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La coopération comme lieu vocationnel
Géraldine Lasserre,
religieuse xavière,
ingénieur en travaux publics
religieuse xavière,
ingénieur en travaux publics
Je suis partie en coopération au Tchad durant deux ans ; je venais alors de recevoir mon diplôme d’ingénieur en génie civil, après cinq années d’études un peu laborieuses. L’idée de la coopération avait germé à travers des rencontres, des témoignages d’expériences similaires et le désir de faire, un jour, un séjour long à l’étranger. Ce désir me tenait fermement depuis l’année du bac, à la fin de laquelle j’avais eu la joie de partir sur les routes de Roumanie avec quelques amis. Au début de ces années d’études, aucune idée de vocation religieuse ne m’avait encore traversé l’esprit. J’avais cependant dans mes bagages un certain nombre de visages de témoins qui au long de mes années de scoutisme ou d’aumônerie avaient participé, en plus d’un contexte familial porteur, à soutenir en moi une fidélité à la pratique religieuse, en l’occurrence à la messe du dimanche.
Mes années d’études furent riches de projets, d’initiatives, d’engagements : l’aumônerie des étudiants, l’Association des Paralysés de France, des stages à l’étranger, quelques escapades épiques sur les routes d’Europe de l’Est et l’un ou l’autre temps fort en Eglise. C’est au cours d’un pèlerinage diocésain à Lourdes, dans lequel j’accompagnais un groupe de lycéens, que je me suis posé pour la première fois la question de la vie religieuse. L’idée a ensuite fait son chemin, profitant de tous les moments favorables pour venir me creuser davantage. Parmi ceux-là, je pense à des rencontres fortes en Bosnie avec des familles réfugiées, en Tunisie avec des Français expatriés et des jeunes Tunisiens musulmans, en France auprès de personnes handicapées. J’étais creusée par la soif d’être et de demeurer disponible à la rencontre.
En arrivant à N’Djamena, la question de la vie religieuse était en bonne position dans mes préoccupations, sans connaître la forme qu’elle prendrait et l’élan profond qui l’animerait pour que je passe du désir à l’engagement. Revenir aujourd’hui sur ces deux années de coopération, pour essayer de débrouiller le chemin qui a permis la concrétisation de ce désir, est un acte de foi. Oui, certainement, c’est à travers la rencontre des autres que le désir a pris chair. Mais comment… ? C’est un mystère !
Ce que je sais, c’est que ce temps de coopération a été un formidable temps d’échange, de partage, un foisonnement de rencontres diverses, le plus souvent enthousiasmantes. Souvent, j’ai goûté le fait d’avoir une disponibilité qui me semblait totale, sans aucune sollicitation, notamment familiale, pour vivre l’instant présent avec les gens qui étaient là : être avec eux à Noël, être avec eux pour fêter la nouvelle année, être avec eux pour enterrer la maman, être avec eux pour assister au match de hand-ball ou à un concert de rap. Ne pas avoir d’autre urgence que celle d’être avec eux, au fil des jours, dans leurs joies et leurs peines.
Ce que je sais encore, c’est que ce temps de coopération m’a aussi confrontée à des craintes que je ne connaissais pas : l’angoisse face à la faim, l’angoisse face au temps qui ne passe pas, l’angoisse face à la nuit qui tombe brusquement et sans bruit, l’angoisse face à la distance avec les parents, l’angoisse de s’éprouver seule, l’angoisse devant ces gens dont la vie semble certains jours si pénible qu’elle en est insupportable. Et pourtant, de tout cela, j’étais assez protégée : la nourriture et l’argent ne me manquaient pas, ma mission était à durée déterminée, je vivais et travaillais avec d’autres coopérants, j’avais accès au mail, au courrier et au téléphone pour communiquer avec les miens…
Mais dans l’enthousiasme qui a fini par s’imposer en moi après les angoisses des premiers temps, j’aurais duré des années. Une image évoque pour moi le jour où la transition s’est faite entre ces jours incertains et l’entrée dans la joie imprenable d’être là. Ce jour-là, je suis allée visiter une amie et j’ai partagé le repas familial – la boule – comme si cela allait de soi. Ce jour-là, j’ai laissé derrière moi la peur de déranger et je me suis laissé accueillir, au risque d’arriver au mauvais moment. Ce jour-là, j’ai arrêté de compter les semaines passées ou les mois encore à parcourir. Ce jour-là, la boule est devenue mon plat préféré.
Combien de fois ensuite, au cours de ces deux années, n’ai-je goûté l’hospitalité des uns et des autres, un verre de thé et quelques arachides à la sortie de la messe, la boule, le riz et le poisson, une carpe grillée, un verre de soda frais ? Quelle joie et parfois quelles larmes n’ai-je senti monter devant la confiance apprivoisée des enfants jouant devant chez nous, dans la traversée à pied du quartier l’esprit tranquille, dans les échanges simples avec la voisine vendant ses beignets, dans les salamaleks avec ce jeune tenant la boutique où nous trouvions le pain, les oignons, les pâtes, le jus de tomate concentré et l’huile pour nos lampes, dans un partage sans paroles entre une maman ignorant le français et moi-même, qui parlait si peu l’arabe ? Cette joie, liée à la fraternité en marche me portait à la louange : j’étais David dansant devant l’Arche !
De tout cela, j’aurais été peu capable s’il n’y avait pas eu le soutien de la fraternité missionnaire. Fraternité joyeuse, simple, ouverte, accueillante aux nouveaux arrivants dont je faisais partie. Une vie missionnaire acculée aux rudesses du climat et de la pau-vreté ambiante poussant – peut-être d’autant plus – à vivre dans un soutien mutuel la mission de chacun. Cela a certainement été décisif pour moi de croiser, durant deux ans, la vie quotidienne de toutes ces personnes consacrées au Christ. Leur exemple rendait possible à mes yeux un style de vie capable de choisir radicalement le Christ sans rien retrancher à la rencontre et à la disponibilité à l’autre. J’étais fascinée par l’immersion de ces communautés dans la réalité locale, là où je voyais d’autres formes d’expatriation obligeant ceux qui les choisissaient à vivre derrière de grands murs hostiles, dans des quartiers sans vie de voisinage. L’engagement de ces missionnaires me semblait bien parfois laborieux et peu gratifiant, nécessitant une énergie qui m’échappait, mais ce sentiment était contrebalancé par le respect et l’admiration que m’inspirait leur fidélité à la mission, dans la durée. Sans compter les multiples histoires racontées parfois autour d’un café, transmettant ainsi la mémoire encore jeune de la mission au Tchad, promptes à éveiller en moi les plus grands désirs missionnaires, aussi peu réalistes soient-il. Mais j’avais le goût de l’aventure et des grands espaces.
Cette rencontre a rapidement redonné force à mes questions de vie religieuse. J’ai décidé de m’en ouvrir en recherchant un accompagnement spirituel. Cette démarche, coûteuse au départ, a été le fil rouge de ces deux années, la mémoire de ce que j’ai vécu au long des mois et l’ancrage dans la tradition de l’Eglise pour un discernement sur le chemin à prendre. Ce fut aussi le lieu du repos, de l’ouverture de cœur dans la confiance, et du rapprochement avec la communauté des xavières dont l’amitié fraternelle fut un des jalons posé sur mon itinéraire de discernement. L’accompagnement a mis sur mon chemin des paroles, des lectures, des invitations au désert. Cette initiation à la vie spirituelle fut respectueuse de mes propres façons de voir et de faire, laissant toute la place à la vie à N’Djamena qui, par ailleurs, continuait de m’apporter beaucoup de joies. J’étais plus familière de l’écoute de ce qui m’habitait au travers des événements que de l’écoute de Dieu dans le silence d’une retraite, mais comme me l’avait fait remarquer une amie en France : deux ans au Tchad n’étaient-ils pas déjà deux ans de retraite ? Quel besoin avais-je encore de prendre huit jours pour faire silence ? Le choix, l’élan pour m’engager, s’est nourri de ces deux réalités : la vie extérieure comme lieu de l’appel ; la vie intérieure comme lieu de la réponse libre et personnelle à cet appel.
A quelques mois de repartir, j’avais au cœur le désir de choisir le chemin qui me permettrait de rester fidèle à toutes les personnes rencontrées, notamment les jeunes et les femmes ; ils m’avaient donné de leur offrir le meilleur de moi-même. Leur être fidèle, ce serait aussi être fidèle à celle que j’étais devenue à travers eux. Au point où j’en étais, je n’envisageais pas de rentrer comme si rien n’avait changé et encore moins sans avoir réglé mes questions de vie religieuse. Il n’y avait pas d’urgence en soi et, cependant, il me semblait que le moment était plus que favorable pour faire le pas, portée par tout ce que ces deux années m’avaient permis d’expérimenter d’une vie libre, simple, fraternelle, orientée par la foi en Jésus-Christ et qui m’avait rendue heureuse. Evidemment, cette expérience africaine pouvait aussi me donner envie de poursuivre ainsi quelques années encore, par le biais d’autres engagements à caractère humanitaire, mais il me semblait que je n’aurais pas eu la force de le faire en dehors d’un engagement avec le Christ. Les semaines qui précédèrent le choix furent étonnantes, affranchies d’une certaine manière du Tchad comme de l’accompagnement spirituel, le cœur soudain attentif aux appels de l’actualité internationale tendue et puisant aux sources de la confiance en ce désir qui, d’un bout à l’autre de la coopération, ne m’avait pas quittée. Mais cette liberté n’enlève rien au fait que le lendemain de ma prise de décision – j’étais encore au Tchad – il me semblait qu’elle était bien la réponse à ces deux années de coopération, réponse à l’amitié reçue et donnée, réponse à la rencontre inoubliable des missionnaires, réponse à la vie du monde cherchant sa route entre guerres et paix, réponse avec et pour le Christ, lumière du monde.
Aujourd’hui, je revois encore cette vieille dame que je rencontrais pour la première fois – une parente d’un jeune ami musulman – m’offrir, quelques jours avant mon départ, un verre de jus de fruit frais au fond d’une concession comme il y en a tant d’autres à N’Djamena : poussiéreuse et dépouillée, recherchant l’ombre et la fraîcheur. Elle me parlait arabe. Moi, je considérais la situation, me disant que cette qualité d’accueil de celui qui sait tout donner, même ce qu’il n’a pas pour lui-même, faisait partie de ce que je n’avais pas appris à l’école. Mon diplôme d’ingénieur m’apparaissait bien dérisoire au regard de l’humanité de cette femme. Puisse la mémoire de ce geste rester vive encore longtemps et m’aider à regarder la vie sous l’œil clair de ceux qui en connaissent la valeur. Bienheureuse fraternité.
Mes années d’études furent riches de projets, d’initiatives, d’engagements : l’aumônerie des étudiants, l’Association des Paralysés de France, des stages à l’étranger, quelques escapades épiques sur les routes d’Europe de l’Est et l’un ou l’autre temps fort en Eglise. C’est au cours d’un pèlerinage diocésain à Lourdes, dans lequel j’accompagnais un groupe de lycéens, que je me suis posé pour la première fois la question de la vie religieuse. L’idée a ensuite fait son chemin, profitant de tous les moments favorables pour venir me creuser davantage. Parmi ceux-là, je pense à des rencontres fortes en Bosnie avec des familles réfugiées, en Tunisie avec des Français expatriés et des jeunes Tunisiens musulmans, en France auprès de personnes handicapées. J’étais creusée par la soif d’être et de demeurer disponible à la rencontre.
En arrivant à N’Djamena, la question de la vie religieuse était en bonne position dans mes préoccupations, sans connaître la forme qu’elle prendrait et l’élan profond qui l’animerait pour que je passe du désir à l’engagement. Revenir aujourd’hui sur ces deux années de coopération, pour essayer de débrouiller le chemin qui a permis la concrétisation de ce désir, est un acte de foi. Oui, certainement, c’est à travers la rencontre des autres que le désir a pris chair. Mais comment… ? C’est un mystère !
Ce que je sais, c’est que ce temps de coopération a été un formidable temps d’échange, de partage, un foisonnement de rencontres diverses, le plus souvent enthousiasmantes. Souvent, j’ai goûté le fait d’avoir une disponibilité qui me semblait totale, sans aucune sollicitation, notamment familiale, pour vivre l’instant présent avec les gens qui étaient là : être avec eux à Noël, être avec eux pour fêter la nouvelle année, être avec eux pour enterrer la maman, être avec eux pour assister au match de hand-ball ou à un concert de rap. Ne pas avoir d’autre urgence que celle d’être avec eux, au fil des jours, dans leurs joies et leurs peines.
Ce que je sais encore, c’est que ce temps de coopération m’a aussi confrontée à des craintes que je ne connaissais pas : l’angoisse face à la faim, l’angoisse face au temps qui ne passe pas, l’angoisse face à la nuit qui tombe brusquement et sans bruit, l’angoisse face à la distance avec les parents, l’angoisse de s’éprouver seule, l’angoisse devant ces gens dont la vie semble certains jours si pénible qu’elle en est insupportable. Et pourtant, de tout cela, j’étais assez protégée : la nourriture et l’argent ne me manquaient pas, ma mission était à durée déterminée, je vivais et travaillais avec d’autres coopérants, j’avais accès au mail, au courrier et au téléphone pour communiquer avec les miens…
Mais dans l’enthousiasme qui a fini par s’imposer en moi après les angoisses des premiers temps, j’aurais duré des années. Une image évoque pour moi le jour où la transition s’est faite entre ces jours incertains et l’entrée dans la joie imprenable d’être là. Ce jour-là, je suis allée visiter une amie et j’ai partagé le repas familial – la boule – comme si cela allait de soi. Ce jour-là, j’ai laissé derrière moi la peur de déranger et je me suis laissé accueillir, au risque d’arriver au mauvais moment. Ce jour-là, j’ai arrêté de compter les semaines passées ou les mois encore à parcourir. Ce jour-là, la boule est devenue mon plat préféré.
Combien de fois ensuite, au cours de ces deux années, n’ai-je goûté l’hospitalité des uns et des autres, un verre de thé et quelques arachides à la sortie de la messe, la boule, le riz et le poisson, une carpe grillée, un verre de soda frais ? Quelle joie et parfois quelles larmes n’ai-je senti monter devant la confiance apprivoisée des enfants jouant devant chez nous, dans la traversée à pied du quartier l’esprit tranquille, dans les échanges simples avec la voisine vendant ses beignets, dans les salamaleks avec ce jeune tenant la boutique où nous trouvions le pain, les oignons, les pâtes, le jus de tomate concentré et l’huile pour nos lampes, dans un partage sans paroles entre une maman ignorant le français et moi-même, qui parlait si peu l’arabe ? Cette joie, liée à la fraternité en marche me portait à la louange : j’étais David dansant devant l’Arche !
De tout cela, j’aurais été peu capable s’il n’y avait pas eu le soutien de la fraternité missionnaire. Fraternité joyeuse, simple, ouverte, accueillante aux nouveaux arrivants dont je faisais partie. Une vie missionnaire acculée aux rudesses du climat et de la pau-vreté ambiante poussant – peut-être d’autant plus – à vivre dans un soutien mutuel la mission de chacun. Cela a certainement été décisif pour moi de croiser, durant deux ans, la vie quotidienne de toutes ces personnes consacrées au Christ. Leur exemple rendait possible à mes yeux un style de vie capable de choisir radicalement le Christ sans rien retrancher à la rencontre et à la disponibilité à l’autre. J’étais fascinée par l’immersion de ces communautés dans la réalité locale, là où je voyais d’autres formes d’expatriation obligeant ceux qui les choisissaient à vivre derrière de grands murs hostiles, dans des quartiers sans vie de voisinage. L’engagement de ces missionnaires me semblait bien parfois laborieux et peu gratifiant, nécessitant une énergie qui m’échappait, mais ce sentiment était contrebalancé par le respect et l’admiration que m’inspirait leur fidélité à la mission, dans la durée. Sans compter les multiples histoires racontées parfois autour d’un café, transmettant ainsi la mémoire encore jeune de la mission au Tchad, promptes à éveiller en moi les plus grands désirs missionnaires, aussi peu réalistes soient-il. Mais j’avais le goût de l’aventure et des grands espaces.
Cette rencontre a rapidement redonné force à mes questions de vie religieuse. J’ai décidé de m’en ouvrir en recherchant un accompagnement spirituel. Cette démarche, coûteuse au départ, a été le fil rouge de ces deux années, la mémoire de ce que j’ai vécu au long des mois et l’ancrage dans la tradition de l’Eglise pour un discernement sur le chemin à prendre. Ce fut aussi le lieu du repos, de l’ouverture de cœur dans la confiance, et du rapprochement avec la communauté des xavières dont l’amitié fraternelle fut un des jalons posé sur mon itinéraire de discernement. L’accompagnement a mis sur mon chemin des paroles, des lectures, des invitations au désert. Cette initiation à la vie spirituelle fut respectueuse de mes propres façons de voir et de faire, laissant toute la place à la vie à N’Djamena qui, par ailleurs, continuait de m’apporter beaucoup de joies. J’étais plus familière de l’écoute de ce qui m’habitait au travers des événements que de l’écoute de Dieu dans le silence d’une retraite, mais comme me l’avait fait remarquer une amie en France : deux ans au Tchad n’étaient-ils pas déjà deux ans de retraite ? Quel besoin avais-je encore de prendre huit jours pour faire silence ? Le choix, l’élan pour m’engager, s’est nourri de ces deux réalités : la vie extérieure comme lieu de l’appel ; la vie intérieure comme lieu de la réponse libre et personnelle à cet appel.
A quelques mois de repartir, j’avais au cœur le désir de choisir le chemin qui me permettrait de rester fidèle à toutes les personnes rencontrées, notamment les jeunes et les femmes ; ils m’avaient donné de leur offrir le meilleur de moi-même. Leur être fidèle, ce serait aussi être fidèle à celle que j’étais devenue à travers eux. Au point où j’en étais, je n’envisageais pas de rentrer comme si rien n’avait changé et encore moins sans avoir réglé mes questions de vie religieuse. Il n’y avait pas d’urgence en soi et, cependant, il me semblait que le moment était plus que favorable pour faire le pas, portée par tout ce que ces deux années m’avaient permis d’expérimenter d’une vie libre, simple, fraternelle, orientée par la foi en Jésus-Christ et qui m’avait rendue heureuse. Evidemment, cette expérience africaine pouvait aussi me donner envie de poursuivre ainsi quelques années encore, par le biais d’autres engagements à caractère humanitaire, mais il me semblait que je n’aurais pas eu la force de le faire en dehors d’un engagement avec le Christ. Les semaines qui précédèrent le choix furent étonnantes, affranchies d’une certaine manière du Tchad comme de l’accompagnement spirituel, le cœur soudain attentif aux appels de l’actualité internationale tendue et puisant aux sources de la confiance en ce désir qui, d’un bout à l’autre de la coopération, ne m’avait pas quittée. Mais cette liberté n’enlève rien au fait que le lendemain de ma prise de décision – j’étais encore au Tchad – il me semblait qu’elle était bien la réponse à ces deux années de coopération, réponse à l’amitié reçue et donnée, réponse à la rencontre inoubliable des missionnaires, réponse à la vie du monde cherchant sa route entre guerres et paix, réponse avec et pour le Christ, lumière du monde.
Aujourd’hui, je revois encore cette vieille dame que je rencontrais pour la première fois – une parente d’un jeune ami musulman – m’offrir, quelques jours avant mon départ, un verre de jus de fruit frais au fond d’une concession comme il y en a tant d’autres à N’Djamena : poussiéreuse et dépouillée, recherchant l’ombre et la fraîcheur. Elle me parlait arabe. Moi, je considérais la situation, me disant que cette qualité d’accueil de celui qui sait tout donner, même ce qu’il n’a pas pour lui-même, faisait partie de ce que je n’avais pas appris à l’école. Mon diplôme d’ingénieur m’apparaissait bien dérisoire au regard de l’humanité de cette femme. Puisse la mémoire de ce geste rester vive encore longtemps et m’aider à regarder la vie sous l’œil clair de ceux qui en connaissent la valeur. Bienheureuse fraternité.