La session de Fontenay


LA SESSION NATIONALE POUR LES EDUCATEURS
AU SERVICE DES JEUNES EN FOYERS OU EN SEMINAIRES DE JEUNES

Fontenay-sous-Bois, 6-9 juillet 1972

Cette session voulait répondre à de multiplet demandes qui émanaient presque toutes des éducateurs, mais qui visaient deS objectifs très divers :

- besoin de faire le point sur la manière actuelle d’accompagner des jeunes qui envisagent le sacerdoce comme forme future de leur engagement,

- besoin de situer autrement la mission des séminaires et des foyers à l’intérieur d’une pastorale générale des vocations.

Les organisateurs ont essayé de répondre à cette double requête en proposant à la session le déroulement suivant :

1ère PARTIE : Les préoccupations pédagogiques

1/ Regard sur la vie des jeunes. La parole a été donnée à ces jeunes durant tout le second trimestre de l’année 1971/72 et pendant une session particulière qui les a réunis en mars 72 à Paris. Les conclusions de cette première session ont été portées à la connaissance de tous les éducateurs.

La parole a été proposée ensuite aux adultes, parents et professeurs et animateurs qui ont confronté leurs opinions et partagé leurs préoccupations et manières de faire.

Enfin une conférence de Monsieur de GENTIL BAICHIS permettait de ne pas perdre de vue les grands courants qui animent la jeunesse d’aujourd’hui et les grandes orientations pédagogiques qui s’en dégagent.

2/ Le regard du théologien, l’Abbé Bernard QUINOT, essayait, après cette première étape, de discerner les points chauds de nos échanges et les valeurs auxquelles, selon lui, il fallait tout particulièrement prêter attention.

2ème PARTIE : La mission des Foyers et des Séminaires dans la Pastorale générale des vocations

1/ Regard sur ce qui se fait
Une "table ronde" qui réunissait des témoins d’expériences très diverses permettait de prendre la mesure de notre diversité, voire même de nos oppositions ou de nos silences .

Les carrefours qui suivirent cette table ronde libérèrent la parole des participants. Les arêtes d’une recherche se dessinèrent, mais aussi les regrets apparurent : difficultés de trouver une orientation commune, sentiment que l’on ne pouvait pas aller jusqu’au bout de nos analyses et recherches ...

2/ L’intervention du théologien
C’est dans une ambiance de prière que Bernard QUINOT nous permit de faire le point et de relancer notre recherche en lui assignant quelques objectifs précis.

LE CONTENU DE LA SESSION

I - CE QUE LES EDUCATEURS SE SONT DIT

A/ La reconnaissance de leurs limites

Ce sont d’abord les limites de l’organisation elle-même ou de la méthode : "nous n’avons pas reconnu les jeunes que nous connaissons à travers la présentation qui nous a été faite ..."
Ce sont aussi les limites de nos habitudes de travail ... "Nous n’avons pas su nous dire quelle était la vie des jeunes que nous connaissions ..." "Nous avons eu du mal à accueillir cette vie des jeunes et à la prendre comme point d’appui de nos réflexions ... très vite on repartait sur nos problèmes d’éducateurs ..."

Enfin, il y a eu peut-être plus important encore : "Nous avons eu peur de notre peur. Nous voulions sans doute nous réconforter les uns les autres, ne pas alourdir la charge des copains ..."
"Je n’ai pas dit mes vrais problèmes : angoisse devant l’Eglise qui a l’air de mourir, devant un clergé squelettique qui n’engendre plus, devant l’avenir d’une maison qui me semble condamnée ..."

B/ Les points d’accord

Les voici tels que Bernard QUINOT les a relevés :

1) Volonté de servir les Jeunes et de les aider à réaliser leur projet de vie. Pour aucun des participants il n’est apparu qu’il fallait sauver l’institution à tout prix. L’important pour tous est de mettre l’institution au service des jeunes.

2) Elargissement du regard, principalement sur les points suivants :

- servir les jeunes en les préparant aussi à d’autres ministères,

- élargir notre regard à ce que vivent les jeunes en dehors des institutions...

- ne pas limiter notre regard aux jeunes que nous connaissons ... c’est surtout Mr DE GENTIL BAICHIS qui nous a rendus sensibles à cela. Il est impossible de concevoir une pédagogie qui ne tienne pas compte des grandes aspirations du monde des jeunes ni de leur manière propre de sentir et de penser.

- prise de conscience des difficultés inhérentes à notre situation d’adultes et à notre appartenance à un milieu social particulier.

- nous ouvrir aux sciences humaines, accueillir les points de repère qu’elles nous proposent, nous ouvrir aux interrogations qu’elles nous posent.

3) Il ne suffit pas d’enseigner la foi mais d’en témoigner, seul mais surtout collectivement, en tant qu’équipe d’éducateurs. Est-ce que nous avons à transmettre un ensemble de vérités coulé dans un certain nombre de formules ? N’avons-nous pas plutôt à communiquer une expérience vivante, une expérience de vie avec Jésus-Christ, en Eglise et au coeur du monde ?

4) Adopter une attitude catéchuménale qui accepte les cheminements, qui respecte les découvertes avant d’imposer un engagement et permet une rencontre personnelle avec Jésus-Christ.

C/ Les tensions, les points de désaccord

1) Les critères d’admission
Ils sont très différents selon les régions, selon les situations géographiques, humaines ou chrétiennes des différents Foyers ou Séminaires. Cela paraît tout à fait légitime. Il reste cependant à chaque équipe d’éducateurs d’établir la cohérence de ses critères avec une réflexion théologique concernant l’Eglise d’aujourd’hui, les grandes orientations de l’épiscopat. Ce travail est toujours à reprendre. L’éventualité d’un nouveau type de vie ecclésiale qui donnerait leur place à une grande diversité de ministères renouvelle la manière d’apprécier les critères d’admission.

2) La manière de regarder la vie des jeunes
Ici aussi les tensions entre nous sont nombreuses. Les uns sont plus sensibles à l’influence de la scolarisation, d’autres attachent plus d’importance aux milieux d’origine, à la culture et à tout ce que ceci véhicule ... Ces divergences sont utiles à condition que les différents points de vue puissent se faire entendre et s’enrichir mutuellement.

3) Importance accordée à l’attention à la vie
Est-ce là une méthode pédagogique particulière, inventée par l’action catholique, valable dans certains cas seulement et suspecte en tous cas parce qu’elle risque de conduire à un rejet de la Révélation ? Ou bien peut-elle être considérée comme le point d’appui de toute notre pédagogie ?

II - LE POINT DE VUE DU THEOLOGIEN

Bernard QUINOT a repris certaines questions, implicites ou explicites, que nous nous étions posées en les éclairent de sa propre réflexion.

A/ L’attention à la vie
La meilleure façon de nous faire comprendre l’enjeu de cette question était de nous faire réfléchir sur la façon même dont nous étions en train de vivre la session.

  • Comment nous sommes-nous situés ? Comme les techniciens d’une certaine tâche ? ou comme des croyants en Jésus-Christ ? dans quel esprit avons-nous vécu ces trois jours : accueil, esprit d’écoute, d’échange ? Au coeur de ces attitudes humaines que nous avons eues, nous nous sommes ouverts ou fermés à l’Esprit du Seigneur, rendus plus ou moins disponibles.

  • Nous nous sommes constitués comme une Eglise face à son avenir. Comment avons-nous regardé cet avenir ? Comment évangélisons-nous notre peur de l’avenir ? notre situation de possédants dépossédés ?

    Sommes-nous persuadés que le Seigneur ouvre aux hommes un avenir, son avenir ? et que la dimension de notre foi en la Résurrection se répercute directement dans ce que nous venons de vivre pendant ces trois jours ?

    Nous savons que ce monde est travaillé par le soif du Royaume parce que le Seigneur en est devenu le pôle. Nous professons que l’Esprit, constamment, y appelle les hommes ; du coeur même de leur existence. Bien plus, nous savons, nous Eglise, que nous sommes envoyés à ce monde pour y être une Bonne Nouvelle. L’Evangile n’est pas derrière nous comme quelque chose que nous aurions à reproduire, mais il est constamment devant nous et doit prendre corps dans l’Eglise.

    En prenant conscience de la manière dont nous avons vécu ces trois jours et en acceptant de nous poser ces questions, nous comprenons un peu mieux que l’attention à la vie n’est pas une pédagogie parmi d’autres qu’il nous serait loisible de ne pas suivre. Si la vie est le lieu où le Corps du Seigneur est en train de prendre forme, faire attention à la vie c’est guetter le Seigneur sur les chemins qu’il prend nécessairement pour se manifester et pour se réaliser.

    Les textes du Concile de Vatican II et en particulier "Gaudium et Spes" ont pris l’attention à la vie comme un de leurs points d’ancrage et toute leur démarche serait faussée si on le refusait.

B/ La conception de l’Eglise
Bon nombre de nos divergences venaient aussi d’un désaccord plus profond sur notre manière d’envisager l’Eglise. Vatican II et, plus proche de nous, le rapport Coffy (Lourdes 1971) peuvent nous aider à faire le point. Le passage d’un type d’Eglise conçue comme une institution à une Eglise-communion-de-personnes entraîne beaucoup de conséquences que nous n’avons pas fini de mesurer. - Cf. Jean FRISQUE dans "Eglise vivante" 1971 : "L’institution ecclésiale de demain ne doit pas être créée de toutes pièces, elle existe en germe dans la vie vécue des chrétiens. Un tissu ecclésial nouveau doit naître, mais la matière brute est partout disponible. Apprendre à édifier l’Eglise c’est d’abord apprendre à la reconnaître. On se lamente sur le manque de vocations, mais pourquoi ne pas commencer par être à l’écoute de ce qui se passe réellement dans le peuple de Dieu ?"

III - LES QUESTIONS A CREUSER

Un bon nombre de questions demeurent, certaines d’entre elles ont reçu un éclairage nouveau, d’autres sont encore à étudier.

A/ Celles qui ont reçu un éclairage nouveau et qui se posent autrement

1) Les critères d’admission, au foyer ou au séminaire
Cette question se pose maintenant dans un ensemble plus vaste, à l’intérieur d’une pastorale des vocations. Si l’objectif c’est l’Eglise-communion-des-personnes qui est en train de se construire par le dynamisme de l’Esprit, la préoccupation sera d’accueillir et d’accompagner tous ceux qui envisagent un ministère au service de cette Eglise qui est elle-même diaconie.

2) La question de l’incroyance
Il arrive que des jeunes, même dans nos foyers ou séminaires, soient devenus, au moins pour un temps, incroyants ... Que faire avec eux ? Si la foi est une vie, donnée par Dieu mais qui se développe et qui a son histoire, on peut très bien admettre que cette vie ait des éclipses et qu’ elle passe par des brouillards. L’important est alors de ménager, à l’intérieur de nos maisons, des "espaces de liberté" où la foi pourra se dire avec des mots nouveaux et prendre un corps neuf. Il est important que les jeunes puissent prier Dieu avec leurs mots et pas seulement avec le langage que nous leur avons appris.

3) La pédagogie de la foi
Comment éduquer à la foi ? Cette question se trouve enrichie des échanges de toute cette session ... Le regard porté sur la vie des jeunes et l’approfondissement de notre connaissance de l’Eglise nous permet de donner un nouvel éclairage à cette question. Au temps où la foi était vécue surtout comme une fidélité à des valeurs morales, l’Eglise étant la gardienne de ces valeurs, la pédagogie de la foi consistait surtout à éduquer la générosité.

Au temps où la foi était vécue comme une référence constante à Dieu et comme la motivation de toutes nos actions, il s’agissait surtout pour l’éducateur de faire vivre pour Dieu tout ce que le jeune entreprenait.

Maintenant que la foi répond surtout à une recherche de sens et que l’Eglise apparaît comme le signe visible de Dieu parmi nous, le corps que le Seigneur est en train de se donner, la pédagogie de la foi devra s’inspirer de cette situation nouvelle et conduire le jeune à découvrir peu à peu le sens de ses actions et le but de se vie à la lumière d’une foi personnelle et au sein d’une Eglise qui est tout entière témoignage.

B/ Les questions qui restent en chantier

1) Un séminaire ou un foyer pour qui ?
Cette question peut s’expliciter de cette manière : que représente une vocation à être prêtre pour des jeunes de 11 à 15 ans ? Quelle attitude devons-nous avoir envers eux ? Très concrètement, comment traduire en positif cette affirmation : nous accueillons ceux qui ne disent pas non à la perspective du sacerdoce ?

2 ) Un séminaire ou un foyer pour quoi faire ?
Sommes-nous d’accord avec la perspective d’un séminaire ou d’un foyer qui base sa pédagogie de l’accompagnement des vocations sur l’éducation de la foi et de l’action apostolique ? Sommes-nous d’accord avec cette visée d’une préparation au ministère sacerdotal relié à toutes sortes de ministères ? (cf. Mgr MARTY, Lourdes 1971). Quelles conséquences en tirer pour notre action et pour la composition de notre équipe animatrice ?

3) Un séminaire comment ?
Quelle place notre institution tient-elle dans la pastorale d’ensemble d’éveil et d’accompagnement des vocations ? Comment les décisions pratiques que nous avons à prendre, à rechercher, à étudier, vont-elles refléter les orientations du Concile pour une Eglise-Communion à bâtir ?

Nous restons persuadés que des communautés permanentes demeurent fort utiles, pour ne pas dire indispensables, à l’éveil et au soutien des vocations de jeunes. Chaque jeune a besoin d’être reconnu dans son projet, accueilli et guidé. Ses intuitions doivent être vérifiées à l’intérieur d’une communauté dont la vie quotidienne exerce un véritable discernement si elle est elle-même évangélique. Enfin nous pensons que toute vie authentique d’intimité avec le Seigneur suppose et commande une vie apostolique faite de solidarité avec le monde et d’ouverture à quelqu’un d’autre.

Mais les modalités de cette vie en communauté restent fonction des questions nouvelles que nous rencontrons et des situations nouvelles que nous vivons. Avant qu’une session nationale nous réunisse à nouveau, il semble indispensable que les réponses aux questions qui demeurent soient confiées au travail régional.

Jean DUBREUCQ