Cheminement de filles vers la vie religieuse


TEMOIGNAGE D’UN PRETRE

L’article qu’on va lire est le témoignage d’un prêtre donné à la session organisée par "Forma Gregis", en mars 1973, sur le thème : "cheminement actuel de jeunes vers la vie religieuse".

Le compte rendu intégral de cette session paraîtra dans le numéro de juillet de la revue "Forma Gregis" (1)

Le témoignage ici présenté s’appuie sur l’expérience riche et concrète d’un prêtre et de toute une équipe d’animateurs situés en région parisienne. Nous avons conservé le style oral de cette intervention.

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Prêtre depuis vingt sept ans je suis délégué aux vocations pour le diocèse de Paris et, de plus, délégué, pour les huit diocèses de la région parisienne, pour la pastorale des vocations féminines. Evidemment, je ne suis pas seul pour remplir cette mission : je travaille avec d’autres prêtres, avec des religieuses et des laïques consacrées. Enfin, j’ai aussi une mission par rapport au monde ouvrier dans un des secteurs de Paris.

Je vais vous parler maintenant des nombreuses jeunes filles en recherche que je rencontre - j’en ai compté à peu près une centaine : elles sont présentes dans tout ce que je vais vous dire. Naturellement je ne pourrai pas les évoquer toutes. Elles sont de tous âges et de tous milieux, mais je me suis limité, dans ce que je vais vous dire, aux filles qui ont plus de vingt ans. L’expérience que je vous propose de regarder concerne donc des filles qui ont entre 20 et 30-35 ans. De plus, cette expérience dure depuis près de trois ans seulement : c’est donc une courte expérience. On m’a demandé de vous parler à la fois de l’accompagnement personnel et de l’accompagnement collectif. L’un joue forcément sur l’autre, car à mon sens, il n’y a pas d’accompagnement purement personnel, cela n’existe pas, cela ne doit pas exister ; d’autre part, l’accompagnement collectif renvoie forcément à un accompagnement personnel. Cependant, il faut faire cette distinction pour que le témoignage soit plus clair.

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I - L’ACCOMPAGNEMENT PERSONNEL

1. Les premiers contacts -

On posait tantôt cette question : "ces filles, comment les connaissez—vous ?" Parfois, c’est la fille elle-même qui fait une démarche personnelle pour entrer en relation. Parfois, elle est informée par une religieuse ou par un prêtre, ou par la presse (par exemple, le bulletin "Vocation" de la région parisienne ou "Présence et dialogue", où de temps en temps nous publions quelques informations). Ou bien ce sont des filles entre elles qui se le disent. Ou encore le contact est établi à partir des équipes de recherche : les filles ayant besoin d’une précision ou d’un approfondissement, demandent à venir me parler personnellement. Parfois, les rencontres se renouvellent, et parfois ne se renouvellent pas : la jeune fille vient pour se renseigner, car elle a lu, elle sait que je m’en occupe un peu, elle vient ... et parfois je ne la revoie plus : la liberté, ça existe, et il faut surtout la respecter. Ou encore, telle jeune fille vient pour se renseigner sur les groupes de recherche et, à partir de là, on engage une conversation un peu plus longue.

Si on n’a pas le temps, on reprend rendez-vous pour voir de quoi il s’agit. Parfois, elle demande une prise en charge plus précise, un "accompagnement" ? Je ne suis pas directeur spirituel - je déteste ce mot là - j’essaye simplement d’écouter et d’échanger avec cette jeune fille de façon plus continue et plus précise - et cela demande du temps !.

2. Trois questions.

Le but de cet accompagnement personnel, c’est d’amener la fille à répondre elle-même à ces trois questions : "Qui es-tu ? ... Que veux-tu ? ... Que peux-tu ? ..." Il me semble essentiel en effet que cette fille se connaisse, sache ce qu’elle veut et sache ce qu’elle peut. Cela me demande donc de comprendre, de "connaître" au sens le plus fort de ce terme, de communier profondément à ce qu’est cette jeune fille pour discerner les traces de l’Esprit qui lui parle. Les questions que je lui pose ne sont jamais des questions indiscrètes, jetées pour "en savoir plus", mais des questions qu’elle doit se poser - ce qui n’est pas pareil - afin qu’elle puisse y répondre elle-même. Ces questions sont quelquefois provocantes, notamment lorsque nous cherchons ensemble à avancer dans cette connaissance d’elle-même, de sa vie, de son engagement.

Ce qui me paraît essentiel, c’est que cette fille fasse un choix libre dans une attitude d’adulte. Le but que nous visons en de telles rencontres, c’est donc de permettre un choix libre. Or, nous savons tous combien des jeunes filles sont conditionnées par de nombreuses choses et de nombreuses personnes : il y a la famille, le tempérament, le climat "vie religieuse" en positif et en négatif, les images de marque, les problèmes affectifs. Le conditionnement de ces jeunes filles est plus pesant qu’autrefois dans une société qui déjà conditionne fortement. Il faut permettre que tout cela devienne clair et qu’elles puissent faire des choix libres.

3. Quelques points d’attention.

Quels sont les points d’attention ? Avant tout, je m’efforce d’être attentif à son histoire", qui est souvent très éclairante. Je prends beaucoup de temps pour écouter son histoire. Il faut qu’elle se la raconte, et quand je lui demande de me la dire, c’est pour qu’elle se la raconte. Son histoire, cela veut dire :

-  les événements qui ont jalonné sa route courte ou plus longue,

- les liens qu’elle a noués dans la vie : comment a—t—elle vécu ces relations ?

-  son travail : est—ce un travail qu’elle a pu choisir, un travail passionnant ou un travail qu’on lui a imposé, que la vie lui a imposé, qu’elle n’a pas pu choisir ? Cela conditionne tellement les jeunes !

- ses études : a-t-elle pu en faire ou non ? Il ne s’agit pas de savoir si elle est très cultivée, cela ne veut rien dire, mais de savoir où elle en est, pour la mieux comprendre,

- son milieu sociologique : personnellement, j’attache beaucoup d’importance au milieu, donc à la culture : une fille du monde ouvrier, qui a une culture ouvrière, qui est marquée par un peuple ouvrier, qui a des réactions ouvrières en positif d’abord mais aussi en négatif, c’est tellement différent d’une fille d’avocat ou de médecin du 7ème arrondissement de Paris ! Et cela va jouer sur tout, notamment sur ses choix possibles pour demain,

- sa psychologie : je ne suis pas du tout un psychologue, j’y connais peu de choses mais quelquefois, je me fais aider quand je "patauge" trop,

- sa santé : ce n’est pas inutile de la regarder de près,

-  son équilibre : la façon dont elle vit dépend beaucoup de son équilibre,

- et son attitude spirituelle devant la vie, devant Dieu et devant les autres : il me paraît important de regarder comment elle se comporte devant la vie, devant Dieu, devant les autres, et j’essaye qu’elle puisse se le dire le plus clairement possible, et c’est difficile,

-  ses motivations, et Dieu sait si c’est important : ainsi, j’ai connu plusieurs filles qui voulaient être religieuses pour partir au Tiers Monde : "je veux être missionnaire"... On creuse un peu et l’on s’aperçoit que la fille a une vocation de laïque missionnaire, mais qu’elle ne sait pas qu’elle peut vivre cela tout autrement qu’en étant religieuse. D’ailleurs aujourd’hui, le phénomène de la sécularisation fait que les motivations peuvent s’éclairer plus facilement,

- enfin sa fidélité : comment est-elle fidèle à sa vie, à ses parents, à ses amitiés, à Dieu ? Que vaut la continuité de ses efforts ? Les velléitaires, je m’en défie toujours, comme des fausses mystiques ! Je ne suis pas mystique du tout, je m’excuse ! mais je crains beaucoup le faux mysticisme. Alors il faut l’amener constamment à reprendre cette question : comment tient-elle les décisions qu’elle a prises elle-même avec moi ?

4. Pour vérifier et construire la femme... une femme de foi.

J’essaie avec elle de l’amener à vérifier et à construire la femme qu’elle doit être, et une femme de foi.. Je dis bien : "vérifier et construire". De plus, ce n’est pas moi qui vérifie et construis, c’est elle avec moi, avec d’autres.

- Une femme d’abord. Cette fille, que je reçois, quel est son degré de maturité  ? Car, cela existe, des filles qui restent petites filles (j’en connais une qui, à trente-deux ans, est encore et sera toujours une petite fille ! Pour moi, elle ne pourra jamais être une religieuse...) Par exemple, a-t-elle pris sa liberté vis-à-vis de ses parents notamment ? Car savoir couper le cordon ombilical, vivre par soi-même, prendre des responsabilités dans la vie, pouvoir se débrouiller seule, ce sont des signes - et des conditions - de maturation. Souvent, je le constate, pour une fille, prendre une chambre, ce n’est rien, et cependant, c’est une étape importante.

De même la profession qu’elle exerce, est-ce qu’elle la prend au sérieux ? Est-ce que le travail pour elle a une valeur ? Pas seulement s’il est passionnant, si elle a pu le choisir, mais étant au travail avec d’autres, le vit-elle sérieusement ? Le travail marque tellement toute une vie, une personne !

De même encore, quelle est sa maturité affective  ? Comment se comporte t-elle en ses relations avec des jeunes/et des hommes ? L’une de ces filles, lors d’une retraite, m’a dit n’être en relation avec aucun garçon. Je dis : contre-indication totale pour l’instant. Il faut qu’elle accepte de vivre de telles relations, non pas certes pour faire des expériences, mais pour voir quel est son comportement.

Enfin, son engagement dans la vie : je pense à telle fille qui n’est pas engagée et passe son temps à aller de congrégation en congrégation, comme un papillon qui butine des fleurs pour voir quel est le meilleur parfum ! Telle autre, ou contraire, a découvert progressivement l’importance de son milieu de travail : qui vit autour d’elle ? Comment porte-t-elle ses responsabilités avec d’autres ? Comment accepte-t-elle de prendre au sérieux l’organisation de son travail avec d’autres ? Comment s’engage-t-elle dans son quartier ? Comment vit-elle ses relations avec d’autres ? Et quand je dis engagements, je veux dire engagements de vie, qu’elle vit bien enracinée dans son milieu.

Deux exemples pour illustrer ma pensée. Je reçois un jour une fille - appelons-la Denise — qui me parle de ses élans mystiques et de ses états d’âme. J’y crois quand même ! Mais je lui ai d’abord demandé : "et ton syndicat, qu’est-ce qu’il devient ?" Cela me paraissait plus important. Je crois à la vie spirituelle, faites-moi la grâce de me comprendre ! Mais je crois que, dans certains cas, quand la fille s’évade, il est très important de lui faire prendre racine pour qu’elle accepte de vivre, qu’elle accepte sa vie concrète. Quant à Jacqueline, qui a une santé délabrée et vit en une famille très difficile, elle connaissait une tentation d’évasion et je flairais chez elle le besoin de se sécuriser. Il m’a semblé important qu’elle puisse accepter sa famille telle qu’elle était et prendre ses responsabilités envers ses frères, ses soeurs, son père et sa mère. Ce fut difficile mais ensuite quelle libération !

- Il faut donc que cette fille soit et construise la femme qu’elle doit être, mais une femme de foi. Cela suppose qu’elle ait une expérience sérieuse d’une vie de prière et d’une vie sacramentelle, qu’elle porte ce souci de toujours mieux connaître Jésus-Christ. Je pense à cette fille très attirée par la grandeur de Dieu : elle croit en Dieu, elle veut se donner à lui dans une vie contemplative, mais elle ne "connaît" pas Jésus-Christ. Cela me paraît primordial qu’une fille ait personnellement rencontré Jésus-Christ et accueilli son Evangile !

Pour qu’elle devienne une femme de foi, il faut aussi qu’elle vive l’expérience d’une vie apostolique. Il me semble grave qu’aujourd’hui, une jeune fille qui veut consacrer toute sa vie au Seigneur, n’ait pas fait d’abord l’expérience d’une responsabilité apostolique vécue avec d’autres. Elle veut se consacrer à Dieu, elle veut l’annoncer aux autres par toute sa vie, comment vit-elle cela aujourd’hui ? Il me semble important qu’elle participe réellement -non pas pour "avoir la carte" et après cela pour être religieuse, ce qui serait abominable ! mais qu’elle puisse participer réellement à un mouvement d’Action Catholique, à un groupement spirituel ou apostolique, où avec d’autres, elle exerce des responsabilités et se sente partie prenante de l’annonce de l’Evangile aujourd’hui. Au coeur de cet engagement, il faut qu’elle puisse rencontrer des adultes chrétiens engagés dans une vie apostolique, et qu’elle puisse voir aussi que l’on peut vivre une vie chrétienne authentique dans le mariage. Mais tout cela doit être précisé et vécu dans la liberté la plus grande. Je l’ai dit déjà, j’y insiste : il ne s’agit pas de dire, il ne s’agit pas d’imposer, jamais, mais de toujours renvoyer la personne à elle-même.

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II - L’ACCOMPAGNEMENT COLLECTIF

1. Les équipes de recherche.

Dans la région parisienne, il existe actuellement douze équipes de jeunes filles, ce qui fait quatre-vingt douze ou treize filles en équipes de recherche : cinq équipes regroupent des filles que nous appelons "de milieu indépendant", qui appartiennent en réalité à des milieux très divers.

- trois équipes sont spécifiquement réservées aux filles du monde ouvrier, qui ont une culture et une âme ouvrière,

- deux équipes aînées rassemblent des filles de plus de trente ans,

- une équipe, que l’on appelle "équipe point d’interrogation", accueille des filles qui se posent la question : "mariage ? vie religieuse ? Je ne sais pas, mais j’ai besoin d’être avec d’autres pour y voir : plus clair,

- enfin une équipe, qui se réunit trois fois pas an seulement, permet à des filles de 17-20 ans de se retrouver : je crois que le Seigneur peut appeler dès l’enfance, mais qu’un accompagnement sérieux ne peut commencer qu’à partir de vingt ans. C’est là du moins ma pensée.

2. La naissance de ces équipes.

Aucune de ces équipes n’est née d’une volonté extérieure aux filles. Quand nous avons commencé, nous ne pensions absolument pas mettre en place tout cela, nous ne pensions rien. Simplement, il y avait là trois filles qui déjà se réunissaient. Elles étaient plutôt de milieu indépendant et étaient:en lien avec des religieuses. Quand on m’a demandé de travailler au service des vocations, elles sont venues me voir : on a fait connaissance, on a parlé et de là sont nées peu à peu les cinq équipes.

Puis des filles aînées, qui avaient suivi une session de J.O.C. réservée à des filles du monde ouvrier qui pensent à le vie consacrée, sont venues me voir en me disant : "est-ce qu’on ne pourrait pas continuer cette recherche qui a été faite ? C’est de là que sont nées les trois équipes de filles du monde ouvrier.

Enfin, l’équipe "point d’interrogation" existe parce qu’une fille m’a dit : "moi, je n’en suis pas là. Est-ce qu’il n’y a pas d’autres fi11us qui pourraient déjà... qui pensent..." Bref, on essaie de répandre à la demande. Ce qui existe aujourd’hui sera peut-être détruit demain ! L’important, c’est de répondre aux appels et aux besoins des filles.

3. La vie des équipes.

Je précise tout de suite que ces groupes de recherche ne sont pas totalitaires, ils ne sont pas faits pour durer, ils ne sont pas faits pour "exister en soi". Ce sont plutôt des relais dans la vie des filles : ils leur permettent de vivre par ailleurs un véritable engagement, ce qui est primordial. Lorsque ces filles peuvent être engagées dans des mouvements d’Action Catholique, participer à des sessions etc., cela me paraît beaucoup plus sain. Bref, le groupe de recherche est un relais, nécessaire pour beaucoup, mais un relais seulement.

En général, elles se réunissent toutes les six semaines, étant bien entendu que, si une fille, engagée par ailleurs, doit participer à une session ou une journée au titre de son engagement, c’est toujours cette activité là qui prime. Lors de ces rencontres, les équipes se réunissent séparément, mais nous célébrons toujours l’Eucharistie en commun, nous vivons ensemble certaine mise en commun du travail accompli, enfin tous les soirs, en veillée, une religieuse ou une personne consacrée vient apporter son témoignage et discuter avec les filles. Il n’y a pas de religieuse qui accompagne régulièrement un groupe de recherche : les filles ne le veulent pas, car elles ont peur d’être conditionnées, mais elles connaissent beaucoup de religieuses. Il en est qui viennent plus fréquemment nous voir, mais de multiples liens se nouent, dans un climat de liberté.

4. Ce que ces groupes permettent...

- Ces groupes permettent d’abord l’expression d’un projet : j’ai relevé ceci dans un compte rendu : "je trouve que c’est formidable ; chacune arrive à s’exprimer et à aider les autres à sa manière".

- Une vie d’Eglise vécue dans la pluralité par suite de la diversité des origines et des mentalités ; l’une d’elles écrit : "c’est une très bonne chose pour moi... J’ai réalisé que ma recherche était d’Eglise, et surtout, que je n’étais pas un cas, que l’Esprit appelle toujours et partout".

- Une prière collective que les filles désirent.

- L’écoute des appels du monde à partir de leur vie d’aujourd’hui : nous ne partons jamais de thèmes : toujours de révisions de vie. Nous n’étudions pas la vie religieuse ou la chasteté consacrée à travers les âges, mais le point de départ, c’est toujours ce qu’elles ont vécu durant les semaines précédentes et, à partir de là, nous nous interrogeons : comment cela nous interpelle-t-il pour notre vie d’aujourd’hui et de demain ? La révision de vie est toujours axée sur un point précis de leur vie, bien sûr, mais ce n’est pas un thème. "Savoir ce que le monde attend de moi, ’écrit une fille, ce n’est pas mon affaire à moi toute seule. J’ai découvert que je ne suis pas un individu isolé mais un des maillons de la chaîne qui forme l’humanité et que j’ai un message à transmettre". Et une autre : "l’équipe m’a permis de redécouvrir le besoin du lien entre ce que je vis et les autres et de partager avec elles une foi vécue".

- Une prise en charge fraternelle les unes des autres. En ce sens, l’équipe c’est déjà un embryon, un signe, un petit germe de vie fraternelle. Car les filles se prennent en charge les unes les autres, d’autant plus qu’elles me voient bien souvent en dehors des rencontres prévues, du moins celles qui en ont le temps, qui savent se rencontrer et se prendre en charge.

- Une provocation réciproque : "l’équipe a permis un véritable partage, car toute discussion est franche et sans détours. Les avis des autres ne sont pas toujours faciles à encaisser, mais c’est la meilleure façon de cheminer. Si je n’avais pas été à l’équipe, j’aurais avancé beaucoup plus difficilement car le partage est indispensable, et, lorsque ce dernier s’effectue avec des filles de notre âge qui se posent les mêmes questions, c’est formidable ! Sans l’équipe, je n’aurais jamais connu cette joie si proche d’entrer dans une congrégation".

- Une contestation : car, croyez-moi, c’est un laminoir, elles sont dures entre elles. Ainsi, l’autre jour, l’une des équipes de jeunes du monde ouvrier se posait ces questions : "comment participons-nous à la libération du monde ouvrier dans le mouvement ouvrier ? Comment cette libération du mouvement ouvrier rejoint-elle le Royaume de Dieu ? Et comment nous, sommes-nous artisans du Royaume de Dieu à travers cette lutte ouvrière ?
Eh bien, entre elles, elles ont été d’une exigence que personne n’aurait osé leur proposer de l’extérieur. C’est parce qu’elles le vivaient qu’elles ont pu aller jusque là ! Dans un autre groupe, un jour, une fille dit aux autres : "j’ai trouvé, je vais dans un carmel apostolique". - "Bravo, lui réplique une fille, mais un carmel, pourquoi ? ... Tu connais saint Jean de la Croix ? ... Apostolique, ça veut dire quoi ? ... "Je vais travailler à mi-temps. - "Pourquoi vas-tu travailler à mi-temps ? ... "

Voilà les questions qu’elles se posent. C’est dur, c’est exigeant. Un engagement et une vie de foi pour aujourd’hui. "Oui, dit l’une d’entre elles, j’ai pu partager et voir plus clair. Je suis heureuse dans l’équipe parce qu’on a tenu à rester dans le concret : voir le Christ dans ma vie quotidienne sans s’embarrasser de hautes considérations théologiques, et vivre une réelle découverte de Jésus. Oui, une découverte de Jésus-Christ combien nécessaire pour moi ! Cela change mon regard par rapport aux années passées et m’appelle à une vie évangélique plus authentiquement vécue".

- Une lecture des motivations profondes, en référence à l’essentiel de la vie religieuse : elles découvrent ensemble progressivement que la vie religieuse n’est pas dans le "faire" mais dans "l’être". L’équipe, dit l’une d’elles, m’a aidée à voir clair dans les motivations de mon choix de la vie religieuse et à avancer dans le sens de ce choix". Une autre m’a dit tout récemment, et je l’ai gardé pour vous, cette phrase :"je cherchais quelque chose, j’ai découvert Quelqu’un !" C’était une fille qui cherchait absolument une congrégation pour être, excusez-moi, pour être "bonne soeur". Et elle a découvert Jésus-Christ. Ce n’est pas pareil !

- Une connaissance aussi des congrégations et des instituts séculiers, puisque, en fait, elles sont très souvent en contact avec des religieuses ou des membres d’instituts séculiers.

- Une croissance dans la liberté, parce que les filles voient pourquoi elles choisissent ou ne choisissent pas, et cela dans la liberté : l’équipe ne retient pas. Ainsi actuellement, sur soixante dix filles à peu près, en deux ans, il y en a une quinzaine, qui sont entrées en diverses congrégations ou instituts séculiers, il y en a trois ou quatre qui sont mariées, quelques-unes qui ont lâché en route, et puis d’autres qui ont . lâché et qui sont revenues... C’est la liberté totale !

A titre de témoignage, voici par exemple ce qu’une fille dit de l’équipe : "l’équipe m’a aidée à cheminer et à voir plus clair. Peu à peu, j’ai découvert ce que le Seigneur me demande. Ce n’est pas quelque chose à part mais bien dans le concret de ma vie, sans aller chercher ailleurs. D’où, pour moi, une totale remise en question qui s’est faite peu à peu et qui m’a permis de sortir du carcan que je m’étais forgé et qui me donnait un masque.

- Une véritable libération que toutes nous vivons.

- Une rencontre dans la simplicité et une assurance en moi.

- Une connaissance de mon milieu de vie avec tous les engagements et prises en charge qui en découlent.

- Une découverte de la prière, non pas institutionnelle mais bien plus élargie.

- Le besoin de réviser ce que je vis et tout ce que je ne saurais exprimer,

- Et aussi l’importance du présent, sans regarder trop vite vers l’avenir, mais sans oublier de préparer la concrétisation de notre projet. Ce qui m’a plu de prime abord : on ne donne pas de solutions, on donne des pistes qui nous obligent à vivre de façon adulte et responsable. On se sent accueillie et respectée".

5. Les retraites.

Je voudrais dire aussi quelques mots des retraites que nous proposons à ces filles : cela relève aussi de l’accompagnement collectif. L’été dernier, il y eut trois retraites qui ont accueilli ou total soixante-quinze filles, de vingt à trente ans. Ces retraites ont été animées pas seulement par un ou plusieurs prêtres, mais aussi par des religieuses. Pour les filles, c’était formidable que des religieuses, du dedans, se mettent avec elles en recherche et soient capables autant qu’un prêtre de dire quelque chose de Jésus-Christ. Croyez-moi, cela vaut les meilleurs sermons faits par les curés !

6. Et après ? ...

Quand, pendant un certain temps, dans l’équipe de recherche, les filles ont cheminé, beaucoup d’entre elles se trouvent devant un choix : "où, comment et quand ?..." Croyez-moi, c’est difficile. Mais je pense que plus la jeune fille a pris conscience de ce qu’elle était, de ce qu’elle voulait et de ce qu’elle pouvait, plus ce choix s’en trouve facilité. Ce qui est essentiel, c’est que les filles, sachant ce qu’elles veulent, aillent là où elles peuvent aller. Toutes les congrégations ne peuvent pas accueillir toutes les filles. Plus la fille se connaît, plus elle a de chances de bien trouver où elle peut aller.

Cela nous oblige, nous qui les accompagnons - car je ne suis pas seul, cinq prêtres travaillent avec moi - cela nous oblige à travailler aussi avec des religieuses. Et je puis vous dire que cela me prend autant de temps que les contacts avec les filles. Mais plus que jamais, il s’agit pour nous de travailler avec des religieuses, pour qu’on puisse se connaître, se parler, s’écouter.

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EN GUISE DE CONCLUSION ...

Je crois qu’en tout cela, c’est l’Esprit qui me guide, qui nous guide. Car, de plus en plus, je suis persuadé que ce n’est pas une personne, mais de nombreuses personnes qui forment, interrogent, aident : prêtres, religieuses, les autres filles, les parents, les relations, les mouvements. Ensemble, il nous faut vivre dans la vraie patience. Car il faut qu’une fille prenne d’abord conscience profondément de ce qu’elle est, que ses motifs soient bien purifiés, bien éclairés et qu’elle soit "construite". Je ne dis pas qu’en rentrant chez vous, elles sont construites, mais je dis que, s’il n’y a pas déjà des germes qui permettent d’espérer que cela sera possible, elles ne doivent pas encore rentrer. S’il faut attendre dix ans, il faut attendre dix ans... Je ne le souhaite pas ! Bien souvent, d’ailleurs, c’est le groupe qui provoque et interpelle : lors d’une rencontre récente, un groupe a dit à l’une des filles : "alors, tu y vas ? Quand sautes-tu" ? Il fallait qu’à ce moment là, elle soit ainsi provoquée, et elle a enfin "sauté" !

Permettez-moi enfin, pour terminer, de vous poser quelques questions : ces jeunes, il faut pouvoir les accueillir. Etes-vous prêtes ? Comment recevoir leurs appels ? Le pouvez-vous ? Nous ne pouvons jamais les tromper ! Est-ce que nous sommes prête à nous réviser profondément pour tenir compte de ce que par là l’Esprit nous dit ?

Jean-Marie REVILLON

NOTES ---------------------

Forma Gegis : 310, rue de Vaugirard, Paris 15e. [ Retour au Texte ]