Où mène la diaspora ?


Entreprendre une réflexion sur la manière dont les jeunes de la diaspora et leurs animateurs envisagent la formation au ministère presbytéral représente, pour moi du moins, un travail difficile :

- parce que cette question n’est que rarement abordée, en tant que telle, dans la réflexion des groupes de recherche et dans les rencontres d’éducateurs,

- parce qu’elle supposerait uns remontée d’expériences et une étude sérieuse, alors que je ne dispose actuellement que de données partielles et peu approfondies,

- parce que le terme "diaspora" recouvre des réalités très diverses, selon les personnes jeunes ou animateurs), la vie des groupes, ou le contexte local, et qu’il est difficile de tenir compte de cette diversité de situations,

- surtout parce qu’il n’est pas aisé d’y voir clair dans les mentalités et l’attitude des jeunes devant le temps de formation.

Ces quelques réflexions ne seront donc pas autre chose qu’un témoignage, à partir de l’enquête "jeunes et adultes" de Pâques 72, de réactions d’animateurs relevées au hasard des rencontres, de mon expérience personnelle avec deux groupes de terminales de la diaspora de Paris.

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I - QUE DEVIENNENT LES JEUNES A L’ISSUE DE LA TERMINALE ?

Faute de renseignements plus précis, je me contenterai de relever les constatations suivantes :

— peu de jeunes de la diaspora entrent directement dans le 1er cycle d’un centre de formation. L’expérience et les statistiques le prouvent. En octobre 72, sur 243 nouveaux en séminaire résidence, 2l sont issus de l’Enseignement Catholique et 17 de l’Enseignement d’Etat. Ces chiffres accusent un nouveau et léger mouvement de régression amorcé dès 1965, encore que, depuis cette date, le pourcentage des entrées de ces jeunes ait très peu varié : 9 % des nouveaux en 1er cycle de grand séminaire viennent de l’Enseignement Catholique, 7 % de l’Enseignement d’Etat.

— A peine plus nombreux sont les garçons des collèges et lycées à entrer dans un groupe de formation en monde universitaire : une quarantaine en octobre 1971, dont 41 % viennent de l’Enseignement Catholique, et 26 % des lycées.

— Mais le plus grand nombre de ces jeunes de terminales n’entrent plus directement dans un mode de formation, quel qu’il soit, sans qu’on puisse toujours préciser si l’étape de formation est simplement différée au profit d’un temps de recherche, ou écartée., définitivement, et sans qu’on puisse connaître les motivations réelles de leurs hésitations.

En somme, si l’on en reste au niveau des chiffres, les jeunes des collèges et des lycées suivent la courbe générale des entrées dans un temps de formation.

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II - DANS LES GROUPES DE DIASPORA, LA QUESTION DE LA FORMATION AU MINISTERE PRESBYTERAL EST RAREMENT ABORDEE.

a) Ce n’est pas la question des jeunes !

La perspective du sacerdoce est encore lointaine, et, sauf exception, les problèmes de formation ne rentrent guère en ligne de compte. Les vrais problèmes sont ailleurs.

* Les projets d’avenir de ces jeunes sont de moins en moins fermes et précis .

Il leur est difficile de former un projet d’avenir dans le monde de ce temps où tout mûrit plus lentement. Ce monde est mobile, en mutation permanente et généralisée. Ce monde offre une multitude de références, de valeurs, de choix professionnels. Ce monde est celui des interrogations, des incertitudes, de la fluidité des modèles. Alors les jeunes disent : "laissez-nous vivre le temps présent. Demain, on verra bien." (enquête diaspora).

* Les .jeunes posent des questions radicales.

Ils vivent dans un monde qui est marqué par une remise en cause radicale de la foi, et dans une Eglise à la recherche d’un nouveau visage. Ils ont à opter pour un ministère qui comporte le choix du célibat et suscite de multiples interrogations : "en diaspora, nous sommes en attente... j’ai bien l’intention de m’engager profondément dans l’Eglise, peut-être par une certaine consécration, mais je ne sais pas encore laquelle." (Un jeune de terminale).

Cela revient à dire que les questions des terminales de la diaspora se situent à un niveau plus radical que celui du choix d’un mode de formation et nécessitent un temps prolongé de recherche, de maturation et d’approfondissement.

* Des données spécifiques marquent le cheminement de ces jeunes en diaspora :

- le désir de poursuivre les études en monde universitaire.
Sauf exception, l’entrée en faculté apparaît comme le prolongement normal de ce que vit le jeune aujourd’hui :

  • elle assure une relative continuité avec les préoccupations et le style de vie du jeune scolaire : "ce qui est important pour moi maintenant, ce sont mes études. Pour le reste, on verra plus tard" ;
  • elle lui permet de parfaire ses études à l’instar de ses camarades de lycée ou de collège, de les faire sanctionner par de nouveaux diplômes, d’acquérir une compétence professionnelle ;
  • elle diffère l’entrée dans une institution permanente et spécifique ;
  • elle prolonge le temps de la recherche.

- l’importance du projet professionnel.
S’il est de nombreux jeunes qui entrent en faculté sans avoir d’orientation professionnelle, il en est d’autres qui, dès la terminale, expriment à cet égard un projet précis. J’en faisais récemment l’expérience dans un week-end diaspora.

Au cours du traditionnel tour de table où chacun décline son identité, cinq jeunes sur six faisaient part de leur projet professionnel. C’est seulement dans un second temps, à ma demande, qu’ils reconnaissaient que la question du sacerdoce se posait à eux conjointement au choix d’un métier.

Quelle est la signification d’un tel projet ? L’attrait d’une expérience en pleine vie ? Le souci d’assurer l’avenir ? Le désir d’exercer le ministère presbytéral dans une insertion professionnelle ? Ou tout simplement le moyen de réaliser sa condition d’homme, libre et responsable ? Tout cela existe ou coexiste dans les préoccupations de ces jeunes.

- la peur de l’institution
Beaucoup d’entre eux manifestent un mouvement de recul devant une structure de formation qu’ils jugent précisément trop structurée, qui leur apparaît trop contraignante, ou qu’ils ignorent.

- la fidélité à des valeurs vécues
Ils craignent de renoncer à un certain nombre de valeurs auxquelles ils sont particulièrement attachés : un style de vie qui permet d’exercer sa liberté d’homme, un réseau de relations où la mixité trouve sa place, un engagement apostolique dans le monde des jeunes, la désir d’une formation théologique, d’un approfondissement de leur foi, et d’une élucidation de leur projet en dehors d’une institution globalisante. "A la diaspora, dit un jeune, on reste fidèle à tout ce qui fait notre vie. Faudra-t-il le perdre ensuite et devenir des déracinés ?"

Pour toutes ces raisons, on comprend que les jeunes de la diaspora soient peu sensibles aux problèmes de formation. Le temps est révolu où la classe de terminale représentait l’étape normale et habituelle d’une option pour la formation au ministère presbytéral.

b) La question de la formation est rarement abordée par les animateurs.

Cela tient à bien des motifs qui ne sont pas toujours étrangers à la personnalité même des adultes qui accompagnent ces jeunes. Mais quelques convergences apparaissent qu’il est possible de relever :

  • Les animateurs sont conscients de la fluidité des projets de jeunes.
    L’enquête nationale effectuée en janvier 73 fait apparaître l’interrogation et l’embarras des animateurs de groupes diaspora devant les projets de ces garçons. "Jusqu’en 1972, les jeunes avaient besoin de se retrouver en référence à un même projet de vie. Depuis quelques mois, pour deux d’entre eux, ce projet s’estompe. On veut bien se retrouver mais en fonction de quoi ?"

    Inviter seulement aux rencontres des jeunes qui forment un projet précis de vie sacerdotale ou religieuse ? Ou bien accueillir tous les garçons qui sont à la recherche d’un idéal ? Entre ces deux positions extrêmes s’expriment un dégradé d’opinions, une fluidité de nuances qui manifestent la difficulté extrême à cerner les projets et les besoins des jeunes.

    On comprend, devant l’inconsistance ou la remise en question de nombreux projets au stade de l’adolescence, que bien des animateurs hésitent à parler de la formation au ministère presbytéral à ces jeunes, y compris lorsque le premier temps de formation est conçu comme un temps où se poursuivra la recherche.

  • Les animateurs se veulent attentifs à ce que vivent ces jeunes.
    La recherche engagée dans les groupes de diaspora se situe — les comptes—rendus de réunions en témoignent - à un niveau beaucoup plus fondamental et immédiat que celui de la formation au sacerdoce.

    D’une part, ces jeunes ne se sentent pas mûrs pour accéder à un temps de formation : ils sont aux prises avec des problèmes affectifs qui ne permettent pas un choix lucide du célibat, ils sont affrontés au monde incroyant et s’interrogent sur la place et la signification de la foi dans leur vie, ils éprouvent le besoin d’approfondir leur projet de sacerdoce, d’en découvrir la spécificité et les exigences, d’en purifier les motivations trop individuelles et trop subjectives.

    D’autre part, la pédagogie des rencontres se veut fidèle à la vie de ces jeunes. De plus en plus, l’accompagnement s’efforce de rejoindre la vie quotidienne des jeunes :
    - pour leur permettre de la partager avec d’autres ;
    - d’y rechercher Jésus-Christ qui agit et appelle ;
    - de la célébrer dans la prière ;
    - de l’enraciner dans une vie apostolique.

    Tout cela, qui paraît essentiel dans le cheminement de ces garçons et les préoccupations des animateurs, renvoie à plus tard la question plus spécifique de la formation au sacerdoce.

  • Les animateurs s’interrogent sur la valeur d’un tel cheminement.
    Certains se demandent si l’accompagnement de ces jeunes ne constitue pas un mode de cheminement révolu :
    - avec des jeunes peu représentatifs de leur génération, "plus réformistes que révolutionnaires",
    - avec des cheminements rénovés mais traditionnels,
    - pour une Eglise d’hier ou d’aujourd’hui plus que pour celle de 1980. "Que faisons-nous dans ces groupes, se demande un animateur ? Quels sont les fruits de notre travail ? Faut-il continuer ? Sommes—nous assez inventifs ?" (enquête nationale).

    Derrière ces interrogations se cachent, comme l’indique la même enquête :
    - "un certain désabusement devant les difficultés et les risques d’un tel cheminement",
    - une réelle insécurité devant les modes actuels de la formation et l’avenir du sacerdoce ,
    - "une attente tacite des vocations d’adultes suscitées par les communautés.

    Alors peut-être faut—il voir aussi dans ces attitudes une projection de nos craintes et de nos incertitudes ?

  • Les animateurs ne connaissent pas suffisamment les différents modes de formation
    Ceci ne constitue pas une loi générale mais se vérifie dans de nombreux cas, et à un double niveau :
    — d’une part, peu d’animateurs ont la possibilité de connaître de l’intérieur ce qu’est la formation au ministère presbytéral en 1973, d’en suivre l’incessante évolution, aussi bien dans les centres de formation théologique que dans les groupes de formation. LE RISque existe de se référer plus ou moins inconsciemment à son expérience personnelle d’il y a dix ou vingt ans, ou de s’en tenir à une information forcément assez superficielle.
    — d’autre part, la plupart des animateurs manquent de critères objectifs pour discerner le type de formation souhaitable. La formation au sacerdoce s’est largement diversifiée au cours de ces dernières années, sans qu’on ait pris le temps de réfléchir aux incidences de ces différents modes de cheminement sur le choix des jeunes : "à quoi veulent répondre ces divers types de formation ? Quel type de ministère sacerdotal veut-on préparer ? Au service de quelle mission d’Eglise ? A quels jeunes sont-ils destinés ?"

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III - QUELQUES QUESTIONS.

Certaines se posent davantage aux animateurs de diaspora :
— Est-on suffisamment attentif dans les groupes aux problèmes spécifiques des garçons de terminales ? Leur permet—on de franchir ce seuil que représente l’après—terminale ?
— A—t—on suffisamment réfléchi à la signification et aux exigences d’une entrée dans le monde étudiant ou professionnel pour un jeune qui envisage le sacerdoce ?
— Aide—t—on suffisamment les jeunes à préciser les motifs de leur orientation, à les purifier, à les approfondir ?
— Les jeunes sont-ils placés devant l’unique alternative "sacerdoce-laïcat" ou devant le choix de ministères divers pour la mission de l’Eglise dans le monde ?
— Prends-on le temps de relire, en groupe d’animateurs, les rencontres vécues avec les jeunes, d’y découvrir un éclairage précieux pour les rencontres suivantes ?

Des questions qui exigent la réflexion commune des animateurs et des responsables de la formation :
— A partir de leur expérience, qu’est-ce que les animateurs de diaspora ont à dire aux responsables de la formation, concernant la vie et les aspirations des jeunes, le cheminement qu’ils ont suivi, les questions qu’ils se posent par rapport à la formation au sacerdoce ?
— Qu’est-ce que les responsables de la formation ont à dire aux animateurs de la diaspora concernant la vie dans les groupes ou centres de formation, les conditions d’entrée, le projet des éducateurs ?
— Quelles questions nécessiteraient une recherche commune ?
— Quelle interpellation réciproque s’en dégage pour une réelle remise en cause ?
— Ne faudrait—il pas établir ou renforcer certains liens et prévoir certains lieux où une telle recherche pourrait être entreprise ?
— Mais il faut sans doute aller plus loin encore. Ne serait-il pas opportun et possible de favoriser la rencontre de ces jeunes avec tel ou tel responsable de formation, dans le cadre normal et à partir du programme habituel des réunions de diaspora ? Qui ne voit l’intérêt de semblables rencontres !

Il est devenu impensable que les animateurs de la recherche et les responsables de la formation continuent de s’ignorer. Eveil, recherche, formation, ministère appellent une concertation indispensable, au service d’une même mission.

Jean RIGAL