Les vocations en Allemagne


Marietheres Bücking
laïque
Centre de pastorale des vocations, Fribourg

Situation

Une rétrospective sur ces vingt dernières années fait apparaître une diminution significative des vocations au ministère presbytéral et à la vie religieuse dans tous les diocèses de la République Fédérale d’Allemagne. La courbe décroît de façon significative mais se stabilise sur le niveau le plus faible. Cela est dû au fait qu’alors même que le thème de la vocation n’est pas un thème central de la pastorale, il trouve davantage d’échos et d’intérêt dans l’ensemble. Il faut affirmer une plus grande disposition à prendre au sérieux la pastorale des vocations à tous les niveaux de l’Eglise et dans bien des domaines de la pastorale.

Un coup d’œil concret sur les chiffres

En 1989 il y avait en tout 2 667 candidats au sacerdoce dans les diocèses allemands et, dans les congrégations masculines, 478 candidats au sacerdoce. Ces chiffres ont été plus que divisés par deux depuis : en 2002 il y avait en tout 1 035 candidats en route pour la préparation au ministère de prêtre diocésain et 176 candidats en chemin pour le ministère de prêtre dans les congrégations. Le chiffre des nouveaux candidats au ministère presbytéral était, il y a quatorze ans, proche de 457 dans les diocèses et de 92 dans les congrégations. Quand on compare ces chiffres avec le développement des baptêmes, des confirmations et des mariages, on peut remarquer une grande similitude.
Sans une Eglise vivante et croissant dans la mission, il n’y a pas à attendre de changement dans le nombre des candidats au ministère presbytéral.

Raisons et causes

Les raisons du manque de prêtres et de religieux sont multiples. Une des causes, et non des moindres, est le petit nombre d’enfants par famille. Cela paraît banal : moins il y a de naissances, moins il y aura d’enfants à pouvoir être appelés au service de l’Eglise.
S’ajoute à cela qu’une vocation spécifique ne peut de toute façon pas entrer dans l’optique de jeunes s’engageant si peu dans la vie ecclésiale et religieuse.
Dans ce contexte il est à remarquer que, depuis quelques années, le nombre de jeunes hommes et femmes qui veulent embrasser un service ecclésial, comme référent pastoral ou responsable de communauté (1), est en régression significative.

Le fait que l’échelle des valeurs de notre société se différencie de manière de plus en plus visible de celle de l’Evangile a une grande influence. Celui qui s’oriente aujourd’hui vers une vocation presbytérale ou vers un service ecclésial doit s’affirmer et se battre contre bien des oppositions. Une autre raison, probablement prégnante, est que le climat intérieur de l’Eglise, en ce qui concerne la vocation presbytérale particulièrement – à tous les niveaux – est souvent défavorable et relève en partie d’un contre-témoignage.
S’ajoute à cela que notre société considère comme une des pierres centrales du bonheur une intense et active vie sexuelle dans ses formes les plus variées, y compris hors du mariage. Aussi est-il difficile de présenter le sens du célibat comme une forme valable et attractive de vie, découlant d’une relation personnelle au Christ. Si déjà le mariage chrétien n’est pas compris, combien plus le célibat !
Il est vrai qu’au cœur de l’Eglise, cette forme de vie a peu de prix et reçoit peu de soutien. Quand, par exemple, dans des groupes de jeunes ou dans des communautés, des incompréhensions s’opposent à cette forme de vie, elles ont, sans conteste, un effet négatif sur les jeunes gens qui pensent devenir prêtre.

Perspectives

Comme instance de travail de la Conférence des évêques d’Allemagne, nous avons une mission subsidiaire envers les « instances diocésaines de vocations de l’Eglise » avec lesquelles existe une intense collaboration. Nos publications, particulièrement pour la journée mondiale de prière pour les vocations et par pages internet en sont le relais. Notre travail s’adresse donc directement aux prê­tres et aux laïcs en responsabilité à qui nous fournissons du matériel pour un travail auprès des communautés et des jeunes.
La conférence des directeurs de séminaires d’Allemagne a distribué en mars 2003, en collaboration avec le centre de pastorale des vocations, une plaquette Prêtres pour le XXIe siècle. Options. Vous trouverez ci-dessous, dans une version légèrement abrégée, les options pour la pastorale des vocations qui s’y trouvent.

Le courage des idéaux

Il vaut mieux encourager l’exigence fascinante de la suite du Christ que d’étouffer la joie de croire dans une problématique sans fin.
Oser de nouveaux pas vers l’avenir offert par Dieu ne peut advenir que dans un nouveau recentrement sur l’Evangile. La vie chrétienne se déroule en tension entre le don et l’accueil de l’amour de Dieu. Qui se sait aimé de Dieu reçoit la capacité et la mission d’accueillir en lui l’amour de Dieu et de le porter plus loin. La relation avec Dieu et avec les autres est, du coup, la vocation fondamentale et initiale de toute personne (2). Les services auxquels les personnes se sentent appelés sont divers ; communs sont les engagements de vie en Eglise, par-delà la conversion personnelle à Dieu et la disposition pour une authentique suite du Christ. La joie de la foi et l’expérience de la présence toute-puissante et agissante du Ressuscité dans son Eglise sont le terrain fertile sur lequel croissent des vocations ecclésiales.
Le commandement de tout laisser pour suivre Jésus (Mt 19, 27) est fascinant et, dans sa radicalité, d’une grande actualité. Il est indispensable de penser tout état de vie dans la perspective de l’appel du Christ et de minimiser les questions, les difficultés et les renoncements en les vérifiant sérieusement. Il serait cependant faux de traduire systématiquement en problèmes l’exigence de la suite du Christ par rapport à la situation de l’Eglise et de la société, de relativiser la prétention du christianisme ou de la niveler carrément. Il faut d’autant plus de courage et de soutien pour se laisser interroger, et remettre en question par la Parole de Dieu. Nul ne peut construire sa vie sur des preuves et celle-ci n’est jamais exempte de danger ou de risque. Pourtant, celui qui considère l’appel à suivre le Christ, particulièrement dans le domaine du service presbytéral, sous son seul aspect d’exigence, de difficulté et de renoncement, méconnaît l’invitation à une vie pleine de sens et ô combien fascinante. Parce que la décision, en toute connaissance de cause, de donner sa vie de grand cœur pour le service de l’Evangile et la construction de la communauté du Christ se situe, hier comme aujourd’hui, dans la ligne de l’appel « à obtenir le centuple et à gagner la vie éternelle » (Mt 19, 30).

Le courage du réalisme

Il vaut mieux entrer de manière délibérée dans la forme actuelle du service presbytéral que de retarder un engagement de vie en Eglise par manque de courage. Les grands processus de changement, dans l’Eglise comme dans la société à l’aube de ce siècle, ne se déroulent pas sans laisser de traces dans le ministère et la vie du prêtre, son rôle, son identité. Parce que les contours futurs de la communauté chrétienne ne se dessinent que peu à peu, il est aussi difficile de décrire le profil du prêtre et la forme future du service presbytéral. L’attirance pour la vocation presbytérale ainsi que la motivation d’éventuels postulants qui s’enthousiasmeraient pour un service presbytéral concret au sein de l’Eglise peut en souffrir.
Et pourtant, le propre de la vocation presbytérale est aussi à appréhender sous le signe de l’insécurité et de la non-maîtrise. La méconnaissance et le doute font partie de l’existence chrétienne. La question du « Comment être prêtre aujourd’hui et demain ? » se réfère totalement au Seigneur de l’Eglise. On ne peut et ne doit parler de l’existence du prêtre, y compris aujourd’hui, que dans une démarche radicale de confiance.
Le refus du célibat, la création d’unités pastorales de plus en plus nombreuses et de plus en plus grandes dans lesquelles l’insertion peut être difficile, l’expérience de la surcharge et de la solitude, contribuent à durcir le profil du prêtre. Ce qui nécessite une plus grande proximité, avec le Seigneur d’une part et les uns avec les autres d’autre part.
Cependant, le prêtre peut se donner absolument, en toute connaissance de cause, à sa mission en Eglise et en communauté. Justement, dans cette période où la foi se perd et où l’on attache beaucoup d’importance aux choses du monde, il revient au prêtre de faire ressortir la réalité et le pouvoir agissant de Dieu, d’orienter vers Dieu la communauté – en coopération et en communication – et de la rassembler autour du Seigneur ressuscité présent au milieu d’elle dans l’Esprit de l’amour réciproque et de l’unité.
Même si le développement de la mission du prêtre n’est jamais définitivement réglé et qu’il n’est pas possible de fixer des frontières au pouvoir de l’Esprit, il faut aussi prendre la mesure, dans la formation et dans la pastorale des vocations, de la forme actuelle du ministère du prêtre. On n’a pas le droit de « rater l’aujourd’hui par désir d’un possible demain » (R. Spaemann) !
Ceci n’empêche pas, en même temps, de faire ressortir la visée de la mission commune dans tous les services et charismes de la communauté : présenter le Christ dans sa plénitude (cf. Ep 4, 13), chacune et chacun avec sa force et à sa place. Si tous les collaboratrices et collaborateurs appelés à des responsabilités et à des charges honorifiques, ainsi que tous les membres de la communauté ont bien conscience de cela, le sentiment que le ministère du prêtre est indispensable pour la construction et l’édification de la communauté en Christ pourra grandir. Alors, des jeunes gens qui reconnaîtront leur propre vocation dans la mission du prêtre, se sentiront appelés. Les encourager et les accompagner dans leur discernement est un devoir capital de l’ensemble de la pastorale des vocations.

Le courage d’une responsabilité collective

Il vaut mieux se faire un devoir de rappeler au peuple de Dieu sa responsabilité dans l’appel au presbytérat que d’organiser la vie chrétienne sans prêtre.
La situation actuelle est ambiguë : d’un côté, il y a chez de nombreux chrétiens un grand désir d’avoir des prêtres ; d’un autre côté, on rencontre aussi une résignation qui se satisfait de la situation. De plus, on perçoit parfois le manque de prêtre comme une grande chance pour redécouvrir la responsabilité collective dans la construction de la communauté. Enfin, et c’est très important, cela cache parfois le danger de chercher des solutions un peu rapides, partielles et pragmatiques pour les lier à une image de l’Eglise ou de la communauté dans laquelle le service presbytéral n’a que peu de place, selon le slogan : « Ça marche d’ailleurs aussi sans prêtre ! » C’est pourquoi la vie de l’Eglise se trouve organisée sans prêtre. « Se faire un devoir de rappeler au Peuple de Dieu sa responsabilité dans l’appel au ministère presbytéral », c’est avant tout rappeler le commandement du Maître : « Priez le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson » (Mt 9, 38). Les vocations de prêtres ne pourront pas se « fabriquer » à coup d’efforts humains ; elles seront offertes par Dieu. Là où l’on prie intensément, des personnes s’ouvrent au don de Dieu, insaisissable par les hommes. En conséquence, les appelés sont encouragés à suivre leur appel parce qu’ils sentent qu’ils sont portés par la prière des communautés sur leur chemin et qu’ils y sont bienvenus. Quand on œuvre en connaissance de cause (en particulier dans la prédication et la catéchèse) pour que la mission symbolique du prêtre appartienne de manière indéfectible à la structure sacramentelle de l’Eglise, des jeunes gens seront prêts à expérimenter un éventuel appel à la vocation presbytérale. Sur ce point, la pastorale des vocations doit cultiver une conscience nouvelle et théologiquement bien fondée du service presbytéral.
La responsabilité pour la relève presytérale ne pourra se limiter à des orientations, qu’elles viennent des évêques, des prêtres ou des collaboratrices et collaborateurs de la pastorale des vocations. Une communauté qui vit de Jésus-Christ comme Seigneur et Maître comprendra que son devoir, depuis toujours, est de veiller à ce que la vocation au ministère presbytéral puisse aussi être proposée et accueillie par les baptisés. Peut-être cette tâche pourrait-elle aussi être confirmée structurellement par l’exemple de diocèses étrangers, en particulier par des responsables de la pastorale des vocations présents dans les conseils paroissiaux.
L’encouragement le plus important à suivre un appel au service presbytéral pour de jeunes hommes est l’exemple du prêtre convaincu. Là où des jeunes, à cause du manque de prêtres, ont peu l’occasion d’apprendre à les connaître, il convient de favoriser des rencontres dans des centres religieux et des organisations extra-communautaires. Dans cet espace discret, en dehors des communautés paroissiales, les jeunes peuvent plus facilement s’exprimer sur une éventuelle vocation que dans leur quotidien. Cependant, à l’intérieur comme à l’extérieur des communautés paroissiales, il revient toujours aux hommes de conduire d’autres hommes sur le chemin de Jésus-Christ par leur propre témoignage et de les encourager à le suivre (cf. Jn 1, 29 ss).

traduction : Jean Schmuck,
Sœur Jean-Michel Hector

Notes

1 - En Allemagne il y a dans l’Eglise des professions salariées pour les laïcs. [ Retour au Texte ]

2 - Cf. In Verbo Tuo, document final du Congrès européen des vocations, Rome, 1997, n° 15 et 16 c. [ Retour au Texte ]