Au service des vocations de jeunes


A - POUR UNE PASTORALE DES VOCATIONS D’ADOLESCENTS

La générosité des jeunes d’aujourd’hui ne peut être mise en doute, trop d’exemples en apportent la preuve. Leur volonté de faire de leur vie un véritable service semble tout aussi évidente. Et comme on ne peut hésiter sur le fait que Dieu continue d’appeler, on ne devrait avoir aucune crainte sur l’avenir des vocations sacerdotales et religieuses.

Il faut cependant ajouter que les jeunes hésitent devant l’engagement définitif (on retrouve cette attitude devant le mariage). Ils hésitent aussi à entrer dans les structures (et pas seulement celles que leur offre l’Eglise). Si ces structures apparaissent solidement implantées, on les perçoit, de l’extérieur, comme irréformables, et l’on n’est pas pressé de s’y enfermer. Si elles se présentent comme en pleine recherche, elles semblent plus accueillantes. Mais, une fois à l’intérieur, la continuelle remise en cause, la réforme permanente se met à consommer toutes les énergies, entraînant un double sentiment d’inefficacité et d’insécurité qui conduit vite au découragement et à la désaffection.

Par contre ces mêmes jeunes qui renâclent à entrer dans les structures actuelles, lorsqu’ils se retrouvent à plusieurs, animés d’une même conviction, engagés dans une action à leur mesure, en vue d’un service effectif à rendre, créent de véritables communautés, dont la cohésion et l’efficacité sont souvent étonnantes. Ces jeunes savent d’ailleurs combien l’expérience des adultes leur est alors nécessaire, et n’hésitent pas à y faire appel.

Ces éléments d’analyse, beaucoup trop fragmentaires, servent de toile de fond à une réflexion sur les modes de soutien à apporter aux adolescents en recherche de vocation.

Hier, pour réserver à un enfant la possibilité de devenir prêtre, il fallait d’abord lui permettre d’accéder à un certain type de culture, essentiellement classique, en même temps que l’on commençait à lui faire vivre certaines exigences de la vie du prêtre dont on pouvait légitimement préjuger ce qu’elle serait. Ce fut le rôle des petits séminaires de remplir, parmi d’autres, cette double tâche.

Aujourd’hui, cette institution, qui s’est depuis vingt ans considérablement renouvelée, s’essouffle. Pour répondre aux vrais besoins, elle devrait ouvrir des sections et multiplier les options au moment même où le nombre de ses élèves diminue. Cette diminution tenant pour une part au regard que les jeunes, mais aussi les adultes, prêtres et parents, portent sur le séminaire. Au jeune qui parle vocation, on ne propose plus d’y entrer.

Constater les faits et les mentalités amène à se poser des questions :

Faut-il prendre au sérieux un projet de vocation dès l’âge de l’adolescence ? Un psychologue, commentant la réponse que font parfois les parents à un enfant qui expose un projet d’avenir, "tu es trop jeune pour penser à cela, tu verras plus tard...", écrit : "Tous les désirs manifestés par les jeunes enfants doivent être entendus, toute attitude orientée vers l’avenir doit être écoutée avec attention. Si, sous prétexte que l’on considère la question que l’enfant a posée comme prématurée, on lui interdit de penser au futur, on l’accule au présent et, en fait, on le rejette vers le passé... Il n’y a donc pas d’âge déterminé pour commencer à se préoccuper de la profession qu’on embrassera à l’âge adulte. Le premier moment propice est celui où l’enfant en manifeste le désir." (M. Mallet, interview au journal "Le Monde", cité dans "Vocations-Service", juin 69 p. 21). Ce qui est vrai de tout projet d’avenir l’est aussi pour la vocation.

Comment montrer que l’on prend ce projet au sérieux ? En proposant au jeune les moyens concrets et immédiate de commencer à orienter sa vie dans la ligne de ce projet, autrement dit, en lui offrant l’occasion de le "tester" pour en connaître la valeur. Il apparaît de plus en plus clairement que ces moyens, ce sont des communautés diverses.

La famille, le collège, l’aumônerie, le groupe de jeunes, l’équipe de réflexion dans son milieu de vie, etc. , telles sont les premières communautés où le projet de vocation, au-delà des confidences personnelles, peut être exprimé, reconnu, discuté, encouragé. C’est même là que, pour l’essentiel, tout se joue.

Il sera pourtant nécessaire de permettre aux adolescents de rencontrer d’autres jeunes ayant le même projet. Rencontres occasionnelles (récollections, retraites, camps) ou rencontres régulières en équipe de recherche au plan de la paroisse, du doyenné, du diocèse...

Certains adolescents continueront cependant à demander, comme actuellement, de pouvoir se retrouver dans une communauté de vie. Il faudra leur en offrir la possibilité.

B - DIVERS MODES D’ACCOMPAGNEMENT

Ce n’est pas de gaîté de coeur qu’un responsable de séminaire de jeunes voit sa maison radicalement transformée. Les jeunes qui s’y trouvent sont venus demander une aide qui leur est actuellement apportée dans un cadre précis, mais que l’on ne pourra plus assurer de manière aussi efficace dans d’autres conditions. L’ambiance d’un établissement scolaire de petites dimensions où prêtres et laïcs collaborent étroitement, où des expériences pédagogiques peuvent être tentées ; cette ambiance est une caractéristique que l’on perdra en abandonnant le scolaire.

On ne peut aussi s’empêcher de penser que c’est au moment où l’école recherche des expériences originales que l’on abandonne les séminaires qui ont toujours été considérés comme particulièrement valables au plan scolaire. C’est aussi au moment où 1’ internat apparaît difficile à mener à bien que l’on crée des foyers, internats purs coupés de toute réalité scolaire.

Les séminaires de jeunes présentaient des avantages réels dont il faut avoir conscience que l’on se prive en les transformant.

Et pourtant le même responsable constate que tous ces avantages ne font pas le poids. Une force latente mais constante pèse sur les structures, du séminaire, les alourdit, les rend difficiles à manier. Cette force a de nombreuses composantes :

  • c’est la volonté des familles de garder la responsabilité de l’éducation de leurs enfants, de ne pas l’abdiquer entre les mains de qui que ce soit.
  • c’est la difficulté, pour les prêtres (et spécialement ceux qui animent l’Action Catholique) d’accepter du voir les jeunes sortir de leur milieu social, familial, scolaire pour se retrouver dans un "milieu chrétien" qui leur semble artificiel.
  • c’est le désir des jeunes d’être en relation permanente avec d’autres jeunes ne partageant ni leurs convictions ni leur projet de vie.

A quoi il faut ajouter de sérieux problèmes de recrutement d’éducateurs (prêtres ou laïcs) ou d’équilibre financier : le monde scolaire devient de plus en plus complexe et spécialisé, il faut faire appel à des hommes et des femmes compétents aussi bien dans les diverses disciplines que dans le domaine pédagogique

Rester comme l’on est ou se transformer : il faut choisir mais déjà le choix n’est plus libre. La force de "contestation" (sans aucune nuance péjorative) fait pencher la balance. Rien ne sert de se cramponner indéfiniment, il faut aller de l’avant, se renouveler. L’essentiel est de bien garder présent à l’esprit la mission reçue : soutenir les adolescents dans leur recherche d’avenir au service de Dieu, au service des hommes. Puisque les structures qui avaient l’ambition de saisir le garçon dans la totalité de son existence se révèlent trop lourdes, il faut restreindre le champ d’action. Au minimum, c’est un soutien purement occasionnel. Un peu plus c’est la diaspora : rencontres régulières en laissant le jeune dans son milieu. Encore un peu plus c’est le foyer : communauté de vie, pour ceux qui désirent un soutien plus actif.

Séminaire, foyer, diaspora, trois modes d’aide aux vocations. Ils ont la même origine : le respect de l’Eglise pour les projets d’avenir des adolescents. Ils poursuivent le même but : permettre une recherche et favoriser un engagement dans la pleine liberté. Seuls les moyens sont différents, mais il ne faut pas sous-estimer ces différences.

Les séminaires ont peur eux une longue expérience : c’est leur richesse, c’est aussi leur limite. Les foyers et les diaspora n’en sont qu’à leurs débuts : c’est leur dynamisme qui fait leur force. Mais pour convaincre, ils doivent à leur tour faire leurs preuves.

En fait, dans cette difficile et nécessaire transition, sont en jeu des réalités d’une grande importance. Le rôle et la place du prêtre dans la communauté chrétienne. La responsabilité de cette communauté dans l’éveil et le soutien des vocations sacerdotales. La possibilité ou l’impossibilité de rendre "chrétiennes" des institutions (école, mouvements de jeunes, cf. syndicats et partis politiques...) L’existence même d’une morale chrétienne. A travers une crise des structures, c’est toute une conception de l’homme qui est remise en question. On ne peut attendre d’avoir trouvé une solution au plan théorique pour mettre en place des solutions pratiques. Mais dans les actions entreprises et les choix effectués, il faut savoir que l’on fait une option philosophique.

C’est à la fois stimulant et un peu "paniquant".

Jean EUVERTE
Supérieur du séminaire de jeunes de Paris