La relation entre jeunes et éducateurs aujourd’hui dans le second cycle d’un séminaire-foyer


Les réflexions qui suivent ont été rédigées après une "table ronde" à laquelle participaient deux terminales, deux premières et trois secondes de notre Foyer de Montpellier, ainsi que le Père Supérieur et les deux animateurs de la communauté. La plupart des phrases qui seront citées ont été dites au cours de cette discussion.

Que penser de la relation qui existe actuellement dans notre second cycle entre éducateurs et jeunes (il n’est question ici, quand je parle d’ "éducateurs" que des "animateurs" du Foyer) ? Je doute que notre expérience et nos réflexions aient une valeur générale. Les différents participants de la table ronde n’étaient pas toujours d’accord entre eux et se contredisaient eux-mêmes à quelques minutes d’intervalle. De plus, la situation de chaque séminaire en 1971 est tellement originale... Mais le respect de la complexité des choses est le commencement de la sagesse.

I - LES JEUNES N’ONT PAS ENVIE D’EDUCATEURS QUI JUGENT, QUI IMPOSENT ET QUI INTERDISENT.

"N’employez pas ce mot d’éducateur", nous dit un première. Le terme déjà est agaçant pour la plupart des jeunes. Dans leur désir d’indépendance, ils n’aiment pas beaucoup entendre dire qu’ils sont "éduqués". Au delà du mot, c’est toute une attitude qu’ils rejettent :

"Vous êtes ennuyeux, vous avez toujours quelque remarque à nous faire."
"Quand nous discutons avec un animateur, nous n’aimons pas qu’il juge notre comportement."
"Vous êtes un type bien, quand vous discutez avec nous ou que vous rigolez, mais pas quand vous êtes dans votre rôle de Responsable."

Dans ces réactions, se manifeste une nette répugnance à être critiqué par l’éducateur. D’autres propos font ressortir qu’il peut y avoir, dans les réunions, une certaine gêne en raison de la présence des éducateurs : "si on vous dit certaines choses, on sait ce que vous allez nous répondre. Vous allez nous remettre dans la bonne voie." Ce sont surtout les secondes et les premières qui le disent ; les terminales semblent avoir dépassé ce stade.

C’est la septième année que je suis éducateur dans ce second cycle. J’avais au début le titre de "préfet", maintenant celui d’"animateur". Le changement d’appellation n’est pas le fruit du hasard. Depuis quatre ans, les jeunes suivent leurs cours hors du séminaire : puisqu’on revendique ailleurs, dans son collège ou dans son lycée, une grande autonomie par rapport aux adultes, on ne voit pas pourquoi on n’en ferait pas autant au séminaire.

II - LES JEUNES RESSENTENT CEPENDANT DE PLUS EN PLUS LE BESOIN DE RENCONTRER DES ADULTES ET DE DISCUTER AVEC EUX.

Lors de notre dernière réunion des parents, le 7 février, les jeunes ont participé aux carrefours de discussion. Ils avaient exprimé le désir qu’il en soit ainsi. Qu’en attendaient-ils ? Non une expérience qui pourrait leur être utile et leur servir de leçon, mais la découverte de personnes : "Il sera excellent de faire un peu connaissance avec les "parents de quelques-uns de nos copains... Je suis curieux de savoir si leur vie professionnelle gêne leur vie familiale... J’attends de savoir comment ils envisagent leur propre avenir..."

Nous venons ainsi de constater une fois de plus : s’ils n’aiment pas ceux qui contrarient leur "liberté", les jeunes aiment pourtant et recherchent de plus en plus le contact avec des adultes. Ils veulent bien sûr être en relation avec d’autres jeunes, mais ils éprouvent aussi le besoin d’être en relation suivie avec des adultes qui les connaissent et qui suivent leur évolution parce qu’ils partagent leur vie.

Le style de vie du séminaire offre une chance inestimable : jeunes et animateurs vivent ensemble plusieurs heures par jour, les après-midi des jeudis, certains week-ends. Après avoir été ensemble dans des moments de travail, de service et de loisirs, c’est beaucoup plus naturellement que la discussion se déroulera, en groupe ou en tête-à-tête, et la célébration eucharistique elle-même ne paraîtra pas "parachutée."

Il y a sept ans, nous faisions, les éducateurs, deux ou trois "lectures spirituelles" par semaine, à tout le groupe rassemblé. Nous les avons appelées ensuite "causeries". A la place de ces causeries, nous avons maintenant plusieurs fois par semaine, des "entretiens" avec de petits groupes, pour faciliter la discussion... N’idéalisons pas trop ! La participation à ces discussions est active ou passive selon le sujet de la réunion, le moment de la journée ou... l’humeur des uns et des autres.

III - UNE ATTITUDE DE FOI EST NECESSAIRE.

Les constatations qui précèdent doivent certes provoquer une remise en question de notre manière d’être "animateur", et nous ne la faisons pas assez ! Mais il faut surtout être convaincu que la relation entre jeunes et éducateurs, dans un séminaire, ne peut être comprise que dans une perspective de foi.

Nous avons pour vocation, de devenir celui que nous devons être. Pour cela, une transformation de nous-mêmes est nécessaire, transformation qui ne se fera pas sans renoncement. Les jeunes sentent bien d’ailleurs que le meilleur d’eux-mêmes n’est pas encore venu au monde, que celui qu’ils doivent devenir est en germe au plus profond d’eux-mêmes. L’Esprit Saint travaille en nous et fait jaillir notre être véritable. Il est le véritable " éducateur ", celui qui " tire hors de " (e-ducere). Cette action en nous de l’Esprit Saint se fait à travers les événements, les inspirations intérieures, par la Parole de Dieu, par les sacrements et toute l’action de l’Eglise, par l’intervention d’autres personnes.

Tout être humain doit donc arriver à une grande disponibilité dans la foi. Le jeune devra comprendre que ce n’est pas en évoluant selon son caprice et sa fantaisie qu’il deviendra celui que Dieu veut qu’il soit : il doit accepter d’être tiré hors de lui-même. Dans le séminaire-foyer, l’ "animateur" est "un des responsables de cette e-ducation.

Ceci peut être objet de contestation mais plusieurs gars, au cours de la table ronde, ont montré qu’ils le comprenaient :

"En seconde, on commence à comprendre que l’éducateur est quelqu’un qui nous aide."
"Vous m’avez fait plusieurs remarques sur mon comportement et mon caractère. Sur le moment, j’avais de la peine à l’avaler. Après coup, j’en ai tenu compte.
"Puisque je suis sportif, je comparerai volontiers les éducateurs du séminaire à des entraîneurs."

La comparaison avec l’entraîneur nous a paru bonne. Mais elle soulève un problème. L’entraîneur sportif, grâce à son expérience, a une compétence technique et il peut la communiquer. Peut-on être compétent dans l’orientation d’une vie autre que la sienne, dans la recherche d’une vocation ? Beaucoup affirment au contraire que l’expérience des aînés - n’auraient-ils que 30 ans ! - n’a aucune valeur pour la jeunesse d’aujourd’hui.

Avec quelques précautions, il faut répondre oui à la question. Tout ne change pas d’une décade à l’autre. Certaines vérités élémentaires, certaines données évangéliques ont une valeur permanente (par exemple : la nécessité de vivre le mystère de mort et de résurrection dans toute évolution humaine). L’éducateur, dans un Foyer comme le nôtre, a ainsi des choses à dire et il doit être un initiateur dans certains domaines où il s’est lui-même déjà engagé. Préconiser la non-directivité absolue risquerait fort de masquer un doute personnel également sans limites ; ce serait, selon l’expression de Guy Avanzini, "une projection de l’hésitation de l’adulte sur l’adolescent." Un adulte doit toujours être "en recherche" mais pas dans l’incertitude complète. Un des participants de notre table ronde disait aux "animateurs" : "Puisque le principal but de notre communauté est la recherche de notre vocation, c’est surtout votre expérience de la foi que nous attendons de vous."

IV - JEUNES ET EDUCATEURS DOIVENT ETRE D’ACCORD SUR LES OBJECTIFS A ATTEINDRE

Il vient d’être question du "but" de notre communauté. La relation entre jeunes et éducateurs dans un séminaire-foyer va dépendre de la prise de conscience de ce but. Beaucoup plus qu’avant, le jeune veut être associé à sa formation. Compte-tenu de cette évolution, il est absolument indispensable qu’au point de départ de chaque année, jeunes et éducateurs du Foyer soient d’accord, et très explicitement, sur les objectifs à atteindre et sur les moyens qui seront employé...

Depuis deux ans, nous rédigeons, au mois de juin, notre "fiche d’objectifs" pour l’année suivante. La rédaction se fait sous la responsabilité des éducateurs, mais à partir de toutes les propositions faites par les garçons au terme de longues réunions. Ce qu’ils ont suggéré chaque fois était très beau et généreux. Il est évident que l’Esprit Saint travaille en eux. Le rôle des animateurs à ce moment là est simplement de les aider à bien mûrir ces projets de vie et à apporter même quelques grains de réalisme. Quand la fiche est définitivement rédigée, chacun se dit volontaire ou non pour ce style de vie envisagé.

Une fois l’année commencée, les tentations de facilité et de passivité seront grandes, la tentation de la dispersion aussi, avec les meilleurs prétextes. Les jeunes ont alors besoin d’avoir au milieu d’eux des éducateurs exigeants. Ceux-ci ne vont pas agir contre la volonté fondamentale de ceux-là : ils vont simplement les aider à réaliser courageusement le projet qu’ils ont fait, et qui est explicité sur la "fiche d’objectifs". Ce projet, considéré dans la foi, est pour chacun l’ambition de l’année.

Un seconde disait en conclusion de notre table ronde : "Les éducateurs doivent nous aider à devenir nous-mêmes,"

Noël SAIGNES
Séminaire de Celleneuve
34 - Montpellier