Pour une pastorale des vocations inventive


Les évêques français, au cours de leur assemblée plénière de Lourdes 71, ont mis au point, voté et promulgué un document sur "l’esprit, le sens et les moyens d’une pastorale des vocations".

Il est normal que cette déclaration soit publiée dans le dossier "Jeunes et Vocations", que nous en prenions connaissance, et si possible, que nous en fassions une étude approfondie.

En effet, une lecture superficielle ne permettrait pas de saisir toute la portée de ce texte, d’en percevoir les lignes de force, et en définitive, d’en tirer des convictions susceptibles d’orienter notre travail.

D’aucuns reprocheront à ce document de n’être ni prospectif ni audacieux. Et il est loisible à chacun de penser que la déclaration épiscopale rassemble et authentifie des convictions et des réalisations actuelles, plus qu’elle n’ouvre des voies nouvelles. Mais une telle réaction deviendrait puérile si elle donnait à penser que les orientations du document sont périmées ou inutiles, alors même qu’on ne les trouve pas encore vécues dans nombre de diocèses. Ainsi en est-il de l’accompagnement des jeunes qui ont un projet du sacerdoce ou de la vie religieuse, (pages 7 et 8 ; 12, 13 et 14). Cette déclaration nous rappelle :

- la nécessité d’une pastorale d’accompagnement,

- le rôle majeur des diverses communautés chrétiennes dans cette pastorale,

- l’importance de rencontres et de groupements spécifiques.

Au plan de la pédagogie, le document souligne avec force la nécessité de "rejoindre les jeunes là où ils vivent " (pages 12-14). Il insiste, avant tout, sur la qualité de l’accompagnement, quels que soient les modes particuliers de cheminement..

Le texte se démarque totalement d’une pratique pédagogique :

- qui s’efforcerait de protéger les jeunes du monde ambiant,

- qui les couperait des milieux de vie dans lesquels ils sont naturellement insérés,

- qui plaquerait artificiellement une doctrine et ne les aiderait pas à rencontrer Jésus-Christ à travers ce qu’ils vivent,

- qui sous-estimerait au profit de rencontres et de réflexions spécifiques, l’engagement dans la vie quotidienne et la nécessité de la ressaisir, de l’éclairer et de la célébrer dans la prière,

- qui serait l’oeuvre marginale d’un éducateur ou d’une communauté.

Tout cela s’est fait, se fait encore, et l’un des mérites du texte est de nous montrer qu’il y a autre chose à faire.

Toutefois, mon propos aujourd’hui est moins de commenter cette déclaration, que de prolonger et d’expliciter l’une de ses invitations majeures : la nécessité d’être inventifs dans la pastorale des vocations.

Cet appel à l’invention, à la créativité, à la recherche de nouvelles formes de ministères ou de vie religieuse, à de nouveaux modes de cheminement, retentit 19 fois dans le document des évêques.

"Il est indispensable à l’heure actuelle, disent-ils, de porter une grande attention aux manières nouvelles dont s’éveillent les vocations aux ministères et à la vie consacrée. A chaque grande période de l’histoire de l’Eglise, la naissance des vocations revêt des formes inattendues. L’Esprit du Christ agit dans la nouveauté."
(Document épiscopal, page 10).

Alors, peut-être faut-il y regarder de plus près ? Que signifie cet appel pour nous ? Quelles interpellations en découlent pour le service des vocations de jeunes ? En quoi peuvent-elles affecter notre travail ?
Les réflexions qui suivent voudraient apporter une contribution -bien modeste en l’occurrence à cet effort de renouveau qui est le nôtre à tous, compte tenu de nos charismes propres et de nos fonctions particulières (1)

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I - RECONNAITRE ET FAIRE CONNAITRE LES FORMES DEJA EXISTANTES DE RENOUVEAU

Mettre en oeuvre une pastorale des vocations inventive, c’est peut-être commencer par recenser soigneusement, reconnaître ensuite et faire connaître les recherches et réalisations actuelles qui portent déjà l’empreinte du renouveau.

L’Esprit-Saint aurait-il suspendu ses appels dans le monde de ce temps, et les chrétiens seraient-ils à ce point aveugles et fixistes que toute recherche et toute créativité auraient disparu dans le Peuple de Dieu ?

Nous ne pouvons admettre une telle hypothèse, même si les signes de renouveau font , cruellement défaut dans la platitude de certaines communautés traditionnelles. Accueillant dans la foi les signes de renouveau que nous parvenons à discerner, il nous faut d’abord nous demander : l’ensemble des prêtres, des religieux et des laïcs ont-ils suffisamment conscience que la pastorale des vocations n’est pas une oeuvre marginale mais une dimension de l’effort pastoral habituel, que notre préoccupation n’est pas de remplir les séminaires ou les noviciats, mais de nous mettre humblement au service de la mission de l’Eglise et des personnes qui ont à donner une réponse originale aux appels de Jésus-Christ ?

Connaissent-ils la diversité des cheminements actuels vers le ministère presbytéral ou la vie religieuse ? Sont-ils bien informés de la transformation des centres de formation et de leur pédagogie ? Se font-ils une idée précise de l’effort des mouvements apostoliques et de certaines aumôneries pour l’éveil et l’accomplissement des vocations ? Il s’en faut que tout cela - qui déjà est neuf - ait pénétré la conscience du peuple chrétien, à commencer par celle des prêtres.

Par ailleurs, on entend souvent dire : "Faisons éclater certaines images du prêtre et de la religieuse qui sont, au sens étymologique, in-signifiants pour des jeunes. Inventons de nouveaux types de prêtres, de nouvelles formes de vie religieuse, qui répondent mieux aux besoins actuels". Nous ne contestons pas l’opportunité de ces propos ; nous croyons au contraire à la nécessité et à l’urgence d’une recherche et d’une création en ce domaine.

Mais sommes-nous suffisamment attentifs et rendons-nous les autres attentifs aux nouveaux modes d’exercice du ministère sacerdotal et de présence religieuse qui existent déjà ? Ainsi je pense à cette relation radicalement nouvelle qui est celle des aumôniers de lycée avec les jeunes scolaires en lien avec des parents de plus en plus actifs et responsables, à l’engagement professionnel de certains prêtres profondément insérés dans le monde du travail et en contact direct et permanent avec les incroyants, à la création d’équipes sacerdotales et de comités d’évangélisation dans les secteurs pastoraux, aux nouveaux modes de présence, de partage, et de vie fraternelle des communautés religieuses etc.

"On assiste à de remarquables efforts de recherche et de rénovation dans les structures pastorales, dans les instituts de vie consacrée, dans les centres de formation... on voit s’éveiller des façons nouvelles de servir l’Eglise ... La pastorale des vocations doit tenir compte de ces données. Des réalisations existent déjà qu’il faut faire connaître et favoriser." (Document, pages 9, 10, 13).

II - ECOUTER ET ACCUEILLIR LES REQUETES DE CEUX QUI FORMENT UN PROJET DE VIE SACERDOTALE OU RELIGIEUSE.

Ouvrir des voies nouvelles à une pastorale des vocations, c’est aussi nous mettre à l’écoute des hommes et des femmes, des jeunes et des adultes qui aujourd’hui s’interrogent sur l’éventualité du ministère presbytéral ou diaconal ou de la vie religieuse et s’y préparent.

Certes, leurs aspirations sont parfais marquées par l’imprécision, l’idéalisme, les aléas d’une recherche. Et pourtant, qui pourrait nier que la nouvelle génération, avec ses problèmes propres, ses modes particuliers d’expression, sa nouvelle problématique et son nouveau langage de la foi, est appelée à prendre une part importante, voire décisive, dans le renouveau de l’Eglise. Des signes sont là et nous invitent à nous interroger.

"La nouveauté, nous la percevons aujourd’hui à certains signes, par exemple chez ces jeunes qui se posent franchement la question d’être prêtres ou religieux. Pourquoi ces chrétiens ont-ils un projet de vocation ? Quelles sont leurs motivations ? Par quelles médiations ont-ils entendu l’appel de Dieu ? A quoi sont-ils sensibles ? A partir de là peut-être élaborée une pastorale pour notre temps".
(Document, page 10).

En fait, en dépit des bonnes intentions et des déclarations de principe, les interpellations des candidats au sacerdoce ou à la vie religieuse n’ont guère dépassé jusqu’à aujourd’hui le cercle étroit des quelques éducateurs qui les connaissent, les accompagnent, et donc peuvent entendre et accueillir leurs questions. Leur voix trouve peu d’échos. Bien sûr, une véritable attention réclame un discernement, et nous savons tous combien il est difficile d’accueillir en discernant avec objectivité et loyauté,.. Ne sommes nous pas tentés d’accueillir ce qu’ils sont, ce qu’ils vivent, ce qu’ils projettent en référence à ce que nous sommes, ce que nous vivons, ce que nous projetons nous-mêmes ? ...

Cette attention portée aux requêtes des jeunes est difficile., car elle risque de remettre en cause nos schèmes de pensée et nos habitudes. Or, changer nous est douloureux. Bien plus, nous nous défendons mal de la tentation de faire passer les jeunes par nos propres chemins, y compris lorsque nous parlons de renouveau sacerdotal : voyons-nous dans ce renouveau une solution à des problèmes personnels ou une exigence de la mission de l’Eglise ?

Par ailleurs, ce n’est pas une tâche aisée pour les responsables de la pastorale et les supérieurs de congrégations de remettre en cause les structures existantes pour offrir aux jeunes les conditions les meilleures pour un engagement, et la possibilité d’être, de vivre, d’agir de façon nouvelle en réponse à des besoins nouveaux.

Le risque est grand d’attendre impatiemment les ordinations ou les professions religieuses pour combler les vides, pourvoir les postes traditionnels, compte tenu des diverses pressions qui ne manquent pas de s’exercer.

Comment y aurait-il toutefois renouveau des ministères et de la vie religieuse, si la rencontre de l’offre et de la demande devenait impossible ? Et n’est-ce pas d’abord à ceux qui connaissent les jeunes et les adultes formant un projet : de vie sacerdotale ou religieuse de leur permettre de faire entendre leur voix et de partager les risques de leur engagement ?

Mais il y a aussi les autres :

- ceux qui sont prêts à chercher et à vivre d’autres ministères, en réponse à des appels qu’ils perçoivent,

- ceux qui ne se révèlent pas, ceux qui semblent avancer un moment vers le sacerdoce ou la vie religieuse et puis disparaissent, par des voies diverses, souvent très discrètement. Sait-on qu’ils existent. Ils ont peut-être aussi quelque chose à nous dire. Sommes-nous prêts à les entendre et à nous laisser interpeller par eux ?

L’expérience prouve qu’en certains conseils épiscopaux, en certains conseils presbytéraux, en certaines réunions de prêtres, de religieux ou de laïcs, lors de certaines émissions de télévision, la voix des jeunes, d’une manière ou d’une autre, surprend, interpelle, bref a de l’impact.

Après la récente émission de télévision "plein cadre", j’ai entendu un religieux dire : "ce ne sont pas les jeunes qu’il faudrait interroger ; ils n’ont pas encore assez de vertèbres, ils rêvent trop, ils apportent des solutions peu réfléchies à des problèmes complexes, et c’est facile de parler de ce qu’on ne voit pas". Nous ne pouvons pas être d’accord : s’il faut écouter la voix des adultes, prêtres et laïcs, s’il faut écouter la voix des jeunes de façon "critique" au sens le plus noble du terme, il n’en est pas moins vrai qu’ils ont droit à la parole et que nous avons à apprendre quelque chose de leur part.

Il est des voix qu’il faut savoir orchestrer, des lieux où ces voix doivent retentir. Pourquoi l’Esprit-Saint ne parlerait-il pas à travers la voix de ces jeunes pour nous pousser à reconnaître ou à ouvrir des chemins nouveaux ?

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III - SUSCITER DES COMMUNAUTES VIVANTES OU EST VECUE LA COMPLEMENTARITE DES VOCATIONS.

"L’espérance chrétienne n’est pas optimisme naïf" (texte des évêques). Aussi, nous ne pouvons plus espérer que des vocations s’éveilleront aujourd’hui comme elles s’éveillaient hier en un contexte sociologique de chrétienté. En un sens, ce n’est même pas souhaitable. D’autre part, elle est finie l’époque du "recrutement", sous quelque forme que ce soit, et il en est de bien déguisées...

C’est là où naît et grandit l’Eglise, que naissent et grandissent les vocations. La pastorale des vocations ne sera inventive qu’en relation avec le dynamisme créateur d’une Eglise vivante, au sein d’une pastorale soucieuse d’évangélisation.

Dans notre monde sécularisé, l’Eglise vit dans une situation de diaspora. Aujourd’hui surtout, la médiation des appels de Dieu ne peut s’exercer qu’à travers le dynamisme missionnaire des communautés, là où le ferment de l’Evangile réagit dans le monde, là où les cellules vivantes d’Eglise affrontent le contact avec l’incroyance.

Quoiqu’on en dise, de telles communautés existent déjà. L’Eglise y naît humblement au coeur des réalités humaines, des ministères divers y sont vécus, des vocations s’y éveillent. Je pense, bien sûr, à ce secteur pastoral de Behren, qui nous a été présenté lors de la session de Metz en juillet 71, mais aussi, par delà, à telles familles au sens missionnaire particulièrement aigu, a bien des équipes de mouvements apostoliques, à certaines aumôneries de lycée dans le contexte difficile d’un monde scalaire très politisé.

Sans chercher plus loin, lisons dans cette perspective l’article ci-après intitulé "le dynamisme d’un cheminement". "C’est la participation active en J.O.C.-A.C.O. qui prioritairement permet à un jeune du monde ouvrier d’expérimenter de l’intérieur ce que doit être une vie d’apôtre laïc, vivant et annonçant Jésus-Christ dans le dynamisme du mouvement ouvrier, parce qu’il est membre d’une Eglise qui n’est pas à coté de ce monde… C’est au sein de l’expérience ecclésiale qu’il mûrit son projet de sacerdoce, au fil d’une action apostolique vécue en communion prêtres et laïcs..."

Ce sont de telles expériences qui .permettant aux évêques d:affirmer :

"Comme lieux et conditions privilégiés de l’éveil, nous relèverons particulièrement le témoignage du Travail pastoral mené en commun par les prêtres, les religieux, et les laïcs. Un tel travail permet à ceux qui y participent, non pas toujours de définir leur propre vocation mais de la vivre en acte avec ce qu’elle a d’original et- de complémentaire par rapport à celle des autres… Il est un appel vivant adressé aux chrétiens à découvrir leur vocation propre." (page 11).

Lorsque l’Eglise est vivants,, elle est source de créativité. Et s’il y a créativité, il y a séduction.

IV - PROMOUVOIR DE NOUVEAUX MINISTERES DANS L’EGLISE.

La question est à l’ordre du jour... A côté des ministères par ordination, exercés par les évêques, les prêtres et les diacres, il en est d’autres qu’exercent, en fait, des laïcs au titre de leur baptême, et reconnus par la communauté (2).

Des ministères nouveaux apparaissent, tant pour l’animation des communautés que pour leur mission d’évangélisation. Combien il serait souhaitable dans les diocèses, d’identifier ces façons nouvelles de servir l’Eglise et de les faire connaître !

Les évêques nous y invitent : " nous sommes conscients qu’il faut diversifier les tâches et les responsabilités apostoliques, en reconnaissant des fonctions exercées de plein droit par des religieux, religieuses et des laïcs, hommes ou femmes." (Document, page 4).

Mais n’est-il pas aussi, dans un monde nouveau, des besoins nouveaux qui nous appellent à créer de nouveaux ministères : recherche d’un nouveau langage de la foi, fondation de l’Eglise dans les nouveaux centres urbains, animation des communautés pré-catéchuménales, accueil des migrants etc.

Dans la mesure où nous percevons ces appels à la reconnaissance et à l’invention de nouveaux ministères, le texte de Lourdes peut nous paraître court. En effet, d’entrée de jeu , il annonce "qu’il parlera uniquement des vocations aux ministères presbytéral et diaconal et à la vie consacrée.". Il s’en défend en précisant que "l’objectif de son message est bien limité."

Certes, il était impensable qu’un tel document entreprenne toute une étude sur l’ensemble des ministères, au demeurant si nombreux .et si divers. On ne peut traiter de tout à la fois, sous peine de ne rien approfondir. Par ailleurs, une réflexion centrée sur la pastorale des vocations aux ministères presbytéral et diaconal et à la vie consacrée peut s’avérer, dans la conjoncture présente, non seulement légitime mais franchement souhaitable.

Mais - et c’est là tout le problème - peut-on, aujourd’hui encore, situer et mettre en oeuvre une pastorale des vocations sacerdotales et religieuses en marge d’une pastorale plus ample des vocations aux ministères ? Cela ne nous paraît pas possible. Dans le prolongement de ce document qui visait un objectif précis, limité, opportun, il s’agit pour .nous :

- de participer à cette recherche que tous nous estimons nécessaire et à laquelle beaucoup sont attelés,

- de chercher, dans l’esprit du texte de Lourdes, en quoi l’existence, la reconnaissance et la création de nouveaux ministères interpelle et peut infléchir une pastorale des vocations au ministère presbytéral et diaconal et à la vie consacrée. Deux exemples à titre d’illustration :

  • Le premier concerne le ministère presbytéral dans le Peuple de Dieu. Nul doute que l’image du prêtre, de sa mission dans le monde, se trouve sensiblement transformée, revalorisée, et devient plus attractive, dans l’a mesure où il ne monopolise pas les tâches ministérielles mais exerce son ministère propre d’unité et de lien avec l’Eglise universelle au milieu et au service de chrétiens actifs, remplissant des tâches diverses, au coeur d’une même mission d’évangélisation.

  • Le deuxième exemple concerne l’accompagnement des jeunes en recherche. Jusqu’à présent, la pastorale d’accompagnement - du moins au sens usuel du terme - est au service des jeunes qui forment plus ou moins explicitement un projet de vie sacerdotale ou religieuse. Ne faudrait-il pas élargir cette perspective, et mettre en oeuvre, sous des modes qui resteraient à déterminer, une pastorale d’accompagnement susceptible d’aider tous les jeunes et aussi tous les adultes qui s’offrent pour un service d’Eglise, quel qu’il soit ? Voilà une perspective qui change tout...

D’ailleurs, le. texte épiscopal ne nous y invite-t-il pas en affirmant :

"La pastorale des vocations comporte aussi la responsabilité d’accompagner les enfants, les jeunes gens et les jeunes filles, les hommes et les femmes qui se posent la question d’une vocation EN VUE DE SERVIR L’EGLISE." (page 7)

Faut-il rappeler qu’une telle ouverture est parfaitement compatible avec des rencontres ou des communautés plus spécifiques, en fonction de projets plus précis, durant la période de recherche, et à fortiori pendant le temps de formation à tel ministère particulier.

Il reste que cette recherche, à laquelle il nous faut participer, ne manquera pas d’avoir de profondes répercussions sur la manière de concevoir et de mettre en oeuvre la pastorale des vocations au cours des prochaines années.

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V - PASSER D’UNE PASTORALE D’ACCUEIL A UNE PASTORALE D’INTERPELLATION

Y aurait-il beaucoup de permanents laïcs dans l’Eglise, si personne ne leur avait demandé d’accepter l’animation de tel mouvement ou de remplir telle tâche apostolique ? Combien de chrétiens - laïcs, religieux, religieuses - assureraient la catéchèse dans les quartiers, organiseraient des cercles de parents, prendraient des responsabilités à l’aumônerie de lycée, animeraient les assemblées liturgiques, si un jour un aumônier, un responsable de communauté ou un ami ne leur avait pas proposé semblable mission ?

"Dans le secteur scolaire de X, dans la banlieue parisienne, vingt et un groupes de catéchistes de quartier ont été constitués, parce qu’on a aidé les parents à éliminer leurs objections théoriques ou pratiques. Sans les forcer, sans trop de chantage, on les a aidés à découvrir qu’en fait, ils en étaient capables (témoignage d’une responsable laïque).

"Serais-je devenu pasteur, si personne ne m’en avait parlé ? " se demandait récemment le pasteur APPIAS, Que de prêtres pourraient parler comme lui !

Pourquoi cette pastorale d’appel ne serait—elle pas plus largement pratiquée dans l’Eglise par divers membres du Peuple de Dieu, à commencer par les évêques qui sont les premiers responsables de la mission ? -Pourquoi ne pas l’étendre à toutes les formes de ministère, sans en exclure aucune à priori ? (3)

Ainsi, pour l’ordination au diaconat permanent et au ministère presbytéral, on attend généralement en France que "les candidats" se présentent. Alors, on les accueille, et on les accompagne pour une recherche et une préparation. Va-t-on continuer de laisser certaines vocations ministérielles s’éveiller d’elles-mêmes, sans aucune forme d’intervention plus directe, en particulier auprès de certains adultes ? Pourquoi l’appel de Dieu, s’il peut retentir au coeur d’une conscience (Dieu choisit ses chemins) ne pourrait-il passer par cette interpellation d’une personne ou d’une communauté qui prend conscience des besoins d’un Peuple ? Qui ne voit le manque à .gagner pour le renouveau de l’Eglise à nous laisser enfermer dans une pastorale d’appel arbitrairement sélective ?

"Par crainte d’un certain esprit de recrutement ou par peur de l’avenir, on hésite à faire entendre certains appels. C’est la rôle d’une pastorale des vocations de rappeler cette nécessité de l’éveil sous-des formes diverses, y compris sous la forme de questions, de propositions, de suggestions adressées à quelqu’un, jeune ou adulte, même s’il n’y avait jamais songé. Bien sûr, toute forme de contrainte doit être évitée et une maturation est nécessaire pour un consentement libre. Mais n’est-ce pas le propre d’une pastorale d !être inventive, sans écarter à priori des voies nouvelles ?" (Document page 7).

N’avons-nous pas à redécouvrir que la vocation du chrétien se situe à la rencontre des besoins de la personne et des exigences de la mission ? N’avons-nous pas à redécouvrir que souvent, la vocation du chrétien se précise dans la mesure où, au coeur d’une expérience apostolique, il prend conscience des besoins d’un peuple ? N’est-ce pas pour cela que le Seigneur, avant d’appeler Moïse, prend soin de se révéler mais aussi de lui révéler "l’angoisse" et "la misère" de son Peuple ? ...

Paradoxalement, beaucoup de ceux qui refusent de s’engager eux-mêmes dans une pastorale d’interpellation la revendiquent aujourd’hui pour les autres, en parlant du choix et de l’appel des prêtres par les communautés.

Pour séduisante qu’elle soit, une telle perspective n’est pas sans poser des questions, et à divers niveaux :

- de l’appel lui-même (qui va choisir ? Quelles communautés ?)

- du discernement (à partir de quels critères humains et spirituels ?)

- de la formation (quel type de préparation ?)

- de la mission surtout (en vue de quel ministère ?).

Nous constatons que bien des communautés chrétiennes présentent un caractère provisoire dans un monde marqué par la mobilité. Nous savons que le prêtre a pour mission notamment d’être signe de l’Eglise universelle. Nous avons conscience qu’il est nécessaire de répondre aux besoins évolutifs de la mission. Aussi, l’ordination des membres d’une communauté exclusivement pour cette communauté paraît bien difficile.

Par contre, ne serait-il pas souhaitable, possible, urgent, de demander aux communautés de prendre une part active dans le choix des prêtres :

- pour déterminer le type de ministère dont elles ont besoin ;

- pour participer au repérage des hommes capables de l’exercer ;

- pour donner d’une manière consciente et réfléchie leur consentement.

Ce mode d’intervention aurait l’avantage d’attribuer au peuple chrétien une plus large place dans une pastorale d’interpellation. En l’exerçant, il prendrait conscience de façon expérimentale que "la pastorale des vocations est l’affaire du Peuple de Dieu." L’aspect ecclésial de la vocation y trouverait un nouveau relief, et les communautés apparaîtraient plus clairement dans leur rôle de. médiation des appels de Dieu.

Tout ceci invite à envisager sérieusement et en particulier auprès des jeunes adultes une pastorale d’interpellation. C’est un appel à éveiller les communautés et les chrétiens plus ou moins insouciants et attentistes à leurs responsabilités. Cette manière d’agir n’est pas exclusive d’autres formes d’accession aux ministères, en particulier de la part d’enfants, de jeunes ou d’adultes, qui se présentent pour remplir un service d’Eglise et qui ont besoin d’être aidés dans leur recherche. Dieu ne se laisse pas enfermer dans nos cadres.

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VI - IDENTIFIER ET HONORER LES BESOINS DES COMMUNAUTES

Où trouver les points d’appui privilégiés de cette pastorale d’interpellation ? Les modèles déjà existants ? Certes, leur influence subsiste, dans la mesure où les jeunes se reconnaissent dans les valeurs vécues par les adultes. Mais pour une pastorale d’appel, la simple référence à ce qui existe apparaît vite trop limitée, peu dynamisante, voire anti-pédagogique.

- trop limitée : puisqu’il s’agit en l’occurrence de susciter de nouveaux modes de service ;

- peu dynamisante : car la créativité n’y trouve guère son compte. Or l’homme moderne est plus l’homme de la recherche et du projet que de la mémoire.

- anti-pédagogique : attendu que bien souvent,, l’exemple des aînés ne semble pas particulièrement attractif pour les jeunes d’aujourd’hui.

Alors, pourquoi ne pas rechercher, aider à découvrir et orchestrer :

- les besoins de l’Eglise diocésaine et des Eglises locales ;

- les réponses qu’elles sollicitent ;

- les appels de Jésus-Christ au travers des appels de la mission ?

"Les communautés chrétiennes ont besoin de serviteurs tant pour leur animation que pour leur mission d’évangélisation... L’action inventive de l’Eglise doit porter sur sa manière globale d’être signe et servante du salut du monde. C’est à l’intérieur de cette perspective que sera abordée l’action pour les vocations aux ministères et à la vie consacrée." (Document, pages 4 et 5).

Ce désir d’identifier et d’honorer les besoins des communautés requiert, si l’on veut éviter un idéalisme dangereux, un certain nombre d’exigences :

  1. l’importance de rechercher et de présenter des modes de services suffisamment précis, capables de retenir l’attention de nos contemporains et de mobiliser leurs énergies. Les hommes de ce temps ne répondront que s’ils savent à quel type- de ministère ils sont appelés. (Cf. par exemple le cheminement des groupes de formation an monde ouvrier en lien avec un projet pastoral : la naissance et la croissance de l’Eglise en monde ouvrier.)

  2. la nécessité de découvrir les exigences réelles de la mission et non de simples besoins ressentis ou perçus à partir de réactions primesautières et passagères ; ce qui suppose une recherche prolongée et communautaire, en référence à l’expérience vécue, mais éclairée par une vision de foi et soutenue par une action éducative. Ce point revêt une extrême importance. Si l’on ne veut pas sombrer dans le pur subjectivisme, et voir l’Eglise amputée de fonctions et de dimensions essentielles, il est indispensable de rendre attentifs les chrétiens et les communautés à certains impératifs de la mission : par exemple, à la nécessité du ministère presbytéral pour signifier l’initiative de Dieu, à la consécration religieuse comme témoin du Royaume qui vient, à la présence des chrétiens dans les réalités humaines nouvelles ou les zones de contact et d’influence , à l’animation des communautés mais aussi la mission d’évangélisation, à la dimension universelle de l’Eglise etc.

  3. Le souci d’engager cette recherche à une échelle assez large : ainsi, il est évident que le regard porté sur une petite paroisse rurale est bien trop limité pour rejoindre la vie réelle des hommes, leurs relations diverses, leurs solidarités, leurs engagements...

  4. L’urgence de prendre des décisions et d’aboutir à des réalisations concrètes, Si la question des ministères et des besoins de la mission devenait un simple sujet de débat pour chambres de réflexion mais sans incidence pratique, sinon celle de satisfaire la démangeaison intellectuelle de certains esprits, de provoquer des élucubrations parfaitement irréalistes, voire de laisser aux autres le soin de faire les frais d’un engagement, alors l’attente des jeunes et de nombre d’adultes serait terriblement déçue et toute évolution de la pastorale des vocations rendue pratiquement impossible.

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N’attendons pas toutefois pour agir de vivre dans une Eglise idéale, ayant solutionné tous ses problèmes. Par définition, l’Eglise est un Peuple en marche, à la recherche de sa route. Lorsque les questions d’aujourd’hui seront résolues, d’autres auront surgi qui nous inviteront, nous ou ceux qui nous suivront, à de nouvelles recherches et à de nouveaux dépassements.

Jésus-Christ nous appelle à agir en fonction de la lumière du moment, avec les moyens limités qui sont les nôtres, là où nous vivons. Il n’a pas attendu que l’avenir soit clair et assuré pour appeler ses apôtres.

Que sera l’avenir ? Nul ne le sait. Mais nos réponses tâtonnantes de ce jour constituent une garantie de renouveau pour l’avenir. Ne nous réfugions pas dans l’attentisme, car c’est aujourd’hui qui prépare demain. Voici que l’Esprit du Christ bouscule nos routines et nos habitudes et nous provoque à un renouveau. N’est-ce pas lui qui, le premier, "fait toutes choses nouvelles ?"

J. RIGAL

NOTES -----------------------

(1) Par son contenu, cet article déborde les questions habituellement abordées dans "Jeunes et Vocations", à l’intention "des accompagnateurs". Nous pensons toutefois qu’il a sa place dans cette revue, parce qu’une pastorale d’accompagnement ne saurait être isolée d’une pastorale générale et que notre effort doit s’insérer dans une recherche commune et une action collective. [ Retour au Texte ]

(2) - Cf. Constitution conciliaire sur l’Eglise n° 30 ; décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise n° 15 ; déclaration finale de l’Assemblée plénière de l’épiscopat (Lourdes 71). [ Retour au Texte ]

(3) Il s’agit bien de ministères, c’est-à-dire de fonctions ecclésiales, ayant une portée communautaire reconnue par les responsables de la pastorale, et non de la consécration religieuse en tant qu’elle jaillit d’un charisme personnel à l’intérieur et au service du Peuple de Dieu. [ Retour au Texte ]