Les ados et la vie spirituelle : une approche pastorale des 13-18 ans


Christine Aulenbacher
attachée d’enseignegment et de recherche, Strasbourg

 

 
 
 

Connaître le « monde des jeunes » à partir de trois réalités



Dans le cadre d’une recherche action 1, j’ai eu l’occasion d’interroger une centaine d’adolescents, âgés pour la plupart de quatorze à dix-huit ans, sur les valeurs auxquelles ils croient. Je les ai regroupées autour de trois thèmes précis : que disent les adolescents aujourd’hui à propos du verbe aimer (aimer et être aimé), que disent-ils à propos du verbe valoir (avoir de la valeur et être reconnu) et que disent-ils enfin à propos du verbe croire (et quelles sont leurs croyances) 2 ? Il ne m’est certes pas possible de vous faire part de toutes les données recueillies au cours de notre enquête. Nous avons sélectionné celles qui sont susceptibles d’apporter un éclairage à la question qui nous préoccupe : les ados et leur valeurs, que disent-ils du croire ?


Que disent-ils à propos du verbe aimer ?

Les verbes, expressions ou mots que les adolescents associent spontanément au verbe aimer sont répartis dans le graphique suivant : alors que l’amour, le partage, la confiance et l’amitié sont les quatre réalités prioritairement associées au verbe aimer, lorsque ces adolescents développent par écrit leur point de vue, ils mettent davantage l’accent sur le don, sur leur désir d’exister et d’être reconnu, sur la nécessité d’éprouver des sentiments, d’avoir confiance et d’être respecté. Le partage et le bonheur sont explicitement nommés dans leur propos, mais de façon plus discrète. La sincérité et le pardon apparaissent encore plus timidement dans leurs réponses.

Le tableau ci-dessous met en évidence la logique de leurs propos :
 
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En ce qui concerne les projets dans le domaine de l’amour, plus de la moitié des adolescents interrogés expriment avec passion leur aspiration au mariage et rêvent d’un amour pur, idéal, fidèle. Presque un tiers d’entre eux, souvent blessés par les échecs de leur propre vie affective ou par celle de leurs proches, disent clairement n’avoir pas de projet précis. Le concubinage et le pacs ne semblent pas recueillir un grand intérêt pour eux. La vie religieuse et le célibat sont juste évoqués par quelques jeunes.
Parmi les témoins cités, les adolescents aujourd’hui n’évoquent plus les classiques « Mère Térésa, l’Abbé Pierre et/ou Guy Gilbert ». Leurs référents sont davantage des chanteurs, des sportifs, les acteurs des dernières comédies musicales, les vedettes de la Star Academy ainsi que leurs proches : les parents ou les grands-parents essentiellement. Ils parlent davantage de personnes qui ont réussi « dans » leur vie, que de personnes ayant réussi leur vie dans toutes ses dimensions. Ils disent avoir besoin d’être sécurisés dans un milieu affectif stable et ils préfèrent être sollicités dans leur esprit de solidarité plutôt que de devenir eux-mêmes les acteurs de leurs propres élans de générosité.

Les peurs, les craintes et les déceptions de ces adolescents dans le domaine de l’amour se polarisent autour des neuf catégories suivantes, classées par ordre décroissant :
1. la peur d’être déçu par l’autre, de ne pas être aimé ;
2. la trahison, l’infidélité, le mensonge, l’indifférence ;
3. la perte, le décès, la mort de l’être aimé ;
4. les incompréhensions (ne pas comprendre l’autre, ne pas être compris) ;
5. les tromperies (tromper l’autre, se tromper soi-même) ;
6. la solitude (peur de n’être aimé de personne) ;
7. l’amour à sens unique, être utilisé, manipulé (aimer sans obtenir un retour) ;
8. l’abandon, le rejet, être délaissé, lâché ;
9. le divorce, la rupture, l’échec.

A ces différentes craintes, s’ajoutent d’autres données régulièrement exprimées par ces adolescents :
• la peur de ne pas être aimé pour ce que l’on est ;
• la peur des émotions (trop, pas assez) ;
• la peur des sentiments (pas réciproques, pas vrais) ;
• la peur de l’inconnu, la peur de n’avoir pas de but ;
• la peur de souffrir ou de faire souffrir l’autre ;
• la peur du jugement, de la critique, des paroles en l’air ;
• la peur de la routine, de la jalousie ;
• la peur d’être victime, la crainte de l’abus, la peur du mal ;
• la peur de reproduire un schéma parental.

Ces peurs et ces craintes par rapport à l’amour sont souvent une projection de ce qu’ils voient actuellement dans le monde des adultes. Quand nous leur demandons « ce qui leur fait ou leur ferait le plus mal dans le domaine de l’amour », voici ce qu’ils nous disent : la trahison, le mensonge, l’hypocrisie, l’indifférence, l’abus de confiance, l’infidélité, la séparation, l’adultère, l’utilisation des faiblesses, le profit, la tromperie, les paroles blessantes sont autant de réalités qui leur apparaissent inacceptables quand on aime quelqu’un.
Ce « qu’il y a de plus beau pour eux dans le fait d’aimer et d’être aimé, ou ce qui serait leur plus grande source de joie » se traduit en ces termes : la tendresse, le mariage, donner le meilleur de soi, être heureux, être reconnu, avoir confiance, se connaître, avoir des enfants, se sentir exister, partager les mêmes sentiments, sentir une présence près de soi, être accepté pour ce que l’on est, la complicité, la réciprocité, être uni.
Quant aux questions qu’ils aimeraient poser aux adultes sur le thème de l’amour, nous pouvons les regrouper autour des thèmes suivants :
• Etre aimé de façon unique et pour toujours, est-ce possible ? Comment ?
• Est-ce possible de vivre un amour vrai toute sa vie ?
• Est-ce possible d’aimer toute sa vie la même personne ?
• Qu’est-ce qu’aimer ?
• Quelles sont les difficultés et les souffrances rencontrées dans l’amour ?
• Est-ce que la foi peut apporter quelque chose aux hommes dans le domaine de l’amour ? Quoi ? Comment ?
• Existe-t-il des personnes qui n’ont jamais rencontré l’amour ? Peut-on se passer d’amour ? Y a-t-il des personnes qui n’aiment jamais ?
• Peut-on tout faire par amour ? Jusqu’où peut-on aller dans l’amour ?
• Comment donner de l’amour ?
• Est-ce que l’amour gagne toujours sur le mal ?

D’autres questions très pertinentes ont été formulées par des adolescents, dont voici un échantillon.
• Pourquoi les adultes imposent-ils leurs règles au risque de faire souffrir les autres et de mettre dans l’oubli un amour capable d’ignorer toutes les différences ou les préjugés ?
• Pourquoi ne peut-on pas aimer à dix-sept ans alors que l’on peut mourir à tout âge ?
• Est-il plus fort d’aimer ou bien d’être aimé ?
• Comment rester solidaire et attentif aux autres quand on aime ?
• Est-ce que l’âme sœur existe réellement ?
• Que pensez-vous qu’il faille éviter en amour et ne pas oublier en amour ? Sommes-nous faits pour donner ?
• Pourquoi doit-on aimer ? Etre adulte signifie-t-il forcément ne plus aimer avec insouciance ?
La question que nous pouvons nous poser en tant qu’adultes est la suivante : que répondrions-nous à ces questions ?

Lorsque nous avons demandé à ces adolescents sur quelles fondations, sur quels piliers ils désirent bâtir leur vie, les quatre valeurs qui apparaissent par ordre décroissant sont :
1. l’amour,
2. le respect,
3. l’amitié,
4. la confiance.
A ces quatre valeurs viennent s’en ajouter d’autres, dans des proportions plus faibles : la fidélité, la famille, la joie, le partage, le bonheur, les enfants... Les adolescents n’hésitent pas non plus à dire combien ils sont marqués par la réalité négative qui les entoure alors qu’ils aspirent à vivre des relations vraies, profondes et authentiques.
Certains d’entre eux sont très conscients de leurs blessures fondamentales et disent clairement avoir peur du rejet, de l’abandon, de l’abus, de la solitude, de devenir des victimes, d’être manipulés, d’être utilisés et même de reproduire des schémas parentaux négatifs !
 

Que disent-ils à propos du verbe valoir ?

Les jeunes disent presque à l’unanimité que la vie elle-même vaut la peine d’être vécue parce qu’elle est source de joies et de peines, d’expériences positives et négatives, de découvertes et d’apprentissages qui leur permettent de construire leur identité, de se forger un caractère et de faire des choix. Nous pouvons noter qu’ils insistent souvent sur le fait que « tout » vaut la peine d’être vécu.
Ce qui vaut la peine d’être vécu de façon plus précise, pour ces adolescents, s’exprime en ces termes : la vie, l’amour, l’amitié, la famille, la foi, les joies et les peines, les déceptions et les souffrances, les études et le travail. Et ce qui a de la valeur pour eux, c’est prioritairement l’amitié, l’amour, la famille, et la confiance.
Les études et le travail semblent également devenir de plus en plus une priorité pour eux afin qu’ils se sentent reconnus socialement. Ils disent en effet valoir quelque chose dans la mesure où ils auront réussi leur vie scolaire, leurs études, leur profession. Ils sont très soucieux de leur avenir matériel et ils ne désirent pas perdre de temps à tout point de vue.

Quand nous leur avons demandé de ranger, par ordre de préférence, les valeurs essentielles pour eux aujourd’hui, voici ce qui vient : l’amour, le respect, l’amitié, la confiance, la famille, la tolérance et l’honnêteté sont les sept valeurs primordiales pour ces adolescents.
A la question : « As-tu un modèle auquel tu voudrais ressembler ? », 32 % répondent oui et 68 % non. Ce que cherchent les filles comme les garçons dans les modèles évoqués, ce sont des représentations en lien soit avec le corps du modèle auquel ils veulent s’identifier, soit en lien avec les capacités, les qualités ou l’originalité de ce modèle. Seulement quelques adolescents disent clairement vouloir être eux-mêmes, indépendamment de tout modèle.
Les filles comme les garçons apprécient leurs valeurs personnelles : sincérité, franchise, ouverture d’esprit… mais ils ont du mal à accepter leur propre caractère et leur comportement. Ils expriment souvent combien le corps et le physique ont de la valeur pour eux. De nombreux adolescents désirent « être eux-mêmes », et prétendent être libres par rapport au regard des autres tout en avouant paradoxalement qu’ils ne s’aiment pas eux-mêmes ou ne s’acceptent pas comme ils sont. Si les adolescents ont besoin d’être reconnus, d’exister, de vivre, d’être écoutés et compris, d’être accompagnés, ils disent aussi que ce qui est important pour eux, c’est d’être intelligent, de pouvoir briller aux yeux des autres, d’avoir des talents et du style, d’être admirés par les autres et de se sentir unique aux yeux des autres.

Ils veulent avoir une bonne image de marque, ne pas être jugés sur les apparences mais sur le fond de leur personnalité et ils attendent que leur entourage dise du positif à leur sujet. Ils attachent une grande importance au regard : ils ont besoin d’être regardés, encouragés, complimentés, rassurés, soutenus, sollicités, responsabilisés. Ils expriment aussi la nécessité de leur donner droit à la parole, de leur faire une place dans la vie et ils revendiquent le droit d’avoir un nom et un prénom, sans pour autant préciser s’il s’agit d’acquérir une renommée ou simplement d’exister dans leur identité personnelle et unique. Certains disent à plusieurs reprises, avoir besoin également d’air, d’espace et de liberté pour se sentir exister.

Une autre réalité importante apparaît clairement dans les données recueillies : ces adolescents ne sont plus prêts à consacrer toute leur vie à de grandes causes humanitaires, à donner leur vie pour les autres. Ils ne rêvent plus tellement de sauver le monde mais ils demeurent prêts à donner leur vie pour quelqu’un de très proche d’eux affectivement (personne aimée, famille, amis).
Plus des trois quarts d’entre eux affirment par exemple ne pas savoir quelle est la valeur de l’homme aux yeux de Dieu dans la Bible. Paradoxalement, ils décrivent avec aisance le type de regard que Jésus portait sur l’être humain. L’amour de Dieu, le pardon que Jésus accorde à de nombreuses personnes dans les Evangiles, le fait d’être considéré comme unique aux yeux de Dieu et d’être considéré comme égal, semblable aux autres… aident certains adolescents à vivre et à être reconnus. L’invitation de Jésus à être honnête et à ne pas se fier aux apparences les encourage à exister en profondeur.

Les adolescents affirment aussi que l’avoir ne fait pas le valoir. Ils qualifient l’avoir de « superficiel », de « matériel », comme étant un « signe de possession » alors que le valoir concerne l’être d’une personne, l’estime d’une personne, sa valeur, ses qualités morales etc. Certains disent par exemple, qu’« avoir, c’est posséder et valoir, c’est avoir de la valeur ». Ils ont parfaitement conscience que ce n’est pas l’avoir qui fait le valoir et que la bonté et l’intelligence valent plus que l’égoïsme et la richesse. Une adolescente fait cette admirable réflexion : « On est l’unique maître de ce que l’on vaut, on ne dirige pas toujours ce que l’on a. Ce que l’on vaut est quelque chose d’inébranlable, contrairement à ce que l’on peut avoir. On peut beaucoup valoir sans trop avoir. Inversement, on peut beaucoup avoir sans pour autant beaucoup valoir. »
Les adolescents disent aussi qu’on ne vit pas pour ce que l’on possède mais pour ce que l’on est ; que l’être a besoin de l’avoir et que l’avoir veut l’être, mais qu’on peut être sans avoir alors qu’avoir sans être ne signifie rien pour eux. Ils déclarent avec un certain réalisme que « de nos jours, si on n’a rien, on n’est rien », mais ils font remarquer avec justesse qu’« être, c’est exister et qu’avoir, c’est appartenir ». Ils constatent qu’ils ne peuvent pas modifier ce qu’ils sont physiquement, mais qu’ils peuvent décider librement de devenir ce qu’ils veulent être.

Afin de se sentir vraiment exister, les adolescents n’hésitent pas à formuler clairement leurs besoins. Nous avons regroupé et séparé les besoins des filles et ceux des garçons.

Les besoins fondamentaux pour les filles sont les suivants :
• parler, s’exprimer, être écouté, être respecté, être apprécié, être accepté comme on est, être aimé, ne pas être jugé, avoir confiance, témoigner de l’amour ;
• faire attention à moi, aimer, avoir besoin de moi, être utile, ne pas ignorer la personne, être entouré, s’intéresser à, présence, être regardé, être aimé, avoir sa place ;
• ne pas être rejeté, aimer faire, sentir, bonheur, amour, famille, besoin d’air, besoins vitaux, un appui, santé, évaluer, liberté, joie, indépendance ;
• donner son avis, écoute, partage, respect, sortie, être rassuré, tenir compte de l’avis, franchise, compréhension, dialogue
• aide, amis, entourage, soutien, présence, proche, amour, proximité, appui, confidence, compagnie, confiance, sincère.
D’autres besoins sont également soulignés par les filles : besoin d’opposition, besoin de liberté, besoins superficiels, s’amuser, musique, ordinateur, téléphone…

Les besoins fondamentaux pour les garçons sont :
• dignité, respect, sports, ne pas se fier aux apparences, notoriété, réussir sa vie, force de caractère, se sentir apprécié, compliments, être moi, écoute, regard ;
• prendre des initiatives, des responsabilités, s’affirmer, être soi, parents, amis, famille, avoir un moral élevé, être en forme et non toujours fatigué, ne pas avoir de contraintes ;
• sentiments, sensations, faire ce qui tient à cœur, corps, liberté, aimer et être aimé, profiter pleinement de la vie, ne pas être stressé, être soi, argent ;
• personnes, confidents, amis, interlocuteurs, famille, parler, écoute, attention, pouvoir se confier ;
• parents, famille, avoir quelqu’un à ses côtés, Dieu, accompagnatrice, entourage, amis, être soi.

D’autres besoins sont également soulignés par les garçons : besoins vitaux, ressources en soi-même, méditation, musique…
Ce qui donne l’impression à ces adolescents de valoir quelque chose aux yeux des autres se traduit en ces termes : me manifester de l’intérêt et de l’attention, être écouté, être utile, avoir besoin de moi, être respecté, me faire confiance, être traité d’égal à égal, recevoir des compliments.

Ce qui blesse terriblement le cœur personnel de ces adolescents aujourd’hui concerne quatre domaines : le jugement critique sur les apparences, le regard par rapport au corps, les insultes par rapport aux racines familiales, les remarques par rapport au travail scolaire et/ou aux capacités. L’inégalité des différences sociales, les souffrances, les maladies, la mort, les pertes, les séparations, les ruptures et les discriminations sont autant de choses qu’ils trouvent injustes dans la vie.
La misère, les injustices, la faim dans le monde, la précarité, la pauvreté, les inégalités sociales, l’intolérance, le désespoir, l’hypocrisie, la méchanceté, les guerres, les incompréhensions, les mensonges, la maladie, la mort, le racisme, la violence, la haine, la solitude sont les principales réalités qui attristent, désespèrent et mettent ces adolescents parfois en colère.


Que disent-ils à propos du verbe croire ?

Lorsque ces adolescents s’expriment au sujet du verbe croire, ils mettent l’accent sur quatre réalités fondamentales : croire en « soi », croire en « l’autre » (les parents, la famille, les proches, les amis), croire en « Dieu » et croire en « quelque chose ».
Quand je leur ai demandé plus précisément en quoi croient-ils et/ou en qui croient-ils, voici ce qu’ils disent : à la vie, à l’amour, à la confiance, à l’amitié, à l’espérance, à la paix, au bonheur, à la réussite, à la science, à l’humanité, en Dieu, à la famille, aux parents, à la vie après la mort, en l’avenir, à la liberté.
Le Dieu auquel ils croient est, pour la plupart d’entre eux, un Dieu qui vient en aide, qui aime, qui pardonne, qui protège, qui crée, qui punit pour certains d’entre eux, qui est rempli de force, de justice et d’amour. Ils disent en même temps ne pas avoir appris à le connaître suffisamment et presque ignorer les Ecritures.

Ils se donnent essentiellement trois moyens pour croire : la participation occasionnelle à une célébration 3, l’intériorisation ou la prière et la réflexion 4. Leur attirance vers des grands rassemblements (JMJ) et les pèlerinages, la fréquentation de la communauté de Taizé, de certains monastères et des communautés dites « nouvelles », montrent à quel point les adolescents ont à la fois besoin de solitude et de « vivre ensemble ». Elle nous rappelle aussi à quel point ils ont besoin, pour exister vraiment, d’être reliés à eux-mêmes, d’être reliés aux autres et d’être reliés au Tout-Autre. La question que nous sommes alors en droit de nous poser est la suivante : qui est ce Tout-Autre, pour eux, dans le concret de leur existence ?

Notons encore que pour ces adolescents, le croire doit être indissociable de l’agir. Ils disent en effet combien ils ont besoin de cohérence entre l’être et l’agir, entre l’être et la parole. La foi se vit dans les actes et « non pas en allant à la messe le dimanche », pour reprendre une de leurs expressions. Ils souhaitent même être mieux encadrés dans leur quête religieuse et spirituelle. Croire signifie pour eux concrètement : aimer, partager, être tolérant, garder espoir, respecter, ne pas juger…

Les adolescents affirment aussi combien ils veulent vivre leur foi librement, choisir eux-mêmes ce qui est bon pour eux sans que cela leur soit dicté de l’extérieur, être détachés de toutes obligations par rapport à des pratiques figées. Ils désirent croire sans appartenir, mais en même temps ils aiment appartenir de façon ponctuelle à des groupes pour approfondir leur foi parce qu’ils vivent alors affectivement des rencontres qui les nourrissent et, spirituellement, des réflexions qui les construisent.
Ils souhaitent vivre leur foi de façon authentique et se révoltent contre l’hypocrisie de certains croyants. Ils pensent que, pour suivre Jésus-Christ, il ne s’agit ni de croire, ni d’espérer, mais d’aimer comme Jésus lui-même a aimé. Certains adolescents disent que l’amour seul suffit, mais un amour tel qu’il ne tolère aucune ambiguïté.

Certains adolescents regrettent qu’on ne leur ait pas appris à connaître qui est Dieu et reconnaissent ignorer les particularités des grandes religions. S’ils avaient la possibilité d’élaborer un cours d’enseignement religieux, ils aimeraient que celui-ci les aide à :
• pouvoir mieux comprendre le trésor des différentes religions ;
• pouvoir parler de Dieu et de sa foi ;
• acquérir une culture religieuse ;
• comprendre la société ;
• comprendre l’être humain et son fonctionnement ;
• comprendre sa religion afin qu’elle donne sens à son histoire ;
• apprendre la confiance ;
• apprendre la tolérance, le respect, le partage ;
• apprendre le pardon, l’amour, les valeurs fondamentales ;
• permettre le dialogue, les débats, la communication, l’échange, l’écoute ;
• parler de la vie, de l’actualité ;
• relier sa vie à sa religion ;
• recevoir des témoignages de groupes humanitaires ;
• visiter des lieux de culte et de prière ;
• pouvoir s’ouvrir aux autres croyances ;
• organiser des échanges interreligieux ;
• s’ouvrir à la connaissance se soi et à celle des autres ;
• grandir dans sa foi et devenir plus sage ;
• s’enrichir personnellement.

Lorsque nous vivons ou travaillons avec des adolescents, les questions que nous nous devons de nous poser de temps en temps, en tant qu’adulte, sont les suivantes : par quelles croyances sommes-nous nous-mêmes habités ? Quelles croyances leurs transmettons-nous ? Quelles croyances sont génératrices de vie ? Quelles croyances sont génératrices de mort ? Quels moyens nous donnons-nous pour aller vérifier la véracité de nos croyances ? Qu’est-ce que ces croyances peuvent induire dans le comportement des adolescents ? Devons-nous nous étonner du rejet de certaines d’entre elles ? Pouvons-nous nous réjouir de l’acceptation de certaines d’entre elles ?



Que retenir ?



Au cœur de leurs emplois du temps « surbookés », les adolescents mobilisent toutes leurs énergies dans des investissements leur permettant de bâtir leur avenir professionnel, leur sécurité matérielle, leur devenir affectif au détriment peut-être d’un équilibre intérieur : leur être profond demeure comme sous-alimenté, en quête de nourriture spirituelle cohérente.
Peurs, craintes et déceptions peuvent générer chez eux un mal-être existentiel qui les paralyse dans leurs élans spontanés de générosité et de solidarité. A la suite de la richesse des données recueillies, nous pouvons en retenir un certain nombre.
• L’adolescent cherche à donner du sens à sa vie.
• L’adolescent sait identifier ses besoins fondamentaux.
• L’adolescent veut développer une identité unique et une personnalité forte.
• L’adolescent désire vivre sa foi chrétienne de façon authentique.
• L’adolescent souhaite vivre des relations vraies et être respecté pour ce qu’il est.
• L’adolescent n’est pas prêt à prendre des engagements tous azimuts.
• L’adolescent veut comprendre sa religion et pouvoir relier avec cohérence sa vie aux Ecritures.
• L’adolescent est allergique au rabâchage de formules toutes faites et assoiffé de profondeur spirituelle incarnée.
• L’adolescent ne souhaite pas être prisonnier d’obligations et de rituels.
• L’adolescent demande des pratiques pédagogiques variées en enseignement religieux, ainsi que des contenus adaptés à son évolution.
• L’adolescent est exigeant : l’être d’une personne doit être en accord avec sa parole et réciproquement.
• L’adolescent est intransigeant : il ne confond pas l’être et l’avoir, ni l’avoir et le valoir.
• L’adolescent est marqué positivement ou négativement par des croyances.
• L’adolescent a besoin de témoins proches de lui qui le rassurent dans ses choix et ses décisions.
• L’adolescent met des priorités dans sa vie : il la structure d’abord intellectuellement, puis affectivement et enfin spirituellement.

Face à un tel constat, nous pouvons prétendre que la foi en Jésus-Christ peut donner du sens à l’existence des adolescents et des éléments de réponse à leurs questionnements et ceci aussi bien d’un point de vue anthropologique que d’un point de vue philosophique et théologique. Elle est une proposition possible parmi tant d’autres et même une proposition essentielle et souhaitable qui appelle à la vie en plénitude.
Face à la diversité religieuse du monde actuel et à l’évolution des modalités du croire, les chrétiens peuvent aider les jeunes à aimer en vérité, à être reconnus pour ce qu’ils sont en profondeur (valoir) et à croire avec intelligence.



Quelques repères pour l’action pastorale


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Accompagner, éduquer



Il est important d’oser dire que la foi chrétienne n’est pas aujourd’hui « le seul croire blessé ». En effet, pour un grand nombre d’adolescents, il n’est pas seulement évident de croire en Dieu actuellement. Ils ont de plus en plus de mal à croire aussi qu’un avenir sécurisant leur est possible, tant d’un point de vue professionnel que d’un point de vue et affectif. Ils sont incertains quand il s’agit de parler de fidélité dans le couple ou d’amitié ; ils ont du mal à croire que la tendresse peut être vraie et durable ; ils ne croient plus guère aux causes humanitaires si ce n’est au Téléthon ; ils ne croient plus à l’honnêteté des clubs sportifs, encore moins à la politique. Et ces désillusions sont exprimées dans quasi toutes les dernières enquêtes menées auprès d’eux. Un tel scepticisme ambiant ronge leurs cœurs et crée en eux une sorte de mal-être permanent, voire même angoissant ; ils en viennent ainsi à ne plus croire en eux et perdent toute confiance. Le premier croire blessé est peut-être la confiance en soi.
Ils ont accès à une quantité phénoménale d’informations et se trouvent comme paradoxalement démunis, désemparés, de moins en moins informés sur leurs propres possibilités de réalisation d’eux-mêmes. On ne dira jamais assez qu’ils n’ont plus de repères solides, fiables, sur lesquels ils peuvent s’appuyer avec assurance.

Une des priorités de la relation éducative aujourd’hui devrait être de ne pas survaloriser la tolérance ; à vouloir être trop tolérant, on finit pas dévaloriser la tolérance, voire même à nier le concept même de tolérance. A force de dire à l’adolescent, au nom même de la tolérance, que « chacun a sa part de vérité », « que chacun a le droit de penser et de dire ce qu’il veut », « d’agir comme bon lui semble », que « les opinions et les attitudes des uns et des autres sont relatives », « que tout est respectable », « que tous les systèmes économiques et politiques se valent », que « toutes les manières de vivre sa sexualité se valent », que « toutes les religions se valent »… il n’y a plus aucun repère objectif à partir duquel le jeune peut construire sa pensée et son identité, penser et réfléchir, choisir et croire.
Inciter le jeune à faire « ce qu’il ressent », « à suivre son intuition », c’est se déresponsabiliser à son égard d’autant plus qu’il manque tant de référents, que ce soient des référents politiques ou économiques, judiciaires ou humanitaires, ou des référents dans l’ordre de la vie privée : parents adultes, cohérents et responsables.
L’adolescent doit trouver en lui seul le courage nécessaire à la décision et il est confronté sans cesse à lui-même ; la solitude n’est-elle pas une des peurs fondamentales souvent évoquées dans les réponses à notre enquête ? Or, une peur paralyse et empêche de prendre des décisions et donc des risques.

La relation éducative avec les adolescents aujourd’hui se doit donc d’être tout particulièrement attentive à cinq points précis :
1. Etre attentif au besoin de sécurité chez les adolescents : créer une sécurité qui ne soit pas étouffante mais « sécurisante » afin de leur permettre de libérer leurs capacités de créativité, d’ouvrir en eux des élans de générosité et de risquer avec confiance des initiatives nouvelles.
2. Tenir compte de leur sensibilité à fleurs de peau : sans tomber dans la manipulation qui cherche « à toucher leurs cordes sensibles », ni la démagogie. Accepter simplement que nous sommes devant une génération qui dit plus souvent « je sens » que « je sais » ! Reconnaître humblement cette sensibilité, la mettre à sa juste place, c’est lui permettre de prendre moins de place. Permettre à cette sensibilité de s’exprimer, c’est à la fois la mettre en valeur et la mettre à distance.
3. Etre cohérent dans sa manière d’être, de parler et d’agir : il est des manières accrocheuses de rejoindre les jeunes qui les enferment, mais il en est d’autres, cohérentes et exigeantes, qui les respectent et leur donnent le goût de penser par eux-mêmes, de faire des choix en connaissance de cause et de croire avec intelligence.
4. Devenir des référents : en se refusant de gommer la différence entre le jeune et l’adulte, qui interdirait toute rencontre vraie et constructive.
5. Aider les jeunes à s’enraciner dans une histoire personnelle, familiale et peut-être communautaire, afin de leur donner le courage d’envisager leur devenir de façon plus paisible et de se projeter dans un avenir.
Une relation éducative fondée sur des valeurs communes – et plus particulièrement sur le respect, la confiance et l’écoute – peut contribuer à donner du sens à leur existence.
Une relation éducative basée sur un contenu avec des objectifs précis, notamment :
1. Eveiller le jeune à la dimension chrétienne de sa propre vie et lui apprendre à se situer librement par rapport aux autres.
2. Aider le jeune à repérer son identité et à structurer sa personnalité.
3. Permettre à un jeune de faire des choix dans sa vie, d’oser en toute liberté poser un acte de foi, de développer ses engagements.
4. Donner à un jeune la possibilité d’acquérir une culture religieuse, d’aborder et de comprendre le trésor des religions.
5. Ouvrir l’intelligence et le cœur d’un jeune aux valeurs qui lui permettront de vivre dans le respect, la dignité, l’amour, l’égalité, la justice, la vérité, la liberté… Eduquer ? « L’art de transmettre le meilleur de soi-même sans réduire l’autre à être une copie conforme, l’aider à lui faire prendre conscience du meilleur de lui-même. Le secret de cet art ne réside-t-il pas essentiellement dans la contagion d’une vie ? » (Michel Hubaut). 

Notes

1 - Cf. Christine AULENBACHER, DEA de Théologie Catholique, UMB - Strasbourg.
2 - Les résultats obtenus ont été traités selon la méthode d’analyse de contenu de Muchielli.
3 - Par exemple, participation occasionnelle à la messe pour certains d’entre eux.
4 - Par réflexion, ils entendent : participation à des week-ends d’aumôneries, des rassemblements spirituels, des cours de culture religieuse, des retraites, des pèlerinages, des rencontres interreligieuses, des soirées-débats...
5 - JMJ, retraites, Taizé, week-ends.

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Aulenbacher