Une communauté de foyer qui prend le temps de réfléchir


Ce document est l’œuvre du Foyer St Melaine à Chantepie (Rennes). Il présente peut-être l’inconvénient d’être très localisé dans le temps et l’espace, mais il a l’immense avantage de nous relancer dans notre propre recherche.

Moins que des recettes ou des réponses à nos questions très particulières, il nous redonne le goût de l’interrogation portée ensemble et de l’Espérance vécue dans le quotidien. "Celui qui cherche trouve."

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A la session préparatoire à l’année, on a souvent posé la question : "pour quoi sommes-nous ici ?" Il y a eu des réponses courageuses, et pas mal de silences.

Faut-il s’en tenir là, et dire "Essayons de vivre quelque chose, on verra bien ?", comme si on se lançait sur la route en disant : "roulons toujours, on verra bien où ça mène" ? Si l’on n’arrive, pas à se mettre d’accord sur ce qu’on veut vivre ici, les réunions de groupe vont proposer des idées en tous sens qui ne seront appliquées par personne : ce qui soulèvera encore des sursauts d’agressivité, dans un sentiment d’impuissance et de lassitude ; cela démolit l’ambiance d’amitié et de confiance, pousse certains à chercher une réussite individuelle qui se fiche pas mal des autres.

Voici rassemblé ce qui fait notre projet de vie ou foyer : c’est un peu l’objectif idéal qu’il est bon de se remettre dans l’esprit.

Que voulons-nous vivre en Foyer ?
1. Créer un espace de vie fraternelle, dans l’Esprit de Jésus-Christ, pour devenir capables :
2. de prendre en main sa vie personnelle,
3. de prendre place dans la construction d’un monde nouveau par des engagements vrais,
4. ceci en vue d’accomplir un service en Eglise, qui sera pour certains le ministère de prêtre.

I - CREER UN ESPACE DE VIE FRATERNELLE DANS L’ESPRIT DE JESUS-CHRIST

A) Pourquoi vouloir un tel espace ?

On dit souvent qu’on voulait créer ici "comme une famille" : pourquoi ? Parce qu’on sent bien qu’on a besoin d’être ensemble pour vivre un idéal commun : "si l’on ne vit pas cela, il manquera quelque chose à la maison : on sera déçu" ; "si je ne voulais pas vivre cela, je n’aurais pas choisi d’être ici ».

Dans les autres lieux de vie (famille, école, paroisse, groupes de jeunes) on n’arrive pas à surmonter des obstacles :

- obstacles qui viennent de l’ambiance du monde : on rencontre des mentalités diverses qui choquent nos idées sur l’avenir, la foi, la manière de réussir sa vie ; des valeurs auxquelles on croyait sont critiquées, contredites... alors on se sent "paumé" ;

- obstacles qui peuvent venir de soi-même : on voudrait réussir quelque chose, acquérir plus d’autonomie : mais on se sent timide et on ne sait pas par quel bout prendre les choses ; ou bien on se sent coincé par des obligations que l’on supporte ; on se laisse porter mais on est mécontent, on se replie ; ou bien on veut se dégager dans un comportement de fuite qui met dans un état de malaise ; on se trouve embarqué dans des expériences de vie où l’on ne voit pas clair, et personne à qui on parler ; ou bien on cherche à se débrouiller mieux que les autres ; tant pis pour eux etc.

Si l’on a choisi de vivre au foyer, c’est qu’on espère trouver ici des relations confiantes où l’on pourra partager avec les autres, se débloquer, refaire ses forces pour affronter sans être démoli des mentalités différentes, résoudre ensemble les problèmes qui se posent ; et aussi tout simplement connaître ensemble de bons moments de détente, d’amitié ; qu’il y ait de l’animation, des loisirs sympa, où tout le monde participe.

B) Pour répondre à ce besoin, le foyer propose la vie de groupe.

La vie de groupe, c’est la chambre à 3 ou 4, c’est le groupe de classe ; c’est les groupes d’action (comités, commissions temporaires) qui rendent les services nécessaires à la communauté ; c’est des groupes de prière, l’équipe de vie ; c’est encore le groupe de base où chacun peut dire son mot sur tout.

On essaie de parvenir à un échange qui se voudrait total ; on apprend à sortir de sa timidité, à parler en groupe, à s’entendre exister dans l’accueil confiant qui dynamise, à s’affronter sans tomber dans l’agressivité stérile.

Les moyens d’analyse des phénomènes de groupe aident à dépasser les blocages, à éviter les impasses, donnent une pratique pour l’avenir, où la vie de groupe sera de plus en plus développée ; d’où le rôle important des sessions qui initient à la vie de groupe ; d’où le rôle du comité de fond et aussi de la présence des adultes avec qui on s’habitue à dialoguer sans complexe.

Ces divers moyens aident à ne pas tomber dans "l’illusion groupale", où l’on se grise de belles paroles d’amitié, d’unité, de partage, pour se tenir bien au chaud, en se protégeant ensemble contre les duretés de la vie, de l’action, du travail, du monde qui fait peur, au risque de tourner en rond sans progresser vers la vie adulte, qui fait peur aussi. La vie au foyer serait alors un refuge, où l’on vit "peinard" comme des bourgeois.

Pour échapper à ce danger, on n’a pas peur de se remettre en cause, en vérité, pour se préparer à l’avenir et aux luttes de la vie. Le témoignage de ceux ,qui ont pris des engagements réels dans leur milieu aide les autres à vaincre la peur du monde.
« Le vécu de chacun, plus ou moins riche selon les milieux et les personnes, constitue une masse considérable d’impressions, d’actions qu’on peut appeler "l’expérience personnelle de chacun", et c’est ce matériel que l’école (ici le foyer) doit aider à exprimer, à clarifier, à ordonner, à conceptualiser et théoriser par des démarches propres. Cette conceptualisation prépare un retour au réel plus critique, plus efficace, plus transformateur du milieu humain et matériel dans lequel chacun vit. A partir d’une expérience personnelle et de la découverte de certaines difficultés éprouvées, on souhaite et on accepte des phases d’apprentissage qui permettent de repartir mieux équipé, et qui font porter l’activité à un degré supérieur de liberté, de qualité et d’efficacité ... Le milieu est en effet primordial dans le développement de la personne".

(citation du FICEMEA)

C) Dans l’Esprit de Jésus-Christ

Ce qui permet de surmonter les difficultés de la vie de groupe et des remises en cause parfois rudes, c’est que nous avons choisi d’être ensemble au nom d’un même idéal ; malgré les échecs inévitables - et nécessaires pour conquérir sa liberté - nous avons la conviction de pouvoir recréer des relations neuves - un être nouveau - :à partir de l’Evangile.

On n’y trouve pas des recettes, ni des lois toutes faites, mais avec lui nous pouvons inventer aujourd’hui une manière de vivre, qui tient compte des courants du monde, pour les pousser plus loin, ou parfois pour ramer à conte-courant. Ce qui suppose une analyse des courants de mentalité du monde ambiant (école, publicité, mass-media etc.) pour avoir ensemble la force de-contester opinions et coutumes et faire des choix dans des engagements réfléchis.

Nous pensons aussi que l’Evangile peut ressourcer notre vie fraternelle. Pour cela, il ne suffit pas de le lire : car nous croyons le connaître et l’habitude de l’entendre lui enlève sa farce d’impact ; il s’agit pour nous de le redécouvrir et de l’actualiser ; il s’agit de faire parler l’évangile, non pour répéter des paroles creuses, mais nous pouvons y trouver un sens dynamique à tout ce que nous vivons.

Si chacun dans le groupe se sent responsable des autres, nous pouvons nous aider à accorder notre vie avec l’Evangile, par la révision de vie, dans des groupes de discussion spontanée ou des groupes de prière, en nous aidant à porter un regard neuf sur toutes nos relations pour voir ce que l’Evangile change à notre vie de maintenant.

Dès lors, la participation à des célébrations ne sera pas la répétition de rites vides de sens, car elle ressaisira la vie de chacun dans un climat chaleureux d’écoute réciproque et d’attention à l’Esprit de Jésus-Christ :

- soit en petits groupes : le climat de confiance permet d’analyser les conflits du groupe et le mal qui s’infiltre parmi nous sans culpabilité morbide : c’est la partie pénitentielle ; et face à l’Evangile, chacun peut exprimer les appels qu’il entend pour renouveler sa vie réelle ou les motifs qui le font s’unir à l’action de grâces.

- soit en communauté, où, dans une orchestration lyrique, on vibre ensemble à l’Esprit de Jésus-Christ qui nous renvoie dans la joie à une existence renouvelée.

II - POUR DEVENIR CAPABLE DE PRENDRE EN MAIN SA VIE PERSONNELLE

L’étape de l’adolescence amène des phases d’opposition à ce qui a été vécu dans l’enfance, aux parents, à toute forme d’autorité, aux institutions ; phases d’opposition qui demandent à être reconnues, traversées et dépassées, sous peine d’être victimes de réactions passionnelles dans l’instabilité et la contradiction, obstacles à des relations maîtrisées et heureuses, à un travail soutenu, à des engagements sérieux, à des choix réfléchis.

Ceci suppose que, avec les autres, à l’aide des moyens de culture qui nous sont proposés, chacun puisse comprendre sa propre évolution, refaire l’histoire de sa vie, motiver ses choix et ses orientations.
Le partage en groupe stimule la réflexion personnelle mais ne la remplace pas, sinon on subirait encore les modes du groupe et les slogans du jour. Chacun doit donc veiller à des zones de vie personnelle : travail, carnet personnel, prière, lecture, dialogue avec un copain, un adulte. L’aide du groupe ne peut que .rester superficielle, si elle ne laisse pas la place à des moments de solitude - parfois terribles - mais c’est à .travers l’angoisse, les tâtonnements, voire les échecs qu’une liberté personnelle apprend à sortir des chemins tout tracés, à résoudre ses contradictions et à s’avancer sur sa voie propre.

III - ET DE PRENDRE SA PLACE DANS LA CONSTRUCTION D’UN MONDE NOUVEAU

Contester la société est à la mode, et peut devenir un jeu stérile ; protester contre une société piégée et bloquée peut être un comportement de fuite ou une tentation idéaliste : on critique et an ne fait rien pour se changer soi et changer ses relations.

Dans tous les groupes auxquels on appartient, il y a des situations qu’on ne peut tolérer. Chacun est appelé à créer une société plus juste : la fin de toute forme d’esclavage, d’exploitation, de misère, d’injustice est signe du Royaume, nous dit Jésus-Christ en Matthieu 25. Il nous faut donc inventer des moyens efficaces de libération, en les empruntant aux sciences de l’homme, avec les incroyants qui luttent contre le mal collectif, on les critiquant par la fidélité à l’Evangile.

L’espérance d’un monde nouveau nous rend actifs dès maintenant, et solidaires, même s’il y a des options différentes pour mettre fin à l’injustice.

"La culture n’est pas la connaissance, l’érudition : c’est une attitude, une volonté de dépassement personnel, total, de son corps, de son cœur, de son esprit, en vue de comprendre sa situation dans le monde et d’infléchir son destin... C’est le sens des responsabilités dans les diverses communautés. Cette culture là exige envers les autres une attitude d’accueil, de dialogue. Notre humanisme doit être celui du coude à coude, de l’homme qui commence avec l’autre ; c’est la participation, c’est l’action, c’est la prise de conscience du besoin de s’exprimer ; on est l’homme du terrain et non l’homme des gradins, l’homme du jeu et non l’homme du spectacle, l’homme de l’engagement et non l’homme du laisser—faire-par— les-autres. C’est pourquoi la culture sans les oeuvres est une culture morte. C’est pourquoi le temps des loisirs doit être le temps de la personnalisation par las actes et non le temps du nivellement par la consommation préfabriquée. Il est urgent de choisir entre la mort de l’homme sous les techniques et l’épanouissement dans la liberté responsable."

(Citation du colloque du FICEMEA)

IV - EN VUE D’UN SERVICE EN EGLISE, QUI SERA POUR CERTAINS LE MINISTERE DE PRETRE

Ainsi exprimé, ce 4e but du foyer ne convient pas à plusieurs : ils sont d’accord pour se rapporter à l’Evangile, mais ils craignent de se faire "récupérer" par l’Eglise autoritaire où ils ne se reconnaissent pas. Il y a là une situation personnelle à clarifier, en tenant compte de certaines réalités :

- l’Eglise, c’est quoi ? Ce n’est pas seulement la hiérarchie, ce n’est pas seulement la paroisse. Mais toute communauté qui se réunit dans l’Esprit de Jésus-Christ, c’est déjà une cellule d’Eglise qui commence à vivre. L’Eglise, c’est nous aussi.

- La mutation de l’Eglise : une certaine forme d’Eglise est en train de mourir, une autre surgit lentement et se cherche un peu partout ; il faut donc piloter à vue, en s’inspirant des 1ères communautés chrétiennes et des expériences qui se manifestent ici et là.

- Le temps de l’adolescence est celui du passage du rêve à la réalité : nous écartons l’expression "service d’Eglise", comme si on était tourné vers elle ; nous écartons "mission d’Eglise", comme s’il n’y avait qu’à appliquer des ordres ; nous sommes en Eglise tournés vers le monde comme un levain dans la pâte, dans l’attente que ce monde devienne le Royaume dont parle l’Evangile.

A nous de prendre part à cette transformation du monde, sans refuser nos solidarités diverses dans un monde en devenir, en évitant la tentation idéaliste qui attendrait des conditions idéales pour se mettre à agir. Tout engagement est ambigu et exige des purifications et clarifications incessantes. Pratiquement ici, si le foyer existe et si chacun a choisi d’y vivre, c’est d’abord à cause d’une intention d’accomplir un jour un service en Eglise. On pourrait, pour simplifier, distinguer deux groupes :

- un premier groupe qui envisage le ministère de prêtre. Même si ce ministère est moins défini qu’autrefois, il demande toute une longue préparation personnelle qu’on a définie ensemble : approfondir sa foi, apprendre à vivre en groupe, recherche d’une prière personnelle et communautaire, prendre au sérieux ses engagements dans le travail et ses responsabilités dans les divers milieux de vie. Ceci ne peut être envisagé qu’en lien avec l’évêque, signe du lien réel avec Jésus-Christ.

- on pourrait distinguer un deuxième groupe, dont le projet d’avenir est sujet à évolution, voire à éclipse, soit à cause des événements, des rencontres, soit en définitive à cause d’un changement personnel d’orientation. C’est comme si ces jeunes se trouvaient tout d’un coup plongés dans une nappe de brouillard imprévue, où l’on ne voit plus la route à suivre.

Les premiers sont motivés pour tout ce qu’on vit ici. Ils acceptent bien le projet, de vie du foyer. Mais les autres, comment vont-ils se situer ici ?

Il ne s’agit pas de faire "comme si" dans une position fausse. Ils peuvent faire appel à un sentiment de solidarité et de responsabilité envers les copains ; la solidarité en effet doit jouer d’un groupe à l’autre dans les deux sens. Ils peuvent penser que le régime de vie aménagé les prépare à mieux exercer leurs responsabilités un jour dans leur milieu de vie et de travail.

Si, malgré tout, ils n’arrivent pas à accepter le régime de vie du foyer, il faudrait surtout éviter de se laisser aller dans la fantaisie ou la passivité : car la vie de groupe et l’autogestion du régime de vie donnent à chacun un pouvoir important sur le climat de la maison, et même un pouvoir de décision sur les moyens qu’on se donne ici pour favoriser la meilleure évolution de tous. On demande qu’ils définissent avec l’équipe de vie, et si possible assez tôt avec un adulte, ce qu’ils peuvent vivre ici, pour que ce soit accepté et reconnu par tous, et qu’ils évoluent ainsi en pleine liberté.

Quelques phrases qui font choc et qui interrogent.

Pour prolonger
la recherche
de ce document

1) "On apprend... à s’entendre exister dans l’accueil confiant qui dynamise, à s’affronter aussi sans tomber dans l’agressivité stérile." C’est une des revendications majeures de toute vie en communauté chrétienne, une des richesses de la vie en foyer... Y sommes-nous suffisamment attentifs ?

2) "Avec l’Evangile, nous pouvons inventer aujourd’hui une manière de vivre, qui tient compte des courants du monde, pour les pousser plus loin, ou parfois ramer è contre-courant".
Il y a une mission prophétique du Foyer qui est celle de l’Eglise. Présence dans le monde et différence. Ne sommes-nous pas tentés d’éliminer ce paradoxe, en oubliant dans la conduite même du foyer, soit l’attention à la vie des hommes d’aujourd’hui, soit l’originalité du message chrétien ?

3) "L’espérance d’un monde nouveau nous rend actifs dès maintenant, et solidaires, même s’il y a des options différentes pour mettre fin à l’injustice". On est bien d’accord, mais comment permettre que cela soit vécu et comment nous, les éducateurs, nous le vivons en premier ? Comment éveiller et permettre cette solidarité ? Comment rendre possible cette activité, cette inventivité au cœur des tensions et des erreurs dépassées (présence à la grève d’un lycée, à une équipe de non-violence, à des réunions d’information politique ?)

4) "Une certaine forme d’Eglise est on train de mourir, une autre surgit lentement et se cherche un peu partout ; il faut donc piloter à vue ..."
D’accord ou pas d’accord ? Qu’est-ce que cela veut dire piloter à vue ? L’expression est très riche... Qu’est-ce que nous cherchons à apercevoir ?