Pourquoi moins possible aujourd’hui ?


Je voudrais me situer ici au niveau du témoignage... Il ne s’agit pas d’un article où je m’efforcerais de mettre en ordre des idées en forme d’analyse ou des théories en forme de recettes. J’accepte de partager ce qui me bouscule ces jours - mars 1973 - au fond de ma tête et de mon coeur d’éducateur au service de Jeunes en projet de vocation sacerdotale. Je livre un instantané, et rien plus que cela, imparfait, relatif mais confié avec sérénité s’il doit être accueilli fraternellement.

Pourquoi me paraît-il moins possible aujourd’hui de voir rentrer un jeune, venant de terminer ses études secondaires, dans un cycle (A, B ou C, qu’importe !) de formation au presbytérat ?

Non, parce que la générosité manquerait maintenant aux garçons que nous fréquentons, pas plus parce que me manquerait une certaine audace. Non parce que je ne voudrais pas associer des frères de cet âge à une recherche laborieuse concernant le sacerdoce (mais qui ne diminue en rien mon espérance), pas plus parce que "les classes 75 ou 76" me sembleraient avoir perdu le goût du risque de .... se perdre !

Mais je sens depuis peu et de plus en plus, un contexte tellement différent !

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I - LES EXIGENCES DES ETUDES UNIVERSITAIRES.

Chaque année, les réformes importantes ou mineures qui viennent transformer le régime des études supérieures ou des écoles assimilées à l’Université, accentuent un certain climat d’inquiétude. Les spécialisations se font de plus en plus impératives ; elles réclament un investissement important et immédiat au lendemain du baccalauréat.

Il est reconnu qu’au cours du grand séminaire, de toutes façons, il sera prévu - sous forme de stage au moins - une formation professionnelle qui, pour une grande majorité, se fera dans le cadre d’une Faculté. Peut-on admettre, d’une part, que soit différé le démarrage de cette expérience, d’autre part, que de suite, nos garçons mènent celle-ci de front avec les débuts de leur préparation au sacerdoce, aussi allégée soit-elle, et d’ailleurs, doit-elle l’être ?

C’est vrai qu’on a vu souvent entreprendre des licences difficiles ou particulières après une longue interruption qui avait permis de se consacrer à la philosophie ou à la théologie ! Mais vouloir exiger qu’on renouvelle cet exploit - notre exploit, pour beaucoup - avec nos bacheliers actuels, c’est faire fi d’une angoisse qui envahit des post-adolescents entrevoyant de quels coudes il faudra jouer pour se tailler une place au milieu de ceux qui se veulent actifs artisans du monde de demain.

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II - L’ATMOSPHERE ACTUELLE DES LYCEES ET COLLEGES

Ce monde-là, ils le connaissent - en germe - au lycée, au collège. Il leur paraît passionnant parce que agressif, provoquant leurs initiatives, réclamant tout au moins des réactions.

Dans la seule semaine qui vient de s’écouler - et ce ne fut pas la plus tumultueuse de l’année scolaire ! - deux établissements, accueillant des aînés de notre "Foyer", l’un de l’Enseignement catholique, l’autre de l’Enseignement public, ont été secoués par des appels à la grève, des manifestations d’ordres divers. Ce ne sont plus seulement des "affaires de gosses" qui remuent les écoliers : ce sont ; parfois sous l’impulsion d’adultes maladroits, des remises en cause qui posent la question d’une organisation à corriger ou à parfaire de toute une société.

Dans des moments de pessimisme, on serait tenté de parler de matraquage permanent et de craindre qu’il s’ensuive une certaine immaturité. Pour ma part - et pour le moment -, je préfère voir là des conditions nouvelles et prometteuses d’une éducation au politique. Me réjouissant même qu’il y ait enfin de vraies interrogations soulevées, je ne me fais pas d’illusion : cela implique que l’on ait à faire à des individus qui mesurent davantage l’ampleur des problèmes et ne se contentent plus de solutions faciles et astucieusement proposées par leurs éducateurs. On veut voir de plus près, on veut voir plus profond ; on est bien obligé, avec lucidité, de voir mieux les questions que les réponses.

Une structure de formation - aussi adaptée fut-elle - sera alors perçue comme un carcan. A cela d’ailleurs, il faut ajouter que le type d’engagement que permet maintenant le milieu scolaire — qu’il exige, en certains cas — rend impensable l’entrée en internat d’un garçon qui s’est épanoui en agissant avec d’autres et pour d’autres.

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III - UNE NOUVELLE APPROCHE DE LA FOI

L’incroyance n’est plus désormais, du moins le plus souvent, pour un élève du second cycle, un phénomène dont on se défend, une manière de penser de quelques-uns, une bonne occasion - en somme - de stimuler sa foi en la provocant... comme de l’extérieur. C’est en fait, l’atmosphère ordinaire dans laquelle il baigne, et ça n’est plus une source de combat. On est dans un temps d’incroyance passive.

J’ai tardé à m’habituer à ne pas voir dans cette transformation profonde un élément négatif.. J’en suis arrivé à me réjouir de ses aspects positifs,, en remarquant comment le mystère même du Seigneur était abordé avec bien plus de vérité. Ce n’est plus par exemple l’aveu des péchés qui est gênant dans le sacrement de pénitence, ce n’est plus uniquement la nécessité du signe qui s’admet difficilement ; c’est plus profondément toute la foi en l’Eglise, mode de présence du Christ ressuscité et vivant par elle dans l’Histoire, dans notre histoire, qui est en jeu.

Comme ils ont de la veine, les jeunes de cette génération, d’atteindre aussi radicalement au fondamental. Il nous a fallu, sur quelques points, attendre l’âge mûr pour en être là où sont déjà tel ou tel. Oui, mais nous avions la force que donne l’expérience pour bien tirer partie de l’interrogation. A 16 ou 17 ans, il faudra tâtonner davantage.

Je demeure persuadé qu’il y aura, sans cesse, à rappeler la nécessité de l’ascèse dans tout combat spirituel. Mais je réalise combien il nous faut inventer en ce domaine. Je ne peux m’empêcher de penser qu’on brûlerait les étapes en proposant au lendemain du "bac" de commencer à "structurer la conscience" d’un disciple du Christ, susceptible d’être un jour au service de son Eglise comme prêtre.

La sorte de nuit que connaissent aujourd’hui nos "gamins", et qui laisse présager des hommes forts pour demain, ne les rend pas aptes à ressentir de suite le besoin d’un recul, d’une coupure qui deviendront sans doute nécessaires et fructueux, la "vingtaine" légèrement dépassée. Il faudra longtemps pratiquer la révision de vie, patiemment tout découvrir - et non, comme pour nous, retrouver - avant qu’on puisse proposer une formation organisée.

Gagnerait-on à se charger dans les grands séminaires - quel que soit le cheminement choisi - de gens qui, comme tous leurs semblables, doivent trouver dans leurs communautés chrétiennes ce qui guidera leur marche d’approche vers le Sauveur ? Je sais bien que je pose ici la question de ces communautés, de leur existence, de leur vitalité. Elle est primordiale, mais elle est autre et nous ferait dépasser le cadre restreint de cet article.

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Je me doute qu’en le concluant ici, nombreux seront ceux qui viendront à me reprocher de n’avoir abordé ni les difficultés soulevées ces temps derniers par le statut du prêtre et l’appareil ecclésiastique, ni les difficultés qui tournent autour du célibat.

C’est à dessein. Celles-ci sont traitées avec plus de virulence et de liberté, mais pas en termes absolument nouveaux. Celles-là ne concernent pas exclusivement le monde des jeunes ; elles nous provoquent à nous, leurs anciens. Elles sont à résoudre ensemble et nous font postuler une éducation d’un tout autre type que celle que nous avons reçue - sur ce principe, qui ne serait d’accord ? -, mais ne doivent pas empêcher que soit entreprise une formation au cours de laquelle on chercherait en commun - en Eglise - comment faire mieux.

Peut-être à tort - et merci à celui qui me le dira - ce que j’ai "confessé" préalablement m’amène à croire que je ne peux aujourd’hui proposer de commencer une formation au presbytérat au genre de bonshommes - nos jeunes frères - à qui hier, je l’aurais - et l’ai ! - recommandé.

Max CLOUPET,
responsable de séminaire de Jeunes.