- accueil
- > Archives
- > 1970
- > n°003
- > DIASPORA FEMININE
- > Hier, jeunes militantes, aujourd’hui contemplatives...
Hier, jeunes militantes, aujourd’hui contemplatives...
Témoignage de deux contemplatives
- Soeur Monique et Soeur Christiane qui, avant d’entrer au monastère, ont milité dans l’Action catholique, disent
- comment elles ont d’abord vécu une expérience humaine et une
expérience d’Eglise...
- comment, au coeur de cette vie militante, grâce à des équipes de jeunes laïcs, s’est précisé un appel à la vie religieuse...
- comment aujourd’hui elles participent, comme contemplatives, à la croissance de l’Eglise. Les appels qu’elles perçoivent leur permettent de vivre en communion à la fois avec les personnes de leur milieu et avec les membres de leur communauté...
- comment elles ont d’abord vécu une expérience humaine et une
- A ceux et celles qui accompagnent des jeunes filles en recherche, ces témoignages ne rappellent-ils pas combien
"l’apprentissage des engagements apostoliques revêt une importance capitale pour l’éveil, le discernement et le mûrissement des vocations jusqu’à l’engagement définitif" ?
(Orientations de la conférence épiscopale sur la pastorale des vocations, n° 9)
*
* *
TÉMOIGNAGE DE SOEUR CHRISTIANE ET DE SOEUR MONIQUE :
Avant d’entrer au Monastère, nous étions l’une et l’autre dans des mouvements d’Action catholique : Monique en J. O. C. F., moi en J. I. C. F.
Nos années de vie militante nous ont aidées à approfondir et à situer notre appel à la vie religieuse, cela en vivant toutes les exigences d’une vie laïque. Ces exigences, nous en avons pris conscience, grâce à une équipe de réflexion, à d’authentiques révisions de vie.
Avant d’entrer au Monastère, comme depuis que nous y sommes, nous avons cherché à construire l’Eglise, une Eglise dont l’unique mission est de révéler Jésus-Christ à tous les hommes. A cette mission, tous participent : prêtres, laïcs, religieux, mais chacun à sa place spécifique.
Notre témoignage sera en deux parties :
1 - L’Eglise naît : signes de cette naissance dans notre vie aujourd’hui.
2 - Dans cette Eglise qui naît, notre place est spécifique.
I - L’EGLISE NAIT, LES SIGNES DE CETTE NAISSANCE
Nous reconnaissons que l’Eglise naît et grandit quand des personnes forment de réelles Communautés d’Amour, où tout est mis en commun : limites et richesses, où ensemble elles se révèlent Jésus-Christ, où chaque personne devient missionnaire.
Les personnes dont nous allons parler et chez qui nous lisons des signes de l’avancée de l’Eglise, nous ne les connaissons pas d’hier, il y a très longtemps que nous partageons à. des degrés différents, c’est avec elles que nous avons découvert, peu à peu, notre vocation et que nous nous sommes acheminées à entrer au Monastère. C’est avec elles également que nous continuons à partager.
Soeur Monique parle de son bureau (bureau où elle a travaillé avant)
"Depuis quelque temps : Martine, Michèle, Bernadette, Danièle trouvent que cela ne va pas au niveau de la répartition du travail et que, étant au rendement, les temps sont trop courts pour certains travaux difficiles. Un petit incident fait éclater cette difficulté et les provoque à faire la vérité entre elles : Elles ont vu qu’elles n’avaient pas suffisamment partagé entre elles et que Martine (responsable de l’organisation du travail), n’avait pas dit au jour le jour les difficultés qu’elle rencontrait. Comme je suis en lien avec chacune et toutes ensemble, j’étais donc au courant de ce qui ne "collait" pas et j’ai bien senti le risque de leur dire : "venez donc reprendre ici", alors que j’ai vu que c’était plus naturel qu’elles reprennent entre elles, parce qu’en tant que laïques, elles ont une façon propre de se situer en face d’un événement de ce genre.
Cette reprise, elles l’ont faite entre elles et c’est après qu’elles sont venues partager avec moi.
Ensemble, nous avons vu trois choses :
- que comme Martine, on croit que, lorsqu’on a clarifié la situation, tout est fait pour longtemps, et qu’il n’y a plus besoin de s’expliquer, alors qu’il faut sans cesse reprendre si l’on veut que l’entente demeure.
- que ce qu’elles avaient remis en cause à quatre, il fallait qu’elles l’élargissent avec celles qui travaillent avec elles
- qelles m’ont aidée à voir comment je vis, moi aussi cette même difficulté avec Christiane. Quand nous faisons le point ensemble, et que nous voyons plus en face que nous sommes différentes et pourquoi nous le sommes, nous avons du mal à voir et à accepter que ce sera toujours à refaire. Ceci parce que nous doutons que l’autre puisse accepter notre point de vue. En effet, c’est une conversion qui va au coeur de ce que nous avons à transformer en nous."
Soeur Christiane parle du cheminement de sa famille :
"Je suis entrée au Monastère il y a plus d’un an, il y avait très longtemps qu’avec mes parents, nous réfléchissions à ma vocation, donc pour eux cela a été assez facile (autant que ça peut l’être) d’accepter ma présence au Monastère et très vite, ils se sont sentis à l’aise dans la communauté.
Il en était tout autrement avec mes soeurs avec qui nous avions moins cheminé auparavant et qui donc ont été braquées par mon entrée, beaucoup plus que je ne m’y attendais ; d’autant plus que deux d’entre elles sont très éloignées de l’Eglise.
Aidée par la Communauté, j’ai su être davantage attentive à toutes les occasions de dialogue avec elles. Grâce à cela, une de nos soeurs a pu exprimer tout ce qui la bloquait : elle me dit qu’à mon départ elle avait cru perdre une soeur, et aussi qu’elle ne comprenait pas comment j’avais pu laisser mes parents. J’ai pu alors lui dire que c’était dur aussi pour moi, ce qui 1’étonna, car elle ne croyait faite autrement que le commun des mortels. De fil en aiguille, elle s’aperçut que je restais toujours sa petite soeur et, me trouvant épanouie, c’est elle qui se chargea de ma "Prise d’Habit", et fit en sorte que ce soit un jour de fête pour tout le monde.
Après cela, le dialogue entre nous deux est allé de plus en plus profond et nous avons pu livrer l’une et l’autre ce qui nous tient le plus à coeur au lieu d’en rester à un échange en surface, ce qui est une réelle conversion pour les personnes de non milieu social.
Une autre de mes soeurs, devant qui je me trouvais très démunie pour lui . faire accepter mon entrée, a pu cheminer grâce à mes nièces qui ne restaient pas inactives et lui faisaient partager leurs découvertes. Mes parents, de leur côté, lui ont permis de s’habituer au fait que je sois là, simplement, je crois, parce qu’ils étaient heureux de venir au Monastère, non seulement pour me voir, mais pour l’accueil qu’ils recevaient de la part de la communauté. Une de nos amies qui vient régulièrement au Monastère, en lien avec ma soeur, fait avancer les choses, également...
Tout cela, s’étant fait à mon insu ou presque, j’ai découvert lors de ma Prise d’Habit que, non seulement ma soeur n’était plus braquée mais que ma nouvelle forme de vie n’était plus quelque chose sur quoi on observe un silence gêné, mais quelque chose dont elle parle maintenant facilement avec ses amies.
Dans tout cela on reconnaît que l’Eglise naît et grandit : quand des personnes s’expriment à fond les unes aux autres ce qu’elles vivent, ce à quoi elles aspirent, formant ainsi une communauté d’amour...
- parce qu’elles partagent les mêmes limites, les mêmes richesses, qu’elles les reconnaissent ensemble, s’entre aident ensemble à construire un monde où chacun ait sa place.
- quand en se convertissant ainsi davantage, elles sont aliénées à reconnaître petit h petit celui qui est la source de cette conversion : le Christ qui vit en elles et leur permet de dépasser leur péché,
- quand ce partage les pousse à nouer un dialogue avec d’autres pour que naissent d’autres communautés d’amour".
II - DANS CETTE EGLISE QUI NAIT, NOTRE PLACE EST SPECIFIQUE
Nous voyons trois appels pour participer à cette naissance de l’Eglise à notre place :
- appel à y participer avec la communauté,
- appel à participer dans l’obéissance,
- appel à se faire encore moins le centre, a ne pas accaparer les gens.
Ier appel : appel à y participer avec la communauté :
De plus en plus, on s’aperçoit que ce sont ceux avec qui nous sommes en lien qui nous aident à vivre cette vie de communauté, et ils se sentent de plus en plus engagés à cela.
En même temps, c’est notre vie de communauté qui est un appui, une interpellation, une source d’espérance pour eux.
Soeur Christiane : "nous avons préparé la messe de mon Noviciat, principalement avec" deux de mes amies : Claude et Françoise ; nous souhaitions qu’il y ait au cours de la messe un dialogue entre la Supérieure, représentant la Communauté, et moi, dialogue marquant mon insertion plus grande dans la communauté et exprimant surtout deux choses :
- d’une part, que j’entrais dans la communauté avec TOUT ce que je suis, avec tout un passé, toute une expérience humaine, toute une expérience d’Eglise tous ceux avec qui j’étais et demeure en lien ;
- d’autre part, que pour vivre dans la communauté, je comptais sur tous ceux qui m’entourent, sur leur fidélité à la vie qui est la leur et réciproquement.
Ce dialogue, il fallait le bâtir en communauté, Claude et Françoise ont insisté pour que l’on n’en dise pas plus que la communauté n’était prête à en dire.
Elles m’ont aidée à voir qu’il ne fallait jamais être trop pressée, si on voulait que les choses avancent vraiment et que les changements extérieurs soient bien le signe d’une conversion des coeurs.
Apres, j’ai vu combien elles avaient raison d’être exigeantes sur ce point là, puisqu’après la messe, tous mes amis qui étaient présents et tous les membres de ma famille sont venus ne demander si c’était bien la communauté entière qui était d’accord avec ce qui avait été dit et c’est cela qui leur paraissait important."
Soeur Monique : "les filles m’aident à vivre en communauté. Ce sont elles-mêmes qui ont découvert 1’importance de bien respecter le partage communautaire.
Quand elles viennent, elles ne demandent quel temps j’ai eu pour être en communauté, ce que j’y ai fait.
Martine me disait peu de temps après ma Profession, sa difficulté pour aller partager avec le directeur sur la mauvaise organisation du travail : "ce qui m’a aidée à faire cette démarche, c’est de vous sentir ici, je sais que ce que nous vivons, vous le portez avec nous dans votre prière et, puis aussi, j’ai pensé que vous aussi, vous étiez amenée à partager avec des Soeurs qui ne ressentent pas les mêmes choses que vous, alors ça m’a donné du courage et j’ai fait confiance au directeur et j’y suis allée. En sortant, j’étais heureuse, bien que tout ne soit pas réglé, j’ai senti de part et d’autre, une écoute".
2e appel : appel à participer dans l’obéissance à cette Eglise qui naît.
Le jour où les filles sont venues reprendre, elles ont été sensibles au fait que nous ayons préparé un repas, décoré la salle, elles ont tout de suite été à l’aise, ce qui les a aidées à s’exprimer. Toutes les possibilités que nous avons de partager une fête, un anniversaire, ou un événement de leur vie, si nous devions le vivre en fraude, comment arriverions-nous à être naturelles ? Et comment les gens se sentiraient-ils à l’aise s’ils nous sentaient tiraillées entre eux et la communauté ?
Soeur Christiane : Pour qu’il y ait tout un dégel entre mes soeurs et moi, et pour qu’un partage en profondeur s’installe, il a bien fallu passer par un certain nombre d’actes en accord avec la communauté.
Papa avait eu la permission exceptionnelle de rentrer quelques heures au Monastère. Ma soeur les accompagna et rentra également, ce qui fut le point de départ. Quand nous avons ensuite préparé la Prise d’Habit avec elle et mes parents, ils croyaient d’abord que la communauté imposait tout le cérémonial, toute l’organisation de la journée. Ils ont été heureux quand ils ont vu qu’ils pouvaient exprimer comment ils souhaitaient que la journée se passe, quand ils ont vu aussi que la messe pouvait se dérouler d’une manière qui corresponde au milieu auquel j’appartiens, qu’elle permette à ce milieu de cheminer dans la compréhension de l’Eglise sans le brusquer à outrance.
3e appel : appel à se faire encore moins le centre, à ne pas accaparer les gens.
Déjà militante, on ne se fait pas le centre, on fait en sorte que les gens avec qui on est en lien se prennent en charge eux-mêmes et avec d’autres que nous.
Si nous sentons, comme quand nous étions militantes, que nous sommes appelées à ne pas nous faire le centre, c’est peut-être de la même façon, nais ce n’est pas tout à fait pour les mêmes raisons.
Quand nous étions laïques, il y avait identité totale de vie avec les gens qui étaient et qui sont toujours en lien avec nous, dans le sens, qu’ils étaient avec nous, situés comme laïcs dans le monde et dans l’Eglise. Cette identité là n’existe plus aujourd’hui, et nous ne le regrettons pas, ni ceux qui nous connaissent, puisque nous l’avons voulu.
Nous pensons, eux et nous, que l’Eglise ne peut révéler Jésus-Christ que si elle est diversifiée. Donc si nous sommes appelées à ne pas être le centre, ce n’est pas uniquement pour que les gens se prennent en charge, mais surtout parce que nous croyons que notre place dans l’Eglise exige cette rupture.
Soeur Christiane : Je sens bien que surtout pour des gens qui sont loin d’une découverte du Christ et de l’Eglise, comme ma soeur, ce n’est pas moi qui peux rendre compréhensible ce que je vis ; sans que j’y sois pour rien, ce sont d’autres personnes qui lui ont permis de faire un pas, et j’ai eu la tentation de vouloir plus vite forcer le dialogue avec elle au lieu d’attendre que d’autres lui permettent de le reprendre avec moi.
Soeur Monique : Comme je le disais tout à l’heure par rapport aux filles du bureau avec qui je travaillais, j’ai souvent eu la tentation de ne pas respecter une recherche entre laïques on ne parachutant trop vite pour réfléchir avec elles.
Finalement si nous nous sentons appelées à ne pas nous faire le centre, c’est parce que si nous sommes toujours pareilles que les autres au niveau d’une conversion profonde à vivre, nous sommes en même temps autres par le fait de notre vie religieuse.
* * *
Ces trois appels sont en fin de compte étroitement liés. Ils doivent nous permettre de vivre une vraie communion avec tous ceux que nous connaissons à l’extérieur du monastère, qui sont souvent des personnes de notre milieu social et en même temps ils nous aideront à vivre en réelle communion au sein de la communauté faite de gens différents.
Cela nous paraît important puisqu’il nous semble que quand des personnes sont en communion, elles sont déjà l’Eglise, l’Eglise corps du Christ dont Il est la tête, Lui qui récapitulera tout en Lui.
Nous découvrons de plus en plus combien ce sont les gens avec qui nous sommes en lien, en profondeur, qui nous provoquent à revoir dans notre vie religieuse ce qui peut être signes pour eux. En effet, c’est bien dans un dialogue au niveau de la conscience qu’on peut se livrer les uns aux autres, ce qui compte vraiment pour nous. Ils ont le souci, à la fois que nous restions nous-mêmes et que nous vivions aussi l’essentiel de notre mission.
Ainsi, en construisant ensemble l’Eglise dans le monde, chacun à notre place, de réelles questions pour la vie religieuse sont soulevées et qui demandent une perpétuelle mise à jour qui n’est pas toujours facile à faire.