez l’un d’eux).

En résumé, le "second souffle" de ma vie chrétienne a coïncidé avec un besoin de vivre (au sens fort du mot, celui de joie, d’entrain...)