La Diaspora, hier et demain (une expérience et les réactions d’animateurs de groupes)


Le service de Diaspora recouvre à travers la France des réalités extrêmement diverses. J’ai travaillé depuis 6 ans avec des scolaires du 2e cycle de plusieurs diocèses de la région de Toulouse. Ici, le service a pris la forme de week—ends trimestriels auxquels s’ajoutent quelques contacts personnels et, pour un certain nombre d’aînés de terminales, la proposition d’une session d’été durant 4 jours à l’Abbaye de Tournay. Combien de garçons y participent ? De 15 à 20 chaque année avec un renouvellement de moitié à chaque nouvelle année.

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I - UNE EXPERIENCE DE LIBERATION ET D’ESPERANCE

Ces mots ne me paraissent pas trop forts. Le premier garçon avec qui j’ai été en relation m’a dit à peu près ceci : « j’ai trouvé à la Diaspora des gars à qui j’ai pu exprimer mon projet. Dans mon collège catholique, c’était tout à fait impossible ». Cette indication sous des formas diverses est revenue plusieurs fois. Bien sûr, j’ai connu aussi des jeunes qui refusaient de participer aux week-ends par crainte d’être catalogués comme « curés »,.-. mais cette réaction ne suggère-t-elle pas de façon crispée, la même solitude ?

La diaspora permet aux jeunes de rencontrer des camarades qui se posent les mêmes questions ; dès lors, ils ne portent plus seuls ce projet "singulier" dans le monde des jeunes d’aujourd’hui.

Le partage suscite une espérance. A plusieurs, à 16 ans, on ne mesure peut-être pas toujours les difficultés, mais on ne manque pas de dynamisme. Souvent, au cours des week-ends, un temps est consacré à un partage sur les engagements actuels et on découvre tout un réseau de relations, de responsabilités. Ce sont des responsables A.C.E., des membres d’équipes fédérales de la J.E.C., des J.K., des membres de la J.I.C., etc. Beaucoup de nos questions d’adultes n’existent pas pour ces jeunes ; faut-il s’en plaindre ? Sans complications, ils vivent, et souvent cette vie me semble évangélique. Aujourd’hui, je vois une quinzaine d’anciens s’orienter vers le Grand séminaire, les G.F.O et G.F.U. ; la Trappe et divers ordres religieux » Le plus grand nombre sont actifs dans le laïcat. Dans notre Eglise essoufflée, la diaspora est un foyer de vitalité.

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II - UNE EXPERIENCE QUI NE PROGRESSE PLUS

J’ai essayé de dire l’intérêt et l’importance que j’accorde à la diaspora scolaire ; il me faut préciser les faits qui m’amènent à :n !interroger de plus en plus.

  • Les projets me semblent de moins en moins précis. Les jeunes s’interrogent sur leur avenir, ils sont généreux. Mais, du sacerdoce, par exemple, ils en parlent moins : des affirmations fermes sont ambiguës ; « je veux être prêtres pour me dévouer aux autres. »

    La diaspora se définissait comme la réunion de jeunes qui portaient le même projet. Au milieu de remises en question actuelles, les jeunes ne parviennent guère à des projets définis et on ne peut espérer de longtemps que les nouveaux ministères deviennent des modèles précis. Alors ?

  • Les effectifs de la diaspora n’augmentent pas, au contraire parfois. Ce peut être un corollaire de l’absence d’un projet précis de vocation. De plus, dans la région Midi-Pyrénées tout au moins, l’effritement de la "pastorale des jeunes" est une autre réalité lourde de conséquences. Ici, l’enseignement catholique avait fourni beaucoup des premiers éléments de la diaspora.

    Est-ce à cause de l’augmentation des effectifs et donc, de l’ouverture de ces maisons, est-ce à cause du vieillissement ou du départ d’éducateurs religieux qui portaient le souci des vocations, est-ce pour d’autres causes ? L’apport de l’enseignement catholique se restreint, celui qui vient de l’enseignement public ne gonfle guère. Au même moment, les divers mouvements d’action catholique ou de type éducatif n’ont que des implantations isolées, ceci rend difficile un enracinement normal des jeunes et amène ici ou là des jeunes à venir à la diaspora "parce qu’ils n’ont rien". Dans quelques cas, la diaspora a été à l’origine d’autre chose, d’une équipe J.T.C. par exemple. Mais ceci reste rare.

  • La montée de l’incroyance chez les jeunes est bien sûr un fait caractéristique de la vie en "diaspora". Quand il a été question d’établir un programme d’année à l’une des dernières rencontres régionales, le sujet venu en tête a été "retrouver ce qu’est la foi à partir de l’Evangile et des étapes de notre vie". Ce choix s’accompagnait de phrases comme celle-ci : "j’attends de ces rencontres "diaspora" un partage profond de notre vie, de notre foi ; une aide pour mieux vivre ma foi... une recherche dans les inquiétudes de notre foi... un échange d’expériences diverses qui viennent nourrir ma foi... une réflexion consciente de la réalité sur la foi... essayer de chercher ensemble ce que c’est que ma foi et comment je peux la vivre quotidiennement".

    Pourquoi ces questions viennent-elles dans les groupes de diaspora ? Parce qu’elles sont les questions essentielles des jeunes chrétiens, même de ceux qui ont aussi un projet plus ou moins précis de vie sacerdotale ou religieuse. J’ai été frappé à l’une des dernières rencontres par un lycéen nouveau venu qui disait à peu près : "j’ai découvert la foi voici quelques trois mois, il y a encore des tas de choses qui me passionnent et que je ne connais pas. Je pense au sacerdoce pour communiquer ma joie". Une telle réaction est riche de possibilités, mais elle est rare...

    Dans ce contexte où les familles chrétiennes "ouvertes" sont celles où la remise en cause de la foi est la plus rapide, on ne peut guère s’attendre à de nombreuses vocations d’enfants qu’il faudrait accompagner.

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III - UNE EXPERIENCE A REORIENTER.

Pour résumer en peu de mots ce qui précède, je pense que la "diaspora scolaire" a répondu à des besoins, qu’elle a permis à des jeunes de mûrir avec réalisme leurs projets. Mais demain ? ... Y aura—t-il des jeunes désireux de telles rencontres spécifiques, y aura-t-il des éducateurs disponibles ? ... Je souhaite que le service continue à jouer son rôle actuel si c’est localement possible. Mais, des signes apparaissent qui font désirer autre chose. Je vois des besoins et des possibilités ailleurs (voir l’article de G. CARPENTIER dans "Jeunes et Vocations" 3/72). Je vais proposer quelques pistes pour orienter la réflexion et les efforts.

Une aide aux éducateurs.

Beaucoup de jeunes se posent la question : "comment je jouerai ma vie ?" Ils le font avec le désir passionné de réussir leur vie et d’en être responsables. N’est-ce pas le lien psychologique où la Foi et la Vocation peuvent se situer ?

Le plus urgent n’est-il pas de chercher entre adultes et avec les jeunes ce que la Foi propose à celui qui cherche comment jouer sa vie ? Le problème concerne globalement tous les adultes en marche avec des jeunes. "Que faire" me demandaient des prêtres au cours d’une récente réunion de doyenné ? Ne pouvons-nous faire mieux et plus pour confronter la Foi et cette question dans les divers lieux où se situe une "pastorale des jeunes" ?

Je suggère donc que les "éducateurs de vocation" participent aux recherches des autres éducateurs, qu’ils provoquent à la recherche si nécessaire. Les S.D.V. retrouveront ici un thème classique sur l’insertion dans la pastorale générale...

Des rencontres de jeunes.

Certains jeunes ne trouveront pas la possibilité de faire cette recherche dans le cadre habituel de leur vie, d’autres souhaiteront aller plus loin. Dans la région Midi—Pyrénées, la session annuelle de Tournay, pendant 4 jours pleins, vise en particulier à répondre à ces besoins pour des jeunes de Terminales. L’expérience, avec l’environnement de la communauté monastique, nous paraît tonifiante et féconde. N’y a-t—il pas la possibilité de multiplier
de telles rencontres comme des occasions de faire le point et de se donner les moyens de continuer ?

Des équipes de vie.

Localement, tel jeune exprime son intérêt pour le sacerdoce ou la vie religieuse. Deux suggestions sont classiques :

- prendre cette question au sérieux comme une chance,

- lui faire rencontrer des jeunes qui ont le même projet.

Ne faudrait-il pas "élargir" ce dernier critère ?
Vaut-il mieux des contacts occasionnels avec des jeunes mal connus mais qui pensent au sacerdoce ou bien trois gars qui réfléchissent, prient, agissent souvent ensemble dans le même contexte, même s’ils n’ont pas actuellement les mêmes projets d’avenir ?

L’essentiel me semble être de favoriser, de privilégier, de réelles expériences évangéliques. Ne faudrait-il pas, ici encore, travailler avec les divers éducateurs pour les aider à multiplier de telles "cellules" ?

Des rencontres "Jeunes-Adultes".

Pour jouer leur vie et l’engager, les jeunes ont besoin de "modèles", de "témoins", même s’ils ont à les contester. Un des éléments fructueux de la pédagogie en diaspora m’a toujours semblé être la rencontre d’adultes engagés et la réflexion à partir de ces expériences. Comment rendre possibles ces rencontres "Jeunes-adultes" ? Peut-être en regardant les besoins des hommes, on cherchant ensemble ce qui peut y répondre, ce qui se fait déjà, ce qui pourrait se faire demain.

Alors, dans quel sens orienter la "diaspora-scolaire" ? D’abord vers un service des divers éducateurs, puis vers des rencontres ponctuelles qui auront un rôle complémentaire, à certains moments de la vie des jeunes, en terminale par exemple. On voit aussi qu’il s’agit d’un service d’éveil ou d’interpellation plus que d’accompagnement. Je ne voudrais pas négliger les jeunes qui forment un projet, ils me semblent trop rares et trop dispersés pour que des rencontres utiles restent concrètement possibles. Pour les cas personnels, ne peut-on compter sur l’accueil des éducateurs locaux ?

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ET APRES LA DIASPORA ?

Toute la réflexion qui précède a été centrée sur l’âge du secondaire. Que dire brièvement par rapport à la future formation ? Les jeunes de la diaspora sont très divers. Certains sont assez désireux d’entrer dans un grand séminaire en 1er cycle. Pour d’autres, l’internat et la vie en communauté sont des déracinements. C’est à ces derniers que je pense. Pour eux, un cheminement en G.F.U., G.F.O., etc. me paraît plus indiqué.

Les jeunes de la diaspora ont grandi avec des responsabilités, des affrontements, beaucoup d’initatives. Comment, au grand séminaire, tient-ont compte de ce vécu antérieur ? S’il a été assez riche pour permettre à un projet sacerdotal, par exemple, de mûrir, il serait tout à fait dommage que l’entrée en formation provoque un radical changement de culture alors qu’il s’agit de faire entrer une nouvelle génération en dialogue avec la tradition chrétienne.

Enfin, que s’achève le temps où tout jeune "actif et spirituel" devait penser au seul sacerdoce ! On gagnerait à l’apparition de nouveaux ministères pour que se précise la caractéristique de chacun. Peut-être aurons-nous alors des centres de formation réellement ouverts à des laïcs désireux d’approfondir leur foi, à des jeunes qui envisagent les divers ministères !

Les jeunes qui sont aujourd’hui dans les équipes de diaspora, seraient nombreux demain, quelle que soit leur orientation future, à s’intéresser a une proposition de formation théologique et spirituelle.

Claude CLIGNASSE


GROUPES DE RECHERCHE GARCONS

REACTIONS A L’ARTICLE SUR LA DIASPORA . . .

Nous venons de lire l’article de Claude CLIGNASSE. Il est clair que son analyse s’appuie sur une expérience vécue, et cela lui confère une force de persuasion et un intérêt certains.

Par ailleurs, au-delà d’une situation locale, nous reconnaissons bien dans les deux premières parties de l’article ce qui se vit chez nous : par exemple, ce besoin qu’ont les jeunes d’exprimer et de partager un même projet, l’importance donnée à la lecture chrétienne de la vie et à l’engagement, la qualité de certains groupes de recherche.

Nous nous sentons également en accord profond avec ce qui est dit sur les limites de ces rencontres, par suite de l’inconsistance des projets d’avenir, de la montée de l’incroyance, de la difficulté de la diaspora à se renouveler dans un contexte d’incertitude. Nous apprécions ce désir de sortir des sentiers battus et cette volonté d’être prospectif.

Néanmoins, cet article nous invite à faire quelques remarques :

1) Sans porter de jugement sur une situation locale que nous ne connaissons pas, nous nous demandons si l’essoufflement de la diaspora n’est pas en partie lié à l’absence d’une authentique pastorale d’éveil dans nos diocèses.

Certes, le climat général n’est pas favorable. Mais attendre passivement que des jeunes se présentent, c’est courir le risque que "rien ne vienne". Même un changement de formule ne saurait dispenser d’un long et laborieux travail d’éducation et d’interpellation, tant auprès des éducateurs qu’auprès des jeunes.

Des transformations sont nécessaires, des expériences nouvelles doivent être tentées, des formules originales restent à créer. Nous ne sommes pas assez inventifs et audacieux. Et cependant, tout ceci sera éphémère, si ces recherches ne sont pas accompagnées d’un effort continu d’information, de sensibilisation, d’interpellation et si elles demeurent le souci de quelques spécialistes auxquels on fait confiance.

2) Tout en reconnaissant l’utilité d’une prospective, nous nous demandons si l’article ne passe pas trop vite sur ce qui se vit déjà, sous des formes très diverses, pour l’accompagnement des jeunes. Bien sûr, les effectifs sont modestes, les recherches tâtonnantes. Mais un travail existe. Ainsi est-on assez attentif à l’action concertée de certains mouvements d’action catholique en ce domaine, à l’effort de certains aumôniers de scolaires, à certaines réalisations diocésaines ?

Au delà des chiffres, cette action - si elle entre dans une perspective missionnaire et un projet pastoral soucieux de rejoindre les groupes humains dans lesquels vivent les personnes - a valeur de signe et de rappel. Peut-être ne prend-on pas le temps suffisant et les moyens pour s’informer sur ces réalisations, pour en discerner la valeur, pour y découvrir des lignes d’action.

3) Une lecture rapide de l’article pourrait faire croire que des lieux de rencontres spécifiques ne sont plus nécessaires pour l’accompagnement des jeunes. En fait, ce n’est pas la pensée de l’auteur. Mais nous croyons . utile de rappeler l’importance de ces lieux et de ces rencontres au service du cheminement des jeunes, et comme point de référence et d’interpellation pour un effort pastoral plus large. A supprimer toute institution, on risque de créer le désert.

4) Enfin, la diaspora - comme le précise l’article - représente des options et des situations fort diverses. La brochure récente "où va la diaspora ?" relate ces expériences, vécues dans la majorité des diocèses de France, et complète la recherche de cet article. :

Nous avons réagi. Réagissez à votre tour.

Quatre animateurs de groupes.

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"Je souhaite que le commentaire qui suit mon article le fasse lire avec plus d’attention. Il ne s’agit pas d’une politique de la terre brûlée, mais de chercher comment mieux aider les jeunes par de nouvelles initiatives, car ce qui existe ne correspond pas assez à la situation actuelle, à mon avis".

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Claude CUGNASSE