Le célibat, chemin de vie


Pascal Leseur
responsable du service des vocations de Langres




A la source de notre vie de relation : la séparation

Dès notre naissance, nous apprenons la séparation :
  • séparation du sein maternel que le bébé se représente comme partie constituante de lui-même.
  • séparation de notre mère dans un long apprentissage de la confiance au monde et de la découverte de l’altérité.
L’espace de séparation est un lieu de confrontation, d’identification, de rencontres, de bénédiction. « Et Dieu vit que cela était bon ! » (Gn 1, 10).
Cette réalité de la séparation suppose un processus :
  • de renoncement à notre toute-puissance,
  • de lâcher prise en acceptant la solitude et le vide qui font partie du mystère de notre condition humaine.
Sans ces éléments essentiels, une vie spirituelle authentique aura du mal à se fonder. Un rapport juste et chaste avec soi-même, les autres et Dieu se mettra difficilement en place.
Recevoir ma vie d’un autre se manifeste dans le rôle symbolique du père qui aide à dépasser la relation fusionnelle à la mère. C’est aussi dans ce cadre que nous sommes stimulés à sortir du « je » pour découvrir le « tu » et le « nous » d’une vie relationnelle.



La vocation, lieu d’une conversion

L’Eglise latine ne retient que deux itinéraires de vocations en référence à l’Ecriture : le mariage et le célibat.
Au début du chapitre 19 de saint Matthieu, Jésus parle du mariage et du célibat comme deux réponses à l’appel de Dieu.
  • « Ce que Dieu a uni (homme et femme), l’homme ne doit point le séparer… » (Mt 19, 6).
  • « Il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels à cause du Royaume de cieux. Qui peut comprendre, qu’il comprenne ! » (Mt 19,12).
Cependant, il existe aujourd’hui d’autres situations de vie : en France, six millions de personnes vivent seules sans l’avoir choisi.
Le mariage comme le célibat sont des réalités exigeantes qui disent, de manière particulière, la présence du Royaume de Dieu. C’est dans la suite de notre baptême et du Christ ressuscité qu’il faut comprendre ces deux chemins de vie.
Cependant, quels que soient nos réussites ou nos échecs, Jésus nous relance toujours dans un appel à la sainteté, comme une décision où nous sommes attendus…


Eunuques pour le Royaume

La violence de ce terme employé par Jésus évoque l’impuissance, la castration !
Les eunuques vivaient à la cour du roi et dans leurs impuissances de serviteurs, ils s’assuraient de la pureté du lignage royal. D’une certaine manière, à leur place, ils assuraient une participation au pouvoir royal.
Etre eunuque pour le royaume de Dieu, c’est être gardien de la Royauté du Christ, comme Joseph qui veille sur Marie, comme Jésus lui-même qui est totalement « aux affaires de son Père. »
Nous sommes rendus impuissants (non au sens physique) par réponse à un appel ; cela veut signifier que ce n’est pas notre œuvre mais celle de Dieu qui se réalise. Nous la portons comme un trésor dans des poteries sans valeur…
La réponse à l’appel gratuit de Dieu est un bonheur qui s’exprime dans le don de soi. Une vie féconde et épanouissante est possible, même aux heures d’obscurité, si la Parole de Dieu donne corps à la démarche. Alors la maîtrise de soi devient une bénédiction, lieu d’une fécondité insoupçonnée.


Le célibat choisi : attachement et séparation

L’amour du Christ nous a touché, un jour, jusqu’à librement lui donner notre vie. Cet amour que l’on ne voit pas, que l’on saisit de manière fragmentaire, n’est pas narcissique, il se traduit dans nos relations. Notre lien personnel au Christ se vit dans une communauté croyante, dans le monde où nous sommes envoyés.
Cet amour nous invite à développer en nous un espace de solitude, de vie intérieure pour nourrir ce lien privilégié au Christ, sans nous fermer à la capacité de partager des plaisirs avec d’autres, comme les autres !
Ce choix de vie et cette décision radicale supposent une maturation et une charpente intérieure. Il s’agit par exemple de maîtriser les émotions, souvent passagères, qui peuvent nous submerger, en sentiments qui impliquent davantage des réactions dans la durée et l’unification de soi et de son « agir ».
Ce choix de vie produit une joie profonde qui se vit dans le mystère pascal, comportant des traversées crucifiantes, et de magnifiques résurrections.
C’est le combat de toute une vie vécue en union étroite avec le Christ pour « que Lui grandisse et que moi je diminue » (Jn 3, 30).

paru dans L’appel de la Haute-Marne, 3e trim. 2006