- accueil
- > Eglise et Vocations
- > 2004
- > n°113
- > Une année charnière pour l’Europe
- > Les débuts d’une collaboration européenne
Les débuts d’une collaboration européenne
ancien coordinateur du Service Européen des Vocations
ancien directeur du Service National des Vocations d’Allemagne
L’histoire des rencontres européennes remonte aux années quatre-vingt, lorsque les services nationaux francophones (France, Belgique et Suisse) ont commencé à travailler ensemble. L’animateur principal en était Pierre Donnet, du Centre Romand des Vocations. D’autres pays ont suivi et les rencontres se sont déroulées dans différentes villes européennes : Bruxelles (1993), Rome (1994), Allemagne (1995), Vienne (1996). Depuis 1994, des contacts ont été noués avec les organismes du Vatican et, en 1997, un Congrès Européen des Vocations s’est tenu à Rome : le document final, In Verbo tuo, est devenu la charte de la pastorale des vocations en Europe. Dans son paragraphe 29 était mentionné le souhait de la création d’un centre supra-national : « Le Congrès demande en outre que soit sérieusement prise en considération la constitution, pour l’Europe, d’un organisme ou centre unitaire supra-national de la pastorale des vocations, comme signe et expression concrète de communion et de partage, de coordination et d’échange d’expériences et de personnes entre les différentes Eglises nationales, tout en sauvegardant les particularités de chacune » (In Verbo tuo, § 29).
C’est ainsi qu’est né le Service Européen des Vocations. Le cardinal président du Conseil des Conférences Episcopales d’Europe (CCEE) a demandé au cardinal Laghi que Mgr Alois Kothgasser soit mandaté comme évêque délégué et que les services nationaux se donnent une structure légère pour coordonner la pastorale des vocations en Europe. Le coordinateur serait le directeur d’un des centres nationaux. Lors de la conférence de 1999, je fus élu pour trois ans.
Le service européen s’est agrandi et a choisi d’organiser ses rencontres annuelles le plus souvent dans les pays de l’ancien bloc communiste, afin de manifester sa volonté de mieux intégrer les pays d’Europe de l’Est. C’est ainsi que les rencontres ont eu lieu en Hongrie (1998), Slovénie (1999), Autriche (2000), Irlande (2001), Bosnie (2002) et Pologne (2003). Des statuts ont été rédigés et approuvés ad experimentum pour trois ans par le CCEE.
En 2002, nous avons pu, avec sœur Hélène Daccord, participer au Congrès nord-américain des Vocations à Montréal. Dans ce congrès, nous avons découvert plus clairement combien la situation des vocations en Europe se distingue (malgré certaines ressemblances) de celle des Etats-Unis et du Canada :
• nous avons de nombreuses nations de langue et de culture diverses ;
• notre société se développe selon des modes différents ;
• la position de l’Eglise est très différente dans les diverses nations ;
• le climat vocationnel est très différent d’un pays à l’autre.
Déjà en 2002, dans une réflexion fondamentale, lors de notre conférence de Sarajevo, nous avions cherché à définir quelques points majeurs de la pastorale des vocations en Europe. J’avais alors indiqué cinq points que je rappelle ici :
• l’orientation à donner à l’Eglise en Europe ;
• l’auto-évangélisation comme point de départ ;
• un processus d’humanisation comme chemin de vie à parcourir ;
• un concept ouvert de la vocation : tous sont appelés ;
• une attention particulière à la vocation au ministère ordonné et à la vie consacrée.
Aujourd’hui, je voudrais donner des indications plus claires sur la problématique et les tâches qui incombent à la pastorale des vocations. Elles découlent de mon travail au Service Européen des Vocations et de mon activité en Allemagne. J’utilise le concept de « pastorale vocationnelle » dans un sens concret, pour parler d’une part des organismes qui s’impliquent dans ce service, en particulier les centres diocésains et nationaux de pastorale des vocations, d’autre part des personnes qui sont elles-mêmes en charge de cette pastorale à la demande des évêques ou des supérieurs religieux.
Le service des centres nationaux suppose l’évangélisation et la conduit vers son but. Si nous mettons en lien évangélisation et vocation, nous pouvons alors tracer une ligne de conduite : l’évangélisation apporte à chaque homme les invitations suivantes :
• tu es aimé par Dieu de façon personnelle (vocation à être homme) ;
• tu es appelé à vivre en fils ou fille bien-aimé de Dieu ;
• tu es appelé à vivre en disciple du Christ ;
• tu es appelé à mettre ta vie au service de l’Evangile, pour être toi-même un témoin de l’Evangile et servir l’œuvre de salut des hommes.
Le but de l’évangélisation et de la pastorale en général est donc (chaque aspect étant lié aux autres) : être pleinement homme, être fils de Dieu, être disciple du Christ, être témoin et serviteur. Le but de la pastorale des vocations est, dans ce contexte concret, d’accompagner l’homme qui décide de mettre sa vie au service du Christ, pour qu’il trouve sa vocation propre et donc sa place de disciple selon l’appel de Dieu. Ce service est très beau et très important, bien que limité en raison de la situation concrète de l’Eglise en Europe.
Une situation problématique
En Europe, la pastorale des vocations se trouve dans une situation problématique.
• Dans les Eglises locales européennes, les chemins traditionnels du devenir chrétien ont perdu leur efficacité.
• L’Eglise en Europe n’est plus une Eglise qui évangélise et qui appelle. Dans une grande partie des états européens, la pastorale des vocations souffre d’un certain manque de clarté et d’épuisement chronique.
Dans ce contexte, émergent trois grands défis pour les responsables de la pastorale des vocations.
Le pêcheur : la recherche du trésor
La pastorale des vocations recherche le contact avec les jeunes, avec de jeunes chrétiens qui atteignent une telle profondeur qu’ils se demandent : « Seigneur, que veux-tu faire de moi, comment puis-je te servir ? » La pastorale des vocations aide ces jeunes en recherche à prendre une bonne décision. Dans une Eglise qui n’évangélise pas, ces jeunes sont de moins en moins nombreux et si difficiles à trouver, qu’il faut faire des efforts intenses pour les contacter et les connaître. Le responsable de la pastorale des vocations devient un animateur en pastorale et un promoteur des vocations. Mot-clé : pêcheur.
L’évangélisateur et le guide spirituel des jeunes
De fait, la pastorale des vocations est, pour une grande part, une espèce d’évangélisation des jeunes par les jeunes qui s’intéressent à la foi et à l’Eglise mais qui ne sont pas encore décidés à servir le Christ par toute leur vie. En même temps, la pastorale des vocations fait le lien entre cette pastorale des jeunes et l’espérance d’éveiller un intérêt pour l’appel au ministère ordonné et à la vie consacrée. Les chemins à parcourir sont longs. La recherche d’une vie particulière à la suite du Christ ne pourra être prise en compte par ces jeunes que lorsqu’ils auront suffisamment avancé dans le processus de réflexion sur leur être propre de chrétien. Ceci signifie que la pastorale des vocations est devenue elle-même, en fait, une pastorale des jeunes. Elle couvre donc un champ d’action énorme. En réalité, la grande majorité des jeunes est encore en situation catéchuménale. Malheureusement – et nous devons l’admettre – il y a des personnes qui se présentent motivées par le choix d’une « carrière » ecclésiale, alors même qu’elles ne sont pas pleinement évangélisées : c’est choisir un service, une forme de vie mais n’avoir pas encore répondu à l’appel à être chrétien. La question est tragique : nous avons des jeunes dans les séminaires ou les noviciats qui n’ont pas encore pris la décision personnelle de suivre le Christ. Et ceci n’est une bonne chose ni pour les jeunes, ni pour les séminaires ou les noviciats.
Le promoteur et le défenseur
Le troisième défi qui émerge de la situation que nous avons exposée à grands traits est que la pastorale des vocations doit se faire en quelque sorte l’avocat d’une Eglise qui évangélise et appelle. Les prêtres, les permanents en pastorale, les enseignants, les parents et tous les croyants doivent se rappeler qu’ils sont responsables de l’évangélisation mais aussi de l’appel aux vocations au ministère ordonné et à la vie consacrée. La pastorale des vocations doit faire un travail de publicité ; elle doit réaliser qu’elle ne peut faire plus par ses propres forces : par exemple, clarifier l’image du prêtre dans un paysage théologique où l’on discute beaucoup de la charge sacerdotale, ou bien s’occuper de la prière pour les vocations alors que beaucoup de fidèles ne savent plus prier. La pastorale des vocations devra rendre compréhensible le célibat des prêtres dans une société où cette question est âprement discutée. On pourrait dresser une liste interminable des tâches à accomplir par la pastorale des vocations. Tous les textes officiels énumèrent de semblables recommandations, mais ils feraient mieux de s’adresser à toute l’Eglise et non à la seule pastorale des vocations.
Nous comprenons rapidement que ces défis (le pêcheur, l’évangélisateur, l’avocat) sont trois champs d’opérations qui deviennent toujours plus vastes et exigeants. Ceci contraste pourtant avec le fait que la pastorale des vocations, dans de nombreux pays européens, dispose de peu de forces et, pire encore, se trouve souvent très pauvre du point de vue institutionnel. Concrètement, cela signifie que, dans de nombreux pays, la pastorale des vocations est isolée ou même marginalisée dans la vie de l’Eglise. Il y a de nombreux secteurs de la vie ecclésiale qui n’ont pas de perspective évangélisatrice ni de perspective vocationnelle. Dans de nombreux pays, il y a des responsables au niveau national et diocésain, mais pas d’interlocuteurs au niveau paroissial.
Par ailleurs, nous avons investi un grand potentiel, un grand capital dans la pastorale des vocations, un trésor – je l’ai expérimenté dans les différents pays – ce sont les personnes concrètes engagées dans la pastorale des vocations : les prêtres, les consacrés, les laïcs. Ce sont de merveilleux amis du Christ, sympathiques et engagés qui veulent transmettre aux jeunes cette vie d’amitié avec le Christ. Cela m’a fait souvent mal de les voir exercer ce service comme un « plus », comme un loisir, sans beaucoup d’aide ni de soutien, tandis que l’Eglise locale ou la communauté religieuse ne s’est pas encore mise en chemin pour évangéliser et appeler. Ces personnes sont en quelque sorte utilisées comme un alibi ou comme une excuse. C’est un péché.
Conclusion
La situation problématique de la pastorale des vocations dans l’avenir n’est pas près de changer. Nous avons néanmoins besoin d’un souffle plus large, d’une vision claire et d’une définition intelligente. Nous avons aussi besoin de collaborateurs et d’un réseau de soutien, en particulier d’être « en phase » avec l’évêque. C’est seulement avec lui que le vaste champ de l’évangélisation et des vocations pourra être labouré. Sinon pourrait apparaître le danger que les responsables de la pastorale des vocations – comme conséquence d’un affaiblissement chronique – soit restent frustrés ou tombent dans la résignation, soit partent à la dérive d’un découpage ou d’un « j’m’en foutisme » de la pastorale des vocations.
Une petite proposition
Afin que tout ceci n’arrive pas, nous pouvons formuler quelques postulats et exigences valables pour tous, élaborer en quelque sorte le « manifeste de Varsovie » que nous pourrons emporter, pour nous, pour nos évêques et nos Eglises locales. Malgré toutes les différences entre les pays européens, nous sommes tous dans la même barque. De plus, nous avons la possibilité de nous enrichir mutuellement et d’apporter notre contribution pour faire croître « de nouvelles vocations pour une nouvelle Europe ».
Je suis convaincu que les grandes lignes que nous avons données à la pastorale des vocations sont justes. Nous avons besoin de plus de clarté et d’enthousiasme dans notre travail pour relever les défis de l’avenir.