Les vocations en Belgique


Jean-Pierre Leroy
prêtre
directeur du Centre National des Vocations, Louvain-la-Neuve

Autant le dire d’emblée, la situation des vocations en Belgique est assez morose. Elle ne se démarque pas de la tendance générale de l’Europe occidentale.

Lors de la récente visite ad limina de nos évêques, le pape Jean-Paul II l’évoquait en ces mots : « Les informations qui me parviennent concernant la situation de votre Eglise sont pour moi particulièrement préoccupantes. En effet, on ne peut cacher une réelle et sérieuse inquiétude devant la baisse régulière et importante de la pratique religieuse dans votre pays, qui affecte les célébrations dominicales mais aussi de nombreux sacrements, en particulier le baptême, la réconciliation et surtout le mariage. De même, la diminution importante du nombre des prêtres et la crise persistante des vocations sont un sujet de graves préoccupations pour vous » (DC n° 2304, p. 1119).

Cette « crise persistante des vocations », le Saint Père la met en parallèle avec la baisse de la pratique des sacrements et ce n’est sans doute pas un hasard, car les vocations sont souvent un baromètre de la vitalité religieuse d’une Eglise locale. Certes, cette carence suscite l’engagement généreux de beaucoup de fidèles laïcs, et c’est un plus pour l’Eglise, mais la crise révèle un malaise plus profond et c’est celui-ci qui nous inquiète.

Quelques chiffres

La situation des vocations religieuses n’est pas plus brillante que celle des vocations sacerdotales. Les statistiques de ces dernières sont les seules disponibles, c’est pourquoi je n’aborderai que celles-ci.

Les entrées dans les séminaires diocésains

Elles connaissent une augmentation sensible au début du Concile (264 entrées en 1965), mais une chute vertigineuse de 1966 à 1974 (53 entrées en 1973). Ensuite une stabilisation (61 entrées en 1979), un léger sursaut de 1981 à 1983 (82 entrées en 1983). Depuis lors, la diminution continue. Elle est moins brutale qu’à la fin des années 60, mais le cap des 40 entrées est atteint en 1994. En 1998, on descend à 20 entrées !

Le nombre des séminaristes

Proche des 500 (487 en 1972-73), il descend jusqu’à 300 en 1980-81. Une légère remontée s’amorce alors (335 séminaristes en 1983-84) mais la dégringolade continue (270 séminaristes en 1988-89). La barre des 200 est franchie en 1994-95 et celle des 100 en l’an 2000.

Les ordinations presbytérales

En 1963, il y a eu 165 ordinations de prêtres en Belgique. Ensuite, la chute est vertigineuse, elle aussi, jusqu’en 1979 (28 ordinations). On note toutefois un léger sursaut en 1968 (140 ordinations), 1970 (113 ordinations) et 1977 (48 ordinations). Les chiffres se stabilisent entre 1980 et 1994 (entre 27 et 41 ordinations par an), mais en 1996 le chiffre descend à 26 et, depuis, n’a plus franchi la barre des 30 ordinations annuelles.

Les différences entre régimes linguistiques

La Belgique compte trois communautés linguistiques : les néerlandophones (en Flandre et à Bruxelles), les francophones (en Wallonie et à Bruxelles) et les germanophones (intégrés dans la région wallonne). Jusqu’au début des années 90, les entrants et les ordinands néerlandophones sont les plus nombreux. Mais depuis 1990, les entrées sont plus nombreuses en francophonie qu’en Flandre. Cela est dû à une baisse des vocations néerlandophones et non à une hausse des vocations francophones.

Quelques pistes d’analyse

Une crise sociologique

Aucun doute, la crise n’a pas seulement une portée ecclésiale, mais elle touche l’ensemble de la société belge. L’industrialisation et l’urbanisation ont opéré des changements profonds dans la société et l’Eglise. La sécularisation de la société a modifié aussi son rapport avec l’Eglise. Cette remarque vaut surtout, je pense, pour expliquer la chute plus tardive du nombre de séminaristes en Flandre. En effet, jusqu’à la seconde guerre mondiale, la Flandre était surtout agricole. Les jeunes flamands émigraient vers les bassins industriels wallons. Après la guerre et les « golden sixties », l’industrie wallonne a connu la crise et les suppressions d’emploi tandis que se développaient en Flandre des industries de pointe.
Pendant ce temps, l’influence socio-politique de l’Eglise s’est effondrée en Wallonie. En Flandre, elle s’est maintenue jusqu’au milieu des années 90, le parti politique dominant étant étiqueté « chrétien ».
Il est difficile d’établir un lien de cause à effet entre ces phénomènes et la crise des vocations, mais le fait est que la situation socio-politique a évolué en parallèle avec la crise des vocations et la crise de la pratique religieuse.
Dans le même ordre d’idées, si les années du Concile ont connu une hausse du nombre d’entrées dans les séminaires, cette éclaircie réelle n’a pas suffi à enrayer la chute du nombre de séminaristes entamée dans l’après-guerre.
Enfin, la crise économique a transformé la perception du monde et de la vie : l’avenir n’est pas forcément meilleur que le passé ou le présent. Comme l’écrivait le Cardinal Danneels, « Songer à une vocation n’est possible que là où la culture ambiante ose encore rêver d’idéals et ne se replie pas de façon pragmatico-cynique sur le raisonnable et le faisable. Les vocations ne germent que là où, tournant le dos à une civilisation du divertissement, on retrouve de l’intérêt pour les grandes questions de la vie » (Paroles de vie… Pâques 1999).
Les jeunes manifestent volontiers leur générosité et leur engagement dans le court terme, mais hésitent à se projeter dans le long terme. Cela affecte forcément l’engagement « pour toujours » dans une vie sacerdotale ou religieuse, mais aussi dans le mariage !

Un malaise général dans l’Eglise de Belgique

Je l’ai déjà évoqué plus haut : la crise des vocations n’est pas un phénomène isolé, elle est un fait marquant d’une crise plus générale de l’Eglise en Belgique et en Occident. La baisse de la pratique religieuse, la crise des vocations sont probablement les signes d’une diminution de la ferveur religieuse. De plus, les changements et les restructurations qu’elles entraînent obscurcissent l’horizon immédiat de nombre de chrétiens.
Non seulement l’Eglise est dénigrée par une société qui se sécularise et marque de plus en plus ses distances mais, de plus, les repères à l’intérieur de l’Eglise sont moins perceptibles.
Les errements de quelques prêtres, les prises de position morales de la hiérarchie, la crise des vocations sont davantage médiatisées que les initiatives porteuses d’avenir et les côtés positifs et constructifs de l’Eglise en Belgique. « L’Eglise dans notre pays n’est plus comme à une époque précédente si puissante qu’elle puisse se faire écouter. Par contre, elle est encore trop puissante pour avoir la force de germination du grain de sénevé caché dans le sol » (Cardinal Danneels, DC n° 2304, p. 1117).
A côté de la sécularisation, la société belge connaît aussi une diversification culturelle et religieuse. De nombreux mouvements catholiques touchent actuellement un public pluraliste et certains ont même modifié leur appellation pour mieux correspondre à cette réalité. Cette situation est positive par la confrontation des idées qu’elle entraîne et grâce à l’enrichissement culturel qu’elle apporte.
Cependant, les mouvements où l’Evangile est annoncé explicitement sont encore peu nombreux pour prendre le relais. De plus ils sont souvent peu connus. Il peut être difficile pour un jeune de trouver des lieux où rencontrer d’autres jeunes pour s’épanouir dans la foi et, a fortiori, pour mûrir une possible vocation.
Il n’est pas étonnant, dès lors, que beaucoup de vocations éclosent aujourd’hui dans des mouvements où la spiritualité chrétienne est plus clairement vécue et annoncée. Les jeunes qui concrétisent un « projet vocationnel » sont souvent porteurs d’exigences spirituelles fortes.

Quelques projets de la pastorale des vocations

Une pastorale des vocations « intégrée »

Les quarante dernières années ont été souvent celles de services diocésains isolés du reste de la pastorale. Il y avait pénurie de vocations et quelques « spécialistes » étaient appelés pour y réfléchir, pour agir si possible. Les personnes faisant partie de ces équipes et services, très motivées, étaient toutefois peu influentes dans la pastorale générale, si ce n’est à titre personnel.
Depuis quelques années, certains diocèses ont intégré la dimension vocationnelle dans l’ensemble de la pastorale, notamment par l’insertion du service diocésain des vocations dans le service de la pastorale des jeunes. D’autres expériences ont tenté d’intégrer des représentants des différentes composantes de la pastorale dans les équipes diocésaines des vocations. Le souci des vocations gagne évidemment à ne pas être le fait de quelques personnes, de surcroît isolées, mais la préoccupation d’un grand nombre. Les services diocésains et nationaux gardent pourtant leur pertinence pour l’interpellation de ce « grand nombre » !

Un regard plein d’espérance

Les ruptures vécues ces dernières décennies, la pénurie des prê­tres et des religieux(ses), ont laissé émerger un climat de morosité. Pour continuer à avancer, il ne faut pas regarder l’obstacle que l’on veut éviter, mais le chemin que l’on veut prendre pour en sortir ! Il est temps de réveiller l’espérance du peuple de Dieu, surtout des familles, et l’espérance de ceux qui peinent aux travaux de la moisson sans apercevoir la relève.
Aux familles, il est important de redire que la prêtrise et la vie religieuse sont des choix de vie possibles pour un jeune aujourd’hui. Aux prêtres, qu’ils ne sont pas les « derniers des Mohicans », même si ceux qui les suivent sont trop peu nombreux.
Aujourd’hui plus qu’hier, être chrétien ne va pas de soi. A fortiori, engager toutes ses énergies dans une vie religieuse « à temps plein » ne s’impose plus comme un possible projet de vie.
Aussi, il semble important que les familles, les prêtres, les religieux(ses), tous les chrétiens au contact des jeunes d’aujourd’hui posent un regard réaliste, mais rempli d’espérance et de confiance sur le ministère de prêtre et la vie religieuse. Il ne s’agit pas de gommer les difficultés et les dérives possibles, mais de relever les traits qui font de ces vocations une nécessité vitale pour l’Eglise d’aujourd’hui et sa mission au service du monde !

Projet missionnaire et culture de l’appel

La situation de pénurie et de morosité vécue par beaucoup de communautés paroissiales et d’autres lieux de vie chrétienne (écoles, mouvements…) risque de centrer les préoccupations des chrétiens sur la survie de l’Eglise. Or, l’Eglise n’existe pas pour elle-même mais pour l’annonce du Royaume.
Des vocations naîtront difficilement pour assurer la survie d’une institution, ou la continuation des « habitudes chrétiennes » (pratique sacramentelle, rites de passage, institutions chrétiennes). Il s’agit donc d’encourager des communautés chrétiennes ferventes et chaleureuses mais solidaires du monde où elles vivent pour y proposer l’Evangile aujourd’hui. C’est dans ces lieux d’Eglise que des jeunes peuvent expérimenter un engagement qui fait vivre. Ce sont ces communautés vivantes et missionnaires qui sont déjà le terreau des vocations présentes et à venir.

Beaucoup de jeunes vivent tôt ou tard une rupture d’avec la communauté chrétienne de leur enfance. D’ailleurs, certains parcourent les étapes de la vie chrétienne (baptême, communions, mariage) sans véritable insertion dans une communauté priante et agissante. Il ne suffit donc pas d’attendre que les « graines de vocation » semées au catéchisme ou au cours de religion germent dans le cœur des jeunes adultes… Il faut aussi pouvoir proposer le ministère de prêtre ou l’engagement dans la vie religieuse à ces jeunes adultes ! Des communautés vivantes et accueillantes seront des lieux privilégiés. Mais il faudra encore dépasser les appréhensions : poser la question à un jeune, ce n’est pas le contraindre mais lui donner la possibilité de réfléchir sur ce qu’il veut faire de sa vie, c’est l’ouvrir à un choix.

Soyons attentifs, en Belgique comme ailleurs en Europe, à ne pas vivre la situation présente seulement comme une calamité à subir. Il nous faut lire les signes des temps. En considérant en même temps le sens profond de la vocation chrétienne, la signification réelle du ministère et de la vie religieuse, la mission de l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui, nous pourrons tracer des chemins d’espérance.