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Jeunes "en recherche de vocation"
(approche psychologique) (1)
Dans cet exposé, bien entendu non exhaustif, il s’agira uniquement de garçons du second cycle (2de à Terminale), hors des institutions dites "permanentes" (séminaires ou foyers). Mais il est probable que la psychologie de ces jeunes rejoindra, sur bien des points, celle de leurs camarades des institutions permanentes.
INTRODUCTION
Cet exposé sera divisé en quatre parties d’importance inégale :
1. Le jeune est un homme, donc :
- vivant un présent,
- orienté vers un avenir,
- en partie conditionné par un passé.
2. Le jeune n’est pas un adulte, et il ne faut pas le croire adulte à partir de certaines de ses réactions.
3. Le jeune est "de son temps"... qui n’est plus celui de notre propre jeunesse.
4. Le jeune en recherche de vocation est marqué par les trois faits notés ci-dessus... et par son projet ! D’où une certaine tension...
Il est nécessaire de bien analyser d’abord les trois premiers points, avant d’aborder le dernier, qui sera forcément plus court -beaucoup de données ayant été auparavant décrites -. Au surplus, cette recherche demande à être complétée par une réflexion pédagogique.
I - LE JEUNE EST UN HOMME : il est dans une situation telle que :
1. Il vit "intensément" (parce que jeune) un présent,
2. oriente vers un avenir,
3. et conditionné en partie par un passé, même s’il le rejette.
Passons sous silence, pour l’instant, les deux premiers points, et regardons ce qui peut marquer le jeune dans son passé.
- Son milieu d’origine le conditionne, jusque dans le présent. Ecoutant récemment une conversation dans un buffet de gare, entre un jeune garçon de seconde, médiocrement vêtu, sa grand’mère et sa tante, il me fut évident que ce garçon était du milieu indépendant ; ce n’est pas tant sa destination de voyage qui me l’indiqua (le Canada), mais sa façon de parler, de manger, d’apprécier personnes et situations. Avait-il conscience de cette emprise de milieu ? Je ne sais, mais elle existe.
- Sa vie scolaire ou professionnelle le conditionne. Prenez un scolaire, orienté, dirigé tout au long de ses études vers tel Baccalauréat, puis obligatoirement vers telle faculté et telle section de faculté" : croyez-vous que cela n’aura pas de poids, psychologiquement parlant, sur lui . Les événements de mai 68, en leur début, nous ont au moins appris cela, en nous révélant par ailleurs l’intérêt des jeunes pour ce qui était politique - moyen perçu d’être efficace !
- Le passé familial le conditionne, les joies, les peines, les drames qu’il a vécus ou les psychologues et psychanalystes nous ont abondamment éclairés sur ce point. Je revois encore la pauvre petite figure d’une jeune fille quêtant dans des aventures équivoques une affection dont elle avait été privée brutalement à quatorze ans par la mort accidentelle de ses parents ...
- Les groupes humains dont il a fait partie le conditionnent : prenons un garçon qui a été au premier cycle dans un séminaire de jeunes ancienne formule, et qui se trouve maintenant au lycée : ou bien il va rechercher un style de vie spirituelle s’apparentant à ce qu’il a connu, ou bien il va tout rejeter.
- Enfin, car on ne peut évidemment tout dire, tout ce qu’il a vécu personnellement le conditionne. Quand nous rentrons de vacances par exemple, nous écoutons dans notre première réunion avec les jeunes, leurs "expériences". Elles les marquent, peut-être plus que ce qu’ils vivent dans l’année ; tout simplement parce qu’ils sont sortis de leurs cadres habituels et qu’ils ont l’impression que les actes qu’ils ont posés à ce moment sont plus valables que ceux qu’ils posent dans l’année. Ce n’est pas évident pour nous, mais pour eux ? En particulier, et je voudrais insister très fort sur ce point, lorsqu’ils ont vécu des "expériences" nouvelles entre eux, dans ces groupes informels que favorisent les vacances. Qu’en restera-t-il ? A mon avis, deux choses :
- l’expérience vécue elle-même,
- la:valeur" qu’ils donnent à ces groupes informels, qu’instinctivement ils veulent recréer pendant l’année et qui les rendent si imperméables aux "mouvements", quels qu’ils soient, dans lesquels ils se sentent peu libres, à moins que ce ne soit eux qui les fabriquent : d’où la floraison des groupuscules... D’autres remettront en cause lès-dits groupuscules, pour en former de nouveaux...
Et en examinant le passé, nous avons parlé du présent... peut-être un peu aussi de l’avenir ! De ces brèves analyses, il me semble qu’on peut tirer une première constatation :
- Le jeune est dynamique, non pas d’abord parce qu’il est jeune, mais parce qu’il est homme, et que tout homme éprouve le besoin de faire fleurir son unicité par un dynamisme personnel, quoique ce dynamisme soit déjà orienté en partie par le passé et par l’avenir vers lequel il va, même confusément - même si un jeune est renfermé, "qu’il ne fait rien", c’est encore une preuve : il n’a pas trouvé sa route pour faire exploser ce qu’il porte en lui, et, par le fait même, pouvoir 1’inventorier.
- Ceci doit orienter notre pédagogie. Mais sommes-nous sûrs de ne pas oublier parfois, nous éducateurs, et ce dynamisme qui s’éveille, et l’unicité de chaque être , et ce qu’il a déjà vécu, et ce vers quoi il marche ?
Est-ce bien sûr qu’en face d’une personne, quel que soit son âge, nous n’ayons pas tendance à rendre "statique" ce qui est une suite logique dans un dynamisme de toute une vie ? Quelqu’un vient nous voir, avec un "problème", par exemple un adolescent "en crise". Ne verrons-nous que la crise, comme lui justement la voit, ou verrons-nous aussi le passé qui l’annonçait, et le présent-futur qui la provoque ?
Est-il bien sûr que nous, éducateurs, ne risquons pas de nous "statifier" (excusez le néologisme !) et ce, au fur et à mesure que nous devenons de plus en plus "compétents" ? Pour deux raisons :
- la première, c’est notre formation qui ne nous a pas amenés à être compétents en ce domaine. Quel directeur de conscience, il y a dix ou quinze ans, était attentif à la pression d’un milieu sur les jeunes ?
- la seconde, c’est notre propre expérience, à travers des milliers de personnes. En bons fils de Descartes, ne classons-nous pas très vite telle personne et son problème dans telle catégorie déjà rencontrée x fois ? Recommençons-nous, chaque fois, un cheminement avec telle ou telle personne, sans oublier bien sûr notre expérience, mais en nous disant que cette personne et son cas sont uniques, parce qu’aucun fils de Dieu, aucune situation ne sont exactement semblables, pas plus que les fouilles d’une forêt ?
Et ceci, en tenant compte aussi de notre propre dynamisme personnel, qui est, lui aussi, changé ? C’est Madame de Sévigné qui disait, je crois "nous n’aurons plus jamais notre âme de ce soir" ; est-ce que nous ne risquons pas de l’oublier quand nous recommençons un cheminement avec un garçon, une équipe : je dis bien "recommençons", car l’éducateur de ce temps ne saurait être valable s’il ne se remet en cause continuellement avec celui ou ceux qui s’adressent à lui, et plus particulièrement les jeunes. On ne débat pas avec eux du problème "argent" par exemple, sans se mettre en cause personnellement, sinon ... le jeune croira, ce qui est faux, que nous sonnes "statifiés", et finie l’action éducatrice ! Il faut qu’il perçoive, - pour sa propre sécurisation, à laquelle il a droit à son âge -, que nous aussi, sommes encore "dynamiques", touchés comme lui par le problème, quoique différemment.
Ceci est peut-être une digression mais non un procès ! Nous faisons, bien sûr, ce que nous pouvons, avec ce que nous sommes, accessoirement ce que nous avons, mais attention, le monde change, et vite ! Et nous possédons cette force inestimable d’être en contact vrai avec ces jeunes, leurs mentalités, ce qui nous donne une appréhension neuve sur cette nouvelle civilisation, dans laquelle il faut planter L’Eglise qui naît ...
Passé, présent, avenir ... Tels étaient les chefs principaux de ce paragraphe : "Le jeune est un homme". Un homme de toujours, mais aussi un homme de ce temps. Qu’on n’oublie pas surtout : "de ce temps", et qu’on relise Gaudiun et Spes ! Nous ne connaissons pas les méandres ni le terme de l’évolution ; il ne semble qu’il faut nous garder de ré-institutionnaliser très vite, de trouver une "méthode" ; car s’il y a quelque chose auquel les jeunes sont allergiques, c’est bien à cette institutionnalisation, surtout faite par des adultes. C’est en ce sens que je ne suis pas d’accord -pour autant que je sois bien informé - avec Dom Besret, lorsqu’il se refuse à accepter des novices tant que l’Etat religieux ne sera pas clarifié. Par qui le sera-t-il ? Sinon justement par des jeunes, avec des "anciens" choisis, qui réinventeront cet état pour notre monde actuel. Comment le faire, sans cheminer avec des novices de bonne volonté et d’aptitudes confirmées, pour redécouvrir comment vivre aujourd’hui dans la pauvreté, la chasteté, l’obéissance ?)
II - LE JEUNE N’EST PAS UN ADULTE
Un de nos péchés majeurs est souvent de le prendre comme tel !
J’avais annoncé au paragraphe précédent qu’en tant qu’homme, le jeune vivait un présent, orienté vers un avenir, en partie conditionné par un passé. Je n’ai pas examiné tous ces points, sinon en filigrane (un exposé n’est pas un livre !), mais ils vont reparaître dans les paragraphes suivants.
1) Passons sur les degrés de maturité par rapport à nous, au même âge. D’abord nous n’y sommes plus ! Et puis, c’est une discussion stérile, parce que nous ne vivions pas dans la même civilisation que celle qui se cherche aujourd’hui. Aurions-nous dit ceci que j’ai entendu en février 68 dans une réunion de garçons de 18 ans :
"Père, nous voulons bien être prêtres, mais pas comme vous et vos confrères . Nous voulons 1’être autrement".
Qu’est-ce à dire ? Eux-mêmes le savent peu, c’est normal : ils sont d’un monde où les structures changent, et ils ne sont pas adultes, c’est-à-dire qu’il leur manque un certain sens du "relatif" en toutes choses. Contestataires ? Point du tout, ils cherchent.
Comment retrouver ce qu’il y a de positif dans cette requête ? Comment les aider ? Comment situer leur appel pour y répondre, le rendre intelligible ? Comment rendre cette affirmation toute statique : dynamique ? Comment la vitaliser en leur apprenant aussi à savoir évoluer, et même à accepter des situations encore confuses (il y en a toujours eu et il y en aura toujours) en cherchant à avancer, à faire avancer, et ces jeunes, et le problème ? L’Eglise a ponctué au Concile les orientations de recherche et nous demande d’y être attentifs, et aussi inventifs ! Voilà le problème, le véritable problème. En nous efforçant d’y répondre ensemble, nous travaillons aussi, au delà du cas particulier d’une vocation, à l’accession du jeune à l’âge adulte, tant il est vrai qu’une vie ne saurait être coupée en morceaux.
Devant une telle affirmation de jeunes, faudra-t-il se rebiffer, ou bien l’accepter tranquillement pour pouvoir (au sens strict du terme) continuer le dialogue, les aider, et aider tous les jeunes ? Car la même contestation - éternelle d’une génération à l’autre -va se retrouver sur d’autres points, hors du problème vocations. Ce que nous taisions, ils le disent, avec l’outrance de la jeunesse. Pourquoi "urger" une affirmation de jeunes, alors que nous pouvons faire autrement en préservant son dynamisme ? Au fait d’ailleurs, ils ne seront pas prêtres (puisqu’il s’agit ici du problème sacerdotal) comme nous le sommes, ni sans doute comme nous le serons dans quelques années, si Dieu nous prête vie. Mais, le sommes-nous comme nous avions pensé l’être au jour de notre ordination ? Un ménage vit-il comme il avait pensé vivre le jour de l’engagement ?
La réponse est évidente... et c’est là-dessus qu’on va dynamiser le jeune ; il n’y a qu’à l’aider à relativiser ce qu’il conçoit comme absolu, et à veiller aussi, de très près, à ce que j’ai signalé plus haut à propos du Concile. Nous avons des normes, à nous de chercher leur application concrète pour l’instant, et à préparer les jeunes à rester dynamiques pour continuer d’évoluer au fur et à mesure.
Peut-être vous demandez-vous si nous sommes encore dans le sujet : "Le jeune n’est pas un adulte ?" A mon sens, oui ! L’exemple donné fut "sacerdotal" ; mais on aurait pu en prendre un autre. Il n’a servi qu’à rappeler l’éternel truisme : un jeune est explosif, manque de nuances, etc. et il faut bien le prendre comme il est, surtout en ce temps où il risque de rejeter tout ce qui lui apparaît comme un impératif catégorique... Un temps viendra où cet impératif ne sera plus catégorique, mais, la maturité venant, une règle de vie désirable et volontairement assumée. Au Colloque 70, une jeune novice de 23 ans, engagée depuis 9 ans dans la JOC, actuellement dans un bidonville, après un an passé chez des contemplatives pour se prouver à elle-même qu’elle pouvait "tenir" au point de vue spirituel, a répondu ainsi à la question qu’on lui posait : "Quelle différence faites-vous entre votre action de militante et votre vie religieuse" ? "Autrefois, j’agissais comme laïque dans la lutte ouvrière ; maintenant, je subis avec les ouvriers et le Christ Rédempteur".
Ce qui nous invite à poser deux questions :
- Ne retrouvons-nous pas là exactement la déclaration conciliaire sur l’Eglise, n° 31 et 34, au sujet du rôle respectif des laïcs et des religieux ou prêtres ?
- Si on avait demandé -trop tôt - il y a quatre ans par exemple, à cette jeune fille de choisir, était-elle capable de le faire ?
Educateurs, nous manquons souvent de patience : on ne fait pas pousser une jeune plante en tirant dessus, en quelque domaine éducatif que ce soit.
2) Il me semble aussi que le jeune n’est pas adulte, en ce sens qu’il est terriblement influencé par un phénomène de socialisation globale, et, en particulier, de son monde de jeunes.
Ici, les exemples abondent ; mais, pour ne pas alourdir encore l’exposé, ils seront cités au paragraphe suivant : le jeune en recherche est "de son temps".
Je signale seulement la difficulté plus grande encore que dans notre jeunesse pour prendre une décision personnelle :
- C’est en groupe (fut-il provisoire), qu’on décide ce qu’il faut faire individuellement.
- C’est en groupe qu’on décide d’une orientation de vie.
- C’est en groupe qu’on débat de ses problèmes personnels.
Même la direction spirituelle est devenue collective ; on s’adresse à plusieurs, prêtres . ou laïcs, selon la compétence qu’on leur prête : c’est un fait.
Est-il négatif ? Je ne saurais répondre pour l’instant. Il ne semble qu’il y a peut-être une trop grande dépendance grégaire, mais le temps de "l’individualisme" est bien révolu et je ne sais pas si Saint François de Sales trouverait encore beaucoup de Philotées !
III - LE JEUNE "RECHERCHANT" VEUT ETRE DE SON TEMPS
Nous sonnes loin de ce qui était demandé aux générations précédentes : se séparer des autres ! Certes, je ne veux pas dire par là qu’il faudra être "comme" les autres, mais ce que nous résolvions facilement malgré tout à leur âge, par une coupure radicale (Ex : pas de réunions mixtes), aujourd’hui, le jeune aura à le vivre différemment. Je pense là à St Jean : "Père, je ne te demande pas de les retirer du monde, mais de les préserver du mal".
Le recherchant d’aujourd’hui s’efforce de retrouver, dans une civilisation en mutation, un clergé souvent en malaise et un monde qui n’a pas été fait pour lui, le sens profond de l’interpellation : "Viens, et suis-moi". Et il ne discute pas tellement sur le don à faire, mais sur la manière de le faire. Comme les autres jeunes, il veut participer.
Participation peu aisée ! Il est littéralement écartelé entre sa volonté d’être comme autres et cette espèce de hiatus qui lui est conféré par l’appel. Jusqu’où aller concrètement, dans le : "comme les autres" ? Et je ne parle pas ici d’abord du comportement concret, mais de 1’idéal : ex : construire le monde... Messieurs Duquesne,(analysant des enquêtes récentes de l’I.F.O.P.) et Avanzini (Vocation-Service n° l) ont bien cerné ce problème, et avec une autre autorité que la mienne.
Je me bornerai à analyser quelques points qui ne paraissent essentiels, "typant" peut-être d’ailleurs un peu trop les garçons dont nous parlons :
l) Les moins de 21 ans sont la moitié de la France. Ils veulent qu’on le reconnaisse (et le vote à 18 ans) ; ils se sentent une force en face des adultes perçus comme conservateurs. Ceci n’est pas très neuf, mais alors que nous n’avions guère de moyens de "contestation", eux les possèdent. Et ils ont tendance à mépriser les adultes qui n’ont pu -en leur temps et maintenant qu’ils détiennent le pouvoir - faire aboutir leurs revendications.
L’adulte a perdu tout prestige, en particulier parce qu’il n’a pas su arriver à stabilité. Ex : la vie professionnelle : le triste apanage des prolétaires s’est étendu à toute la société ; plus de sécurité de l’emploi, même pour les ingénieurs. Alors, pour le sacerdoce ? Ils voient, plus que nous ne l’avons vu, s’entredéchirer leurs aînés ; je ne nie pas la toute-puissance de la grâce de Dieu , mais ne leur faut-il pas plus de foi qu’a nous pour opter ?
L’adulte n’est pas stable non plus dans sa vie familiale. Pour le jeune, même si sa famille est solide, il ne peut -à cause du développement des mass media - ignorer les vicissitudes de tel ou tel foyer de vedettes, la lettre des quarante quatre prêtres, etc.
- L’adulte a perdu son prestige au point de vue social : notre génération, à leurs yeux, s’est montrée incapable de construire et le monde, et l’Eglise... Tout cela pour eux, s’est révélé assez inefficace, et les voilà remettant en cause les structures, toutes les structures...
Ceci peut paraître pessimiste ; mais il me semble que la plupart des jeunes actifs que nous rencontrons sont, plus ou moins consciemment, dans cet état d’esprit.
2) Les jeunes sont membres d’une société de consommation, qu’ils le veuillent ou non. Et cela, les adultes l’on bien saisi, qui ont su trouver sur le plan de la presse par exemple, le moyen d’exploiter ce monde de jeunes. Qu’on lise tel ou tel hebdomadaire où l’on trouve des articles comme : "La première fois en amour". Il ne faudrait pas croire ; que nos jeunes recherchants ne sont pas atteints par cette ... littérature ; ils le sont comme les autres.
Société de consommation ? 50 % des jeunes ont un vélomoteur (statistique établie en 67 donc probablement dépassée). 17 % des 18-20 ans ont une auto personnelle ; 80 % savent conduire.
Pourquoi ces chiffres ? Prenons un exemple concret : un jeune, à la campagne, possède un vélomoteur ou une voiture. Sera-t-il possible de l’empêcher de se promener le dimanche de prendre on ne sait trop quelle direction... Le recherchant est comme les autres
Autre exemple choisi dans un tout autre domaine : quand on fait partie d’une société de consommation, il est inévitable qu’on on subisse les inconvénients :
On prêche la facilité, mais on oublie le décalage croissant entre la sortie de l’enseignement élémentaire et 1’entrée - avec de grandes exigences pratiques - dans le second cycle... On retrouve le même décalage à l’entrée on faculté. Ce qui fait que paradoxalement, on demande aux jeunes des efforts scolaires auxquels ils ne sont nullement préparés, ni encouragés, sinon par la menace de l’examen.
J’ai été un temps professeur de 6° : on ne demandait pas aux élèves de savoir tellement de choses, mais seulement d’avoir une certaine habitude du travail soutenu. Depuis qu’on a supprimé dans l’enseignement élémentaire les devoirs et leçons à la maison, depuis qu’on a prêché le savoir sans peine, on ne trouve plus d’enfants habitués à l’effort, disons simplement au travail, et, paradoxalement, les programmes sont devenus démentiels.
Quel rapport avec la recherche vers le sacerdoce ? -Il est évident. Le Sacerdoce n’a jamais été une vie "facile" - Quoi d’étonnant à ce qu’un jeune hésite, encore plus que de "notre temps", à accroître ses difficultés de vivre, alors qu’on lui promet autrement une vie paradisiaque ? Prenons le cas du garçon reçu à son baccalauréat, et qui se demande, après sept ans de dur labeur, s’il doit entrer au grand séminaire ou en équipe de recherche en faculté. Quoi d’étonnant à ce qu’il hésite ? Surtout lorsqu’il ne voit pas ses aînés unanimes :"Quand vous vous serez mis d’accord entre vous, me disait l’un d’eux en juin, on verra en ce qui me concerne !"
Qu’est-ce que cela reflète ? Un besoin de sécurité, qu’on retrouve dans tous les domaines.
3) Le besoin de sécurité. C’est un des points sur lesquels les jeunes sont d’accord avec leurs parents ! (cf. les demandes pour être fonctionnaires). Et sécurité... dans la facilité, l’oubli parfois : voir l’érotisme, la drogue, l’alcoolisme qu’on voit reparaître depuis deux ou trois ans, et aussi, dans un autre domaine, la perte du sens du péché, du mal, parce que c’est "désécurisant"...
Bien sûr que tous ne sont pas ainsi, mais il me semble que, comme le disait le fabuliste, "tous sont frappés". A nous éducateurs, d’en tirer les conséquences pédagogiques.
Cette recherche de sécurité a été analysée, elle aussi, dans l’enquête dont j’ai parlé plus haut. Savez-vous ce qui arrive en tête à la question : "Echelle des valeurs essentielles" ? C’est la santé ; ce qui est très significatif, c’est la première des "sécurités" !
Autre conclusion : comme on ne peut plus compter sur les adultes, qui ont montré leur incapacité, on voit fleurir le phénomène des "bandes", très différentes de nos groupés de jeunes autrefois. La bande de "copains" est compétente en tout ; on l’aime, toujours par une espèce de compensation affective, et on y recherche sécurité et facilité, d’où les déviations que nous connaissons. Autrefois, le "tu" marquait une situation différente par rapport à une jeune fille ; il est dévalorisé ; si un garçon embrassait une jeune fille, à plus forte raison cela marquait une situation bien différente : qu’en reste-t-il ? Ceci peut paraître mesquin, voire déplacé, mais n’est-ce pas une quête angoissée dans l’ordre affectif, donc provisoirement "sécurisant", à cet âge de la découverte de l’affectivité ?
Je passe sur une autre conclusion, déjà évoquée plus haut, mais je voudrais tout de même rappeler : dans un monde socialisé, il est inévitable que les plus vulnérables, c’est-à-dire les jeunes, se socialisent dans leurs propres structures, informelles, inventées par eux : pas de "mouvements" dont ils n’ont que faire, avec plan d’années, campagne, etc.
Et la foi ? Bien sûr, c’est la "grande aventure" pour eux. Reprenons notre enquête : 9 % seulement de pratiquants déclarés mettent la foi avant la santé !
Et encore une fois, qu’on ne me dise pas que nos recherchants sont hors de ces problèmes ! Pour être franc d’ailleurs, j’en serais inquiet... pour la suite ! Une vocation se situe bien au-delà...
4) Réalisme et idéalisme... Ils veulent être réalistes, efficaces et... ils sont terriblement idéalistes (voir leurs griefs à notre égard, sur la faim ou la guerre, par exemple). Ils pensent que prisonniers d’une civilisation, nous devons nous libérer de celle-ci. D’où la contestation, violente parfois -ils sont jeunes !- de la civilisation elle-même. "Elle a fait la preuve de son incompétence, alors, remplaçons-la !"
Quant à nous, souvent, nous sommes tentés de ne voir que les débordements du jeune de toujours, spectateur ahuri et acteur intéressé de ce qu’il constate en lui comme changements. Nous oublions trop facilement la dimension sociale de cette découverte : nous avons affaire à un peuple de jeunes, non à des individus juxtaposés...
5) Espoirs. Une rude adaptation nous est demandée ! Il faut sans cesse réinventer avec eux ; mais n’est-ce pas pour nous gage de jeunesse ? Je connais un Foyer de jeunes séminaristes où longuement, dans le dialogue, on avait mis en place un "règlement". Il a fallu recommencer l’année suivante, avec des nouveaux... Au fond, est-ce si mauvais ?
Ces jeunes sont francs, droits, nets, ils savent ce qu’ils veulent, peut-être plus que
nous au même âge : pourquoi ne pas collaborer en les prenant au sérieux, ce qui, du même coup, nous fera prendre au sérieux ?
Je ne voudrais pas du tout empiéter sur le domaine pédagogique. -Je dois me borner à définir : mais je voudrais donner un seul exemple, sur un seul fait, pour faire comprendre ce que peut donner une collaboration, d’où une action, avec eux.
Au Colloque 70, des jeunes m’ont dit :"Une Eglise corme celle que nous avons là, nous nous y reconnaissons". Qu’avait-elle de si extraordinaire cette Eglise ? Rien, sinon que ces jeunes pouvaient y parler, s’exprimer, bâtir avec les adultes, les prêtres, les évêques. Ils ont été actifs ; ils ont été écoutés et, du même coup, ils ont écouté ; ils ont fait une expérience religieuse "valable", pour prendre leur langage, et, comme ce sont des positifs, ils ne sont pas prêts de l’oublier. Qu’on me pardonne de revenir sur leurs groupes "informels" : ils ont vu là l’Eglise formellement naître, avec des adultes, des prêtres, des religieuses, et eux, jeunes, dont les propres besoins ont été non seulement recueillis, mais reconnus. Les contestataires, dès lors, n’étaient pas parmi eux ! Faire avancer l’Evangélisation. les Vocations, voilà ce qu’ils voulaient.
IV - LE JEUNE EH RECHERCHE DE VOCATION
Ce paragraphe sera court, car le jeune en recherche de vocation est d’abord un jeune "comme les autres" (voir plus haut).
Qu’y a-t-il de différent alors chez lui, on 1970 ?
1) Eh bien, précisément, ce projet vocationnel.
On me concèdera, je pense, qu’il introduit dans la psychologie du jeune, un hiatus par rapport aux projets de ses camarades et compagnes. Hiatus ? Conflit ?
- Le jeune a ce projet, venu parfois d’un lointain passé, alors qu’il est à l’âge où tout est remis en question, où l’on découvre ses forces d’homme et où ce projet vient apparemment les contrecarrer.
Intérieurement d’ailleurs, il doutera de ce projet, dans ce grand enfantement qu’est l’adolescence, où tout doit devenir personnel.
- Mais, en 1970, il va subir des pressions énormes venant du monde dans lequel il vit, et qui vont le faire douter :
"Prêtre, qu’est-ce que ça ajoute de plus ? Nous allons vers la promotion
du laïcat".
"Prêtre, c’est comme cela que tu penses être efficace ?" "Tu ne vois pas que l’Eglise est en train de couler ?" "Il n’y a de valable que les actes prophétiques qu’on pose : par exemple, se marier ; pourquoi pas toi ?" "On t’a monté le coup quand tu étais gosse".
(Propos recueillis près de jeunes).
Et les adultes
Eh bien, pour les adultes, il faut bien dire qu’ils sont peu nombreux à penser que "l’essentiel est invisible aux yeux" (Saint-Exupéry) et à reconnaître la recherche de la Vérité à travers les contestations actuelles de l’Eglise ! La foi des jeunes pour s’engager requiert une plus grande foi des adultes pour les y aider. Est-ce que nous en sommes là ? J’entends : concrètement, habituellement, comme j’ai pu le constater personnellement en travaillant avec un mouvement d’Action Catholique. Qu’en est-il de l’attitude commune : Eglise, reprends-toi !
- Pressions venant aussi de "l’ambiance" dans laquelle vit le jeune homme. Quelques brefs exemples suffiront à vous aider à situer le problème :
Quand toute une classe copie, comment ne pas copier ?
Quand on se promène en bandes, et que les bandes se séparent en couples, comment résister au mouvement ?
Quand on est embauché comme moniteur de voile, ou plongeur dans tel club bien connu, qu’on a 17-18 ans, et que, le premier soir de son arrivée, on trouve une occupante dans son lit, combien de jours aura-t-on la force de renvoyer cette occupante ?
Dieu me garde d’être amer, mais tous ces exemples sont vécus. Et on ne peut revenir en arrière, c’est-à-dire cloîtrer les garçons, et les filles ! (Une nouvelle fois : Eglise, reprends-toi !)
Tout ceci n’est pas exclusivité des jeunes en recherche de vocation, mais est-ce que cela n’a pas une "couleur" spéciale pour eux ?
Une pédagogie nouvelle s’impose.
2) Les jeunes eux-mêmes nous en indiquent les grandes lignes.
Elles sont conformes à ce qu’ils vivent : "présent peu facile, pour préparer un avenir incertain, en s’appuyant les uns sur les autres".
- Les groupes ? Quelques exemples seulement, pris dans des bulletins diocésains. 11 s’agit de groupes de formation hors-séminaire :
"Le groupe m’a apporté une délivrance ; je n’étais pas seul dans mon cas".
"La mise on commun avec d’autres m’a apporté un peu le sens de la disponibilité que je n’avais pas, et mes fameux problèmes personnels passent bien au second plan". "Mon bonheur ne sera pas de le chercher pour moi, mais de donner ma vie pour que les autres l’aient".
- L’avenir ?
"Le mode de vie des prêtres de demain ne sera pas le même que pour ceux de maintenant ; c’est évident pour moi. Cependant, il ne semble que nous autres, jeunes de 69, ressentons le même appel que nos aînés à tout laisser. Les prêtres actuels devinaient-ils leur façon de vivre actuelle lorsqu’ils se sont engagés ? Sûrement pas. Alors, pourquoi ne ferions-nous pas confiance, nous aussi, au Seigneur ?"
"Que sera l’avenir, je m’en f... ! C’est déjà au poil d’y voir clair à peu près, dans le présent. L’avenir, Il saura bien me le montrer".
3) Et ces jeunes réclament que nous reconnaissions leur projet comme valable en tant que tel. Il vaudrait mieux dire : efficace !
Les jeunes en ont assez de nos controverses, assez de nos doutes, assez de nos affrontements qu’ils ne comprennent point.
- Ils attendent de nous que nous les aidions à expliciter ce qu’ils perçoivent intuitivement ; ils attendent de nous que nous les aidions, dans ce domaine qui est "sacré", à démêler ce qu’ils sentent confusément encore, comme "fascinant et redoutable".
- Ils attendent surtout de notre part la réponse existentielle à leurs interrogations : ils doivent nous voir vivre, sans peur, appuyés sur Dieu et nos frères, ce "fascinant et redoutable", dans le monde de 1970, en groupe (car ils ont besoin de "modèles" et non "d’un" modèle). Ils doivent nous voir, à partir de "Gaudium et Spes", avancer... inventer... vivre surtout !
V - EN GUISE DE CONCLUSION
- Je devais faire une "psychologie" du jeune en recherche... Tout n’a pas été dit dans cet article...
- J’aime Blondel ("L’Action", 1ère édition) : "La personne est une autonomie essentielle et une connexion indéclinable" (il faut se faire au vocabulaire !)
- Ne pourrait-on dire que, actuellement, c’est par ces connexions que les jeunes ne cherchent pas à décliner que nous arriverons à les aider à trouver cette autonomie "essentielle" qui pourra répondre "oui" dans une connexion complète avec Celui qui dit d’une façon pérenne :
"Viens, et suis-moi".
Jean-Marie RAGOT
Notes -------------------------------------
(l) - Cette recherche psychologique a été présentée à la session de Montmagny sur la Diaspora scolaire, en juillet 1970 et l’on a conservé à cette intervention le style oral de la causerie. Comme le précise l’introduction, ce travail ne constitue pas un tout achevé, mais une simple ébauche. Très existentielle, cette recherche s’appuie essentiellement sur du vécu, et les convictions comme les interrogations qu’elle dégage résultent du contact habituel avec les jeunes. C’est là, nous semble-t-il, l’intérêt majeur de cette étude. [ Retour au Texte ]