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Accompagnement et vocations féminines
TEMOIGNAGE
Ce témoignage est l’histoire d’un cheminement. Avec beaucoup de clarté, d’aisance dans l’expression, de lucidité dans l’approfondissement de sa recherche, une jeune fille raconte comment elle a découvert les appels du Seigneur dans sa vie et comment elle a été aidée dans sa recherche.
On sera particulièrement attentif :
au caractère progressif de son évolution, à travers les étapes bien marquées d’un long cheminement ;
à l’enracinement de son projet dans sa vie humaine et apostolique ;
à l’importance des témoins adultes dans sa recherche ;
au rôle prépondérant du prêtre qui a accueilli sa première démarche ;
à l’ouverture aux autres, après un temps de recherche solitaire ;
au rôle spécifique du groupe de recherche.
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I - QUI SUIS-JE ?
- J’ai 26 ans. J’ai grandi dans une famille chrétienne du monde indépendant.
Etudes de mathématiques à X... pendant 4 ans, que ni moi, ni mes parents n’avons considérées comme une façon de passer intelligemment son temps, ou de trouver un mari, mais comme une préparation à l’exercice d’une profession effective : ce qui explique en partie l’importance de mon travail dans mon projet.
J’ai enseigné un an à Y…
Depuis 3 ans et demi, je travaille dans une équipe de chercheurs et de techniciens.
II - MON CHEMINEMENT ’
Je distinguerai trois étapes vécues successivement, mais sans transition très .nette, sauf peut-être pour la dernière.
a) La première étape recouvre, les années 64 à 67, et la caractéristique essentielle est que je l’ai vécue comme une recherche solitaire en relation seule à seule avec Dieu.
- C’est donc vers 64-65 que j’ai pris conscience d’un appel à tout donner à ce Dieu que je ressentais alors comme Absolu, et pouvant suffire à combler une vie, sans toujours traduire cet appel comme une vie à la suite du Christ.
Il me semblait que répondre à cet appel était plus important que tout le reste, et en même temps j’éprouvais une certaine peur, et un mouvement de recul, ce qui correspondait de plus aux difficultés d’adaptation à la vie de la fac.
Ces trois années ont aussi été pour moi une période d’observation de l’extérieur des prêtres et des religieuses que je rencontrais, pour essayer de percer leur secret.
J’étais aussi engagée dans la communauté catholique des étudiants, mais cela était sans lien explicite avec mon projet de vie consacrée.
b) La deuxième étape qui a été marquée par :
l’insertion de mon projet dans la totalité de ma vie ;
l’enracinement de mon projet dans la vie du monde et de l’Eglise se situe entre 67 et 71 et on peut encore y distinguer deux périodes :
La première période, c’est l’année scolaire 67-68, au cours de laquelle j’ai enseigné à Y…
C’était
- la rupture avec la fac et la vie étudiante ;
l’entrée dans un monde enseignant très refermé sur. lui-même et dans lequel j’étais paumée,
l’affrontement seule aux élèves.
Je vivais, au milieu d’un tas de gens qui m’entouraient, une grande solitude dans mon travail et aussi dans ma foi.
C’est au cours de cette année là, que j’ai pénétré :un peu plus la spiritualité du Père-de Foucauld, que j’ai découvert l’expérience de la vie intérieure et de la prière.
Et parce que je souffrais de la solitude, j’ai compris que ma vie et ma foi ne pouvaient avoir de sens que dans le partage et dans l’ouverture toujours plus grande au monde et en particulier aux différents milieux auxquels j’étais liée.
La première conséquence : c’est que j’ai ressenti le besoin de faire partager ma recherche à quelqu’un dans l’Eglise. C’est donc à un prêtre avec lequel j’avais vécu des activités apostoliques que j’ai pour la première, fois confié mon projet de vie consacrée.
Cela a été le début d’un très long dialogue, le plus souvent irrégulier, mais qui dure toujours.
Deuxième période : cette ouverture aux autres, que .j’avais ressentie comme essentielle à ma vie, je l’ai vécue le plus intensément, au cours des années 68 à 71, ce qui ne veut pas dire que maintenant, je n’essaie plus de la vivre...
Je l’ai .d’abord vécue au cours des mois d’explosion de Mai-Juin 68, qui m’ont aidée à sortir de mon univers un peu trop clos. Cela s’est concrétisé par :
l’attention au monde des immigrés, à l’alphabétisation, par séjours en Algérie, sensibilisation des français ;
la nécessité de comprendre les mécanismes économiques et politiques qui mènent le monde : étude sciences économiques le soir, dimension internationale ;
l’intensification de mes liens avec les gens du labo. C’est là que j’ai découvert, dans le concret de la vie de tous les jours, l’unité fondamentale de ma vie et sa continuité.
C’est la découverte au coeur de mon travail de cette unité qui a enraciné en moi la conviction que si consécration religieuse il devait y avoir, .ce serait toute ma vie-qui serait consacrée, et pas seulement la part des activités dites" "apostoliques".
Il n’empêche que ces années ont été également l’occasion de vivre un peu plus intensément mon insertion dans l’Eglise :
- au catéchuménat,
- dans quelques efforts pour participer à la vie paroissiale,
- dans les fraternités du Père de Foucauld.
Avant d’arriver à la 3ême étape, que je vis depuis une année environ, je voudrais essayer de dire comment les laïcs, les religieuses et les prêtres que j’ai rencontrés de 67 à 71 m’ont aidés à discerner les aspects essentiels de ma vocation.
- En ce qui concerne les laïcs, comme je viens de l’expliquer, j’ai été très marquée par ce que je vivais au labo. C’est dans ce que j’ai découvert là, que s’enracine mon projet. Une chose très importante a aussi été ma participation aux fraternités, car j’ai vu là des gens vivre sur des modes très différents, mais jusqu’au bout les exigences de l’Evangile.
- En ce qui concerne les prêtres et les religieuses, je sépare en deux cas :
- le prêtre qui m’a aidée spécifiquement pour la recherche que je menais ;
- les prêtres et les religieuses que je rencontrais, soit à titre amical, soit dans une "activité" d’Eglise, soit les deux...
- le prêtre qui m’a aidée spécifiquement pour la recherche que je menais ;
Dans ce que je vais dire, au sujet des échanges avec le prêtre qui a accueilli le premier ma démarche, j’ai essayé de dégager les éléments qui ne me semblent pas trop liés à ma personnalité, ou à la sienne, mais être essentiels pour toutes les démarches.
Le plus important a été le respect total de ce que je suis qui s’est manifesté par :
- la considération de la totalité de ma vie, de mon histoire, de mon enracinement, de mes pôles d’activités et pas seulement de mon projet pris comme quelque chose se suffisant à soi-même ;
- une liberté pleine et totale : c’est toujours moi qui avais l’initiative des étapes à franchir ;
- une liberté vraie, car elle me renvoyait à mes responsabilités de chrétienne ;
- une liberté difficile à vivre pour l’un comme pour l’autre, garantie de l’authenticité de ma démarche.
Un autre point a été :
- une patience à toute épreuve durant ces années, pas une patience passive, mais agissante :
- soit pour dédramatiser dans les moments difficiles, dans les moments de lutte, me renvoyant alors aux questions fondamentales,
- soit pour me stimuler dans les moments de stagnation, me renvoyant encore vers les autres...
Mais je n’ai pu vivre cette patience comme quelque chose de formidable que parce qu’à chaque instant je me suis sentie reconnue, acceptée, attendue, accueillie, ce que j’attribue en particulier à une certaine mémoire spirituelle exercée à mon égard, qui permettait au prêtre qui cherchait avec moi, de resituer l’instant présent dans toute mon histoire... sans que cela soit de l’inquisition...
Une dernière chose dans les éléments saisis au fur et à mesure de nos rencontres : Pendant quatre ans, ce prêtre a représenté pour moi l’Eglise, reconnaissant ma démarche, l’insérant dans l’histoire de l’Eglise, pour ne pas en faire une chose personnelle, mais la participation au cheminement d’un peuple.
Il est plus difficile pour moi, de définir ce que les autres prêtres que j’ai rencontrés, et les religieuses m’ont apporté, car c’est moins ponctuel, mais je distingue cependant deux choses essentielles :
- c’est eux qui m’ont montré qu’une vie toute donnée à Dieu peut être épanouie et intégrer des aspects essentiels de la vie, comme l’amitié, la détente…
- Par leur façon d’assumer leur célibat, ils ont été pour moi une aide ou un obstacle pour vivre une certaine maîtrise de mon affectivité, ce qui à priori n’est pas évident.
- Par leur vie gratuitement donnée, ils m’ont montré comme on peut vivre l’amour gratuit de Dieu au coeur d’un monde qui ne vit que de rentabilité.
Voilà un peu ce que j’ai découvert pendant ces 4 années.
c) Troisième étape : où j’en suis actuellement.
Depuis un an, à peu près, je suis entrée dans une phase "d’officialisation de ma démarche".
D’abord, j’ai dit ma recherche à des prêtres, à des religieuses et à des laïcs, qui étaient prêts à l’accueillir.
Puis, j’ai éprouvé le besoin de mener cette recherche avec d’autres qui ont le même projet que moi. C’est pourquoi je participe aux groupes de recherche depuis septembre.
Enfin, j’ai eu l’occasion récemment de dire ma recherche à des personnes qui étaient plus "étrangères" à cette démarche.
Je vis cette 3ème phase comme quelque chose de très important, mais de difficile, dans laquelle j’ai besoin du secours de toute l’Eglise. Pour moi, c’est une véritable Pâque, mort à moi-même, pour vivre la libération.
III - LE ROLE DES GROUPES DE RECHERCHE DANS MA VIE.
Ce partage avec d’autres filles, qui ont le même projet :
m’ouvre à des cheminements et à des vocations très différentes de la mienne. Je vis là, la pluralité des appels dans l’Eglise et dans le Monde, et cela m’interpelle très fort.
ne m’enferme pas dans mes problèmes, mais me renvoie à la vie quotidienne. "Il faut vivre entre deux rencontres".
me permet d’envisager concrètement l’incarnation de mon projet, pour ne pas rester dans le rêve ;
et puis, je le redis, car j’ai du mal à le vivre, m’insère dans l’Eglise "institutionnelle", avec les structures de la vie religieuse.
IV - MES PROJETS
Je ne sais pas si cela est apparu assez nettement, dans ce que je viens de dire, mais, actuellement plusieurs choses me paraissent essentielles à vivre, pour moi, dans quelque état que ce soit :
toujours chercher à connaître la Vérité sur le Monde et sur la Vie ;
ne pas s’installer : remise en cause de moi-même par les autres ;
faire partager à ceux qui m’entourent ce que je sais, ce que je découvre, ce que je possède.
(éventuellement au sens large : dimension internationale par exemple)
et avec beaucoup d’autres, aller plus loin : agir, travailler ensemble, dans tous les domaines : vie en équipe.
Et puis, une dernière chose qui "coiffe" le tout pour ainsi dire ; c’est que je voudrais que les actes que je pose, en particulier dans mon projet de vie consacrée, puissent être compris par le maximum de gens pour que le signe soit "signifiant".
Voilà où j’en suis. Il me semble que je pourrais résumer ce que j’essaie de vivre actuellement en deux phrases :
continuer à vivre totalement et normalement ma vie de laïque dans le monde et dans l’Eglise ;
rechercher une forme de vie consacrée qui intègre les trois éléments indiqués ci-dessus.
Ce témoignage a été donné au cours d’une rencontre d’éducateurs, dans la région parisienne en mai 1972. L’ensemble de la recherche a été consigné dans un document d’une soixantaine de pages entièrement consacré aux Vocations féminines. Ce dossier constitue un élément précieux de réflexion sur le cheminement des jeunes filles de tous milieux qui pensent à la vie consacrée. Au sommaire : Ce dossier peut être commandé au C.N.V., 106 rue du Bac, Paris 7e. |