Des jeunes veulent être prêtres : que nous demandent-ils ?

Le monde est rempli de paradoxes. Nous portons tous le souci d’être attentifs aux personnes, et fidèles au réel, et voilà que nous éprouvons les pires difficultés à ne pas nous laisser enfermer dans des idéologies, des généralisations hâtives, voire des disputes oiseuses. Ainsi, par rapport au monde des jeunes.

Et cependant, que de réactions significatives pourrions-nous recenser, porteuses de leurs interrogations et de leurs appels, surtout lorsqu’il s’agit de l’avenir !

En voici une récente, de François, lycéen, choisie parmi beaucoup d’autres : "j’ai 18 ans. Je suis au bahut. Sans être plus sage qu’un autre, j’en ai eu marre de la vie que las copains et moi nous menions. Autour de moi, en moi, il n’y avait que du vide... C’est alors que j’ai envisagé le don que le jeune homme riche n’avait pas voulu faire."

Cette priorité accordée à la vie et aux besoins des jeunes constituera notre postulat de départ. La vocation humaine et chrétienne d’une personne n’est pas une entité abstraite mais s’enracine dans une histoire.

C’est pourquoi nous nous efforcerons d’être d’abord attentifs à ce que vivent les jeunes qui, aujourd’hui, pensent au sacerdoce (1), spécialement les 16-18 ans, à leurs interrogations, à leurs requêtes profondes.

Au demeurant, ces réflexions représentent une simple ébauche qui demande à être non seulement complétée et approfondie, mais nuancée et corrigée, en fonction des jeunes, des âges, des milieux et des vocations diverses dans l’Eglise.

I - DES JEUNES EN RECHERCHE

Que se passe-t-il dans la tête d’un adolescent qui pense au sacerdoce ? Bien malin qui pourrait le dire. Il semble cependant que ce projet suscite, de sa part, une triple réaction :

 il exerce une réelle séduction

 il provoque un sentiment d’insécurité

 il appelle la reconnaissance des adultes.

A - Une réelle séduction

1) pour tout projet d’avenir

Pierre veut s’orienter vers la recherche scientifique. Ce projet qui stimule ce jeune dans le travail intellectuel, l’étude des mathématiques en particulier, n’est pas l’effet du hasard. Il exprime authentiquement une personnalité qui vibre à certaines valeurs et perçoit plus ou moins explicitement une convergence entre ce qu’elle est actuellement, et ce qu’elle tend à devenir.

Tout projet d’avenir, dans la mesure où il s’enracine dans une histoire, manifeste un dynamisme créé par le décalage existant entre une personnalité qui se dessine et le rôle social qu’elle voudrait jouer.

Des jeunes sont interpellés par certains visages de l’Eglise, tels ceux qui expriment leur accord avec l’expérience de Taizé ou la vie des petits frères du Père de Foucauld. Cette attirance est loin d’être fortuite. Elle traduit une sorte de connivence entre les recherches actuelles de l’Eglise et les aspirations de ces jeunes.

2) pour le projet de vie sacerdotale

De même, des adolescents éprouveront de l’admiration pour des prêtres heureux de vivre et de servir, portant un témoignage d’équilibre et de paix dans un monde agité et tourmenté. Peut être certains d’entre eux, interpellés par ces vies sacerdotales, en viendront-ils à se poser personnellement la question du sacerdoce. Cette interrogation ne sera possible et durable que dans la mesure où ces jeunes rencontreront dans les modèles sacerdotaux qui les entourent les valeurs auxquelles ils désirent consacrer leur vie.

Ainsi, le jeune qui envisage d’être prêtre découvre dans le ministère sacerdotal une manière possible pour lui de répondre à l’idéal qui l’anime, d’accomplir une mission qui l’attire ; et dans le même temps, ce projet de vie sacerdotale va cristalliser des valeurs déjà expérimentées.

B - Un sentiment d’insécurité

1) pour tous les jeunes

Lié à une certaine séduction, tout projet de vie suscite une impression d’insécurité. Dans le contexte actuel, l’incertitude qui pèse sur l’avenir du jeune s’identifie souvent à un véritable sentiment d’angoisse. Les témoignages en sont multiples.

Ainsi, l’appréhension devant toute forme d’engagement définitif. Ne voit-on pas des jeunes de plus en plus nombreux, et appartenant désormais à tous les milieux sociaux, repousser jusqu’à une date indéterminée le mariage religieux, parce qu’ils demeurent incertains face à toute option définitive et dans leur foi.

Le fait même d’être chrétien dans une Eglise minoritaire au sein d’un monde technique en plein essor, les fait douter de la pérennité de l’Eglise et les conduit à penser que la vie chrétienne est aujourd’hui inefficace et dépassée.

On pourrait apporter bien d’autres exemples. Comme le rappelle une enquête récente de la SOFRES : dans un monde mouvement et une Eglise en recherche, ce n’est pas "l’aventure mais la sécurité qui attire les jeunes".

2) pour les jeunes en recherche de vocation

Ce climat général affecte profondément le jeune qui pense au sacerdoce, bien que le projet de vie sacerdotale ajoute à son insécurité une coloration propre.

- par rapport aux adultes

Le jeune redoute grandement qu’on prenne pour du définitif ce qui n’est encore qu’une recherche. Il se heurte souvent à des mentalités qui se méprennent sur la signification de son projet. Certains voient ce jeune déjà engagé pour le sacerdoce, alors qu’il s’agit pour lui d’un projet qui demande à être mûri dans le creuset du temps et de l’expérience. D’autres voudraient lui imposer une séparation prématurée, alors qu’il refuse un style de vie qui présumerait trop tôt de son orientation à venir. Aussi, tient-il à garder jalousement son entière liberté devant un choix qui l’engage très profondément.

- par rapport à lui-même

Un autre motif d’inquiétude surgit à propos des exigences de la vie sacerdotale. Le jeune répugne aux limitations que comporte le choix du ministère. Il hésite à sacrifier d’autres possibilités qui s’ouvrent devant lui. L’engagement sacerdotal est perçu comme limitatif, voire inefficace, et lui paraît aller à l’encontre de tout ce que ses forces d’homme jeune découvrent ; la paternité, la vie conjugale, la beauté d’un engagement au service des autres dans la vie professionnelle et sociale, la passion des découvertes techniques. Les difficultés sexuelles lui font apparaître le mariage comme une solution plus facile.

- par rapport aux modèles

Les craintes du jeune sont encore, et surtout peut-être, liées aux modèles qu’il a sous las yeux. Dans notre civilisation urbaine et technique, où l’Eglise n’est plus coextensible à la société profane, le prêtre n’exerce plus le même attrait que par le passé. Et bien qu’un nouveau modèle sacerdotal se cherche, plus attirant pour les jeunes, trop souvent encore le prêtre. est perçu comme un homme mal situé dans la vie des hommes, à la personnalité étriquée et plus ou moins crispée.

Ces difficultés s’inscrivent, par surcroît, dans un mouvement de contestation du statut sacerdotal qui ne répond pas spécialement aux problèmes des jeunes, mais les insécurise dans leur propre recherche.

Cette énumération n’est pas exhaustive, maïs elle suffit à expliquer que les jeunes ne manquent pas de raisons pour être hésitants et discrets par rapport à leurs projets. A la réflexion, on comprend pourquoi ces garçons ne livrent pas facilement leurs interrogations, ni aux prêtres qu’ils connaissent, ni à leur famille, ni toujours à leurs amis. Aussi, est-ce souvent une surprise de constater, à travers une enquête ou dans le cadre libérateur d’une retraite ou d’une rencontre amicale, que des jeunes - plus nombreux qu’on ne le croit habituellement - et dans tous les milieux - se posent personnellement la question du sacerdoce.

C - La reconnaissance des adultes

1) A cause de la signification d’un projet d’avenir

Insécurisés devant leur avenir, très jaloux de la liberté de leur choix, vacillants devant un projet plus ou moins explicite, ces jeunes n’en ressentent pas moins le besoin d’être reconnus dans leur recherche.

- L’importance du projet au regard des jeunes

A vrai dire, ce que le jeune demande aux adultes, c’est qu’ils le prennent au sérieux dans les questions qu’il se pose, moins parce qu’il envisage d’être prêtre qu’à cause du retentissement d’un projet de vie dans sa vie actuelle et pour son avenir, comme on le ferait déjà pour le choix d’une profession.

Et c’est bien là l’essentiel en effet. Etre attentif à un projet d’avenir, quel qu’il soit, est une exigence de vérité psychologique : c’est reconnaître que dans la mesure où il cristallise des valeurs, permet aux jeunes de les vivre profondément, féconde la vie présente, un projet est service de la réussite humaine et chrétienne des personnes, et doit être pris en considération.

On ne saurait l’assimiler à une projection extérieure à la personne, qui n’aurait aucun enracinement dans la manière de vivre du jeune, l’amènerait à rechercher une évasion facile dans le rêve ou l’attentisme, et ne tarderait pas à provoquer la suspicion des éducateurs. Il s’agit d’un véritable projet de valeurs auxquelles l’adolescent envisage de consacrer sa vie, mais qui est cohérent avec sa vie actuelle, qui stimule aujourd’hui les ressources de sa personnalité.

"La nécessité d’un choix s’impose, à mon avis, sur deux plans, écrit un jeune. D’abord le plan professionnel : c’est le but de mes études. Chacun travaille pour se faire une situation, cela est très important... Mais il y a un second choix dont dépend en partie la premier : un choix intérieur, une option fondamentale qui donne une ligne de vie. C’est la dure élaboration d’un idéal auquel on essaie de se conformer ; c’est le choix d’une façon de vivre".

- L’importance du projet pour les psychologues

Que ce projet d’avenir apparaisse pour la première fois au terme de l’adolescence, ou qu’il soit la reformulation d’un projet d’enfant, ce qui est en cause, c’est la réussite personnelle et sociale du jeune, sa manière de construire sa vie aujourd’hui et ainsi d’orienter son avenir. Cette analyse rejoint celle des psychologues qui s’accordent à souligner l’importance des projets dans la vie de toute personne, comme "source de dynamisme et d’unification". Les grands adolescents sont capables de se passionner pour les valeurs culturelles, qu’elles soient politiques, esthétiques, morales ou religieuses ; chacune est la source d’une émotion distincte et correspond à une expérience vécue ; elles n’ont plus autant besoin de s’incarner, comme durant l’étape précédente dans des modèles humains. Toutes les sollicitent à la fois et luttent d’influence dans l’orientation de leur vie. Mais chaque famille de valeurs répond plus spécialement à un type de personnalité. De même qu’avec la puberté s’ouvrait l’éventail des caractères, de même à la fin de l’adolescence s’ouvre celui des formes de vie définies par autant de hiérarchies de valeurs." (M. Debesse, professeur de psychologie à la Sorbonne, cf. "Les étapes de l’éducation" page 138).

Ainsi le projet de vie, au temps de l’adolescence, devient au plan psychologique, un point d’application particulier d’un phénomène général, qui demande à être éclairé à la lumière de l’anthropologie.
Cette manière de penser nous semble répondre aux désirs profonds des jeunes. Ils veulent qu’on reconnaisse l’importance de leur recherche mais sans présumer de leur choix définitif, car un projet représente une hypothèse et non une certitude pour l’avenir.

2) A cause de la dimension chrétienne d’un projet d’avenir

La conception chrétienne de la vocation n’a aucune peine à rejoindre cette analyse psychologique. Elle vient lui apporter les lumières de la foi. Quand l’adolescent est capable de formuler un véritable projet de valeurs, quel qu’il soit, on peut dire que son projet devient vocationnel. Car vivre des valeurs, c’est se décentrer par rapport à soi-même, et donc abandonner une attitude velléitaire ou égotiste pour se mettre en relation avec l’autre, avec ses frères et avec Dieu". "A travers l’appel des valeurs, Dieu appelle". (Schillebeeckx)

- Pour des chrétiens, le Seigneur est à la source de ces énergies

Sa grâce est au coeur même de ce dynamisme. Les valeurs qui sous-tendent le projet révèlent le signe de sa présence agissante. La vocation n’apparaît plus comme un objet "qu’on a ou qu’on n’a pas". Elle devient dialogue, rencontre de Dieu et de l’homme qui s’interpellent réciproquement. On ne peut plus la considérer comme un avoir. Elle définit l’être. Expression d’amour et de foi, elle constitue une réalité vivante, dynamique et créatrice, susceptible de développement et d’épanouissement, car l’homme la construit chaque jour avec Dieu.

- Une vision existentielle de la vacation

Les jeunes sont sensibles à cette conception de la vocation qui implique relation personnelle et active, et fait appel à la libre créativité de la personne. Ils se sentent en accord profond avec cette notion existentielle de la vocation, qui n’est plus préfiguration de l’avenir mais fidélité à Dieu dans le présent, et découverte au jour le jour de l’orientation à donner à sa vie. Ils sont les premiers à penser que la découverte de l’avenir doit s’inscrire dans le développement de la personne et donner au facteur temps toute sa valeur.

Ces aspirations et ces besoins des jeunes rejoignent l’enseignement de l’Eglise. "Comme éducateurs de la foi, les prêtres ont à veiller, à ce que chaque chrétien parvienne, dans le St Esprit, à l’épanouissement de sa vocation personnelle selon l’Evangile... Ils sauront aider les hommes à devenir capables de lire dans les événements, petits ou grands, ce que réclame une situation, ce que Dieu attend d’eux". (P.O. N° 6 - cf. également P.O. N° 11 ; G.S. N° 11 et 36).

Dans cette perspective, Dieu n’est plus celui qui de l’extérieur dicte une conduite. Il est à la source de l’acte par lequel l’homme donne un sens à l’événement et se fraie le chemin de la vocation. L’appel n’est pas chronologiquement antérieur à la réponse ; il est le fruit du dialogue entre la liberté de l’homme en train de s’inventer et Dieu source de cette liberté qui suscite l’initiative et la créativité.

3) Répondre aux véritables besoins des jeunes

Rejoindre les jeunes au niveau de leur vie : telle doit être la préoccupation fondamentale des éducateurs. Tout projet de vie - et il n’est pas possible de vivre sans projet - entraîne de la part des adultes une exigence de reconnaissance. D’ailleurs, une personnalité ne mûrit pas dans un climat d’attentisme, qui ne prend en considération aucun appel et renvoie tous les choix à plus tard.

Dans le cas particulier des garçons qui pensent au sacerdoce, de même qu’il y aurait erreur à vouloir imposer trop tôt une pédagogie cléricale, il y aurait erreur à mettre en veilleuse l’orientation actuelle que de fait le jeune donne à sa vie et qui le met en état de recherche.

Identifier son projet à un engagement clérical mais tout autant encourager une attitude de désengagement pratique et d’attentisme sous prétexte que l’avenir est encore incertain constitueraient, à notre avis, une même incapacité chez l’adulte à sortir de sa propre vision des réalités et à répondre aux véritables besoins du jeune.

Plus fondamentalement encore, ne serait-ce pas un manque d’attention aux appels de Dieu dans la vie des personnes, et aux signes de son action dans le monde des jeunes ? Mais alors, quelle aide plus précise, pouvons-nous leur apporter ?

***

II - L’EDUCATION D’UN PROJET

Comment aider les jeunes à mûrir leur projet d’avenir ? Quelle expérience leur proposer pour qu’elle soit révélatrice de leur vacation ? Quelles attitudes adopter à leur égard ? Telles sont les questions auxquelles il nous faut essayer de répondre.

Nous le ferons, en proposant deux éléments de réflexion :

 nous devons aider ces jeunes à réaliser leur vocation d’hommes et de chrétiens,

 nous devons leur offrir une aide spécifique pour la maturation de leur projet.

A - Aider ces jeunes à réaliser leur vocation d’hommes et de chrétiens

Bien qu’ils forment un projet de vie sacerdotale, ces garçons demeurent des chrétiens laïcs. Ils ne découvriront et réaliseront leur vocation spécifique qu’en vivant aujourd’hui leur vocation de baptisés. Telle sera notre première préoccupation d’éducateurs.

- Dans la perspective ancienne

Certains ne manqueront pas de l’opposer à la pratique de toute une époque, où l’on retirait soigneusement les jeunes de leurs milieux naturels, dans le but de protéger une "vocation naissante". Encore convient-il de se rappeler que cette pédagogie protectionniste était liée à tout un contexte. La conception "prédestinante" de la vocation conduisait les éducateurs à mettre à l’abri des dangers du milieu ambiant "les germes de vocation". Le souci de l’orientation professionnelle, faisant droit aux valeurs de temps et de réflexion, n’entrait guère dans les préoccupations des parents et des éducateurs. De plus les adultes adoptaient volontiers une attitude protectrice, conditionnée par une conception purement négative du monde, lui-même objet de dépréciation et fondamentalement perçu comme une menace.

- De nouvelles représentations

Mais les temps ont changé. Dans un contexte social nouveau, la double recherche anthropologique et théologique, ressaisie et authentifiée par l’enseignement officiel de Vatican II, suscite de nouvelles représentations. Ainsi la décret sur la formation des prêtres (n° 2 et 3, éclairés par les modi) affirme la primauté de la vocation baptismale, présente les communautés vocationnelles (séminaires, diaspora...) comme des centres de recherche et d’orientation, recommande l’insertion des jeunes dans les divers milieux de vie, écarte toute formation cléricale prématurée au profit d’une pédagogie baptismale tenant compte des projets des jeunes, admet une pluralité de cheminements.

Inutile de souligner longuement combien ces nouvelles orientations pédagogiques rejoignent non seulement les aspirations mais les besoins profonds des jeunes.

1) Former des hommes

Nous avons à les aider avec d’autres à devenir des hommes, capables de prendre la responsabilité de leur vie, et de choisir librement leur avenir.
Etre homme devant l’avenir, n’est-ce pas chercher à inventorier ses possibilités, à se libérer de l’esclavage des conditionnements, rester attentif aux signes des événements, assumer en connaissance de cause la construction de sa vie dans une direction donnée, travailler avec d’autres à bâtir un monde plus juste et plus fraternel, mais aussi découvrir le sens du possible et du délai dans la mise en application de ses différents projets. "La dignité de l’homme exige qu’il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d’une contrainte extérieure." (G.S. N° 11, 17, 35, etc.) .

2) Former des chrétiens

Les jeunes qui pensent au sacerdoce sont des hommes en train de se réaliser, mais aussi des chrétiens, qui par leur caractère baptismal, participent au sacerdoce du Peuple de Dieu. Que l’attention portée à un projet d’avenir ne nous fasse jamais oublier la primauté de la vocation baptismale sur les vocations particulières.

Le Concile nous le rappelle : la pédagogie des vocations doit être d’abord baptismale. L’éducation de ces jeunes s’inscrira résolument dans cette ligne. (O.T, n° 2 et 3).

Rien n’apparaît plus fondamental pour le développement d’une vie de laïc, de prêtre ou de religieux, que de vivre son baptême comme une vocation. Quel que soit l’état de vie choisi, le dynamisme du baptême restera dans Ia vie du chrétien la principale source de son rayonnement et de son activité.

De même, rien n’est plus essentiel pour la recherche d’une vocation particulière qu’un climat de vie baptismale, et ceci pour 2 raisons :

- d’une part, il n’y a pas de vocation authentique sans une disponibilité permanente aux appels de Dieu, une continuelle reconversion de notre vie à sa volonté, un souci de le rencontrer dans la vie quotidienne,

- d’autre part, la manière dont un chrétien réalise chaque jour sa vie baptismale permet seule de prendre au sérieux un projet de vie sacerdotale ou religieuse.

Encore faut-il préciser ce qu’on entend par "vocation baptismale", ou "vivre son baptême comme une vocation".

La vie baptismale comporte, selon l’enseignement traditionnel de l’Eglise une expérience chrétienne à deux dimensions : personnelle et communautaire, englobant dans un même mouvement la relation à Dieu et l’appartenance à un Peuple, "signe de Jésus-Christ dans le monde".

Mais l’explicitation de cette réalité nous entraînerait dans de trop longs développements. Nous ne retiendrons de la pédagogie baptismale que quelques points d’application, spécialement choisis en fonction de la situation particulière des jeunes qui envisagent le ministère sacerdotal.

3) De la préservation à l’engagement

a) La relation à un Dieu personnel

L’un des signes du sérieux avec lequel le jeune répond à sa vocation baptismale et formule un projet de vie sacerdotale, consiste dans ses efforts pour rencontrer Dieu dans la vie quotidienne. Cette rencontre pourra prendre des formes multiples : la prière, la vie sacramentelle, la lecture de l’Evangile, ou la révision de vie... Le signe en sera toujours celui de la foi en Jésus-Christ, rencontré comme quelqu’un de vivant, et actuellement à l’oeuvre dans le monde.

b) L’engagement apostolique

Il revêt une importance particulière, comme une dimension essentielle de sa vie de fils de Dieu, et de jeune en recherche de vocation. Combien de chrétiens ont été transformés en acceptant des responsabilités au service de leurs frères ! N’est-ce pas cette ouverture aux autres, en particulier grâce aux mouvements apostoliques, qui a créé, dans bien des cas, une inquiétude spirituelle, provoqué une découverte approfondie du Seigneur, éveillé une vocation de militant laïc, de prêtre ou de religieux, au service du Peuple de Dieu ?
Par contre, n’y aurait-il pas lieu d’être sceptique devant les déclarations d’un jeune formant un projet de vie sacerdotale et qui ne ferait aucun effort pour sortir de lui-même et s’engager apostoliquement dans ses divers milieux de vie ?

c) La rencontre même de camarades non pratiquants ou incroyants

Elle interpelle le jeune et l’invite à répondre de sa foi, à l’approfondir, à l’enraciner dans une communauté chrétienne joyeuse et missionnaire, comme elle peut faire naître en lui un projet de vie sacerdotale ou religieuse (G.S. N° 44 / 3).

d) Toute la vie du jeune

En définitive, c’est toute la vie du garçon qui doit être réponse à sa vocation. C’est dans tous les milieux de vie qu’il mûrit son projet d’avenir et poursuit sa recherche. En ce sens, tous les secteurs de son expérience, tous ses engagements, toutes ses relations, toutes les communautés auxquelles il appartient (famille, paroisse, milieu social, mouvement, école, loisirs, etc.) peuvent devenir le lieu où s’enracinent et s’épanouissent à la fois sa vocation d’homme et de fils de Dieu et son projet de vie. Car il est bien évident que, si pour la clarté du l’exposé, nous avons artificiellement distingué vocation humaine, chrétienne et sacerdotale, dans le concret de l’existence et le développement d’une personnalité, ces trois réalités sont absolument inséparables et interfèrent sans cesse.

Les jeunes sont les premiers à le sentir et à le vivre, même lorsqu’ils ne l’expriment pas, et les influences qui s’exercent sur eux, comme l’importance de leurs découvertes déjouent souvent nos calculs.

e) L’accompagnement des jeunes

On pourrait reprocher aux réflexions qui précèdent de traduire une réaté idéale dont les applications apparaissent peu nombreuses. Aussi devient-il opportun de rappeler un principe pédagogique fondamental qui reste sous-jacent à toute notre recherche : la nécessité du témoignage des éducateurs, lui-même inséparable de la vie de toute la communauté initiatrice. Parler de témoignage n’est même pas assez dire, il s’agit plus exactement de l’accompagnement des jeunes dans leur long et difficile cheminement. Les éducateurs ne peuvent faire l’économie de partager avec les jeunes l’expérience qu’ils vivent, c’est-à-dire de rechercher avec eux les appels du Seigneur dans leur propre vie. Eduquer une vocation, c’est établir une relation. Nul ne peut y prétendre sans se laisser interpeller par la recherche des jeunes, et sans se renouveler personnellement dans la fidélité à sa propre vocation.

Nos garçons ne s’y trompent pas. Ils ont vite perçu si l’adulte accepte de cheminer avec eux, ou s’il impose au contraire des positions toutes faites, par voie d’autorité ou par des moyens détournés. Seul peut entrer en dialogue l’éducateur qui accepte de changer. L’équilibre de l’adulte que les jeunes admirent se vit au prix d’une vulnérabilité reconnue et affrontée dans l’Espérance. Pour l’adulte comme pour le jeune, la vocation n’est pas une réalité toute faite et immuable, mais une source intarissable de dynamisme et de renouvellement.

B - Offrir à ces jeunes une aide spécifique pour la maturation de leur projet

Cette insistance donnée à la vocation baptismale, si nécessaire soit-elle, comporte un risque : celui de ne pas tenir compte de ce qu’il y a de spécial dans le situation de ces jeunes qui forment un projet de vie sacerdotale. On aboutit alors à une pédagogie attentiste : "former des hommes et des chrétiens ; plus tard, ils choisiront."

Bien des raisons l’expliquent ; la crainte de voir le garçon se couper de ses milieux de vie, le souhait d’un engagement missionnaire en plein monde, la phobie de toute forme de pression, la référence aux institutions du passé, et jusqu’aux mauvais souvenirs de son expérience personnelle... De telles réactions ne sont pas dépourvues d’intérêt, dans la mesure où elles peuvent attirer l’attention sur certains impératifs pédagogiques.

Encore faudrait-il dépassionner le débat, s’abstenir de raisonner dans l’abstrait, et porter un regard objectif sur les jeunes eux-mêmes.

On pourrait en effet invoquer de nombreux arguments en faveur des communautés chrétiennes spécifiques (2)

Nous nous efforcerons plutôt de partir d’observations psychologiques, telles que la vie et les besoins des jeunes peuvent nous les livrer.

Ce regard sur la vie concrète des garçons en recherche nous permet d’affirmer, à nouveau, qu’un projet de vocation marque profondément la psychologie d’un jeune et sa manière de vivre son engagement baptismal. S’il est vrai que le projet de sacerdoce se situe dans le prolongement de la vocation baptismale, il introduit cependant le baptisé dans une recherche propre, différente par certains aspects de la recherche commune. Cette expérience spécifique se caractérise, nous semble-t-il, par deux traits :

 certains accents donnés à la vie chrétienne,

 l’importance des communautés de recherche.

1) Certains aspects donnés à l’expérience chrétienne

La rencontre des jeunes qui pensent sérieusement au sacerdoce nous permet de constater que leur vie chrétienne ne diffère pas essentiellement de celle des autres baptisés. Il s’agit d’une expérience de vie baptismale vécue avec, une coloration propre qui lui donne une certaine intensité et conduit à en souligner certains accents inséparables :

a) le dialogue avec Dieu

Il constitue un élément fondamental. Comment s’en étonner ? C’est Dieu qui appelle, qui convie un jeune à partager sa vie, son travail. La vocation du chrétien n’est pas un service social, mais une amitié avec Dieu.

Cela se traduit par une nouvelle vision de l’expérience spirituelle, une initiation plus poussée au dialogue avec Dieu, une exigence de participation active à la vie eucharistique.

Ce dialogue avec Dieu ne se fait pas uniquement dans la prière personnelle ou communautaire, mais aussi à travers l’Evangile et les faits quotidiens.
La révision de vie, véritable lecture religieuse des événements, fera partie de ce dialogue, et l’on peut aisément en discerner les raisons : la vocation n’est pas d’abord, une prospective ; le jeune doit apprendre à découvrir ce que Dieu veut lui signifier aujourd’hui. (cf. P.O. N° 6 et 11).

b) une sensibilisation aux appels du monde

L’expérience spirituelle demeure inséparable de celle d’un Père qui aime le monde, qui veut par son Fils le sauver et qui cherche des médiateurs humains pour assurer dans le monde le signe de la présence de son amour libérateur.

Suivant les étapes de son évolution, le jeune sera porté à mettre l’ac- cent sur tel ou tel aspect : par exemple, au temps de l’adolescence, remettant en question sa foi d’enfant, il deviendra surtout attentif aux appels du monde.
C’est à partir du service des autres, qu’il pourra amorcer tout un cheminement spirituel. (Exode 3 / 7).

c) l’expérience de l’Eglise

Elle s’inscrira essentiellement au coeur de l’engagement apostolique.
Expérimentant à son niveau les exigences et les joies de l’apostolat, le jeune pourra vérifier si réellement ce projet lui convient. Réciproquement, l’engagement l’aidera à se libérer d’une attitude égoïste et provoquera en lui une inquiétude spirituelle et une découverte approfondie du Seigneur.

L’engagement apostolique l’amènera à découvrir la réalité de l’Eglise et la complémentarité des Vocations. La découverte des différents états de vie ne sera pas d’abord le fruit d’un engagement mais d’une expérience. Là aussi, c’est la vie qui appelle. La réalisation de son projet d’avenir sera en grande partie liée à la rencontre de prêtres "dont l’existence soit un appel".

2 ) L’ importance des communautés de recherche

a) de multiples raisons

Même à supposer que notre garçon s’efforce de répondre aux exigences de sa vocation baptismale, qu’il ait un engagement apostolique dans son milieu de jeunes, et rencontre régulièrement un prêtre, son projet d’avenir appelle normalement une autre dimension fondamentale : celle qu’apporte une communauté ou un groupe de volontaires, réunis au nom d’un même projet et pour une commune recherche.

Les formes peuvent en être multiples et variées (depuis le séminaire scolarisé jusqu’à de simples rencontres trimestrielles), mais toutes se voudront d’abord au service des jeunes, pour les aider dans la maturation de leur projet.

Ici encore, on pourrait justifier l’existence de telles communautés ou de telles rencontres, en faisant appel à l’histoire, à l’expérience, à l’enseignement de l’Eglise ou à des lois psychologiques. Ainsi, on entend souvent dire que les jeunes éprouvent un besoin vital de se rencontrer pour partager ce qu’ils vivent, donner de la consistance à un projet et pour agir. Et il parait assez évident que le groupe représente un élément essentiel pour garantir la liberté de la recherche et lui permettre de s’approfondir.

b) les motivations des jeunes eux-mêmes

Mais regardons plutôt les motivations des jeunes eux-mêmes. Une expérience relativement récente va nous y aider. Nous avons vu naître, ces dernières années, des groupes de jeunes en recherche de vocation, en dehors des séminaires. Il est intéressant d’étudier sur le vif le démarrage et le fonctionnement de ces groupes.

Il s’avère que ces jeunes reconnaissent que leur projet les fait entrer dans une expérience nouvelle, apporte dans leur vie chrétienne à la fois une différence de perspective et aussi, bien souvent, d’intensité.

C’est pourquoi, sans renoncer à aucun de leurs engagements, ils ont exprimé le besoin psychologique de se retrouver entre eux (3) :

- parce qu’ils se sentent isolés, et d’autant plus qu’ils se heurtent à une pression sociale défavorable. "J’ai découvert que je n’étais pas seul à penser au sacerdoce" ou encore "Ouf ! On peut parler !" (réflexions de garçons en rencontres de diaspora). Pensons seulement aux répercussions que peuvent provoquer sur un jeune de 16-18 ans les débats actuels sur le prêtre !

- parce qu’un groupe de recherchants normalise leur situation (ils ne sont plus des exceptions dans leur milieu), valorise leur recherche personnelle tout en favorisant la liberté. La communauté de jeunes joue un rôle de stimulant, de soutien. Elle cristallise les recherches personnelles et les énergies. Elle amplifie les expériences et leur donne une dimension nouvelle.

- parce que le groupe de volontaires permet de vivre une expérience collective sur le projet vocationnel : non seulement le groupe donne une possibilité d’expression, de dialogue, d’éclairage mutuel et ce point n’est pas négligeable, dans un monde socialisé surtout - mais il procure une expérience spirituelle et une réflexion spécifique sur la vie, en référence au projet d’avenir.

Bien entendu, le but de ces "communautés homogènes" n’est pas d’isoler des garçons pour les protéger, dans une sorte de cénacle feutré et confiné, mais de constituer des centres de réflexion et de ressourcement, soucieux de ressaisir la vie quotidienne, et de permettre aux jeunes de mûrir leur vocation à travers leurs divers engagements.

Tel nous apparaît l’esprit qui doit présider à l’animation des séminaires et des groupes de recherche. Une équipe de diaspora qui ne se situerait pas dans le prolongement de la vie quotidienne des jeunes, de ses liens naturels, de ses engagements apostoliques, ne constituerait aucune avancée pédagogique par rapport à l’ancien petit séminaire de 1930 ! Bien sûr, l’objectif des institutions ou des groupes dont nous parlons est tout autre. D’ailleurs, l’une des exigences fondamentales d’une recherche de vocation n’est-elle pas la participation du jeune à l’évangélisation de son propre milieu ?

c) les besoins qui s’expriment

Reste à préciser d’un mot le contenu des rencontres ou du dispositif pédagogique de ces communautés. Généralement, 3 besoins se manifestent :

- une animation spirituelle plus intense, par la prière, la révision de vie, la rencontre d’un prêtre ou l’étude d’un thème déterminé,

- une réflexion sur la vocation, le ministère, la vie religieuse, le laïcat, les états de vie. Elle se fait en premier lieu à partir du témoignage de l’aumônier, des éducateurs et des équipes de vie, mais aussi à travers les contacts et les échanges.

- une recherche sur les questions posées par la situation particulière du jeune dans les divers secteurs et milieux de vie, (engagement social ou apostolique, insertion dans le milieu, relation avec les autres jeunes : garçons ou filles, etc.).

CONCLUSION

Au terme de ces quelques réflexions, nous reviendrons à l’idée de départ.
Des jeunes aujourd’hui forment un projet d’avenir sacerdotal. Ce projet fait partie de leur vie, il les marque, il a besoin d’être éclairé et mûri, et pour cela il demande à être reconnu. Qui le fera ?

Ce n’est pas chose facile pour les éducateurs. Le monde adulte éprouve les plus grandes difficultés à prêter attention à la vie des jeunes, à leurs interpellations, à leurs aspirations. Et ce problème universel rejaillit dans la vie de l’Eglise : quelle place fait-on aux jeunes dans nos assemblées liturgiques, les groupes de catéchèse, les préoccupations apostoliques, les rencontres sacerdotales, les recherches et les décisions ?...

L’aide offerte aux garçons qui pensent au sacerdoce doit être l’une des réponses positives de l’Église à la réalité vécue par les jeunes, réponse signifiante d’un témoin, pour le Peuple de Dieu et dans le monde. Elle fait donc partie du rôle de tout chrétien et de tout prêtre en particulier, qu’il soit aumônier de scolaires ou de mouvements, professeur ou animateur d’un secteur paroissial.

Et cette attention portée aux besoins des jeunes sera par surcroît la source d’un renouveau dans l’Eglise. En effet, les prêtres actuels ne sauraient avoir la prétention d’inventer, à eux seuls, le type de ministère adapté au monde d’aujourd’hui et de demain. Tout évolue si vite, et les jeunes n’hésiteraient pas à récuser un modèle sacerdotal dessiné par les anciens et qu’ils n’auraient pas contribué à créer. Enfin, aurions-nous la mémoire assez courte pour avoir oublié que les jeunes, quand on leur a donné la parole, ont toujours eu quelque chose de neuf à dire ? Puisse le Message du Concile passer dans les faits : "Jeunes, l’Eglise vous regarde avec confiance et avec amour".

J . RlGAL

Notes

(1) Pour mieux cerner le problème, nous avons préféré limiter notre recherche au projet de vie sacerdotale. Mais bien des éléments de cet article doivent pouvoir s’appliquer également au projet de vie religieuse. [ Retour au Texte ]

(2) Ces arguments sont d’ordre théologique, sociologique et historique. On pourrait encore citer en exemple tout le travail entrepris par les mouvements d’A.C, de jeunes pour la création de groupes de recherche vocationnelle.
Tout cela aurait son intérêt... [ Retour au Texte ]

(3) A titre d’information, pour concrétiser ce désir de rencontres spécifiques, nous signalons que 53 jocistes se sont inscrits en juillet 69, à une session sur le vocation, organisée par la J.O.C. [ Retour au Texte ]