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Les jeunes face à l’avenir
On aimerait pouvoir dire quelque chose de clair, de net, de précis sur les jeunes et pouvoir ensuite affirmer : c’est simple, il suffit de les connaître pour savoir les prendre.
Mais aujourd’hui une présentation simpliste ne serait pas honnête, car les jeunes sont difficiles à comprendre. Ils vivent dans une période assez incohérente, pleine de contradictions et eux-mêmes ne se comprennent pas bien. Evitons donc les simplismes. On peut actuellement en dénombrer trois :
le simplisme des idéalistes qui voient surtout le regard clair, franc et généreux des jeunes et les pare de toutes les qualités dont serait privée la société adulte..
un certain simplisme pédagogique, qui parfois s’inspire d’une non directivité mal comprise. Selon lui, le jeune est bon en lui-même, il suffit de lui permettre de s’exprimer, de créer pour qu’il s’épanouisse.
enfin le simplisme gauchiste selon lequel les jeunes sont écrasés par l’école, la famille et la société. Tant qu’ils ne seront pas libérés de ces influences, ils ne seront pas eux-mêmes.
En fait, c’est beaucoup plus compliqué.
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UN INVENTAIRE
Sur les jeunes, il y aurait des tas de choses à dire, dans tous les sens. Je parle tout de suite de ce que je ne dirai pas, parce que cela se trouve dans tous les manuels. Je ne ferai pas le portrait archi-connu de l’adolescent éternel, qui est en crise. Je ne parlerai pas de son évolution physiologique, psychologique. Tout le monde connaît cela, il y a des tartes à la crème là-dessus. Je ne nie pas que cela ait de l’importance, je dis seulement qu’il faut faire un pas de plus aujourd’hui si on veut y voir clair.
Je ne ferai pas non plus une description phénoménologique de toutes les activités des jeunes, de tous leurs engagements, tout ce qu’ils font actuellement. Je donne simplement un catalogue, sur lequel on pourra revenir. En parlant des jeunes, on pourrait évoquer l’ennui dans les écoles, la peur de l’examen, le goût pour la moto (je mets tout cela en vrac), le goût pour les sports de combat (en particulier chez les garçons de 14-15 ans), une certaine politisation (elle a été forte en 68-69-70, elle baisse maintenant), l’inquiétude devant l’avenir professionnel,.des difficultés à participer à l’école, la contestation des enseignants et des adultes, une certaine attirance pour la drogue, le désir de vivre en communauté (à la fois communauté de discussion ou quelquefois communauté totale), un goût très fort pour la musique, et en particulier pour la musique Pop, une importance croissante des loisirs, et un grand désir de Paix, etc.
INQUIETUDE DEVANT L’AVENIR
Voilà, en désordre, quelques éléments de l’univers des jeunes actuels. Comment voient-ils l’avenir dans tout cela ?
On peut d’abord dire que les jeunes sont inquiets devant l’avenir scolaire et professionnel et déçus par la société qu’on leur prépare. Ils ne sont pas séduits par les réalisations techniques. Pour eux, la conquête de la lune fait partie de l’ordre normal des choses et ne les émerveille pas. Du progrès, ils retiennent plutôt les côtés négatifs : pollution, rationalisation excessive, dépersonnalisation, ennui.
Peut-être est-ce pour cette raison qu’ils voient leur situation future de façon conformiste. Il y a d’excellentes choses sur ce sujet dans l’ouvrage de Gérard Vincent : Les lycéens (Armand Colin). Ils désirent une situation stable, un foyer stable, une petite maison. Une chose m’a beaucoup frappé dans l’ouvrage de Vincent : l’importance du désir de la retraite. Elle leur apparaît comme un âge d’or où ils pourront faire tout ce qu’ils voudront, comme un moment privilégié où ils seront plus riches, plus libres qu’aujourd’hui tout en ayant les mêmes forces. Voici une citation d’un garçon de 1ère : "j’attendrai le moment de la retraite comme les jeunes gens attendent le moment des grandes vacances."
UNE GRILLE DE LECTURE
Mais nous reprendrons le problème de l’avenir plus tard. Il faut d’abord essayer de comprendre. Pour cela je vous propose une grille. Elle vaut ce qu’ elle vaut ; ce n’est pas la seule. On pourrait en utiliser plusieurs autres. Personnellement, je crois que pour comprendre quelque chose à la mentalité des jeunes d’aujourd’hui, il faut avoir en tête le décalage suivant : il y a une très grande différence entre leur conscience, leur, connaissance des choses et leurs possibilités d’action.
Cette notion de conscience est importante. Prenons le cas de quelqu’un qui a une 2 CV. Mettez-le au milieu d’une population de gens qui n’ont pas de voitures, ou simplement des vélos ou même des mobylettes. Le possesseur de la 2 CV se considérera comme le plus heureux, le plus favorisé, le plus riche. Mettez le même possesseur de 2 CV dans une population qui roule en voiture de sport ou en voiture très luxueuse. Il sera malheureux, mal à l’aise.
Il faut souligner cela pour désamorcer la critique que l’on entend chez les gens d’un certain âge qui grommellent : "de quoi se plaignent les jeunes d’aujourd’hui ? De notre temps, ils n’avaient pas ceci, ils n’avaient pas cela, ni argent, ni possibilité de transport, ni liberté, ils ont beaucoup plus de liberté aujourd’hui, beaucoup plus de facilités. Alors, que veulent-ils de plus ?" Prendre le problème comme cela, c’est s’exposer à ne rien comprendre. Alors que se passe-t-il pour les jeunes ? On peut dire qu’il y a chez eux un accroissement de conscience considérable par rapport à leurs possibilités d’action et à leurs responsabilités dans la société.
L’UNIVERS MENTAL
D’où vient cet accroissement de conscience ? D’un ensemble de choses. A la fois du mélange des milieux sociaux : plus question aujourd’hui d’avoir des jeunes confinés dans une famille, dans un petit groupe, dans un milieu social, des jeunes qui ne verraient que des gens du même bord qui auraient les mêmes idées qu’eux et que leurs parents.
L’école, les mass-media font un grand brassage. Journaux, presse, télévision transforment l’univers mental des jeunes.
Les événements mondiaux les plus divers, les atrocités d’une guerre, les injustices sociales et raciales, les affaires de moeurs, de sexualité, les problèmes de drogue, les idées de la psychanalyse, du marxisme, et bien d’autres choses encore, entrent dans leur champ de préoccupation.
Prenons un exemple concret. Dans un établissement scolaire, des élèves de 4e parlaient récemment des avantages et des inconvénients de la pilule. La plupart étaient contre car "la pilule fait grossir, elle peut donner le cancer". Ils avaient lu ces détails dans "Détective".
Autre exemple : la drogue. Autrefois, la drogue était réservée aux trafiquants, aux gangsters, aux personnes de "mauvaise vie". Aujourd’hui, la drogue, avec tout ce courant qui passe par les mass-media, devient quelque chose de noble, une muse qui inspire les artistes, quelquefois c’est un moyen spirituel .d’approfondir son existence, et là je vous renvoie à toutes les théories américaines de Timothée LEARY sur le L.S.D. Ceci ne veut pas dire que tous les jeunes se droguent, loin de là. Mais la drogue s’est rapprochée d’eux.
L’impact de l’actualité se voit aussi à un autre niveau. Une enquête a été faite auprès des élèves de Tours pour connaître leurs héros préférés. Il y a quelques années, les héros appartenaient à l’histoire, à la littérature. Or en 1969, pour les élèves de 3e de Tours, les héros préférés appartenaient à l’actualité : John et Bob KENNEDY, Martin Luther KING, le professeur BARNARD, de GAULLE. Seul rescapé du passé : Napoléon.
LES CONSEQUENCES
Bien sûr, cette irruption des événements dans la mentalité des jeunes ne va pas sans poser des problèmes. Précisons tout de suite que cela ne veut pas dire qu’ils soient bien informés, parce que beaucoup de jeunes souvent s’intéressent à telle chose mais laissent tout à .fait tomber telle autre chose. Récemment, j’interrogeais des lycéens sur les événements. Or, une fille se passionnait pour l’affaire de Bruay-en-Artois mais ne suivait absolument pas les événements du Vietnam et s’en moquait éperdument. Inversement, les garçons se passionnaient pour le Vietnam ou pour l’Europe et Bruay ne leur disait absolument rien. Leur intérêt pour l’actualité est très inégal et sélectif. Ils sont cependant très imprégnés, très marqués par des problèmes qui ne préoccupaient guère leurs parents au même âge.
Il y a quelques années, j’avais fait une enquête à Lille sur les lycéens qui s’étaient suicidés par le feu. L’un d’eux avait été très impressionné par la guerre du Biafra. Il avait assisté à la télévision à l’exécution d’un paysan biafrais, frappé par les soldats nigérians. Quelques jours avant, il avait vu un reportage sur la mort de Jan Palach, ce jeune Tchécoslovaque qui s’était suicidé pour protester contre l’entrée des Soviétiques à Prague.
Les amis du jeune lycéen de Lille disaient que le Biafra le hantait. Il allait demander à tout le monde : "que peut-on faire pour le Biafra ?" On lui répondait : "Pas grand chose, sinon prier et être bon avec ses camarades." Vous vous rendez compte tout de suite de la distance qu’il y avait entre les problèmes auxquels il était confronté affectivement et ses possibilités d’action. Il participait par la Télévision et par l’information à un drame africain, à un drame tchécoslovaque et lui, à son niveau, ne pouvait pas faire grand chose.
N’exagérons pas la portée de cet exemple. Heureusement, beaucoup de lycéens ont su, à l’époque, ce qui se passait au Biafra, ont connu l’histoire de Yan Palach, sans pour autant se suicider. Mais ce cas extrême peut éclairer la réalité quotidienne.
LES STRUCTURES MENTALES
L’impact des mass-media a une influence sur les structures mentales. Professeurs et pédagogues le remarquent, les élèves actuels sont moins à l’aise dans les exercices d’analyse que ceux d’autrefois. Par contre, ils saisissent beaucoup mieux une situation globale. Cela vient de la Télévision, qui apporte une vision beaucoup plus globale des choses et n’apprend pas à analyser, à disséquer rationnellement comme on pouvait le faire autrefois. Ceci a des conséquences, d’abord sur le plan intellectuel. Il se passe chez les jeunes par moment ce qui arrive dans les tribus primitives. Ils sentent intuitivement, ils perçoivent globalement, mais ils sont rebutés par les choses trop rationnelles, trop analytiques et par tout ce qui est "hyper-organisation". D’où ce goût pour les attitudes "sauvages", irrationnelles (musique Pop, habillement, croyances, moeurs). Le désir de vivre de façon "sauvage", cela veut dire hors des règles, hors de ce qui se fait habituellement. Il y a chez eux un grand besoin d’échapper à ce monde ennuyeux que nous prépare la société moderne car, sauf si l’on est aux postes de responsabilité, on aura un rôle de plus en plus stéréotypé, mécanisé, où tout sera prévu et où la marge d’initiative sera de moins en moins grande. Ce genre de refus est très sensible chez les jeunes Canadiens et chez les jeunes Américains. On commence à sentir les mêmes réactions chez les jeunes Français.
LA PERSONNALITE
La personnalité des jeunes est, elle aussi, touchée par l’actualité. Cette multiplicité d’informations qui atteint les jeunes, qui les enveloppe, ce bombardement d’impressions, d’idées, d’images mentales, les submerge. Ils n’ont ni le temps, ni la possibilité de trier, de classer, d’organiser conceptions et valeurs. Cela veut dire que dans une même semaine, par la Télévision, la Radio, les journaux, les discussions, ils vont être confrontés avec une analyse marxiste, le point de vue de Mme Soleil, un exposé sur le bouddhisme, une publicité sur l’art de vivre bronzé, etc.
Ils comprennent plus ou moins bien et tout s’enchevêtre. Personne ne les aide à classer ni à ordonner leurs idées. Les points de repères, que ce soit sur le plan politique, moral, religieux, esthétique, culturel, sont les plus divers. Et donc, leurs conceptions baignent dans le vague, dans le flou, dans le mélange. Nous sommes à l’époque du mélange. Alors cette situation a des conséquences à plusieurs niveaux.
D’abord les valeurs, les points essentiels auxquels se raccrochent les jeunes sont très fluctuants et contradictoires. Il y a de tout : des idées empruntées à la fois au marxisme, à la psychanalyse, à la littérature des midinettes, etc. Aussi il y a quelques contradictions. Ils critiquent beaucoup la société de consommation, mais en profitent sans scrupules. Ils veulent transformer le monde, être efficaces et cependant ils s’engagent très peu ou pas assez. Ils aiment vivre en groupe, ils veulent vivre en communauté, et se montrent très individualistes.
Autre élément : ce qui compte à leurs yeux n’est précisé dans aucun credo..., aucun code moral, et leurs valeurs sont souvent plus implicites qu’explicites, et même plus négatives que positives. C’est-à-dire qu’ils se manifestent davantage par le refus de vivre comme les adultes que par le désir clairement exprimé de vivre de telle ou telle manière.
Autre conséquence de ce foisonnement d’influences, la liberté des jeunes est désorientée et ne sait où s’engager.
Plusieurs solutions sont alors possibles. Dans un premier temps, les jeunes restent sur la touche, simples spectateurs. Ils ne veulent pas se mêler à l’action. "Puisque toutes les solutions se valent plus ou moins, à quoi bon s’engager ?" Mais quand ils sont lassés de leur rôle d’observateurs inefficaces, il leur arrive de s’engager tête baissée. Alors ils sont heureux de trouver un système un peu simpliste où bons et méchants sont clairement présentés, où le vrai et le faux sont indiqués, et où les choix sont faciles à faire parce que simplifiés. Beaucoup de groupements politiques de droite ou de gauche ont profité de cette situation en 69-70. Ils offraient une grille de lecture des événements. Ils indiquaient où étaient le bien et le mal. Cela suffisait à un certain nombre de jeunes qui avaient besoin de quelque chose de clair.
Il faut aller plus loin et voir encore une autre conséquence. Cet amas d’informations provoque un grand décalage entre ce qui est su intellectuellement et les possibilités d’action concrète.
Prenons un autre exemple, celui de l’avortement. Il y a 20 ou 30 ans, que savait une fille de 13 ans de l’avortement ? Rien, ou si elle savait quelque chose, elle se disait : "ça ne me concerne pas, c’est trop lointain, on verra cela plus tard." Cette année, à la suite d’un certain nombre d’émissions de radio et d’articles, il y a des filles de 13 et 14 ans qui ont discuté entre elles des problèmes de l’avortement.
Ainsi une problématique d’adulte interpelle les jeunes sans qu’ils aient la maturité, la lucidité ni les possibilités d’action nécessaires pour réagir en fonction de leur information.
LES TROIS TENTATIONS
Alors comment réagissent les jeunes ? Très différemment. On peut distinguer grossièrement trois types de tentations.
1/ II y a d’abord celle que je qualifierai de tentation marxiste, au sens le plus large du terme, celle de l’action efficace. Un des phénomènes les plus marquants de ces dernières années, est incontestablement la séduction que les idées marxistes exercent sur la jeunesse. Des jeunes sans culture philosophique, sont arrivés, non pas à être des marxistes très savants, mais à saisir de l’intérieur un certain nombre d’idées clés du marxisme. Pourquoi ? Je crois que cela vient de ce que le marxisme leur propose une grille de lecture des événements actuels, de la société actuelle, qui les aident beaucoup à se repérer dans un monde flou. Le marxisme leur offre d’abord le moyen d’y voir clair et leur donne l’impression de comprendre les mécanismes, qu’il s’agisse d’une grève, d’une crise économique, d’une dévaluation, d’un scandale moral. La grille marxiste a réponse à tout. D’autre part, les groupes gauchistes et les jeunesses communistes font une place à l’action qu’ils veulent efficace. Tous ces points de repère sont très utiles aux jeunes déconcertés par le monde actuel.
2/ Une seconde tentation gagne en ce moment : je l’appellerai la tentation hippie. Le terme ne convient pas exactement car en France, il n’y a pas tellement de hippies. C’est la tentation de vivre en marge, de se retirer de la société actuelle, et de faire des petites communautés fraternelles, ouvertes, sans contrainte ni oppression. Puisqu’on ne peut pas changer par la force, par la violence, la société actuelle, il faut essayer de recréer des petits groupes qui, de proche en proche par l’exemple, transformeront les relations humaines.
Voici quelques unes des annonces parues dans la revue "Actuel" : "Groupe désirant acheter un important village dans la Drôme recherche jeunes gens, jeunes filles ayant goût et aptitude à se refaire une cohérence dans une expérience d’avant-garde."
"Communauté naissante, travail de la terre, artisanat, musique, peinture, sans idéologie, veut vivre en paix dans l’amitié et l’amour. Seule ambition, promouvoir la vie communautaire."
Autre exemple : "Cherchons gars et filles intéressés par "free" village en milieu paysan, assez pauvre. Projet : être l’ami des paysans, être une porte ouverte à tous dans une atmosphère communautaire."
Vous voyez ce désir des communautés de faire des petits groupes qui finalement rachèteront cette grande société, polluée, pourrie.
3/ Une autre tentation elle aussi gagne du terrain depuis 1 ou 2 ans et en particulier cette année : chez les jeunes la tentation individualiste. On veut se réaliser soi-même, sauver sa peau dans cette société de concurrence, jouer des coudes, se débrouiller et se faire une place au soleil. Cette tentation n’est pas nouvelle mais elle est exacerbée par la publicité qui donne une envie vorace de profiter au maximum de la société de consommation. Les jeunes ont beaucoup critiqué cette attitude en 1968 et 1969. Maintenant certains y reviennent goulûment.
Mais il ne suffit pas de décrire, il faut essayer de savoir ce que l’on peut faire. Cette question, aumôniers, parents, éducateurs, professeurs, se la posent.
Il faut, après avoir vu la complexité des choses, tenir compte de plusieurs éléments chez les jeunes actuels :
de cette mentalité séduite par tout ce qui est irrationnel et sauvage,
de ces personnalités non structurées, mélangées, où tout se chevauche, où tout s’est entassé,
de ces libertés indécises, incertaines qui cherchent leur cohérence et qui sont prêtes à se lancer dans n’importe quelle aventure pour la trouver,
de ces intelligences perdues devant la masse des informations et qui pratiquent l’amalgame et mélangent tous les ordres de pensées, plaçant les problèmes religieux et scientifiques sur le même plan (des élèves de 3e voulant montrer que les soucoupes volantes étaient déjà dans la Bible),
de l’affectivité des jeunes qui, malgré ou à cause des innombrables contacts que crée le monde contemporain, souffre souvent de la solitude et reste tentée par la vie en communauté.
L’ECOLE
Je voudrais terminer en parlant brièvement de l’école et des problèmes qui s’y posent. L’école actuellement passe souvent à côté de l’attente des jeunes, pour plusieurs raisons. On dit que l’école ennuie, c’est vrai. Pourquoi ? Parce qu’elle ne traite pas des problèmes actuels. Parce qu’elle vit dans un univers clos. J’ai fait un voyage en Suède au mois de novembre. Ce qui m’a frappé là-bas, c’est de voir à quel point l’école était ouverte sur le monde extérieur, par des stages en entreprise, à la fois pour l’orientation professionnelle et pour la connaissance du milieu du travail.
D’autre part, l’école ne prépare pas les jeunes à agir, à être libres. Sur le plan intellectuel d’abord. Elle ne les aide pas à être lucides. Il y aurait actuellement un travail à faire sur la publicité, sur les moyens d’information, sur les grands mécanismes du monde moderne. Qui traite ces questions ? Très peu de professeurs. Ce n’est pas au programme, et si on le fait, c’est toujours à la sauvette.
Or, de même qu’on étudie les pièces classiques, il faudrait faire les analyses de contenu, de ce qui paraît dans les journaux, à la radio, sur le petit écran. Il faut que les jeunes ne soient pas livrés aux moyens audio-visuels sans défense, ils doivent être capables de décortiquer une émission de télévision, une information à la radio.
Sur le plan des responsabilités, l’école ne fait pas mieux. On a parlé de participation, il faut bien reconnaître que dans beaucoup d’établissements, la participation n’est pas très sérieuse. Les élèves participent sur des questions secondaires, mineures. Et les grands problèmes ne sont pas évoqués devant eux, ils n’y ont pas part. D’ailleurs, on ne leur a pas appris depuis leur plus jeune âge à participer.
L’école aussi ne les prépare pas à continuer à apprendre. Aujourd’hui, il faut donner aux jeunes l’envie de continuer à apprendre une fois que l’école sera finie. Or il y a eu récemment un colloque d’experts internationaux, à Pont-à-Mousson, qui ont précisé que si l’éducation permanente ne marchait pas très bien, en France et dans d’autres pays, c’était bien sûr parce qu’il n’y avait pas de crédits, pas de locaux, pas d’organisation, mais aussi parce que les personnes elles-mêmes n’étaient pas très motivées. Elles avaient gardé un mauvais souvenir de l’école qui les avait dégoûtées des études.
Je ne voulais pas faire ici un procès de l’école. Il ne s’agit pas de dire : il y a quelques coupables en France, ce sont les professeurs et l’Education Nationale. C’est un problème culturel qui dépasse de beaucoup le corps enseignant et l’Education Nationale, cela se retrouve dans les autres pays à des degrés divers. Mais je pense que tous les éducateurs peuvent réfléchir sur leur action après avoir posé un regard lucide sur les carences et les lacunes de l’école.
CONCLUSION :
Alors, comme je vous l’avais dit au début, je ne vous ai pas livré un schéma que vous allez appliquer sur les cas que vous connaissez, sur les questions dont vous vous occupez, en disant "solution type A", "solution type III", voilà ce qu’il faut faire. Mais je vous livre ces réflexions pour que vous saisissiez bien le problème actuel. Les jeunes ne sont plus exactement ce qu’ils étaient il y a 15 ans. A cette époque-là, les préoccupations étaient différentes, la sexualité avait déjà beaucoup de place, les relations parents-enfants aussi, les problèmes d’avenir professionnel étaient moins cruciaux, et le mélange, l’amalgame était moins dramatique. Aujourd’hui, tout le problème c’est, je crois, d’arriver à donner aux jeunes une cohérence interne. Il faut que dans ce magma de choses diverses, dans cet univers sans points de repères, ils puissent avoir une colonne vertébrale, personnaliser leurs actions, leurs engagements, savoir où ils vont. Je crois que c’est l’essentiel. Cela peut mener loin, au marxisme, à la vocation, ou à vivre dans une communauté hippie. Mais je crois que l’essentiel, c’est de les aider à trouver cette cohérence dont ils ont besoin.
Réponse à une question posée sur les jeunes et l’avenir :
Beaucoup de jeunes ne vivent pas en pensant à l’avenir :
ils ne veulent hypothéquer le présent en pensant à un avenir incertain,
le monde est très mouvant, ils ne font pas de projet à long terme,
ils ne manquent pas de générosité, mais ont des difficultés à prendre des engagements définitifs : tout change, et ils changent eux-mêmes. Le mariage devient l’aboutissement d’une relation, d’une communication réussie. La vocation semble apparaître elle aussi comme l’aboutissement d’un essai réussi, et non comme un projet d’avenir précis. Pour bien des jeunes, la vérité des choses vient de l’expérience que l’on fait soi-même, et non de ce qui est proposé de façon magistrale ou dogmatique.
Yves de GENTIL-BAICHIS,
journaliste.