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Education de la foi et vocation
I - TRAVAILLER A L’INTERIEUR OU A L’EXTERIEUR DE L’EGLISE-INSTITUTION
A. La Vocation n’est pas une Institution
Il y a, pour moi, une manière inutile d’envisager l’avenir des vocations : c’est celle qui consisterait à vouloir rétablir une institution que les progrès de l’humanité et de la conscience des croyants ont dépassée. Dans les moments de crise, il me semble que beaucoup d’individus ont un réflexe de peur qui réveille en eux une régression. Ils se mettent à en appeler au passé et à déterrer les mythes les plus archaïques et les formes de relation et de pouvoir les plus primitives. Ils sont pris d’une angoisse qui les fait rêver à un retour au sein maternel, aux temps des origines. Alors que le salut d’un peuple en crise ne peut être qu’en avant.
Il ne convient donc pas de défendre la vocation comme on défendrait une institution. Je pense même que cette façon de concevoir la vocation en terme d’avoir, ne disait-on pas des gens qu’ils "avaient" la vocation, ressortit d’une conception de l’Eglise qui trahit sa mission et masque son visage. Cette installation dans des institutions aux formes qui se rêvent définitives relève du système bureaucratique plus que de l’appel de l’Esprit-Saint dont on s’était efforcé de canaliser et de contrôler parfaitement le souffle.
Peut-être est-il plus sage de concevoir des changements plus radicaux et d’élaborer des hypothèses à l’extérieur des cadres établis. Pourquoi ?
1/ Plutôt que de partir de l’image actuelle du prêtre, n’est-il pas plus raisonnable de s’ouvrir à d’autres possibilités d’exercer les ministères dans l’Eglise ? Dans ce cas, ces formes naîtront sur le terrain comme le fruit de la foi des communautés et des charismes personnels, et non pas de la réflexion théorique de gens qui ne vivent pas le choc du présent et de l’Evangile.
2/ Il y a des chances que l’invention sera l’oeuvre d’hommes et de femmes que dans un premier temps l’Institution, fidèle en cela à elle-même, rejettera, ou du moins mettra à l’épreuve. La lucidité et la générosité des pionniers ont toujours dérangé la routine des masses, bousculé l’aveuglement du pouvoir et rappelé la hiérarchie à sa fonction de discernement. Quant aux quelques vocations de chrétienté qui peuvent encore se manifester, elles permettront au moins d’assurer une liquidation paisible des formes du passé.
3/ Il est raisonnable de penser que l’hypothèse de travail hors des structures sera plus efficiente tant l’écart est grand entre les institutions confessionnelles, catholiques ou protestantes et les transformations qui bouleversent le monde. Aujourd’hui, se convertir pour beaucoup de jeunes des pays de civilisation chrétienne, consiste à rompre avec cette société dont l’Eglise semble faire partie malgré quelques individus et quelques groupes qui font figure d’exception.
B. Eduquer à la Vocation, c’est éduquer à quoi ?
Si le chemin seulement était remis en cause, le problème ne serait pas très difficile. Mais c’est le but lui-même qui est à redéfinir.
En effet, il ne suffit pas de s’interroger sur les moyens pédagogiques de l’éducation à la vocation. L’interrogation porte sur le contenu même de celle-ci. A quoi convient-il d’éduquer quand on parle d’éveil à la vocation sacerdotale ou religieuse ? Le projet lui-même est questionné de toutes parts.
- Est-ce éduquer à la caste de clercs qui faisaient partie, qu’on le veuille ou non, de ceux qui exerçaient le pouvoir et qui détenaient un certain savoir ? Et quel savoir ? Celui qui gérait l’espérance et la moralité des gens. Les clercs ne savaient-ils pas ce qu’il convenait de faire ou de ne pas faire pour gagner le paradis et être un honnête homme ! Il est évident que ce schéma qui, sociologiquement exerçait une fonction d’intégration à la société profane risque peu d’attirer encore les foules.
- Est-ce appeler au rôle de Père, spirituel bien sûr ? Mais la psychanalyse qui est passée par là invite à en purifier l’image.
- Est-ce proposer des tâches éducatives, de. l’enseignement en particulier ? Dans la contestation actuelle de l’école, il paraît difficile de lier directement la mission apostolique à l’enseignement profane autrement que par la fonction critique de l’Evangile.
- Est-ce appeler à devenir des "séparés" ? Mais dans un monde de plus en plus sécularisé, il semble que la première exigence pour être écouté soit d’être solidaire des autres hommes.
- Est-ce inviter au célibat et à l’obéissance ? Peut-être, mais à condition de les situer au niveau de l’anthropologie moderne et non en-deçà.
- Est-ce appeler à être l’homme du culte ? A cause d’une conception trop magique et ritualiste de la vie sacramentelle, les jeunes refusent de devenir des préposés aux bénédictions.
- Est-ce proposer la participation aux mouvements d’action catholique comme aumônier ? Sur le terrain cette voie-là paraissait, il y a quelques mois encore, la voie royale. Or plus les jeunes sont scolarisés, plus ils sont enclins à se méfier dé cet homme qui parle mais qui n’est pas engagé comme eux. Des nationaux d’un mouvement disaient même dernièrement qu’il fallait se méfier de cet état de "permanent" des aumôniers qui risquait de leur donner le pouvoir.
C. Mettons le Vin Nouveau dans de Nouvelles Outres
Ces interrogations ne signifient nullement pour moi qu’à l’avenir, il n’y aurait plus de ministères à exercer. Je suis persuadé du contraire. Mais je constate qu’avant de s’engager avec lucidité, les jeunes doivent passer à travers cette grisaille et répondre à des questions fondamentales auxquelles nous ne nous affrontions pas aussi brutalement dans le passé. Ce changement est si radical que beaucoup de prêtres et de religieuses de plus de 40 ans sont en crise, parce qu’ils entendent ces questions aujourd’hui, alors qu’ils ne les avaient pas perçues entre 18 et 25 ans. Aussi est-ce peut-être l’expression d’une grande Sagesse qu’il y ait si peu de vocations en ces circonstances qui exigent de ceux qui s’engagent une telle maturité.
En même temps, je me dis qu’il n’y a aucune raison de douter que Dieu appelle des femmes et des hommes à partager sa Passion pour l’humanité, et donc à annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ pour construire son Eglise. Mais si par hasard le Saint-Esprit avait déserté la "Boutique" et même si c’était Lui qui "cassait la baraque" à cause de la puissance et de la laideur des murs qui cachent au monde la grande Passion de Dieu ! Et si par hasard, évidemment, le mouvement de l’Esprit travaillait surtout hors des institutions dévitalisées ! J’ai la conviction que malgré notre bonne volonté, c’est ce paradoxe qui se joue.
A voir les luttes pour la justice dans le monde -au Brésil ou chez Renault-, à voir la révolte contre le non-sens de la société de consommation - entretenue par les actionnaires du Joint Français ou de Fiat -, à voir la quête de spiritualité hors des églises, à voir que ces luttes et ces recherches sont en majorité le fait des jeunes, comment douter qu’il y ait des gens qui soient travaillés par l’Amour que Dieu a pour les hommes. Alors que signifie cette manière dérisoire de poser la question de la Vocation à partir d’institutions qui ne signifient plus rien pour le monde ni pour l’Eglise ? RIEN.
Pour moi, le problème n’est pas d’abord celui de l’éducation de la vocation, mais celui de l’émergence de formes nouvelles des ministères signifiant quelque chose de l’amour de Dieu pour nos contemporains. Et pour cela, je pense qu’il faudra au préalable qu’il y ait des communautés chrétiennes qui soient pour les hommes de notre temps des signes qui disent quelque chose de compréhensible et de provocateur sur l’amour de Dieu pour nous. Cessons de vouloir mettre le vin nouveau dans de vieilles outres.
II -EDUQUER A LA RESPONSABILITE ET A LA SOLIDARITE
Dès que le regard se libère de l’institution, il s’aperçoit que chez les jeunes quelque chose se passe en profondeur et dans une cohérence encore secrète. C’est dans cette nouvelle respiration du monde que nous aurons à aider des hommes et des femmes à répondre aux nouveaux appels de Dieu. En un temps de bouleversements radicaux qui suscitent le prophétisme, il serait étonnant que les formes de la provocation divine ne soient pas, elles aussi, bouleversantes.
Dans cette problématique, il me semble que l’attitude pédagogique doit viser l’éducation à la responsabilité et à la solidarité :
- Eduquer à la responsabilité en allant jusqu’au terme de celle-ci qui est de donner sens à notre existence moderne ; certes il y a des risques à courir. Plus l’humanité progresse et se libère de la magie, plus les risques sont grands. Ils finiront par être à la taille de l’homme qui est à l’image de Dieu. Aussi évitons la panique de l’adolescent qui refuse de sortir de l’enfance.
- Eduquer à la solidarité effective avec les hommes d’aujourd’hui, et particulièrement avec la portion d’humanité à laquelle chacun a partie liée. A cet égard, cultiver des vocations de chrétienté se révélera peu efficace ; ou vous aurez des gens inadaptés à leur époque, ou vous les inadapterez avec le risque d’en faire des malheureux. Humainement cette démarche a peu d’avenir, à moins que les sujets en cause ne se convertissent en cours de route. De la part des responsables, n’y aurait-il pas de la malhonnêteté à former des gens pour un monde appelé à disparaître ?
A - L’Education à la Responsabilité Totale
"Comment, je jouerai ma vie ?" Voilà l’interrogation qui intéresse les jeunes. Par contre le bala-bla-bla sur la vocation comme un appel d’En-Haut qui télescoperait un tant soit peu ma responsabilité personnelle suscite l’ennui et la révolte. Par contre, les jeunes sont pris "aux tripes" par le désir de réussir leur vie et d’en être responsables.
La démarche des nouvelles générations part de l’expérience qu’ils ont d’eux-mêmes et du monde qui les entoure. Pour évaluer la route à prendre, ils refusent des critères qui ne peuvent être expérimentés et contrôlés. En cela les jeunes gardent la tête sur la terre, même s’ils n’ont pas toujours les pieds sur le sol. Cette démarche n’a rien de matérialiste au sens du refus de surnaturel. Mais elle se veut profondément humaine, c’est-à-dire celle d’un homme de chair et de sang qui rejette la fausse assurance et l’inhumanité des systèmes, mais qui accueille sans complexes les désirs qui l’habitent, comme les provocations qui lui viennent de l’extérieur. Quelle différence avec les structures mentales d’hier où les systèmes idéologiques précédaient la responsabilité créatrice de la personne ! Dans cette civilisation en voie de disparition, les événements qui marquaient la vie d’un individu ou d’un groupe venaient tout simplement se ranger dans le cadre préétabli du système idéologique qui leur donnait signification. En ce temps-là, en effet, les doctrines avaient réponse à tout et risquaient de sécuriser à bon compte.
Aujourd’hui, au contraire, les jeunes manifestent souvent un désir démiurgique d’être au départ de tout ce qu’ils voudraient réaliser et même de tout ce qui constitue l’originalité de leur personnalité. L’auteur du "Regain Américain" caractérise ce phénomène de "Responsabilité personnelle totale". Qui ne devine le paradoxe entre ce rêve d’autonomie absolue et les impératifs d’une société d’ordinateur et de planification économique !. Qui ne subodore les tentations d’évasion affective dans des communautés pratiquement désengagées où les gens assouvissent leur désir de responsabilité absolue dans une chaude ambiance de spontanéisme radical qui réalise une communion sans lendemain ! Les difficultés et les fausses pistes sont évidentes. N’empêche qu’elles sont secondaires par rapport à l’exigence fondamentale qui pousse les hommes à devenir maîtres de leur destin jusqu’à la responsabilité de donner signification à l’existence individuelle et collective dans le monde moderne.
Il y a donc une véritable quête du sens, mais qui se situe dans le contexte très précis que je viens de mentionner et non dans celui d’un retour au thomisme. Et je ne vois pas que la foi ait quelque chose à perdre, car si elle ne se joue pas au niveau de la responsabilité créatrice de sens où se jouera-t-elle ? Dommage que si souvent les forces vives de cette nouvelle humanité buttent sur des adultes à l’esprit clos, car s’il est certain qu’il y a de la folie à se vouloir le maître absolu de ses origines, il y a aussi dans l’exigence radicale de responsabilité la motivation la plus pure à la rencontre des autres, et particulièrement à la rencontre de l’AUTRE qui est Dieu. Je parie que l’épreuve de la sécularisation fera pressentir à beaucoup d’hommes le désir d’ouverture à Dieu, tout autant que ne pouvait le faire la crainte de l’enfer. Mais attention à la récupération des faux dieux par peur ou par paresse d’aller jusqu’au bout de la responsabilité humaine.
B - L’Education à la Solidarité Effective avec les Hommes
Je ne traiterai pas longuement de cet aspect parce que j’ai déjà eu l’occasion de l’aborder dans la revue "Vocation" d’octobre 1971. Je me contente de rappeler ce que vous connaissez déjà, à savoir que la sécularisation du monde développe la découverte d’une nécessaire solidarité des peuples. Grâce aux mass-media, nous sentons que l’humanité entière est concernée par les décisions de Nixon ou de Brejnev et que le sort des pays pauvres pèse politiquement sur l’avenir des nations riches et réciproquement. Au mouvement centripète d’une charité inter-personnelle qui sauvait individuellement succède un mouvement centrifuge de justice universelle qui transformerait la collectivité. Quelle chance pour que la solidarité universelle à laquelle le Christ appelle les hommes soit enfin reconnue dans l’Eglise autrement qu’en pieuses élucubrations sur un au-delà plus féerique qu’eschatologique. Mais pas étonnant que la naissance de vocations à des ministères se développe au coeur d’une solidarité effective avec d’autres hommes avec refus d’être amené à briser ce partage de la condition humaine à quelque moment que ce soit. Cette rupture serait une mort à soi-même et aux autres.
Aujourd’hui, où les jeunes ont éprouvé combien il était difficile d’agir pour transformer la société, la solidarité effective vécue dans un engagement recul est le meilleur moyen de freiner l’évasion dans l’affectif pur ou dans la mystique désincarnée. Mais dans ces conditions il ne faut pas s’étonner que la maturation de nouvelles formes de ministères soit très lente et que les jeunes aient envers leurs éducateurs les mêmes exigences d’engagement qu’ils entendent bien avoir pour eux-mêmes. Finie la belle époque .où les responsables bénissaient de la rive ceux qui affrontaient le courant. De nos jours pour avoir droit à la parole, il faut commencer par partager les risques. Et c’est bien là ce que Jésus-Christ avait inauguré.
En Pratique ...
Je ne voudrais pas donner des conseils ni tirer des conclusions, car je n’ai pas l’expérience suffisante d’une action directe auprès des jeunes en recherche de vocation sacerdotale ou religieuse. Mais par déduction de la mentalité des jeunes et par intuition, je pense que si nous voulons favoriser l’éclosion de nouveaux ministères dans l’Eglise, il nous faut être attentif sur trois points.
1/ Il y a dans le monde une attente de témoignage de vie spirituelle authentique qui parlerait au monde moderne, à condition que cette expérience spirituelle ne paraisse pas désengagée.
2/ Il y a un besoin chez les chrétiens engagés de pouvoir réfléchir leur action à la lumière de la foi. Et cela en dépassant le "à quoi ça sert !" Nous sommes très courts pour rendre compte de notre foi avec suffisamment de cohérence. Certes l’action est indispensable, mais elle ne règle pas tout. Ne pas être doctrinaire ne signifie pas le rejet de l’intelligence.
3/ Je serais étonné que ceux qui sont susceptibles d’exercer des ministères dans l’Eglise puissent mûrir cet engagement sans l’aide d’une réelle communauté de partage. Partage qui mènerait un jour jusqu’au partage du souci de la Communauté chrétienne.
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Quant à nous, les quarante ans et plus, notre mission dans l’histoire de l’Eglise est sans doute d’aider ceux qui nous suivent à enfanter des formes neuves de vie de foi et de ministères, et cela sans savoir ce qu’elles seront. Rôle qui peut paraître ingrat à certains, mais qui est très important si nous voulons que nos cadets puissent rentrer normalement en dialogue avec toute la tradition chrétienne.
Georges CARPENTIER,
directeur adjoint du Centre National de l’Enseignement Religieux.