Vocations en monde ouvrier

J’userai de "cette franchise un peu rude" qui caractérise le monde ouvrier pour traduire mon accord de fond sur le dossier qui vous est présenté : que les auteurs comme les lecteurs de ces pages ne m’en tiennent pas rigueur.(1)

Je relève d’abord une affirmation essentielle : "L’Eglise doit accueillir tout ce qu’il y a de Vrai, tout ce qu’il y a de "signes du Royaume" chez les hommes et les femmes de la classe ouvrière ; elle doit accueillir la culture, le type d’homme et de société du mouvement ouvrier". Cette exigence de catholicité, sans laquelle l’Eglise de Jésus-Christ dans notre pays ne serait pas elle-même, est loin d’être reconnue par tous les membres du peuple de Dieu. Plus de 40 ans d’efforts de la J.O.C. avec les développements parmi les adultes qui ont suivi, n’ont pas encore obtenu au monde ouvrier, dans sa réalité collective, la reconnaissance par les communautés ecclésiales de ce qu’il est, de ce qu’il vit, de ce qu’il porte providentiellement... Que nos frères dans la Foi qui appartiennent à d’autres milieux sociaux acceptent de s’interroger sur leurs responsabilités en ce domaine.

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Cependant ces quarante années n’ont pas été vaines. Par la puissance d3 l’Esprit, des hommes et des femmes du monde ouvrier, des prêtres et des religieuses en mission apostolique ont vécu un authentique témoignage selon l’Evangile parmi leurs frères de travail. Ils ont traduit en actes, qui sont des paroles compréhensibles pour les travailleurs, la présence vivante de Jésus-Christ. Dans la logique de cette expérience, patiente, enfouie, l’Eglise commence, ici ou là, à paraître, comme une jeune pousse qui sort du terreau du monde ouvrier.

Rien d’étonnant dès lors que des jeunes travailleurs veuillent accéder au sacerdoce. Mais les conditions de leur découverte, en pleine vie ouvrière, leur font se demander : "un jeune du monde ouvrier, à plus forte raison un adulte, parce qu’il veut répondre à l’appel du Christ, doit-il renoncer à tout ce qu’il est ?"

Certains risquent de se scandaliser d’une semblable question ? Ne faut-il pas tout quitter pour suivre le Christ ? S’il est permis de donner un témoignage personnel, je dois affirmer que huit ans de séminaire ne m’ont fourni que peu d’occasions d’intégrer à ma préparation sacerdotale mon expérience humaine et apostolique, enracinée dans six années de travail professionnel. Je l’ai souvent regretté par la suite. C’était il y a 30 ans...

L’exigence posée par mes jeunes frères l’est dans un autre contexte de formation sacerdotale, je le sais. Elle est mieux perçue, mieux reçue, aujourd’hui, dans les séminaires. Elle n’en demeure pas moins, à mes yeux, saine et heureuse pour l’Eglise. Elle n’est nullement refus d’une ascèse. C’est au contraire conscience d’un bien qui ne peut être sacrifié pour le service du Royaume de Dieu à construire.

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Mais, ainsi que l’écrit un des prêtres qui se considère comme "envoyé par Dieu au monde ouvrier pour le service de la mission universelle de l’Eglise", "il faudrait creuser davantage" pour révéler tout ce que comporte cette exigence de fidélité conjointe, aux travailleurs et à l’Eglise.

Nous n’en sommes qu’à des commencements. Les vocations qui sont en route auront à chercher la manière originale de vivre l’unique sacerdoce de Jésus-Christ dans les relations personnelles et collectives du monde ouvrier. Leur préparation sacerdotale doit donc respecter ce qu’ils sont, dans leur expérience humaine et leur volonté missionnaire.

Les communautés chrétiennes, l’ensemble du presbyterium, spécialement les prêtres formateurs, et nous-mêmes Evêques, sommes engagés dans cette recherche. Ma présence à la Commission épiscopale du Clergé et des Séminaires me compromet plus encore en ce sens.

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Toutefois, au nom de la même franchisa que j’évoquais au début de ces lignes, je me dois d’aborder un dernier aspect.

L’accent de ce dossier, comme ma propre intervention jusqu’ici, soulignent l’accueil indispensable du monde ouvrier, et des vocations qui en sont issues, dans l’Eglise actuelle. Des lecteurs verront peut-être dans cette insistance un sectarisme, une option partisane... Il faut avoir vérifié la peine à se faire entendre qu’ont toujours ceux qui sont dépourvus de moyens humains, pour qu’apparaisse légitime, au niveau de l’Eglise de France elle-même, la fermeté d’une telle prise de position.

Je suis d’autant plus libre, pour dire, en terminant, aux séminaristes du monde ouvrier qu’ils ont aussi à "creuser" leur découverte initiale du "mystère" du sacerdoce. L’entrée dans le ministère suppose une connaissance du Christ, dont on devient le serviteur, qui ne peut faire l’économie d’une familiarité avec l’Ecriture et la Tradition vivante de l’Eglise. "L’intelligence de la Foi" requiert un approfondissement intellectuel inséparable de la croissance de la charité. Il faudra donc consentir aux moyens correspondants ooo

A cette étape les jeunes travailleurs en marche vers le sacerdoce, fidèles à tout ce qu’ils ont reçu de leur milieu d’origine, rejoindront d’autres jeunes hommes qui auront cheminé par des routes différentes. Ensemble, dans un partage toujours difficile, ils feront l’apprentissage de l’unité catholique, qui est reconnaissance des diversités, consentement aux tensions nécessaires, et finalement communion dans le Don de l’Esprit créateur et sauveur.

L’entrée du inonde ouvrier dans l’Eglise nécessite cette présence de prêtres pleinement ouverts à la mission universelle de salut, en même temps qu’accordés vitalement à ce que les travailleurs portent de meilleur dans leur existence commune. Certes ils seront encore, comme le Christ, des "signes de contradiction". Mais c’est dans le mystère pascal que progressent les purifications et les dépassements imposés à tout homme et à tout peuple pour prendre sa place dans le Royaume de Dieu.

Robert FROSSARD
Evêque Auxiliaire de PARIS.

Notes

(1) Ce texte est extrait de "Vocations 75-95", revue éditée par les Centres diocésains de la région parisienne. N° de janvier 1970. [ Retour au Texte ]