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Silhouette de l’après-terminale
Les quelques réflexions qui vont suivre et qui ne prétendent nullement être exhaustives, ont été rédigées pour provoquer un échange au Conseil national des Vocations de jeunes du 22 février dernier. Elles sont le fruit de conversations très diverses, au hasard de rencontres ou à la faveur de réunions qui avaient ce sujet pour thème.
En guise d’avant-propos, je voudrais insister tout de suite sur deux limites plus particulières de ce travail :
- Autant d’élèves de terminales, autant de cas, n’est-ce pas ? C’est presque une plaisanterie de vouloir faire un portrait-type d’une faune aussi variée, aussi mouvante. C’est presque même du temps perdu : un éducateur sait bien qu’il lui faut être avant tout attentif aux personnes... Cependant une étude à caractère général ne perd pas de vue les individus dont elle parle et doit aider à les rejoindre pour les mieux comprendre et les mieux servir.
- Ma responsabilité me met en contact surtout avec des Jeunes dont le projet de vocation est accompagné déjà depuis plusieurs années dans le cadre d’une institution permanente. Je suis bien en relation avec des jeunes entrés en Faculté depuis peu et qui n’avouent que maintenant leur désir de consécration ; je rencontre beaucoup d’enseignants ou d’aumôniers de lycées et de collèges, par le biais du "Foyer", en particulier ; cependant, mes sources ordinaires de renseignements se situent dans le cadre "Séminaires".
J’ai tenté de m’en tenir à un plan très simple :
I - Considérations, générales sur un élève de terminale.
II - Les "terminales" et le grand séminaire.
I - CONSIDERATIONS GENERALES SUR UN ELEVE DE TERMINALE
Il semble que ce soit une constatation facile à faire - en tous les cas, facile à vérifier - que de dire que l’âge moyen des candidats au baccalauréat paraît avoir augmenté. On s’attendrait, alors, à ce que la maturité dont ils font preuve soit plus grande : beaucoup souligneraient sans doute, avec moi, qu’ils nous inquiètent, au contraire, à cause justement de leur immaturité. Le terme est ambigu et mérite des explications. Avant de les fournir, on commencera, cependant, par décrire cet état.
A - Brève description de quelques signes révélateurs
a) Probablement, du fait de l’inquiétude qui les étreint face à leur avenir, on ne voit pas souvent nos candidats au baccalauréat désireux d’une recherche en profondeur ; ils sont même, quant à cela, quelque peu paralysés, Nombreux sont ceux qui, au lendemain d’un examen, hésitent encore entre plusieurs carrières.
b) Pour beaucoup, semble avoir disparu le goût du risque. Je trouve, pour ma part, assez symptomatique l’exemple suivant : depuis cinq ans, en Gironde, un de nos grands collèges catholiques avait suscité pour les 1ères et terminales, des "équipes de vie" au sein desquelles s’instaurait un système d’autodiscipline. Comme tout système, celui-ci s’est usé, et le Préfet, nouvellement arrivé, a décidé, aux vacances de Noël, de remettre "le compteur à zéro". Le premier ralage passé, quelle he fut pas sa surprise de s’apercevoir de la satisfaction des garçons à se voir parqués, surveillés, condamnés à un régime panurgique : cela leur demandait moins d’efforts !
c) 0n ne les trouve pas très mûrs sur le plan de la foi. Comme il en faut peu, même aux plus généreux, pour tout remettre en question... parfois sans chercher d’issue. Et si l’éducateur se réjouit de les voir passer par une phase "critique", utile à leur propre édification, les sachant si peu armés sur le plan de leur formation catéchétique, ils s’inquiètent énormément de les sentir de moins en moins en recherche, en quête de Vérité.
d) A noter aussi, une certaine peur de l’engagement, et ceci est particulièrement important pour notre propos. Ils craignent le définitif, réclament de pouvoir rester libres, peut-être pas de toute contrainte, mais de déclarer rapidement mauvaise une orientation qui, un moment, avait paru bonne. Il est assez remarquable de voir que ceux qui s’engagent, le font souvent à 1’insu de la communauté à laquelle ils appartiennent.
e) Pour les "nôtres", vieux poilus de séminaire, il faudrait aussi faire une remarque qui, bien certainement, va devenir cependant très vite caduque : elle concerne un certain formalisme dans leur vie spirituelle. Une récente conversation avec quelques responsables de séminaires de jeunes m’a pas mal éclairé sur ce point ; on y précisait que nos gars étaient les dernières victimes (souhaitons-le !) d’un enseignement religieux où l’on assénait un certain nombre de vérités que les plus récalcitrants finissaient bien par admettre dans leurs bagages de vie. Le souci d’une meilleure structuration de la foi qui est actuellement celui des aumôniers de nos divers établissements, le mode de réflexion utilisé dans les mouvements d’action catholique aidera - aide déjà - de plus en plus le jeune à confronter sa foi en Jésus-Christ à ses vrais problèmes de vie et vice-versa.
f) Hors des séminaires plus particulièrement, on s’aperçoit que la contestation qui s’est établie dans l’Eglise a fait perdre beaucoup de la confiance que les jeunes mettaient en elle. Ils disent souvent - et surtout quand ils sont issus de famille traditionnellement chrétiennes - qu’ils sont blasés de la pagaille qu’ils y voient régner. Peut-être est-ce là la raison qui les amène à être "agacés" par elle, à se situer en spectateurs quand on parle d’elle. J’ai été assez frappé par cette réflexion entendue en séance de catéchèse avec des aînés : "Qu’est-ce que le Pape est donc allé faire au Biafra ? Cela le regardait-il ?! ! !"
g) Si c’était utile, je donnerais un dernier signe inquiétant ; nos garçons n’ont le sens de la faute que dans la relation à l’autre... et même affirmant cela, ces jours-ci, avec prudence, dans une réunion de prêtres-éducateurs, je me suis fait rappeler à l’ordre : plusieurs y précisaient qu’ils n’ont le sens de la faute que dans la mesure où celle-ci représente une faillite par rapport à eux-mêmes. Si cela est vrai, nous sommes là aux confins du pathologique !
B - Instabilité plutôt qu’immaturité ?
Peut-être serait-il plus juste de parler d’instabilité plutôt que d’immaturité. On se situe ainsi à un niveau de constatation alors qu’on serait trop rapidement tenté de passer à celui d’un jugement de valeur.
a) En premier lieu, ne demandons-nous pas aux jeunes d’avoir une assurance, une sérénité que les adultes, leurs éducateurs souvent, n’ont plus ? Beaucoup, dans le mouvement actuel, ne savent plus où ils vont ; a-t-on le droit de demander aux 17-18 ans de le savoir ? De tout ce qui a été dit, il n’y a pas alors à s’étonner, mais beaucoup plus à comprendre, sans toutefois, oublier.
b) D’autre part, indépendamment de la question des critères de maturité qui n’est guère facile à résoudre et qui risquerait de nous entraîner trop loin, il nous faut apprendre a ne pas juger de l’immaturité apparente de nos élèves, par rapport à la prétendue maturité que nous avions à leur âge. La nôtre n’était-elle pas, du reste, due à la protection exercée par le milieu ambiant, par le climat du monde qui était celui d’alors ? Nous n’encaissions que peu de coups ; la plante pouvait grandir à l’aise... Tellement d’ailleurs qu’elle gardait une faiblesse de constitution réelle ! Les soubresauts ressentis par les adultes aujourd’hui ne sont-ils pas signes d’une maturité obtenue d’une manière un peu factice entre quinze et vingt ans. Nous étions stables !
Nos garçons de 1970 sont autrement informés que nous ne l’étions, submergés même à l’occasion ; quoi d’étonnant à ce qu’ils, nous paraissent débordés. Nous faisons fausse route en les jugeant trop vite par référence à nous ; pour les aider efficacement à prendre leurs options d’hommes, à développer ce projet de vocation sacerdotale ou religieuse qui en caractérise quelques-uns, pour mettre à leur service des institutions adaptées, il ne faut rien oublier de ce qui a été dit, mais point non plus tirer de conclusions qui aillent au-delà des prémices.
C - Du positif.
Ainsi, parti d’une analyse qui a pu paraître pessimiste, venu à une position plus réaliste, on a. maintenant toutes les chances de se montrer - enfin ! - optimiste.
J’énonce seulement ici quelques caractéristiques dont il faudrait aussi tenir compte. La liste devrait être poursuivie ; l’analyse reste à faire. Que trouvons-nous, entre autres, de positif, chez nos "terminales" aujourd’hui ?
a) Connaissance assez remarquable des grands problèmes de l’homme, grâce aux moyens actuels de communication, grâce aussi aux techniques nouvelles utilisées dans l’enseignement, grâce encore aux expériences variées qui leur sont données de faire.
b) Sens inné de la vie communautaire, des valeurs de partage. Beaucoup de facilité pour entrer en relation franche au sein d’un groupe restreint. Découverte spontanée de la richesse offerte par la vie d’équipe. Même si, en réalité, on n’est pas assez fort pour aller jusqu’au bout de ce que réclamerait cette attitude, et si on est tenté parfois de trouver une issue dans une certaine duplicité que l’observateur qualifie de spécieuse.
c) Souci de ne pas se laisser prendre à l’apparent, de coller davantage au fondamental. Même si -là encore ! - dans cette hantise de fuir "ce qui brille", on se réfugie dans le factice... On touche là à une marque essentielle de l’homme : ses limites.
d) Vie spirituelle habituellement en relation avec le vécu, qui donne la primauté à l’expérience, dans toutes ses dimensions.
e) Un réel appétit spirituel qui se traduit par une avidité pour ce qui est profond dans le domaine religieux.
Cela, une équipe d’éducateurs de grand séminaire doit le savoir pour partir de là, comme elle doit savoir quelle est l’attitude des "terminales" actuelles vis-à-vis de leur maison, ce qui est l’objet de notre second point.
III - LES TERMINALES ET LE GRAND SEMINAIRE.
Afin d’éviter toute équivoque, je crois honnête de répéter que pour ce qui va être dit, beaucoup plus encore que pour ce qui vient d’être dit, je me base surtout sur les réactions de nos "terminales" sortant de séminaires de jeunes (qu’ils soient Foyers ou non). Je classerai la "clientèle en trois catégories.
A - Ceux qui rentrent au Grand Séminaire, dans un esprit de confiance, pour y passer une ou deux années "en résidence".
Je noterai, pour eux, quatre traits principaux :
a) Ils attendent
- à intensifier :
- une expérience de vie communautaire, avec aussi leurs prêtres-éducateurs. Ici, il est bon d’apporter une précision : ce désir de vie communautaire n’est pas motivé par la finalité du projet, mais par la reconnaissance que des baptisés vivant ensemble ne peuvent pas se passer d’un partage de leur foi en Jésus-Christ, et d’une expression de ce partage aux différents plans auxquels se situe la vie de leur collectivité.
- une aide pour "réfléchir" à partir de leurs propres expériences.
- une certaine exigence
- sur le plan de la vie d’oraison
- sur le plan de la formation intellectuelle.
- sur le plan de la vie d’oraison
- une expérience de vie communautaire, avec aussi leurs prêtres-éducateurs. Ici, il est bon d’apporter une précision : ce désir de vie communautaire n’est pas motivé par la finalité du projet, mais par la reconnaissance que des baptisés vivant ensemble ne peuvent pas se passer d’un partage de leur foi en Jésus-Christ, et d’une expression de ce partage aux différents plans auxquels se situe la vie de leur collectivité.
- à voir collaborer un grand nombre de prêtres avec lesquels ils ont déjà eu souvent l’occasion de travailler auparavant.
b) Ils craignent - un peu ! -
- que le grand séminaire représente une sorte d’aristocratie spirituelle.
- soit un lieu trop protecteur, situé hors de la vie. Ils se basent pour cela sur les rapports peut-être un peu rapides de ceux qui les ont précédés et qui manifestent parfois une certaine inertie.
c) Ils viennent
- de vivre bien des années à se "tâter" et veulent passer aux actes.
- d’insister, dans leur recherche, sur la réponse et désirent, plus ou moins consciemment, qu’on veuille bien mettre l’accent sur l’appel.
d) Ils ont vécu au sein de différentes communautés apostoliques où la spécificité du sacerdoce ministériel était à certains moments mal définie ; ils ont besoin d’être très rapidement, sur ce point, éclairés.
B - Ceux qui sont hésitants par rapport au sacerdoce.
A leur sujet, je poserai seulement ici deux questions :
a) la première : n’est-ce pas favoriser un certain "attentisme" que d’entrer dans leur jeu en leur conseillant de remettre à plus tard une décision que, d’une part on majore de cette manière, que d’autre part, on rend d’autant plus improbable qu’on ne fait que la repousser ? Ne faudrait-il pas inventer un moyen - pas une structure ! - qui susciterait un "en avant" dans la recherche ? Aimer et servir des "hésitants", c’est leur procurer ce qui est nécessaire pour aller au-delà de leur hésitation. A ce niveau, il reste beaucoup à découvrir !
b) la seconde question pourrait se formuler ainsi : "considérer l’Université - vers où se dirigent la plupart de nos "hésitants" - comme un lieu favorable à leur maturité humaine et susceptible de les "confirmer" dans la réponse à donner à la question qui les agite, est-ce une bonne chose ? N’est-ce pas faire fi un peu facilement de ce que le mouvement de "mai 68" a tourné autour de la critique de l’Université, accusée d’être à côté de la vie, et donc pour cela accusée d’être incapable d’assurer cette maturation ?
Sujet à débattre, je me permets de le souligner ; mais en réalité dont il faut informer, pour les respecter, les "candidats".
C - Ceux qui, moralement assurés de leur vocation sacerdotale, choisissent les "groupes de formation" ou, momentanément, les "équipes de recherche".
Pour eux, les motivations sont multiples :
a) Certains veulent, avant le grand séminaire, faire des études afin de ne pas rompre lé rythme pris dans le secondaire. A ranger, dans cette "secte", particulièrement ceux qui ont déjà commencé des études de mathématiques ou d’autres sciences : "Après une année de terminale C, est-il raisonnable d’envisager une rupture qui peut durer deux ans ?", disent-ils.
On comprend que le problème soit soulevé par les intéressés. Ils se sentent peu assurés au sein de leur spécialité naissante ; voient-ils combien celle-ci gagnerait à être placée dons un cadre plus général ?
b) A propos de ceux qui désirent se préparer ou second cycle du grand séminaire par les "groupes de formation", il faudrait se demander :
- s’il n’y aurait pas à les prévenir un peu plus de ce qu’est la réalité, du milieu universitaire, peut-être fort éloignée de leur rêve. Le prestige, "l’aura" de la licence est grand si là se trouve la raison essentielle d’un refus de passer deux années en "résidence" au 1er cycle de G.S., cette raison est-elle de qualité ?
- s’il ne faut pas mettre l’accent sur la double relative "qualification professionnelle" que procurent les Facultés :
- il est faux de penser qu’on ne peut faire un "bon prêtre" sans ce stage.
- au lendemain de leur réussite, beaucoup d’étudiants mesurent la précarité de leur formation.
- il est faux de penser qu’on ne peut faire un "bon prêtre" sans ce stage.
- s’il ne serait pas très utile de montrer ce qu’a de dur le rythme prévu pour les "équipes de formation". Beaucoup de nos garçons risquent de l’envisager comme la "voie royale". Nous manquerions d’honnêteté en ne leur disant pas qu’il s’agit d’un sentier ardu... Ce n’est pas un chemin pour "faibles", pour jeunes... dont le mûrissement tarde, et qui feraient fausse route en croyant qu’ils vont ainsi le hâter.
- s’il n’y a pas dans cette solution une magnifique occasion de "fuite". On s’en sort fort civilement...
- comment expliquer à un garçon de "terminale" qu’il est dans une situation tout à fait différente de celui qui voit éclore un "projet de vocation sacerdotale et religieuse" au cours de ses études universitaires ? N’est-ce pas pour ce dernier surtout que sont organisés les "groupes de formation" ?
c) D’autres enfin, refusent d’entrer au G.S. parce qu’ils contestent l’aptitude de celui-ci à fournir la formation nécessaire au prêtre de demain. Les avis diffèrent suivant :
- que l’on déclare que le G.S. n’est pas assez "sérieux",
- que l’on affirme que le G.S. est inapte à former des prêtres pour le ministère d’aujourd’hui, notamment pour des "milieux" donnés.
On touche ici un point très délicat. Sous-jacente à tous les arguments des jeunes qui se déclarent disponibles au Sacerdoce, il y a la difficile question : "En 1990, un métier d’homme sera-t-il un accessoire ou un instrument indispensable au prêtre pour qu’il puisse remplir sa MISSION ?" Certains s’interrogent aussi clairement ; chez d’autres, l’interrogation est plus inconsciente : elle n’en est pas moins réelle.
Beaucoup d’éducateurs, sentant bien l’impossibilité de répondre à cette demande précise, notent toutefois combien il serait utile, dans l’immédiat :
- que les études ou les stages envisagés par les jeunes candidats au sacerdoce soient bien situés par rapport à leur visée première. Ne faut-il pas devancer des réclamations qui seront, demain, inévitables.
- que soient étudiées les questions directement posées . par ce désir et qui concernent la relation entre l’exercice d’une profession et le statut du prêtre.
Qui s’étonnerait de ce que nos grands élèves ne soient pas concernés par ce qu’ils entendent ou lisent des problèmes de leurs aînés ?
En lieu, et sous forme de conclusion, seulement une recommandation ne pas oublier qu’il s’agissait de brosser un portrait, une silhouette, en pointillé... à parfaire, à corriger !
Max CLOUPET
Supérieur du séminaire de Jeunes de Bordeaux