L’éducation aujourd’hui


Les pages qui suivent rendent compte d’une intervention de Georges CARPENTIER, directeur-adjoint du Centre National de l’Enseignement Religieux, à la session de Bièvres de mai 73.

Elles répondent, dans le cadre d’un dialogue avec le conférencier, à trois types de questions qu’ont posées les participants.

Ces questions ne sont pas théoriques. Elles ont surgi, au cours de la session, à partir de l’étude de monographies, en relation avec l’expérience personnelle des participants.

Ces questions paraissent fondamentales. Elles rejoignent celles de nombreux adultes en contact avec les jeunes, désireux de les comprendre et de cheminer avec eux dans une recherche commune.

Les réponses à ces questions ne nous-apporteront pas des principes tranquillisants, et moins encore des solutions toutes faites. Du moins, puissent-elles, au cœur des mutations actuelles, susciter notre propre recherche et stimuler notre action.

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1ère QUESTION : QUE VIVENT LES JEUNES ? QU’EST-CE QUI LES DYNAMISE ? COMMENT LES REJOINDRE DANS CE QU’ILS VIVENT ?

I - QU’EST CE QUI RESUME ACTUELLEMENT LE FONCTIONNEMENT DES JEUNES ?

Est-ce qu’on arriverait à en détecter le mécanisme, le moteur ? Voilà comment j’entends répondre à votre question :

  • les jeunes sont essentiellement un univers de désirs, un monde extraordinaire de désirs, aussi bien chez l’O.S. que chez l’étudiant.
  • ce monde intérieur de désirs est en même temps un monde de contradictions. Ceux qui s’extasient béatement devant les désirs des jeunes finissent toujours par échouer parce que ces désirs sont toujours en contradiction avec autre chose, d’où l’apparent blocage actuel.
  • De plus, cet univers de désirs, vécu dans un monde de contradictions, est vécu dans des situations particulières. L’ O.S. et l’étudiant vivent le même désir de responsabilité ou d’efficacité mais dans des situations différentes.
  • D’où cela suscite des réactions diverses. Dans ce climat, il est possible de chercher à assouvir ses désirs, dans l’extrême droite comme dans l’extrême gauche, dans la consommation comme dans la révolution.

1) Un univers de désirs.

  • Le principal est le désir d’épanouissement. Physiologiquement, les jeunes désirent être épanouis. Ils renâclent à tout ce qui n’est pas épanouissement, que la cause soit la contrainte scolaire ou une relation qui n’est pas humaine. Une maman me disait qu’un petit enfant de 6-7 ans a l’impression de mourir s’il s’ennuie quelques minutes. Et ce diagnostic m’a été confirmé dans de nombreuses rencontres de parents.

    Aujourd’hui où l’arrière-fonds n’est plus surnaturel ou métaphysique, l’homme est d’abord un être qui, physiologiquement et psychologiquement, a envie d’être heureux. L’univers des nouvelles générations est radicalement "terrestre" même quand elles prient - sans doute même quand elles se rassemblent à Taizé.

  • Le désir intense de relations humaines réussies est si évident qu’il est inutile d’insister.
  • Le désir d’autonomie - les américains appellent cela "un désir de responsabilité personnelle totale", les jeunes voudraient presque s’être créés eux-mêmes et, de plus en plus, nous sommes obligés de reconnaître qu’il y a une réelle autonomie de pensée chez beaucoup de petits enfants vis-à-vis de leurs parents, et des adultes en général. Cela est particulièrement sensible dans le domaine de la foi.
  • Le désir d’un monde qui ait un sens, de faire des gestes qui ont une signification pour l’homme (importance de la justice... que ce soit utile). Il y a dans le cœur des jeunes le désir d’une société intelligente, dont on pourrait rendre compte.

    Dans cette ligne, il nous faut savoir rendre compte des gestes religieux que nous faisons, de leur opportunité au moment où nous les pratiquons, sinon nous déchristianisons les jeunes.

    Ce désir d’intelligence du monde engendre chez eux une espèce de pessimisme, car ils ont l’impression que le monde adulte ne veut pas faire un monde intelligent ou n’y arrive pas. Le Tiers-Monde, la pollution, la croissance, nourrissent ce pessimisme.

2) Un monde de contradictions.

Nombreuses sont les contradictions entre cet univers désiré et l’environnement social concret.

Il est évident que les jeunes vivent une contradiction quotidienne entre ces désirs intérieurs et leur environnement social. La mentalité des 2/3 des adultes et des 9/10 des structures en place et des institutions vont à l’encontre de leurs aspirations.

Une contradiction plus subtile est celle qui existe entre l’épanouissement et chacun de ces désirs. Ils ont soif de personnalisation intense mais en même temps, leur désir de relations humaines est souvent vécu d’une manière primaire par le besoin du groupe. De ce fait, ils ont tellement peur de casser le groupe dans lequel ils sont, ils veulent tellement rester en affinité avec le groupe, qu’en fait ils n’osent pas s’affronter dans ce groupe. D’où la frustration au niveau de leurs désirs de personnalisation. Entre 18 et 22 ans, beaucoup diront : les copains, on n’en a pas vraiment - ou : la vie de groupe est un leurre.

Un autre exemple de contradiction à l’intérieur d’eux-mêmes est l’affrontement qu’il y a entre le désir de responsabilité personnelle totale et celui d’efficacité. Comment être efficace avec de telles exigences de responsabilité ? Dans une société de management et de profit aux lois économiques extrêmement sévères, ils risquent d’être sur la touche, purement et simplement, et de susurrer leur désespoir.

Et pourtant, il ne s’agit pas d’éliminer un des termes de la contradiction, car le sommet de l’acte éducatif, aujourd’hui, est dans la conjugaison de ceux-ci.

Il ne s’agit pas de lâcher le désir de personnalisation, ni celui de relations humaines plus faciles, ni celui de responsabilité, ni celui d’efficacité.

Il nous faut les aider à épanouir ces désirs qui les habitent et qui sont le germe de la future civilisation. Tout le reste est le fait du passé ou de gens aigris, peu représentatifs de ce qui advient.

Un article de Bettelheim me paraît très éclairant à ce sujet. Il montre que depuis quelques années les jeunes sont éduqués au niveau des désirs, du "ça," mais pas au niveau du "moi", car il n’y a plus d’éducation du "sur-moi". Jadis, on mettait l’accent sur le sur-moi, les tabous, les interdits. Il ne s’agit pas - dit-il - de revenir en arrière, mais il faudrait arriver à une domination de ces désirs par une réelle éducation du Moi. Ce serait malhonnête de présenter ces désirs - qui sont sympathiques - sans montrer qu’ils sont vécus d’une manière assez contradictoire. "La société est débile, et moi je suis débile aussi" dit le jeune qui n’ose pas passer à l’acte.

3) Ce conflit est vécu dans des situations particulières.

Il me semble évident que les lycéens du second cycle, le O.S. dans les usines, et les prisonniers vivent des contradictions identiques. Les mêmes désirs les habitent : les jeunes veulent qu’on les respecte, qu’on ne les traite plus comme des gosses, même s’ils sont encore scolaires, même s’ils ont fauté, même s’ils n’ont pas de diplômes. Ils veulent être traités comme des hommes, avec dignité, et que leurs responsabilités soient respectées. Phénomènes identiques mais qui fonctionnent dans des situations différentes. Le fils du bourgeois qui pourra se récupérer, et le fils d’ouvrier qui doit absolument travailler et qui va accepter plus facilement de faire sa promotion individuelle à l’école parfois parce qu’il n’a personne derrière lui et qui va être traité de jeune par le fils de bourgeois, vivent au fond les mêmes désirs mais dans des situations particulières.

Il y aurait beaucoup d’autres différences de situations à repérer : la grande ville et le phénomène rural - la famille ouverte qui ne s’en tire pas mal et .la famille bloquée, etc. mais chacun peut faire ce travail.

4) Ce conflit provoque des réactions diverses.

  • dégoût de la société et utilisation de la société ;
  • apathie pendant onze mois de l’année et révolte qui éclate à l’improviste pour retomber subitement.
  • contestation politique : des Maoïstes à ceux qui sont prêts à un retour à l’ordre, "l’Ordre nouveau" bien sûr.
  • tout le phénomène de la consommation qui fait des ravages énormes chez les adolescents en situation familiale ou sociale difficile ;
  • la désillusion : combien d’anciens lycéens qui sont maintenant étudiants ou mariés et qui avaient fait mai 68, sont passés par cette phase de désillusion. Parfois au niveau de leur vie quotidienne : foyer - vie sexuelle - éducation des enfants - ou même métier.

    Ils ont fait des îlots de pratiques contraires à la société qui les environne. Ils mettent en oeuvre, dans ces îlots, leurs désirs profonds, mais l’environnement général reste contraire (mariage où l’on n’invite pas les parents...) et ceci commence à venir dans tous les phénomènes de la vie à peu près, sauf généralement dans le travail.

    Qui va gagner la partie ?

II - QU’EST-CE QUI LES DYNAMISE ?

1) .On peut dire que tous ces désirs les dynamisent. Malheureusement, bien souvent, ils n’arrivent à l’épanouissement que dans les loisirs ou dans des îlots de désert, comme Taizé, mais pas souvent dans la famille, à l’usine, au bureau, à l’école.

2) Un projet politique : il y a des jeunes qui veulent changer quelque chose à la société. Ils ne sont pas nombreux, mais quand ils visent juste, ils ont la masse avec eux, quoiqu’on pensent les articles du Point ou de Paris-Match.

3) Ce qui les dynamise encore, c’est leur situation concrète qui crée un dynamisme de contestation permanente : au niveau de la famille, de l’école - mai 68, mars 73 (participation de la masse). Ce flot de dynamisme, canalisé pour certains dans les loisirs (surboums en 5e) pour d’autres dans la politique (PSU - PC - Maoïste - UJP) pose le problème difficile des chemins concrets de l’action. De l’action qui a prise sur la société et non de celle qui évade.

III - EN CONCLUSION : COMMENT LES REJOINDRE ?

1) Par un effort intellectuel pour les comprendre. La générosité, actuellement, peut très bien ne servir à rien. Depuis dix ans, les 9/10 des éducateurs ont perdu leur temps. Comme un satellite, ils n’étaient pas sur l’orbite voulue. C’est un fait, ils s’usent, ils se minent, mais ne mordent pas sur le réel.

Comprendre ne signifie pas juger ou approuver, mais essayer de saisir le fonctionnement comme celui d’une machine.

2) Etre engagé soi-même dans les transformations de la société. Cela ne signifie pas nécessairement être syndiqué, ni qu’on ne peut pas être prêtre ou religieuse. Mais cela veut dire que nous sommes imbriqués dans la société et que nous sommes invités à nous "mouiller". Le type incolore, inodore et sans saveur qui bénit après coup, n’a plus de place sur terre. Cet être, ni ange ni bête, n’est pas un homme non plus. Il nous faut vivre nous-mêmes quelque chose de valable.

3) Partager ce que l’on est, partager .ce que l’on fait sans confessionite. Partager la recherche de ce monde en pleine mutation est le seul jeu payant. En effet, qui a la solution pour l’avortement ? Qui d’intelligent oserait dire une parole définitive sur la pilule, sur le Tiers-Monde actuellement ? Sur le conflit israélo-arabe ? Donc humilité profonde. Celui qui parle d’une manière péremptoire n’est plus audible, écouté ; cela ne veut pas dire que l’on n’ait rien à dire. Au contraire, il importe d’oser dire ce que l’on est et ce que l’on croit et de le partager avec les autres hommes comme le Christ l’a fait mais avec autant d’humilité que Lui... au moins.

A ces conditions là, les jeunes attendent que nous les aidions à se construire, à construire le monde, mais dans ce processus-là. Toute la relation éducative, toutes les institutions éducatives doivent être radicalement retournées. Beaucoup d’éducateurs vont passer par une phase de désert, car le processus qui partait d’en-haut est devenu insupportable. Il est bloqué. Ils devront rentrer dans un autre processus.

2ème QUESTION : COMMENT FAVORISER L’EXPRESSION DES JEUNES ? COMMENT LIBERER LA PAROLE ? QUELLE EST L’ATTITUDE DE L’ADULTE QUI LIBERE (non seulement au niveau du langage mais intérieurement ?). ECOUTER LES JEUNES JUSQU’OU ? NE FAUT-IL PAS BRUSQUER LES JEUNES QUI PLANENT ?

I - IL FAUDRA RETROUVER LA PAROLE AU-DELA DE L’EXPRESSION TOTALE

Nous venons de l’ère du "baratin". Or, quand on a commencé à vivre l’expression ne serait-ce que l’expression corporelle, ne serait-ce que l’audio-visuel, on s’aperçoit que le baratin seul est une maladie, comme un cancer qui envahit tout l’être, qui déforme tout. Ce n’est pas la suppression de la parole - la parole et l’écrit apportent quelque chose d’original au niveau de la précision et de l’analyse du réel. Mais nous venons d’une ère de "baratin" où il y avait une espèce d’énormité, d’enflure, et cela n’est plus accepté. Par exemple, la catéchèse-baratin où l’on se retrouve tous les huit jours autour d’une table pour discuter, et ne faire que cela, est en train de mourir. L’humanité passe un seuil - L’ensemble des jeunes a franchi un seuil d’hominisation. Au niveau de la complexité, ils sont supérieurs aux adultes.

II - L’EXPRESSION CORPORELLE

Il y a un formidable désir d’épanouissement, d’habiter son corps. Dans un univers plus terrestre, cela se conçoit bien. Jadis beaucoup essayaient d’oublier leur corps ; aujourd’hui, il y a une volonté d’être heureux dans son corps. Il y a une richesse dans l’expression de tout l’être, de tout le corps qui ne peut pas être ramassée purement et simplement par la parole ou par l’écrit : cela les gens le sentent. Notre relation à l’univers dépend pour une bonne part de notre oeil, de notre oreille, de notre toucher. Et je suis persuadé que notre idée de Dieu est marquée par notre relation à l’univers. Il y a une corrélation ou une déformation qui se fait.

Je pense que l’expression corporelle et l’expression en général, va se développer de manière colossale dans le siècle qui vient. Nous étions à l’ère du travail. Les gens travaillaient pour travailler, mais ce n’est pas cela le but de la vie ; ce qu’il faudrait c’est être des contemplatifs. Travailler bien sûr, mais pouvoir "épouser le maintenant" ; être créateurs du maintenant et contempler.

Nous y arriverons par l’expression, la transformation de la matière, la relation humaine, l’expression de soi, la communication. Tant que nous n’accéderons pas à ces possibilités de création et de contemplation, nous resterons dans le marasme, dans l’ennui. Nous pouvons avoir autant de vacances que nous voulons, sans ces possibilités, nous nous ennuyons quand même ; alors nous consommons des kilomètres, de l’essence... du sexe !

III - IL FAUT VISER UNE EXPRESSION EN PRISE SUR L’ENVIRONNEMENT

Il y a toujours le risque de s’enfermer dans une expression d’évasion. Après la guerre de 40-45, beaucoup de jeunes qui avaient rêvé de transformer la société se sont réfugiés dans des organisations de loisirs et n’ont pas changé grand chose. La véritable expression se fait dans l’affrontement à l’environnement ou dans les épousailles de celui-ci.

Malgré les efforts récents, nous sommes encore trop souvent dans l’éducation . de la foi sur le registre de la parole. Nous sommes extrêmement pauvres en expression. Or la plupart des gens, dans les nouvelles générations, entendront la parole de Dieu, la recevront et l’appréhenderont plus par le langage total que par la seule parole.

Une question : éducateurs, de quels types de communication sommes-nous capables ? Est-ce que nos corps sont capables de communication sans provoquer de crise ? Si nous ne sommes capables que de communication orale, nous risquons de n’accueillir chez les jeunes que ce que nous espérons, c’est-à-dire nous trouvons bien, nous accueillons comme bien ce qui est conceptualisé par un titre.
Et si le meilleur se passait d’abord de manière non conceptualisable actuellement pour être conceptualisé ensuite !

Pratiquement, il semble que ceux qui rejoignent le mieux les jeunes sont ceux qui partagent les engagements très fort, ceux qui partagent une vie de prière intense et ceux qui, en général, vivent des modes d’expression très riches.

QUELLE EST L’ATTITUDE DE L’ADULTE QUI LIBERE ?

1) La première attitude est celle de l’accueil  ; ce que les psychologues appellent "être en empathie" ; on ne juge pas, mais l’autre sent qu’il peut tout dire. Il ne sera pas jugé. Pour cela, il y a une condition nécessaire qui peut être difficile à réaliser et cette condition est de ne pas se sentir agressé par ce que l’autre me dit et me raconte de son expérience.

La communication avec les jeunes exige que nous ayons de grandes qualités de dialogue. Pas d’attitude paternaliste ni légaliste, mais un accueil "fort". Il faut être suffisamment solide pour que l’échange se fasse dans les deux sens, sans juxtaposition ni absorption.

2) Exister soi-même pour qu’il y ait échange. Les jeunes sont aussi déçus de l’adulte qui n’écoute pas que de celui qui écoute mais qui jamais ne "se mouille", qui ne fait rien avancer. L’écoute passive ne libère pas. N’oublions jamais que nous ne sommes pas en thérapie mais en dialogue "normal". Aussi, ne jouons pas les apprentis-sorciers. Soyons nous-mêmes, en acceptant de remplir le rôle qui nous est imparti dans le groupe ou dans le dialogue interpersonnel.

Le monde a tellement avancé qu’un éducateur ne peut plus être n’importe qui. La bonne volonté ou la répétition du passé ne suffisent plus.

3) Eduquer à la communication. Nombreux sont les gens qui ne savent pas communiquer. Nous-mêmes le savons-nous ? Oser, réussir la communication devrait être un but pour nous. Comme je viens de le dire, pour cela il ne suffit pas d’écouter. Chez la plupart des êtres humains, il faut pouvoir provoquer des temps de désinhibition, pour qu’ils arrivent un jour à une certaine expression.

Les bons sentiments ne suffisent pas. Ils peuvent même constituer un obstacle Ce travail de libération exige un minimum de technique qui prouve que le rôle de l’éducateur n’est pas prêt de disparaître. Cet apprentissage de la communication avec tout son être, corps compris, n’est pas indifférent à la foi, car le rapport que nous entretenons avec nous-mêmes et notre environnement marque notre rapport à Dieu.

Quand vous avez libéré quelqu’un au niveau de l’expression totale, c’est gagné, il ne reviendra pas en arrière, il ne pourra plus accepter n’importe quelle forme de religion ou de société.

Pour favoriser un développement fécond de l’expression, il faut viser le long terme, c’est-à-dire la qualité spirituelle. Cela ne sert à rien de faire de l’expression corporelle si l’on n’est pas habité intérieurement. Je pense que la prière authentique appelle très vite l’expression : le dire, le faire quelque chose. Investissons à long terme. Favorisons les "lieux de silence" où l’homme moderne peut se développer.

3ème QUESTION : N’Y A-T-IL PAS LA TENTATION DE VOIR LES JEUNES A TRAVERS NOUS ? DE PROJETER NOTRE PROPRE VISION DES CHOSES ? NE FAUT-IL PAS AIDER LES JEUNES A SE DECIDER ? LEUR DIFFICULTE A S’ENGAGER POUR QUOI QUE CE SOIT.

1) C’est vrai, nous ne voyons qu’à travers nous. Nous ne voyons qu’à travers nos yeux. Impossible à l’homme de faire autrement. Ce fait mériterait d’être réfléchi davantage. Pourquoi tel visage nous plaît ? Pourquoi tel visage nous rebute ? Prendre conscience qu’on fait un tri tout de suite, et pas seulement intellectuellement. Oui, il faudrait démonter les mécanismes de notre regard d’animateur.

La première tentation est de ramener les jeunes à soi. Les jeunes avec qui je suis à l’aise me disent ma vision du monde. De plus, comme les jeunes sont actuellement point de référence, nous avons tendance à les ramener à nous pour nous justifier. Nous affirmons "les jeunes pensent ceci", or, c’est tel jeune ou tel groupe de jeunes., qui pensent cela.

Jadis, l’éducateur ramenait les adolescents psychologiquement à lui, actuellement il le fait idéologiquement.

Une autre tentation est de se ramener aux jeunes. Ils sont un peu ce que nous aurions voulu être, d’où la projection de nos désirs sur eux. Prendre de la distance est devenu très sage.

2) Regard fermé et regard ouvert. Il y a une grande différence entre le regard qui n’accueille que ce qui lui est déjà familier et le regard qui accueille les impacts extérieurs dans leur nouveauté, et même dans leur étrangeté. L’un est un regard déjà fermé sur lui-même ; il dévore pour nourrir son narcissisme. L’autre est un regard ouvert dont la capacité d’étonnement nourrit sa relation au monde.

Une question nous est posée : quel est notre regard ? Avons-nous un regard qui transforme l’univers ? Pas un monde petit, mesquin : "c’est bien", "c’est mal". Certes, pour construire, il y a des pierres que je rejette et des pierres que j’accepte. Mais pour commencer, ai-je vu chaque pierre ?

FAUT-IL AIDER LES JEUNES A SE DECIDER ?

Les aider à "se" décider, c’est-à-dire "eux". Mais aussi, aider à décider "qui" ? C’est plus difficile.

Faut-il se dire : "l’essentiel, c’est qu’ils décident quelque chose" ou "l’essentiel c’est qu’ils décident cela", ou "l’essentiel c’est qu’ils décident en connaissance de cause".
Qu’est-ce qui nous paraît essentiel ?

Avons-nous suffisamment conscience qu’à l’heure actuelle c’est très difficile pour les jeunes de décider :
— que ce soit décider de la vie religieuse ou du sacerdoce,
— que ce soit d’avoir un enfant aujourd’hui,
— que ce soit l’orientation,
— que ce soit le choix politique ... etc.

Il est difficile de décider :
— parce que nous sommes en pleine mutation,
— parce qu’il y a peut-être en même temps une certaine faiblesse du "MOI" ,
— parce que nous assistons à l’éclatement des valeurs. Et cela dans tous les domaines : la foi, l’économie, la profession, la sexualité, l’éducation etc.

L’éclatement des valeurs porte sur les choses fondamentales. Aussi devons-nous avoir une pédagogie pour période de grand affrontement, et non une pédagogie simpliste de reproduction de modèles.

Cette situation invite les adultes en relation éducative avec des jeunes :

- à vérifier l’honnêteté de leurs paroles. Maîtrisent-ils la parole qu’ils prononcent ? De quels lieux parlent-ils ?

- à s’engager eux-mêmes dans la transformation du monde avec les risques que cela comporte.

- à repérer les critères, tant pour la connaissance que pour l’action.

Georges CARPENTIER