Ma place de prêtre dans le cheminement d’une équipe Diaspora


En écrivant ces lignes, je n’ai aucunement l’intention de rédiger un "catéchisme" à l’usage de ceux qui accompagnent des jeunes en recherche de vocation. Mon propos sera plus modeste ; il vise à dire ce que je sais pour l’avoir expérimenté, bien sûr ! depuis quatre ans que je suis au service de tels jeunes, mais aussi pour avoir confronté mon expérience à la contre-épreuve, plus critique, de la réflexion personnelle, de l’expérience d’autrui et, pourquoi ne pas le dire ! de la prière.

Mon propos tient donc, du genre "témoignage". Si j’apporte cette précision dès l’entrée en matière, ce n’est pas avant tout pour solliciter du lecteur le respect et l’indulgence qu’un tel genre réclame, mais pour reconnaître que d’autres témoignages, différents, peuvent être tout aussi valables.

Quelle est, donc, ma place de prêtre dans le cheminement d’une équipe diaspora ? Comment me suis-je efforcé d’animer un tel groupe et de faire progresser sa recherche ?

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I - ACCUEILLIR AVEC RESPECT DES JEUNES

Tout commence par le début. A ce moment précis, je me suis toujours efforcé d’être accueillant envers le .jeune et de prendre en considération la demande qu’il me faisait. Tantôt celle-ci s’appuie sur une vieille amitié, comme ce fut le cas de Pierre qui, après un silence de deux ans, m’offrit ses "meilleurs vœux à l’occasion de la nouvelle année" et me dit que "l’idée du sacerdoce subsistait encore" et qu’il aimerait "reprendre contact avec moi". Tantôt elle s’accompagne de la recommandation circonstanciée d’un prêtre qui connaît le jeune, son enracinement et ses relations. Tantôt aussi, la demande m’est adressée sans aucune autre garantie que la confiance témoignée par un jeune qui, ne m’ayant jamais vu, vient me raconter son histoire et me livrer son projet. Ce courage me paraît plaider en sa faveur et, alors, je ne me sens pas autorisé à mettre en doute le sérieux de sa demande.

Il est vrai que "le rite de l’accueil" se décompose souvent en plusieurs rencontres ou qu’il se prolonge par une correspondance me permettant de vérifier le contenu réel du projet et, au minimum, la constance du sujet.

II - FAVORISER LA RENCONTRE ENTRE EUX

Alors, nous franchissons-une étape et, me rappelant dans la foi que j’ai été ordonné pour "rassembler ce qui était dispersé", je propose aux jeunes exprimant un même projet de sacerdoce ou de vie religieuse (en effet, deux d’entre eux pensent à la vie bénédictine) de se rencontrer. Les deux équipes, l’une de Terminale et l’autre de Première, que j’anime depuis deux ans, ont été, ainsi, suscitées par mes soins, mais chaque fois je me suis rendu compte que j’avais répondu à une attente plus ou moins explicitée par les jeunes : "Ah ! mon père, - écrivait André au lendemain de sa première rencontre diaspora - si vous saviez comme je suis heureux... Ce week-end a été pour moi une révélation à deux plans : il m’a permis de découvrir de nouveaux amis, et de quelle franchise ! Ce fut aussi pour moi une découverte du Seigneur..."

Savoir ainsi que, par ce premier accueil et par les rencontres successives qu’il fit naître, je me suis fait, souvent, d’une certaine manière, l’artisan d’un peu de bonheur pour des jeunes, m’a toujours encouragé à poursuivre ce travail...

Une fois l’équipe constituée, ma tâche s’est précisée de bien des manières !

III - LIBÉRER LES INITIATIVES

Je considère, pour ma part, qu’une des tâches essentielles de tout éducateur consiste à libérer l’esprit d’initiative chez les jeunes. Pour le prêtre-éducateur que je veux être, cela signifie, aujourd’hui, "diversifier les ministères", je veux dire "les services" au sein de l’équipe, ou encore, selon d’autres idéologies, "favoriser l’expression des jeunes", "faire appel à leur créativité", "au sens de leur responsabilité..."

Cette éducation se réalise à propos de questions très simples : quand auraient lieu nos rencontres ? Qui préparerait le prochain week-end ? Faudrait-il fixer un thème ? Elaborer un questionnaire ? Qui s’en chargerait ? Au début, il me revenait souvent de prendre l’initiative de ces questions et d’y répondre moi-même. Mais, peu à peu, les jeunes se sont habitués à manier leur agenda et, séance tenante, à choisir d’avance les dates des rencontres ultérieures en fonction de la disponibilité de chacun. Parfois, il arriva que nos prévisions fussent démenties par des événements imprévisibles, mais, jamais, depuis deux ans, quelqu’un n’a manqué sans s’être excusé au préalable.

En ce qui concerne la préparation des réunions, tantôt c’est une visite à Pierre, qui me permit de découvrir sa préoccupation du moment et de l’amener à se demander dans quelle mesure "ça pourrait concerner tous les copains de l’équipe". Cela donna naissance au thème du week-end suivant : "ouvrons les yeux"sur nos copains et l’école !"

Tantôt, c’est Michel qui vient m’avertir qu’avec Gérard, il avait élaboré" le questionnaire en vue de la prochaine rencontre : "ça portera sur les vacances, ce qu’on a vu et entendu et comment on s’est senti concerné." Tantôt encore, c’est une question soulevée par Joel, au cours d’un week-end, et adressée à Bernard qui me fait intervenir pour m’assurer si elle n’appelle pas une recherche de tout le groupe. Et la fois suivante, c’est toute l’équipe qui se demande : "la confession, est-ce que c’est tellement clair pour nous ?"

IV - EDUQUER LE REGARD

"Voir clair !" C’est, effectivement, un désir maintes fois exprimé par les jeunes dont je parle. C’est ici qu’apparaît une autre tâche de l’éducateur : elle consiste à EDUQUER LE REGARD, à OUVRIR LES YEUX sur les réalités de la vie. Je me suis rendu compte qu’avec des adolescents, cette exigence est d’autant plus impérieuse qu’ils recèlent d’inépuisables réserves d’affection. Toute connaissance leur vient à travers l’aimance au point que, si elle est rebutée par un mépris, une indifférence ou un échec, l’adolescent se réfugie facilement dans sa vie "intérieure", repliée et suffisante. Il ne regarde pas spontanément ce qui est, mais il se plaît à considérer, à ruminer ce qu’il ressent : "Je ne vois qu’1/10 de ce qu’il faudrait voir", disait, un jour, Bernard, et Denis se lançait sans vergogne dans une diatribe sévère contre ses parents qui "veulent vivre au-dessus de leurs moyens" et contre son père qui "boulotte toujours et lui reproche de ne rien faire."’ Il ne s’était pas encore rendu compte que le réseau de relations qu’il s’était constitué à l’école (fils de mineur, il avait pour "meilleurs copains, un fils d’institutrice, le fils du directeur du lycée et celui d’un attaché d’ambassade" !) l’obnubilait au point de ne pas se rendre compte que sa nouvelle manière de vivre et de sentir le rendait inapte à comprendre la condition de ses parents et à apprécier, à sa juste valeur, le travail de son père.

Sans cesse je les invite, donc, à s’appuyer sur des "faits précis et vécus" et je ne leur fais pas grâce de questions destinées à cerner de près ce qu’ils vivent : "pourquoi dis-tu cela ? - comment as-tu vérifié ce que tu affirmes ?.... "Cette démarche est parfois rude , "la lutte constante contre le sommeil de la vie" comme dit Mounier, elle a déjà subi l’assaut de la contestation : "c’est toujours la même chose, disait Pierre ; on pourrait une fois partir d’une parole du Christ..." Mais, je pense, qu’avec patience et bonne humeur, il faut savoir tenir bon, car l’éducation du regard, si elle libère le jeune de l’illusion, m’apparaît comme une condition indispensable pour accueillir le salut en Jésus-Christ qui nous montre un "signe du Royaume" dans le fait que."les aveugles voient."

J’y ajouterai ce corollaire que l’éducation du regard des jeunes serait, sans doute, inopérante si elle ne s’accompagnait pas de l’éducation de mon propre regard. A la vérité je dois reconnaître que Pierre, Joël et les autres m’ont, indirectement, incité à regarder attentivement et à noter ce qu’ils me paraissent être ; grâce à eux, j’ai mis toute une série de monographies en chantier. Non pas pour me transformer en filiale des renseignements généraux, mais c’est une question de respect pour ces jeunes avec lesquels je suis engagé dans un processus de croissance. Et comment l’être si je ne suis pas attentif aux richesses qu’ils partent en eux et aux appels profonds qui jaillissent aussi de leur cœur !

V - L’EDUCATEUR DOIT MOURIR

Certes, l’entreprise comporte des risques. J’en ai déjà fait l’expérience. Vous voulez être "à l’écoute de toute la vie du jeune", vous recherchez "un dialogue . vrai", comme on dit ; vous provoquez des confidences et, un jour, vous constatez que vous avez provoqué des liens qui enchaînent plus qu’ils ne libèrent. Le jeune, se sentant trop bien observé, noté, fiché, risque, le cas échéant, de se sentir prisonnier de l’adulte qui, pourtant, lui veut du bien, et, un jour, il se trouve à l’étroit dans cette prison, et il prend le large. Pendant un certain temps, il vous évite, ne vous écrit plus. C’est alors, pour l’éducateur, le temps de l’épreuve, le temps où il doit MOURIR A CETTE VOLONTE DE PUISSANCE toujours latente, et qui, facilement, vicie nos rapports avec l’autre, mais, sans doute, aussi le temps où il faut "mourir avec le Christ à toute convoitise..." Il faut, alors, savoir attendre ; c’est une autre manière de respecter la personne du jeune et de reconnaître la gratuité de l’action divine.

"L’autre jour, j’avais dit que je ne voulais plus devenir prêtre" déclarait Pierre, lors d’un récent week—end. Je m’attendais à une autre réaction de votre part. Votre calme et votre .sérénité m’ont fait réfléchir... A la réflexion, je découvre que je suis fait pour servir Dieu et que je suis capable d’aimer les autres..." Depuis ce jour-là, Pierre a mûri ; nous l’avons tous remarqué. Mais, peut-être, n’a-t-il pas été inutile que je me taise ou bon moment !

VI - FAVORISER DES LIENS D’EGLISE

Un autre aspect de ma mission auprès d’eux a été, un jour, mis en relief par les jeunes eux—mêmes : "Grâce à votre présence dans l’équipe, disait Michel, des liens se sont établis entre nous tous et bien au-delà. Et puisque l’avis de plusieurs témoins est plus concluant, je citerai la précision apportée par Joël : "depuis un an, j’ai acquis une autre vision de l’Eglise. L’an dernier, c’était pour moi les chrétiens pratiquants ; aujourd’hui, c’est plus clairement une mission d’amour qui s’étend à tous." Dans ces propos, je reconnais assez facilement le projet qui m’anime, FAVORISER pour et par ces jeunes DES LIENS D’EGLISE.

L’équipe diaspora, en effet, ne suffit pas à elle-même. Elle joue parfois le rôle d’une rampe de lancement à partir de laquelle les jeunes parviennent à s’intégrer dans le mouvement qui convient à leur condition de jeunes avec d’autres jeunes, mais aussi avec d’autres adultes.

André venait de nous raconter l’histoire de sa vocation ; elle se confondait avec un désir très généreux et tout subjectif "d’épanouir sa personnalité."Comme je lui demandai si "la vocation lui était déjà apparue comme un appel au service de l’Eglise",il manifesta d’abord de la surprise. Mon langage avait, sans doute, des résonances étranges pour un jeune. Se reprenant cependant, il nous expliqua qu’ "étant donné l’éducation chrétienne reçue dans sa famille, il avait compris la nécessité de mettre ce don à la disposition de ses copains." Ce n’était pas seulement des mots. André fut, en effet, invité par ses camarades de classe à se présenter aux élections et élu délégué de classe. Quinze jours plus tard, il m’écrivit aussi pour m’annoncer qu’il avait changé ses habitudes de pratiquant :alors qu’auparavant, il allait à la messe, le dimanche, avec ses parents, il avait maintenant décidé d’y assister le samedi soir : "j’y retrouve bon nombre de copains et copines de classe, disait-il. J’estime qu’il est préférable de prier avec ceux avec lesquels je vis et travaille pendant la semaine."

Ma mission consiste ainsi à éveiller les jeunes à leur responsabilité dans la "naissance de l’Eglise" là où ils vivent ; elle m’encourage aussi à favoriser chez eux le difficile et indispensable affrontement avec le monde des adultes, autre manière de les aider à être, à leur niveau, artisans de l’unité dans l’Eglise. Joël nous avait raconté, sur le mode des lamentations, sa visite à son curé : il l’avait reçu sur le seuil de la porte, lui déclarant qu’il n’avait pas de temps à perdre ; il l’avait, ensuite, tout de même introduit dans son bureau et écouté pendant une heure. C’était un prêtre désabusé, qui doutait des jeunes ; ils n’avaient plus la foi disait-il - et ne pensaient qu’à jouir..."Vraiment, Joël avait l’impression d’un échec lamentable. Et tous ses camarades d’équipe partageaient avec lui cette même impression. Pour ma part, je ne pus m’empêcher de leur exprimer mon étonnement : "vous vous rendez compte, dis-je, le curé a reçu Joël pendant une heure et il l’a écouté ! C’est peut-être la première fois depuis longtemps qu’il n’avait plus eu cette chance..." Joël est retourné voir son curé, avec quelques jeunes du village. Ils ont discuté avec lui de ce qu’ils vivaient au lycée, au travail et ils ont obtenu l’autorisation d’animer la liturgie du dimanche. Une équipe de jeunes s’est constituée, et cela dure depuis plus de sept mois...

L’Eglise, c’est un peuple diversifié ; il me paraît important d’offrir aux jeunes l’occasion de s’en rendre compte. C’est ainsi que nos week-ends changent souvent de lieu ; cela permet des rencontres bien diverses. La rencontre d’une équipe fédérale C.M.R. peut être l’occasion d’entrer, de façon plus concrète, dans les préoccupations d’adultes qui s’efforcent à faire "grandir l’Eglise" dans leur milieu de vie. Une autre fois, c’est un week-end au Carmel qui permet de découvrir des aspects insoupçonnés : "Quelle joie sur leur visage, disait Aloyse. J’ai découvert à travers leur prière qu’elles se sentent solidaires de tous les hommes..."

Il faut avoir l’ambition d’aller plus loin et permettre aux jeunes de vivre le mystère du "Salut reconnu en Jésus-Christ". Il y faut de la patience et, je crois, l’audace de la foi. Cela suppose aussi qu’on soit capable de saisir de l’intérieur l’expérience des jeunes et, au besoin, de leur fournir un langage qui leur permette de nommer ce qu’ils ont déjà reconnu, car "jamais la révélation ne tombe du ciel ; Dieu parle à l’homme de l’intérieur du cœur." (Urs von Baltazar). Un des temps forts dans l’évolution de l’équipe fut constitué par "la confession de Pierre". Au milieu de l’année, il m’apprenait dans une lettre qu’il était "en grande détresse". Lors d’un passage dans sa famille, il me fit le récit circonstancié de ses tribulations ; pour un garçon de 18 ans, c’était sérieux. Pendant que je l’écoutais attentivement, il me dit soudain : "mais, je suis en train de me confesser." Lui demandant ce qu’il voulait dire, il répondit : "c’est que je viens de vous dire mes péchés et les efforts que j’essaie de faire... Je suis revenu à la prière depuis quelque temps. Sans le Seigneur, je ne sais pas ce que je serais devenu... " Lui ayant fait remarquer que c’était là, effectivement, des éléments d’une vraie confession, mais que cela allait plus loin, il ajouta : "oui, je sais, il y a surtout le pardon de Dieu. Je désire vous le demander, mais pas aujourd’hui. Il me faut, d’abord, vérifier la sincérité de ce que je viens de vous dire... " Quelques semaines plus tard, Pierre est revenu au week-end et, devant toute l’équipe, il raconta, avec beaucoup de discrétion d’ailleurs, son odyssée et ajouta : "votre amitié à tous m’a beaucoup aidé. Grâce à elle, j’ai mieux compris l’amitié du Christ. Puisque vous m’avez aidé à remonter la pente, j’aimerais aussi que vous soyez témoins du pardon de Dieu que je veux demander au père..."

VII - FAVORISER LE DEVELOPPEMENT PERSONNEL

Faire l’expérience d’une communauté d’Eglise ne dispense pas d’efforts plus personnels pour DEVENIR SOI-MEME, car "la foule des hommes, comme le disait Emmanuel Mounier, est une vaste foire où rien n’est plus aisé que de se perdre", et l’équipe peut, à la rigueur, fournir à l’individu un vaste alibi où il va chercher des complicités à sa faiblesse, s’il ne demeure pas personnellement lucide. C’est à la suite de la correspondance accrue qui, depuis un an, me lie davantage à certains jeunes de l’équipe et dont ces derniers ont pris l’initiative, que je suis arrivé à cette conviction. Les jeunes savent tout le bénéfice de la rencontre et du partage en équipe. A l’âge de l’adolescence, surtout, elle est la lieu où se fait la nécessaire reconnaissance d’eux-mêmes. Mais, bien vite, abandonnés à eux-mêmes, ils font l’expérience de la solitude et découvrent alors la difficulté de réaliser dans leur vie personnelle les engagements dont ils ont perçu la nécessité en équipe. Gérard disait "vivre l’Evangile avec les copains du quartier" J’eus tout de même soin de l’engager à "ne pas brader l’Evangile !"Cette remarque ne lui fit pas plaisir, mais dans une de ses dernières lettres, il me raconta quelques "expériences très précises, vécues avec Marcel et Luc", qui lui "ont ouvert les yeux. L’équipe, c’est beau, mais il faut que je m’entraîne à tenir le coup, à être moi-même. J’ai encore du chemin à parcourir, mais je suis dans la joie ! ..."

Cette même joie m’anime et caractérise mon attitude profonde avec ces jeunes. Ils me permettent d’être témoins de l’amour que le Seigneur continue de poser sur les jeunes d’aujourd’hui et du dynamisme qui les habite.

Mais ma joie est mêlée d’inquiétude. Sommes-nous assez nombreux pour être témoin de ce que beaucoup de jeunes cherchent et vivent déjà ? Bien sûr, ils doivent apprendre à marcher par eux-mêmes. Mais il reste que le Seigneur a toujours voulu que "des précurseurs" ouvrent la route ...

Bernard MICK